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« La "lecture au futur" appelle à un changement d’orientation temporelle de la lecture savante,
que je ne fais plus aller de mon présent vers le passé de l’œuvre, mais d’un temps où se mêlent le
passé de l’œuvre et le présent de ma lecture vers le futur et de l’œuvre et de ma lecture. Les
études littéraires ont hérité de la philologie le goût de l’archive, ou plus exactement la passion du
passé, qui semble jouir d’un privilège sous toutes ses formes : on admet que la lecture d’une
œuvre s’enrichit de ce qu’on peut savoir de son contexte de création, de la réception du premier
public, de la connaissance de ses brouillons, sources et avant-textes, de l’histoire du genre dans
lequel elle s’inscrit.
C’est au futur cependant que s’écrit l’œuvre et c’est dans le futur, dans ce que l’on nomme
parfois la postérité, qu’elle trouve une valeur. L’écrivain vise à être lu dans un après de sa
création, à peser sur son destin critique ou sur le devenir d’un genre ; il ne connaît pas ses futurs
lecteurs et prend le risque de n’être pas compris pour continuer d’être lu. Ne convient-il pas alors
de conjuguer aussi le verbe lire au futur, de chercher non ce qui fut, mais ce qui peut encore
advenir de l’œuvre ? Au lieu de dire ce qui est déjà écrit, on traque alors ce qui reste à écrire et le
chercheur en littérature troque son costume de conservateur contre celui de novateur : il cherche
non plus la confirmation mais la surprise, voire l’inédit ; plutôt que de vérifier son propos sur des
faits établis, il juge de ses lectures à l’aune de leur richesse prospective.
Un tel projet engage donc une réflexion sur la valeur que nous accordons à la prospection et à
la conservation dans les études de lettres. Il nous invite à poser à nouveaux frais la question des
rapports entre textes possibles et futur des textes, et plus largement entre la puissance et l’acte
littéraire. Il ne va pas enfin sans l’invention de nouvelles manières de lire pour explorer l’étrange
et mystérieuse contrée du futur littéraire. Peut-être ainsi trouverons-nous la clef qui permet de
pénétrer dans la séduisante bibliothèque des livres encore à écrire. » S. R.
Sophie RABAU enseigne la théorie littéraire à l’Université de Paris Sorbonne (Paris 3). Elle est
l’auteur de plusieurs essais :
Fictions de présence. La narration orale dans le texte romanesque du roman antique au XXe siècle,
Champion, 2000.
L’Intertextualité, GF-Flammarion, 2002.
Et tout dernièrement : Quinze brèves rencontres avec Homère, Belin, 2013.
On lui doit aussi des ouvrages en collaboration :
Théorie littéraire et littérature ancienne : interpolation et lacune, Presses de l’École normale supérieure,
1997.
Fiction d’auteur ? Le discours biographique sur l’auteur de l’Antiquité à nos jours, Champion 2001 (avec
S. Dubel)
La Case blanche. Théorie littéraire et possibles d’écriture, Revue La Lecture littéraire, n° 8, 2006 (avec
M. Escola)
Et plus récemment : Lire contre l’auteur, Presses Universitaires de Vincennes, 2012.