dossier pédagogique

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THÉÂTRE DE L’ÎLE - 2015
d’après Georges Bernanos, Gertrud von Le Fort, Raymond Bruckberger et Philippe Agostini
Compagnie Kalachakra - Adaptation et mise en scène de Maryse Courbet et Yves Borrini
DOSSIER PÉDAGOGIQUE
© Julie de Waligorsky
Dialogues des Carmélites Georges Bernanos, Dialogues des Carmélites de Francis Poulenc, Georges Bernanos, Gertrud von Le Fort et le DVD
de la pièce Dialogues des Carmélites mis en scène par Olivier Py (en anglais) sont disponibles au Centre de ressources du Théâtre de l’île.
avec Annie Barangua,
Kesh Bearune,
Yves Borrini,
Maryse Courbet,
Marie-Eve Delatte,
Lucie Dorio,
Linda Kurtovitch,
Nicole Kurtovitch,
Stéphane Piochaud,
Flore Seydoux
à partir de la 3ème
durée : 1h30
SÉANCES SCOLAIRES
SÉANCE TOUT PUBLIC
mercredi 1er juillet : 9h
jeudi 2 juillet : 13h30
vendredi 3 juillet : 9h
vendredi 3 juillet
: 20h
samedi 4 juillet
: 18h
dimanche 5 juillet : 18h
Tarif : 600 Frs par personne (élève
et accompagnateur)
Les représentations tout public
sont aussi ouvertes aux classes.
Pour bénéficier du tarif exeptionnel
à 1600 Frs réservé aux groupes
scolaires, merci d’effectuer une
demande auprès du département
Jeune Public
Inscription aux séances scolaires
à effectuer sur le site internet du
Théâtre de l’île.
CONTACTS DÉPARTEMENT JEUNE PUBLIC
www.theatredelile.nc
ACTIONS CULTURELLES
LAURENT ROSSINI
Tél. 25.50.52 / [email protected] / Fax.25.50.59
SÉANCES SCOLAIRES
CHLOÉ ALVADO
Tél. 25.50.52 / [email protected] / Fax. 25.50.59
SOMMAIRE
1. PRÉSENTATION DE LA PIÈCE 1
2. PRÉSENTATION DE L’AUTEUR
1
3. PRÉSENTATION DE L’ÉQUIPE
2
3.1. LES COMÉDIENS
2
3.2. LES CRÉATEURS LUMIÈRE, SON, SCÉNOGRAPHIE, MUSIQUE, GRAPHISME
4
4. NOTE D’INTENTION DU METTEUR EN SCÈNE
4
5. CHOIX DE MISE EN SCÈNE
5
5.1. SCÉNOGRAPHIE PAR DÉCORACTIF
5
5.2. COSTUMES
5
5.3. MUSIQUE PAR ROMAIN DUMAS
5
5.4. ICONOGRAPHIE
6
6. PISTES PÉDAGOGIQUES
7
6.1. PREMIER DOSSIER : ÉTUDE ET CONNAISSANCE DE L’ŒUVRE 7
6.2. DEUXIÈME DOSSIER : DÉCRYPTAGE DE LA REPRÉSENTATION
8
6.3. TROISIÈME DOSSIER : L’HISTOIRE
8
6.4. QUATRIÈME DOSSIER : LAÏCITÉ
8
7. EXTRAITS
Dossier réalisé avec les documents fournis par la compagnie Kalachakra
9
PRÉSENTATION DE LA PIÈCE
Les Dialogues des Carmélites, c’est avant tout une histoire vraie (1794), puis
une nouvelle de Gertrud Von Le Fort (1931), puis un script cinématographique
du Raymond Bruckberger et de Philippe Agostini, puis des dialogues de
Georges Bernanos (1948-année même de sa mort), puis une pièce de théâtre
proposée par l’éditeur Albert Béguin à partir du script et des dialogues
(1950) puis un opéra de Francis Poulenc (1957) et enfin un film de Philippe
Agostini et de Raymond Bruckberger (1959).
L’histoire et l’Histoire
Compiègne avril 1789.
La foule gronde au dehors, annonciatrice des événements sanglants à venir.
Le Marquis de la Force s'inquiète du devenir de sa fille Blanche, décidée à
rejoindre le Carmel. Elle pense trouver en ce lieu de recueillement un refuge
à la peur qui la hante. C’est une jeune fille fragile, hypersensible depuis sa
naissance survenue dans des circonstances de violences populaires ayant
entraîné la mort de sa mère.
Confrontée à Madame de Croissy, prieure âgée et malade, Blanche de la
Force, jeune novice, doit prouver la pleine conscience de son engagement et
des responsabilités qui en découlent. Elle est acceptée au sein du couvent
et va y vivre les derniers jours de la congrégation. Les ordres religieux sont
supprimés et dispersés par la révolution en cours.
Les religieuses prononcent un vœu de martyre en l'absence et contre la
volonté de la Supérieure.
La « grande Terreur » les arrête, les juge sommairement et les condamne
à mort, accusées de « machination contre la République, fanatisme et
sédition ».
Blanche réussit à s'enfuir mais ne parvient pas à sauver son père de la
guillotine.
Après bien des hésitations et des souffrances, Blanche rejoint ses compagnes
au moment de leur exécution, le 17 juillet 1794, sur les dernières notes du
Salve Regina, petite et dernière voix du chœur qui s'élève sur la Place de la
Nation devant une foule totalement silencieuse et stupéfaite.
La seule à échapper à la guillotine est Sœur Marie de l’Incarnation qui avait
quitté Compiègne avant l’arrestation.
Onze jours plus tard, la Terreur prend fin avec l'arrestation de Robespierre.
Le vœu de la prieure est exaucée, l’Eglise et l’Etat retrouvent la paix.
Une magnifique parabole sur l’existence, le renoncement, le sacrifice, la peur,
la mort, la foi, les relations humaines et bien évidemment Dieu.
Dossier pédagogique Dialogues des Carmélites - Compagnie Kalachakra - Théâtre de l’île saison 2015
1
PRÉSENTATION DE L’AUTEUR
Au départ, une nouvelle – Die Letzte am Schaffort [La dernière à l’échafaud] – que Gertrud
Von Le Fort, poétesse et romancière allemande, écrivit en 1931 après sa conversion au
catholicisme. Y est narré un fait avéré : en 1794, peu avant la chute de Robespierre, seize
carmélites furent guillotinées. Le Fort ajouta un personnage essentiel dont le patronyme,
Blanche de La Force, indique une solide intention autobiographique.
En 1946-1947, Raymond Bruckberger et Philippe Agostini muèrent la nouvelle en un
scénario de film que Georges Bernanos dialogua l’année de sa mort en 1948.
L’année suivante, Albert Béguin (exécuteur testamentaire et éditeur de Bernanos)
retrouva ce scénario dialogué dont Poulenc se saisit. Le compositeur est l’auteur de son
propre livret.
Notre Dialogue des Carmélites est une adaptation des textes écrits par Georges Bernanos,
Gertrud von Le Fort, Raymond Bruckberger et Philippe Agostini.
PRÉSENTATION DE L’ÉQUIPE
C’est une équipe qui se connaît depuis le début des années 90. Tous se sont
croisés, ont joué, mis en scène et créé des liens. Nous ne parlerons ci-dessous
que des créations néo-calédoniennes. Certains travaillent aussi en métropole.
Ce qui lie l’équipe c’est aussi un homme, un ami, un comédien magnifique qui a été présent auprès de
chacun des comédiens cités ci-après.
A toi J.L. !
3 . 1 LES COMÉDIENS
ANNIE BARANGUA
Elle a joué épisodiquement depuis Le malade imaginaire de Molière en 1993. Son dernier rôle remonte à 2009
au Théâtre de l’Île dans Fin de partie de Samuel Beckett.
KESH BEARUNE
Comédien de la compagnie Cebue. Il a souvent partagé les aventures théâtrales de la compagnie Kalachakra
(Les dieux sont borgnes, de Pierre Gope et Nicolas Kurtovitch ; Sida, je vis, je dis, d’après des témoignages édités
par Solidarité Sida Nouvelle-Calédonie ; La Commande, de Nicolas Kurtovitch).
YVES BORRINI
Il est metteur en scène et comédien de la compagnie Le Bruit des Hommes. Les créations partagées sont
nombreuses depuis Les dieux sont borgnes de Pierre Gope et Nicolas Kurtovitch dont il avait assuré la mise
en scène en 2002. Il a mis en scène Fin de partie de Beckett en 2009 et Métiers de nuit (collectif d’auteurs
calédoniens) en 2011 au Théâtre de l’Île.
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2
MARYSE COURBET
Elle est metteur en scène et comédienne de la Cie Le Bruit des Hommes. Les créations partagées ont débuté
aussi avec Les dieux sont borgnes (cf. ci-dessus). Elle a mis en scène Une journée particulière d’après Ettore
Scola en 2004 au Théâtre de l’île ainsi que La Commande de Nicolas Kurtovitch en 2006 au centre culturel
Tjibaou.
6
Vous pouvez retrouvez les actualités de la compagnie Le Bruit des Hommes : http://www.lebruitdeshommes.com
MARIE-EVE DELATTE
Les Strapontins de l’Université de Nouvelle-Calédonie. sont des places de choix pour un parcours théâtral sur
scène, au bord de la scène et au sein des salles de spectacles. Marie-Eve a joué dans la troupe de l’Université
de Nouvelle-Calédonie, a mis en scène plusieurs pièces pour la compagnie Ça cartoon et elle a également joué
dans Le Prénom en 2013. Elle a fait partie d’une autre aventure de de la compagnie Kalachakra en jouant dans
Les femmes savantes de Molière en 2001 au Théâtre de l’île, mis en scène par Jean-Louis Canolle.
LUCIE DORIO
Elle était la petite Louison du Malade imaginaire de 1993, mis en scène par Jean-Louis Canolle. Sa carrière
professionnelle théâtrale est riche et variée. Elle est comédienne de la compagnie Calédo-folies les
Incompressibles. Ce nouveau partage est un clin d’œil à l’amitié et l’amour du théâtre.
LINDA KURTOVITCH
Danseuse de formation et de profession, elle a joué dans La journée particulière (cf. ci-dessus) et cette nouvelle
expérience théâtrale est un renouvellement des liens amicaux et artistiques qui réunissent cette équipe.
NICOLE KURTOVITCH
Elle était Béline dans le Malade imaginaire et depuis 1993, les expériences théâtrales se sont renouvelées le
plus souvent en lien avec les « Borrini » et Jean-Louis Canolle : La journée particulière ; Sida, je vis, je dis ; La
Commande ; Fin de partie ; Métiers de nuit (cités plus haut). Entretien d’un philosophe avec la Maréchale de
Diderot est la première création de la Cie Kalachakra mise en scène par Jean-Louis Canolle en 1994.
STÉPHANE PIOCHAUD
Il était le Cléante de 14 ans du Malade imaginaire de 1993… Décidemment… Sa carrière professionnelle théâtrale
est riche et variée. Il fait partie de la Compagnie Calédo-folies les Incompressibles. Comme pour Lucie Dorio,
ce partage théâtral est une piqûre de rappel à l’amitié.
FLORE SEYDOUX
C’est une amie depuis longtemps mais c’est la seule qui n’a jamais partagé la scène avec nous. Elle est chanteuse
lyrique de profession, mezzo-soprano, nous sommes heureux d’avoir une telle personne et une telle voix pour
nous accompagner.
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3
3 . 2 LES CRÉATEURS LUMIÈRE, SON, SCÉNOGRAPHIE, MUSIQUE, GRAPHISME
LA LUMIÈRE
Laurent Lange éclaire Kalachakra depuis 1998 pour Le sentier de Nicolas Kurtovitch, pièce inaugurale du centre
culturel Jean-Marie Tjibaou.
LE SON
Zidane Boussouf nous accompagne depuis Une journée particulière de Ettore Scola.
LA SCÉNOGRAPHIE
Philippe Bernard (Décoractif) crée notre espace depuis Une journée particulière.
LA MUSIQUE
Romain Dumas est un jeune chef d’orchestre qui a commencé l’étude de la musique au conservatoire de Nouméa
(Ecole de musique d’alors) ; enfant, il a suivi des cours de théâtre avec Jean-Louis Canolle. Et puis il y a aussi
Poulenc…
LE GRAPHISME DE L’AFFICHE
Julie de Waligorski avait dessiné l’album pour enfant Iamele et Wilidone de Nicolas Kurtovitch.
NOTE D’INTENTION DU METTEUR EN SCÈNE
Les Dialogues des carmélites se situent dans les années les plus sombres de la Révolution
française, à l’apogée de la confrontation des forces politiques et des forces spirituelles à
l’œuvre dans toute société. Les angles de lecture sont donc multiples.
Aujourd’hui, chacun percevra ou non les échos avec la période contemporaine.
C’est en cela que ces Dialogues sont un chef d’œuvre : il touche de façon particulière et profonde et permet à chacun
d’hypertrophier le thème ou l’interprétation résonant le plus fortement en lui, sans pour autant jamais épuiser le
sens de cet ouvrage.
Pour nous, les Dialogues des carmélites ne sont ni une messe ni un pamphlet anti-républicain.
Ces femmes ne sont ni des anges (cependant béatifiées en 1906 par Pie X) ni des illuminées, ni des « contrerévolutionnaires ».
Ce sont des femmes bien réelles, de toutes générations, de toutes provenances, confrontées à la violence déréglée
du monde extérieur. Elles sont isolées, abandonnées et nous transmettent leurs doutes, leurs peurs, leurs angoisses,
leur solitude face à la mort et face à Dieu, leur générosité, leur courage, leur sens du sacrifice, leur intransigeance,
leurs erreurs, leur sens de l’autre, leur amour, leur humanité.
Elles dialoguent à deux et toutes ensemble.
Elles dialoguent au sens platonique et elles bavardent avec insouciance.
Elles énoncent, rompant leur règle du silence, l’indicible, l’innommable.
Elles chantent pour entrer en vibration avec l’immense vibration qui les enveloppe et les isole.
Destins individuels et destin collectif.
C’est un théâtre des passions et de la vie que nous souhaitons développer avec ces Dialogues des carmélites .
Nous ne renoncerons pas à la dimension cauchemardesque de l’histoire et de l’Histoire, ni aux grimaces des
fanatismes.
Nous ne nous déroberons pas devant les mystères de la spiritualité.
Telle est la complexité de cette œuvre.
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CHOIX DE MISE EN SCÈNE
5 . 1 SCÉNOGRAPHIE
PAR PHILIPPE BERNARD (DÉCORACTIF)
Elle devra répondre à ce questionnement :
1. Comment traduire l'enfermement ?
Enfermement volontaire puis imposé ;
2. Comment faire exister l'extérieur ?
Il y a un extérieur et un intérieur ;
3. Comment échapper à toute historicité ?
Nous sommes dans l'universel de la tragédie, de l'affrontement du spirituel et du
politique ;
4. Cette pièce est située à l'intersection du vertical et de l'horizontal...
Comment le traduire ?
5 . 2 COSTUMES
2 pistes :
1. L'uniforme religieux, intemporel, même couleur, noir-blanc - gris-blanc- brun-blanc
Pour les costumes civils : les années 30 (les années de l'écriture de la nouvelle de
Gertrud von Le Fort) ;
2. À part « le voile », le même pour toutes, des « vrais » vêtements,
d'aujourd'hui ceux que peuvent porter des religieuses dans un couvent ;
Des vêtements simples, sobres, chauds, pratiques ;
Pour les costumes civils : vêtements classiques d'aujourd'hui et quelques « accessoires »
pour évoquer la période révolutionnaire.
5 . 3 MUSIQUE
PAR ROMAIN DUMAS
- Composition pour clarinette ;
- Musique « en live » sur le plateau : le musicien regarde, écoute, accompagne, soutient
les personnages, vibre « avec » ;
- Deux emprunts à la musique de Poulenc : duo de Blanche et de Constance et le final
(exécution des religieuses).
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5.4
ICONOGRAPHIE
SIGMAR POLKE (1941-2010)
Un peintre allemand contemporain qui peint la Révolution française. Il est l’un des
peintres majeurs de la seconde moitié du XXe siècle.
Entre 1988 et 1989, il a exécuté 22 œuvres à propos de la célébration du bicentenaire
de la Révolution.
Exposition au château de Vizille (Isère), musée de la Révolution française, en 2001.
Nous retrouverons certaines de ces œuvres projetées sur le décor de notre Dialogue des
carmélites.
A rechercher sur internet : Sigmar Polke et la Révolution Française
La famille royale ; 1988
Jeux d’enfants ; 1988
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PISTES PÉDAGOGIQUES
Elles sont nombreuses. Chaque enseignant, comme toujours, peut développer son discours et ses
travaux pédagogiques, à sa manière, à son rythme en s'adaptant à ses élèves et aux finalités qui
sont les siennes.
Compte tenu de la complexité et la richesse de cette œuvre, compte tenu du fait qu'elle peut être
abordée sous des angles très différents, plutôt que de « lister » des exercices et des thèmes, nous
préférons proposer des problématiques regroupées en quatre dossiers.
En préalable
Il est important de savoir que nous présentons une adaptation de l'œuvre originale.
Adaptation, puisque nous ne présentons pas l'opéra de Poulenc mais une pièce de théâtre à partir
des dialogues de Bernanos pour un film de commande, « augmentée » de passages de la nouvelle
de Gertrud von le Fort qui date de 1931, La dernière à l’échafaud dont s'est directement inspiré
Georges Bernanos.
Nous sommes dans une démarche de création. C'est de ce point de vue que nous nous exprimons
et non pas en pédagogues que nous ne sommes pas.
6 . 1 PREMIER DOSSIER : ÉTUDE ET CONNAISSANCE DE L’ŒUVRE
- Raconter la « rocambolesque » histoire de la génèse de cette œuvre qui commence avec une
auteure allemande (et pourquoi elle écrit ce récit), la commande passée à Bernanos de dialogues
pour un film, le décès de ce dernier, le film qui n'est tourné qu'en 1960, la commande à Poulenc d'un
opéra, qui réécrit ces dialogues, et le succès jamais démenti de cet opéra français le plus joué dans
le monde ;
- Une écoute commentée d'extraits d'enregistrements de l'opéra, d'extraits des réalisations
cinématographiques qui ont été faites depuis une cinquantaine d'année, et une lecture commentée
d'extraits du texte ;
- Faire jouer les élèves des fragments de certaines scènes ;
- Un étude des personnages principaux. La position de chacun face à la Révolution française, face à
la religion et la liberté religieuse, face au sacrifice, au martyr.
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6 . 2 DEUXIÈME DOSSIER : DÉCRYPTAGE DE LA REPRÉSENTATION
- Après la représentation, après une éventuelle discussion avec l’équipe artistique, tenter avec les
élèves de décrypter tous les signes de la théâtralité, les options de la mise en scène, le jeu des
acteurs, le traitement de l’espace ;
- Tenter de reconstituer la démarche artistique étape par étape : être au plus près d’une création ;
- Mettre des mots sur le ressenti des élèves ;
- Mesurer la distance entre leur vision et celle proposée par le spectacle auquel ils ont assisté ;
- Faire réaliser des affiches des Dialogues des Carmélites par les élèves pour exprimer leur vision,
ou ce que serait leur mise en scène.
Une exposition de ces affiches peut être organisée dans les établissements.
6 . 3 TROISIÈME DOSSIER : L’HISTOIRE
- La véritable histoire des carmélites de Compiègne ;
- La Révolution française, la terreur ;
- D’autres exemples étrangers : la révolution russe et l’église, la révolution chinoise, Hitler, et à
l’inverse, les théocraties avec la révolution de l’iranien Khomeyni.
6 . 4 QUATRIÈME DOSSIER : LAÏCITÉ
- Les rapports entre l’État et les religions, depuis l’Ancien Régime avec une royauté « fille aînée» de
l’Eglise jusqu’aux événements du 7 janvier 2015 à Paris, en passant par la loi de 1905.
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EXTRAITS
PROLOGUE - mise en place du plateau : toutes les carmélites.
Sur musique sur chœur parlé, texte de Gertrud von Le Fort :
CHŒUR
« Paris 1794.
Vous relevez avec raison, très chère amie, dans la lettre que vous m'adressez, la force
extraordinaire qu'en ces semaines de terreur le « sexe faible », ainsi qu'on l'appelle, montre jour
après jour en face de la mort (…) Vous terminez sur le « poignant » sacrifice des seize carmélites
de Compiègne qui montèrent à la guillotine en chantant le « Veni Creator », et vous n'oubliez pas
la voix émouvante de la jeune Blanche de la Force qui reprit et mena jusqu'au bout leur hymne
déchiré par la hache du bourreau…
Chère disciple de Rousseau ! J'admire une fois de plus la claire noblesse de votre esprit qui,
même au cœur des plus ténébreux effondrements du genre humain, vous donne encore de croire
en l'indestructible noblesse de notre nature...
Vous connaissez le marquis de la Force, le père de Blanche. Je n'ai pas à vous dire sa vénération
pour les œuvres sceptiques de Voltaire ou pour celles de Diderot....
Du temps que Blanche résidait à Compiègne, j'eus mainte occasion de m'entretenir avec son père,
lorsqu'il ergotait avec ses amis, sur la liberté et l'égalité, dans les cafés du Palais Royal. Chaque
fois qu'on s'enquérait de sa fille, il répondait d'un air affligé que, pour lui, les « prisons de la
religion n'étaient pas moins redoutables que celles de l'Etat » ; il devait cependant avouer que
sa petite fille se sentait heureuse dans la sienne et surtout - il le croyait du moins- bien cachée.
« Pauvre, craintive enfant, - c'est par ces mots qu'il avait coutume de conclure ...
TABLEAU 1
LE CHEVALIER - Où est Blanche ? Roger de Damas, qui sort d’ici, a dû rebrousser chemin deux fois
pour ne pas se trouver pris dans une grande masse de peuple. Le bruit court qu’ils
vont brûler l’effigie de Réveillon en place de Grève.
LE MARQUIS -
Hé bien, qu’ils la brûlent ! Lorsque le vin est à deux sous, on doit bien s’attendre à
ce que le printemps échauffe un peu les têtes. Tout cela passera.
LE CHEVALIER - Damas a vu le carrosse de ma sœur arrêté par la foule, au carrefour Bucy.
Le carrosse... la foule... pardonnez-moi, ce sont là des images qui ont trop souvent
hanté mes nuits... On parle volontiers aujourd’hui d’émeute ou même de révolution,
mais qui n’a pas vu la multitude en panique n’a rien vu... Tous ces visages à la bouche
tordue, ces milliers et ces milliers d’yeux... C’était le soir du mariage du Dauphin. Le
feu d’artifice commence, mais soudain des caisses de fusées s’enflamment. Voilà
la panique qui s’empare de la foule. Votre mère pousse le verrou de son carrosse.
Le cocher fouette les chevaux qui s’emballent. On arrête le carrosse. Une vitre vole
en éclats.
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LE MARQUIS -
CHŒUR (Gertrud von Le Fort)
...Mais, à ce moment, était-ce les chevaux, troublés par le désordre général et par les cris, se
fussent d’eux-mêmes élancés, était-ce que le cocher, perdant la tête, voulût dégager sa voiture
de la cohue, toujours est-il que l’équipage s’ébranla tout à coup et se rua dans la foule hurlante
de colère et de désespoir... « Madame », hurla d’une voix sauvage un homme qui tenait dans ses
bras un enfant couvert de sang, « vous trônez là dans la sécurité de votre carrosse, pendant que
le peuple crève sous les sabots de vos chevaux ! Il ne se passera pas longtemps, je vous le dis,
que les gens de votre espèce ne meurent et que nous soyons installés dans vos carrosses ! »
LE MARQUIS -
Les soldats surviennent à temps pour dégager le carrosse. Quelques heures plus
tard, revenue en cet hôtel, votre mère mourut, en donnant le jour à Blanche.
LE CHEVALIER - Monsieur, pardonnez-moi ... Une fois de plus, j’ai parlé comme un étourdi.
LE MARQUIS -
Bah ! C’est ma vieille tête qui s’échauffe, elle aussi, un peu vite... Mon carrosse est
solide, les vieux chevaux ne s’étonnent de rien, Antoine nous sert depuis vingt ans.
Il ne peut rien arriver de fâcheux à votre sœur.
LE CHEVALIER - Oh ! Ce n’est pas pour sa sécurité que je crains, vous le savez, mais pour son
imagination malade.
LE MARQUIS -
Blanche n’est que trop impressionnable, en effet ! Un bon mariage arrangera tout
cela. Allons ! Allons ! Une jolie fille a bien le droit d’être un peu craintive. Patience !
Vous aurez des neveux qui feront les cent mille diables.
LE CHEVALIER - Croyez-moi : ce qui met la santé de Blanche en péril, ou peut-être sa vie, ne saurait
être seulement la crainte. C’est le gel au cœur de l’arbre... L’humeur de Blanche a
quelque chose qui passe l’entendement ordinaire
LE MARQUIS -
Blanche me paraît le plus souvent naturelle, et parfois même enjouée.
LE CHEVALIER - Oh! Sans doute, il arrive qu’elle me fasse illusion à moi-même, et je croirais le sort
conjuré si je n’en lisais toujours la malédiction dans son regard. Ce que la voix peut
cacher, le regard le livre.
LE MARQUIS -
Lorsque Blanche et sa gouvernante seront ici, dans un moment, vous rirez de vos
angoisses et elle oubliera les siennes.
Entrée de Blanche
LE MARQUIS -
Blanche, votre frère avait grande hâte de vous revoir.
BLANCHE -
Monsieur le Chevalier est trop bon pour son petit lièvre...
LE CHEVALIER - Ne répétez pas une plaisanterie qui n’a de sens que pour nous deux.
BLANCHE -
Les lièvres n’ont pas l’habitude de passer la journée hors de leur gîte. Il est vrai
que je transportais le mien avec moi. Mais une simple glace entre cette foule et
ma craintive personne m’a paru un moment, je vous assure, une protection bien
dérisoire. Je devais avoir l’air très ridicule.
LE CHEVALIER - Monsieur de Damas, qui vous a vue au carrefour Bucy, vient de me dire qu’à travers
vos glaces vous faisiez très bonne contenance...
BLANCHE -
Oh ! Monsieur de Damas n’a sans doute vu que ce qu’il voulait voir... Réellement, je
faisais bonne contenance ? Mon Dieu, il en est peut-être du péril comme de l’eau
froide qui d’abord vous coupe le souffle et où l’on se trouve à l’aise, dès qu’on y
est entré jusqu’au cou. Mon Dieu ! En descendant tout à l’heure du carrosse, je me
Dossier pédagogique Dialogues des Carmélites - Compagnie Kalachakra - Théâtre de l’île saison 2015
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sentais si légère... Ce grand poids depuis toujours , sur mon cœur... Cette cérémonie
chez les dames de la Visitation a été très longue et m’a beaucoup fatiguée. Voilà
sans doute pourquoi je déraisonne. Avec votre permission, mon père, je vais prendre
un peu de repos avant le souper. Tiens ! comme le jour tombe vite ce soir.
LE MARQUIS -
Je dirais volontiers qu’un orage menace.
LE CHEVALIER - Demandez tout de suite des flambeaux, et n’y restez pas sans compagnie. Je sais
que le crépuscule vous rend toujours mélancolique. Vous me disiez quand vous étiez
petite : “Je meurs chaque nuit pour ressusciter chaque matin.”
BLANCHE -
C’est qu’il n’y a jamais eu qu’un seul matin, Monsieur le Chevalier : celui de Pâques.
Mais chaque nuit où l’on entre est celle de la Très Sainte Agonie...
Elle sort
LE MARQUIS -
Son imagination va toujours d’un extrême à l’autre. Que signifie ce dernier trait ?
LE CHEVALIER - Je n’en sais rien ! C’est son regard et sa voix qui vont à l’âme... Je m’en vais interroger
le vieil Antoine.
Il sort. On entend un cri de terreur
LE MARQUIS -
C’est toi, Thierry ? Que se passe-t-il, mon garçon ?
THIERRY -
J’allumais les flambeaux, lorsque Mademoiselle Blanche est entrée dans la chambre...
Je pense qu’elle a d’abord vu mon ombre sur le mur.
Blanche apparaît sur le seuil de la porte.
LE MARQUIS -
Je vois qu’il n’y a heureusement rien de grave.
BLANCHE -
Oh ! Monsieur, vous êtes le plus indulgent et le plus courtois des pères...
LE MARQUIS -
Ne parlons plus de ce petit incident.
BLANCHE -
Mon père, il n’est pas d’incident si négligeable où ne s’inscrit la volonté de Dieu
comme toute l’immensité du ciel dans une goutte d’eau. Avec votre permission, j’ai
décidé d’entrer au Carmel.
LE MARQUIS -
Au Carmel !
BLANCHE -
Je pense qu’un tel aveu vous surprend moins que vous ne voulez le laisser paraître.
LE MARQUIS -
Hélas ! On peut toujours craindre, pour une jeune personne aussi vertueuse que ma
fille, les conseils d’une dévotion exaltée. Une fille moins fière ne se tourmenterait
pas pour un cri. On ne quitte pas le monde par dépit.
BLANCHE -
Je ne méprise pas le monde, le monde est seulement pour moi comme un élément
où je ne saurais vivre. Oui, mon père, c’est physiquement que je n’en puis supporter
le bruit, l’agitation. Les meilleures compagnies m’y rebutent, il n’est pas jusqu’au
mouvement de la rue qui ne m’étourdisse et lorsque je m’éveille la nuit, j’épie malgré
moi la rumeur de cette grande ville infatigable. Qu’on épargne cette épreuve à mes
nerfs, et on verra ce dont je suis capable.
LE MARQUIS -
Mon enfant chérie, il n’appartient qu’à votre conscience de décider si l’épreuve est
au-dessus de vos forces ou non...
BLANCHE -
Oh ! mon père, cessons ce jeu, par pitié. Laissez-moi croire qu’il est un remède
à cette horrible faiblesse qui fait le malheur de ma vie ! Il faut que Monsieur de
Damas soit bien aveugle pour m’avoir trouvé tout à l’heure bonne contenance. Je
me soutenais à peine sur les coussins, j’étais glacée jusqu’au cœur, je le suis encore.
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Si je n’espérais pas que le Ciel a quelque dessein sur moi, je mourrais ici de honte à
vos pieds. Il est possible que vous ayez raison, que l’épreuve n’ait pas été poussée
jusqu’au bout. Mais Dieu ne m’en voudra pas. Je Lui sacrifie tout, j’abandonne tout,
je renonce à tout pour qu’il me rende l’honneur.
CHŒUR (Gertrud von Le Fort)
... Il va bien sans dire qu’un marquis de la Force, en homme qui s’accordait avec tous les esprits
forts de la France pour estimer que l’Eglise était une chose du passé, devait s’élever contre un
tel projet… Or pour certaines natures – ainsi argumentait le pauvre marquis – c’est précisément
au cloître que disparaît cette redoutable incertitude de la vie ; de solides frontières bornent (le
désert des possibilités ; les intrusions et les exigences inattendues de la destinée ne sont plus à
craindre, mais on évolue désormais entre des règles, des pensées et des murailles posées une
fois pour toutes, et ces murailles mêmes, selon l’expression de M. de la Force, ne s’ouvrent plus
sur la « réalité », mais ne livrent dès lors passage qu’aux fantômes du ciel et de ses habitants....
TABLEAU 2
Scène 1
Quelques semaines après, au Carmel de Compiègne.
LA PRIEURE -
N’allez pas croire que ce fauteuil soit un privilège de ma charge, comme le tabouret
des duchesses ! Hélas ! par charité pour mes chères filles qui en prennent si grand
soin, je voudrais m’y sentir à mon aise. Mais je vois bien que ce qui devrait être un
agrément ne sera jamais plus pour moi qu’une humiliante nécessité.
BLANCHE -
Il doit être doux, ma mère, de se sentir si avancée dans la voie du détachement
qu’on ne saurait plus retourner en arrière.
LA PRIEURE -
Ma pauvre enfant, l’habitude finit par détacher de tout. Mais à quoi bon, pour
une religieuse, être détachée de tout, si elle n’est pas détachée de son propre
détachement ?... Je vois que les sévérités de notre règle ne vous effraient pas !
BLANCHE -
Elles m’attirent.
LA PRIEURE -
Oui, oui, vous êtes une âme généreuse... Retenez pourtant que les obligations les
plus légères en apparence sont bien souvent, dans la pratique, les plus pénibles. On
franchit une montagne et on bute sur un caillou. Quelle idée vous faites-vous de la
première obligation d’une Carmélite ?
BLANCHE -
C’est de vaincre la nature.
LA PRIEURE -
Fort bien. Vaincre et non pas forcer. A vouloir forcer la nature, on ne réussit qu’à
manquer de naturel, et ce que Dieu demande à ses filles, ce n’est pas de donner
chaque jour la comédie à Sa majesté, mais de le servir. Une bonne servante est
toujours où elle doit être et ne se fait pas remarquer.
BLANCHE -
Je ne demande qu’à passer inaperçue...
LA PRIEURE -
Hélàs, cela ne s’obtient qu’à la longue et de le désirer trop vivement ne facilite pas
la chose. Vous êtes d’une grande naissance, ma fille, et nous ne vous demandons
pas de l’oublier. Vous ne saurez échapper à toutes les obligations qu’une telle
naissance impose et elles vous paraîtront, ici, plus lourdes qu’ailleurs. Vous brûlez
de prendre la dernière place... Méfiez-vous encore de cela mon enfant... A vouloir
trop descendre, on risque de passer la mesure. Et en humilité comme en tout, la
démesure engendre l’orgueil et cet orgueil là est mille fois plus subtil et dangereux
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que celui du monde qui n’est le plus souvent qu’une vaine gloriole. Qui vous pousse
au Carmel ?
BLANCHE -
Votre Révérence m’ordonne-t-elle de parler tout à fait franchement ?
LA PRIEURE -
Oui.
BLANCHE -
Hé bien, l’attrait d’une vie héroïque.
LA PRIEURE -
L’attrait d’une vie héroïque ou celui d’une certaine manière de vivre qui vous paraît
- bien à tort - devoir rendre l’héroïsme plus facile, le mettre pour ainsi dire à la
portée de la main ?
BLANCHE -
Ma révérende mère, pardonnez-moi, je n’ai jamais fait de tels calculs.
LA PRIEURE -
Les plus dangereux de nos calculs sont ceux que nous appelons des illusions.
BLANCHE -
Je puis avoir des illusions. Je ne demanderais pas mieux qu’on m’en dépouille.
LA PRIEURE -
Qu’on vous en dépouille... Il faudra vous charger seule de ce soin, ma fille. Chacune
ici a déjà trop à faire de ses propres illusions. Notre affaire est de prier, comme
l’affaire d’une lampe est d’éclairer. Il ne viendrait à l’esprit de personne d’allumer
une lampe pour en éclairer une autre. « Chacun pour soi » telle est la loi du monde,
et la nôtre lui ressemble un peu « chacun pour Dieu » Pauvre petite ! Vous avez
rêvé de cette maison comme un enfant craintif rêve dans sa chambre obscure à la
salle commune, à sa lumière, à sa chaleur. Vous ne savez rien de la solitude où une
véritable religieuse est exposée à vivre et à mourir. Allez, ici comme ailleurs le mal
reste le mal
BLANCHE -
Oh ma Mère, je ne voudrais voir ici que le bien....
LA PRIEURE -
Qui s’aveugle volontairement sur le prochain, sous prétexte de charité, ne fait souvent
rien d’autre que de briser le miroir pour ne pas se voir dedans. L’infirmité de notre
nature veut que ce soit d’abord chez les autres que nous découvrions nos propres
misères. Prenez garde de vous laisser gagner par je ne sais quelle bienveillance
niaise qui amollit le cœur et fausse l’esprit. Ma fille, les bonnes gens se demandent
à quoi nous servons, et après tout ils sont bien excusables de se le demander. Nous
ne sommes pas une entreprise de mortification ou des conservatoires de vertus,
nous sommes des maisons de prière, la prière seule justifie notre existence ; qui ne
croit pas à la prière ne peut nous tenir que pour des imposteurs ou des parasites. Si
nous le disions plus franchement aux impies, nous nous ferions mieux comprendre.
Si la croyance en Dieu est universelle, ne faut-il pas qu’il en soit autant de la prière ?
Ainsi, chaque prière, fût-ce celle d’un petit pâtre qui garde ses bêtes, c’est la prière
du genre humain. Ce que le petit pâtre fait de temps en temps, et par un mouvement
de son cœur, nous devons le faire jour et nuit. Vous pleurez ?
BLANCHE -
Je pleure moins de peine que de joie. Vos paroles sont dures, mais je sens que de
plus dures encore ne sauraient briser l’élan qui me porte vers vous.
LA PRIEURE -
Il faudrait le modérer sans le briser. C’est une mauvaise manière d’entrer dans notre
Règle que de s’y jeter à corps perdu.
BLANCHE -
Je n’ai pas d’autre refuge.
LA PRIEURE -
Notre règle n’est pas un refuge. Ce n’est pas la règle qui nous garde, ma fille, c’est
nous qui gardons la règle. Dites-moi encore : avez-vous, par extraordinaire, déjà
choisi votre nom de carmélite, au cas où nous vous admettrions à la probation ?
Mais, sans doute, n’y avez-vous jamais pensé ?
BLANCHE -
Si, ma mère. Je voudrais m’appeler sœur Blanche de l’Agonie du Christ.
LA PRIEURE -
Allez en paix ma fille.
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CHŒUR (Gertrud von Le Fort)
… Ainsi Blanche franchit le seuil de la clôture et elle le fit, on en peut témoigner, avec une joie si
intime empreinte sur son petit visage un peu contraint, que l’on fut, au Carmel de Compiègne,
convaincu de sa véritable vocation et que l’on s’adonna à l’espoir qu’elle serait une digne enfant
de sainte Thérèse...
Scène 2
CONSTANCE -
Encore ces maudites fèves !
BLANCHE -
On dit que les accapareurs retiennent la farine, et que Paris va manquer de pain...
CONSTANCE -
Tiens ! voilà notre gros fer à repasser que nous réclamons depuis si longtemps !
Regardez comme la poignée en est bien regarnie... Nous n’entendrons plus sœur
Jeanne de la Divine Enfance crier en soufflant sur ses doigts : “C’est-y possible de
repasser avec un fer pareil !” “C’est-y !” Je me mords chaque fois la langue pour ne
pas rire, mais je suis si contente ! Ce “C’est-y” me rappelle la campagne, et nos bons
villageois de Tilly. Oh ! sœur Blanche, six semaines avant mon entrée en religion,
on a fêté là-bas le mariage de mon frère. Tous les paysans étaient rassemblés. Il
y a eu grand-messe, dîner au château, et danse toute la journée. J’ai dansé cinq
contredanses de tout mon cœur, je vous assure. Ces pauvres gens m’aimaient tous
à la folie, parce que j’étais gaie et que je sautais aussi bien qu’eux...
BLANCHE -
Vous n’avez pas honte de parler ainsi lorsque notre révérende mère...
CONSTANCE -
Oh ! ma sœur, pour sauver la vie de notre mère, je donnerais volontiers ma pauvre
petite vie de rien du tout, oui, ma foi oui, je la donnerais... Mais quoi, à cinquanteneuf ans n’est-il pas grand temps de mourir ?
BLANCHE -
Vous n’avez jamais craint la mort ?
CONSTANCE -
Je ne crois pas... Si, peut-être... il y a très longtemps, lorsque je ne savais pas ce
que c’était.
BLANCHE -
Et après...
CONSTANCE -
Mon Dieu, sœur Blanche, la vie m’a tout de suite paru si amusante ! Je me disais que
la mort devait l’être aussi...
BLANCHE -
Et maintenant ?
CONSTANCE -
Oh ! maintenant, je ne sais plus ce que je pense de la mort, mais la vie me paraît
toujours aussi amusante. J’essaie de faire le mieux possible ce qu’on me commande,
mais ce qu’on me commande m’amuse... Après tout dois-je être blâmée parce que
le service du bon Dieu m’amuse ?
BLANCHE -
Ne craignez-vous point que Dieu se lasse de tant de bonne humeur ?
CONSTANCE -
Pardonnez-moi, sœur Blanche. Je ne peux m’empêcher de croire que vous venez,
exprès, de me faire du mal.
BLANCHE -
Vous ne vous trompez pas... C’est que je vous enviais...
CONSTANCE -
Vous m’enviez ! Vous m’enviez, alors que je mériterais d’être fouettée pour avoir
parlé si légèrement de la mort de notre Révérende Mère !... Oh ! sœur Blanche,
puisque j’ai si étourdiment parlé tout à l’heure, ayez la bonté de m’aider à réparer
ma faute. Mettons-nous à genoux et offrons nos deux pauvres petites vies pour
celle de sa Révérence.
BLANCHE -
C’est un enfantillage...
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CONSTANCE -
Oh ! pas du tout, sœur Blanche, je crois vraiment que c’est une inspiration de l’âme.
BLANCHE -
Vous vous moquez de moi...
CONSTANCE -
L’idée m’est venue tout à coup, je ne pense pas qu’il y ait là aucun mal. J’ai toujours
souhaité mourir jeune.
BLANCHE -
Qu’ai-je à faire dans cette comédie ?
CONSTANCE -
Hé bien, la première fois que je vous ai vue, j’ai compris que j’étais exaucée.
BLANCHE -
Exaucée de quoi ?
CONSTANCE -
Vous me regardez d’une manière si étrange... Hé bien... J’ai compris que Dieu me
ferait la grâce de ne pas me laisser vieillir, et que nous mourrions ensemble, le
même jour - où et comment, ça je l’ignorais, et je l’ignore toujours...
BLANCHE -
Quelle idée folle et stupide ! N’avez-vous pas honte de croire que votre vie puisse
racheter la vie de qui que ce soit ? Vous êtes orgueilleuse comme un démon...
Vous... vous... je vous défends...
CONSTANCE -
... J’étais bien loin de vouloir vous offenser....
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