2000 - Denise Sadek-Khalil

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IEN CHARGE DE MISSION PREELEMENTAIRE – TEMPS ET TEMPORALITE – IUFM JANVIER 2010
SE REPRESENTER ET EXPRIMER LE TEMPS
Extrait de LE TEMPS PRIS ET APPRIS, Denise SADEK-KHALIL, linguiste, orthophoniste
Dossier N°13 de la revue enfances et psy, « vivre le temps »
…Les jeunes enfants qui font le récit d'une scène qu'ils ont vue ou vécue, la racontent le plus souvent dans
l'ordre chronologique en la ponctuant de « et après »... « et après ».
… Pour eux, tout récit n'est qu'une chronologie d'actes successifs jusqu'à ce que l'on soit parvenu à
améliorer l'enseignement qui leur est prodigué.
De fait, comme toutes les inventions humaines, les verbes et leurs temps ont été faits pour nous libérer
d'une contrainte. Nommer une personne ou une chose nous libère, pour l'évoquer, de la nécessité de
sa présence ou de son image. Le verbe et ses conjugaisons nous libèrent de l'ordre chronologique.
En effet, il est possible de faire le même récit dans l'ordre des actions que l'on choisit. En voici un exemple
simple : « Un ami m'envoie un article intéressant, je le lis, je lui écris pour le remercier. » Envoyer, lire,
écrire, remercier se succèdent ainsi dans le temps. Je peux en inverser l'ordre et dire : « Pour remercier un
ami, je lui écris ; j'ai lu l'article intéressant qu'il m'a envoyé. » Dans un autre ordre : « J'ai lu l'article
qu'un ami m'avait envoyé et je lui ai écrit pour le remercier. » Un autre encore : « J'ai écrit à un ami qui
m'avait envoyé un article intéressant. Après l'avoir lu, je voulais le remercier. »
On s'aperçoit aisément que, quel que soit l'ordre choisi (nous ne nous occupons pas des raisons possibles
de ce choix), l'ordre chronologique est bien clair pour le lecteur ou l'auditeur.
Même si la suite des actions ne présentait aucune logique relative à leur succession, l'ordre chronologique
par l'emploi des temps de verbe serait compris. On peut dire par exemple : « Il est parti ce matin. Il l'avait
décidé depuis longtemps, mais il a attendu que les conditions météorologiques soient favorables. »
L'ordre chronologique étant : décider - attendre - être favorable - partir. Ce sont les temps de verbe qui
l'indiquent. Plus probant encore : « J'ai rencontré Jean dans le métro. Je ne l'avais pas vu depuis
longtemps. Je l'ai vite reconnu. Je ne l'aime pas. » L'ordre chronologique étant : Voir - rencontrer reconnaître - aimer.
Exprimer le temps
S'il est facile pour l'enfant de comprendre ce qu'il savait déjà avant tout enseignement - que les phrases que
l'on dit nous situent dans le cours des trois époques : passé, présent et futur -, il lui est difficile de se faire
une idée claire du fait qu'il existe des modes et des temps, qu'en français nous avons des temps simples et
des temps composés, que nous avons à l'indicatif quatre passés, trois façons de dire le présent et trois
futurs. Il sent bien que le critère de l'antériorité et de la postériorité évoqué dans la représentation
linéaire des temps est loin de tout expliquer. En effet, comment justifier alors ces emplois de l'imparfait : « Il
m'a dit que demain c'était son anniversaire », ou encore : « Une seconde de plus et la bombe éclatait. »
De nombreux autres exemples témoignent eux aussi que le système répond à des opérations mentales plus
profondes qui font intervenu d'autres critères et que ces critères jouent simultanément leur rôle.
On peut ainsi présenter sommairement les deux critères
- le degré d'accomplissement de l'action et les trois époques - signifiés par les temps des verbes :
Au passé
l'action accomplie : le passé composé (il a fait)
l'action en cours d'accomplissement : l'imparfait (il faisait)
l'action à son début, encore inaccomplie : le passé simple (il fit) de même :
de même, l'action accomplie : (il vient de faire)
Au présent
l'action en cours : le présent (il fait)
l'action à son début : (il va faire)
Au futur
l'action accomplie : le futur antérieur (il aura fait)
l'action en cours : le futur simple (il fera)
l'action à son début : le futur proche ou périphrastique (il va faire)
Cette dernière forme commune à deux époques, présent et futur, témoigne qu'il n'y a pas de solution de
continuité dans la présentation du temps.
Pour n'illustrer ce tableau que par un exemple, si je dis : « Hier, je marchais dans la rue... », mon
interlocuteur attendra le récit de ce qui s'est passé pendant que je marchais - c'est-à-dire alors que l'action
était en cours d'accomplissement. Tandis que si je dis : « Hier, j'ai longtemps marché dans la rue... »,
l'action est considérée pour elle-même alors qu'elle est achevée.
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