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Hanotaux9, dans son ouvrage datant de 1873, a qualifié le village d’une petite république.
L’auteur a été émerveillé de l’esprit solidaire qui animait la société kabyle et l’organisation
collective des affaires économiques de cette entité. En effet, les structures sociopolitiques du
village ne constituent pas seulement des organes de régulation et de moralisation de la vie
publique, mais aussi des institutions économiques et financières à l’instar de la caisse du
village dont la mission est la réalisation de projets d’intérêt général. Elles œuvrent, par
ailleurs, à la redistribution des revenus et à la réduction de la pauvreté par le biais des
cotisations des habitants et des immigrés, de l‘impôt islamique (la Zakat) et l’aumône
volontaire (l’Achur).
L’espace public du village Kabyle est un espace d’échanges, de proximité, d’enrichissement,
de reconnaissance. Il fournit un tremplin évident et assez réel et mouvant à l’expression de la
démocratie citoyenne. Ainsi selon Julien Weibstein10 « installé, à la suite de l'ouvrage de
Jürgen Habermas au rang de doxa scientifique parfois trop floue, en tout cas questionnée […]
le concept d'espace public a, depuis, connu diverses déclinaisons : il est « pluriel » « mosaïque
», « populaire » ou « plébéien », etc. De même, il déclinerait en tant qu'idéal de la
démocratie, en raison notamment de la place croissante qu'y prennent les médias de masse ».
En Kabylie, une démocratie pratique et une organisation solidaire s’affirment dans le
fonctionnement des instances du village. L’assemblée générale du village, les comités du
village représentent les structures associatives qui conjuguent les forces citoyennes à partir
des délibérations collectives pour un développement social et solidaire.
4. Le caractère solidaire et démocratique des villages Kabyles
Pour celui qui pénètre pour la première fois dans un village kabyle, celui-ci est frappé par son
architecture et son organisation. En effet, « pressé au dessus de son terroir, qui couvre les
versants jusqu’au fond des vallées étroites, avec, à l’entour, des maisons, les potagers,
domaine des femmes, au dessous, les champs exigus, et enfin, en contrebas, les oliveraies, le
village est lieu de guet et de protection d’où le kabyle peut surveiller sans peine ses champs et
ses vergers »11.
Le village que certains définissent comme le dernier rempart face à la modernité subit lui-
même des transformations notables et subrepticement. Le changement du cadre urbanistique,
par la déconstruction/ reconstruction de nouvelles bâtisses répondant aux normes de la vie
moderne, l’ouverture vers le dehors12 , l’interconnexion avec les centres urbains, perte de
repères sociaux et surtout destruction plus ou moins apparente de l’espace public, une remise
en cause de plus en plus croissante de la paternité des anciens, …etc.
Cependant, au-delà de ces changements, inévitables et patibulaires à la fois, le village
conserve sa fonction unificatrice, sa fonction sociale première qui est de lier et de (re) lier les
gens entre eux bien que l’individualisme rompant se glisse parfois dans les préoccupations des
uns et des autres. Néanmoins, la solidarité, les liens du sang sont toujours plus forts et
9CFHannoteau,A.Letourneux,«LaKabylieetlescoutumeskabyles»,Paris,Challamel,1893.
10CFJulienWeibstein,«lacontributiondelasociologiepolitique»,inHERMÈSn°36,2003,p.157
11PierreBourdieu,Op.cit.,p9
12CommelerappellePierreBourdieu(Op.cit),levillagesembleêtreuneentitéferméeetclosequisedresse
faceàl’étranger.Levillageconserveainsisatotalitéettoutsonsecret.