L
aventure entrepreneu-
riale ne doit pas être soli-
taire. Nombre de grandes
réussites se sont construites sur
la base d’un binôme, voire plus.
De tout temps, les hommes et les
femmes se sont associés pour
faire du business, offrant au pas-
sage depuis des décennies pas
mal de travail aux avocats et aux
notaires. Rien de neuf sous le so-
leil donc ?
Non, si ce nest tout de même
que la création d’entreprise tend
à se conjuguer de plus en plus au
pluriel. Singulièrement parmi les
moins de 35 ans, on rencontre de
moins en moins de « starters »
qui veulent se lancer seul. Dans
les start-up, la tendance est clai-
rement aux cofondateurs plutôt
qu’au fondateur. Selon l’Euro-
pean Startup Monitor de 2015,
une enquête menée auprès de
plus de 2.000 jeunes entreprises
prometteuses, chaque société
compte en moyenne 2,7 fonda-
teurs… Parmi ceux qui nour-
rissent en tout cas des ambitions
de croissance et donc d’em-
bauches, l’entrepreneuriat est de
plus envisagé comme une aven-
ture collective. Généralement,
les futurs partenaires en affaires
se connaissent déjà, le plus sou-
vent des bancs d’école ou d’une
première expérience profession-
nelle. Mais pas toujours. D’où le
succès, chez nous, des soirées
« How I met my cofounders » ou
du salon Mind&Market, sortes
de clubs de rencontres pour fu-
turs associés.
Deuxièmement, un certain
nombre d’indépendants, plutôt
que de s’évertuer à développer
leur business dans leur coin,
cherchent à s’inscrire dans une
démarche collective de mutuali-
sation des talents. L’approche
« soft » consiste par exemple en
une (ré)organisation du temps
de travail qui donne davantage
de place au coworking. La for-
mule, conviviale en plus d’être
accessible, a démontré qu’elle dé-
bouche aussi souvent sur du bu-
siness, à travers des partenariats
souples entre professionnels
complémentaires. Nous insis-
tons bien sur le complémentaire
– ou multidisciplinaire – car le
regroupement en société d’indé-
pendants d’un même métier
(journalistes, graphistes, infor-
maticiens, etc.) ne date pas
d’hier.
Des approches plus radicales
de « co-création » entre entre-
preneurs individuels com-
mencent également à voir le jour.
Olivier Bouche, formateur et
coach en création d’entreprise,
lançait, il y un an Wikilabs, « ac-
tivateur privé de co-création ».
Partant d’un constat : « C’est la
crise. Les consommateurs comme
les entreprises dépensent beau-
coup moins facilement qu’avant.
Pour leur faire mettre la main au
portefeuille, il faut un produit ou
un concept réellement bluffant.
Et souvent, une idée “wow” ne
peut pas être mise en œuvre par
une seule personne. Malheureu-
sement, la plupart des gens
n’aiment pas sassocier. » D’où
l’idée avec Wikilabs de faciliter
les rapprochements entre entre-
preneurs désireux de travailler
en équipe.
En collaboration avec le réseau
d’aide à l’autocréation d’entre-
prise Azimut, Wikilabs vient de
mettre sur les rails 4T, une « co-
création entre pairs » qui associe
12 consultants expérimentés
(plus de 20 ans d’expérience cha-
cun) et complémentaires (com-
munication, management, logis-
tique, informatique, droit…). Ils
ne se connaissaient pas au départ
et viennent d’un peu partout en
Wallonie et à Bruxelles. L’équipe
a été formée en quelques se-
maines. « L’idée initiale était de
créer une plateforme online de
présentation des talents, basée
sur une combinaison unique de
compétences et d’expériences
complémentaires. Mais assez
vite, animés par un même esprit,
nous en sommes arrivés à l’idée
de co-créer un nouveau type d’en-
treprise de conseil aux entre-
prises, surtout les PME, qui par-
tirait de la définition de leurs be-
soins réels, petits ou grands, plu-
tôt que de solutions
préformatées », expliquent Gi-
sèle Marechal, Sylvie Cappaert et
Christian Derauw, 3 des 12 co-
créateurs. Tous pointent, non
sans humour, l’avantage d’une
démarche collective où il y a tou-
jours un collègue plus compétent
que vous sur telle ou telle ma-
tière. Pas besoin, comme c’est le
travers de tant de consultants, de
prétendre avoir la science infuse.
4T est pour l’instant une asso-
ciation de fait, qui vient de décro-
cher sa première mission, pour
l’UCL en loccurrence. Chaque
consultant facture donc sous son
numéro d’entreprise personnel
et conserve par ailleurs son acti-
vité sur le côté, « ce qui n’empêche
pas une loyauté à la marque
4T », nous disent fièrement ses
représentants, qui nous tendent
une carte de visite au logo de leur
nouvelle bannière. La réflexion
est en cours quant au statut que
devrait prendre cette co-créa-
tion, dans une optique de partage
des revenus. « La question du
statut ne doit pas miner les prin-
cipes de simplicité et de confiance
qui nous animent jusquici. » Il
n’est pas certain que l’entreprise
opte pour le statut de coopéra-
tive, relativement lourd. Y aura-
t-il un patron ? « C’est une bonne
question… Ce qui est certain, c’est
quil faudra des critères pour pré-
server la complémentarité des ta-
lents. » Pour l’instant, la co-créa-
tion se limite à 12 personnes, his-
toire de se poser et faire ses
preuves. Par la suite, on peut dif-
ficilement imaginer qu’elle reste
figée.
Chacun doit avoir quelque
chose à y gagner, mais chacun
doit aussi d’abord y mettre un
peu de sa poche. Dans le cas de
4T, chacun a « investi » autour
de 1.500 euros pour lancer le
projet.
« Il est également essentiel
dans une telle démarche collec-
tive de préciser les conditions de
retrait pour le co-créateur qui
souhaiterait faire ses valises,
afin que la co-création reste dans
une dynamique positive et ne de-
vienne pas un poids pour tout le
monde », souligne Olivier
Bouche. Wikilabs accompagne
cinq autres projets de co-créa-
tion en Wallonie, dans les ser-
vices aux personnes ou dans le
commerce (projet de revitalisa-
tion commerciale du centre-ville
de Gembloux). Tous n’iront pas
nécessairement jusqu’à une asso-
ciation comme dans le cas de 4T.
« L’association est un résultat,
pas un point de départ. »
Car la formule, au-delà du fait
qu’il y a plus dans dix têtes que
dans une, permet à chaque entre-
preneur de tester son degré de
compatibilité avec de futurs as-
sociés. Non sans une certaine hu-
milité.
OLIVIER FABES
Des outils pour
entreprendre à plusieurs
CO-CRÉATION Lentreprise est de plus en plus vécue comme une aventure collective
Les initiatives
se multiplient,
que ce soit
dans les start-up
ou chez les
indépendants.
Un premier cas wallon
de co-création
entre pairs vient
d’ailleurs de voir le jour.
4T, entreprise wallonne en co-création réunissant une douzaine de consultants indépendants d'horizons divers et de profils complémentaires. ©O.F.
Entrepreneur
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Un CoLab pour
prévenir les conflits
Si tant d’entrepreneurs
préfèrent entreprendre seul
plutôt qu’en association,
c’est tout simplement
parce qu’ils sont bien infor-
més : il est clair que la
dispute entre associés
constitue l’un des plus
fréquents facteurs d’échec
chez les jeunes entreprises.
Créée début de cette an-
née dans le giron d’Azimut
à Monceau-sur-Sambre
(merci les fonds Feder),
CoLab est une cellule d’ac-
compagnement unique en
Wallonie qui se concentre
sur l’entrepreneuriat à
plusieurs. Une trentaine de
projets d’association ont
ainsi été guidés, pour affi-
ner le business plan mais
aussi et surtout régler des
questions juridiques essen-
tielles comme le pacte
d’actionnaires et les ac-
cords de collaboration. Ou
les dispositions financières
lorsqu’un des associés veut
quitter l’entreprise. Beau-
coup de ses projets n’abou-
tiront jamais mais un
constat s’impose déjà : «Il
faut toujours s’attendre à ce
que l’association soit plus
compliquée que prévu. Dans
la fougue de leur jeunesse,
beaucoup ont tendance à
minimiser les risques de
conflits : “le plus important
pour nous, c’est l’amitié…”
Mais on tombe très vite dans
des enfantillages, » ob-
servent Christophe Yer-
naux, coordinateur chez
Azimut et Anne Dubois,
l’une des trois personnes
dédiées à CoLab.
Pour prévenir un conflit
souvent fatal, il convient en
effet de crever les abcès le
plus tôt possible. «On
constate vite des problèmes
d’alignement sur des choses
anodines, style la couleur du
logo, mais aussi parfois sur
le business model, la vision
de l’entreprise. » Un point-
clé consiste à définir les
responsabilités, à organiser
le fonctionnement ulté-
rieur. Qui sera le CEO ? Qui
aura le dernier mot ?
« Dans le cas d’un duo, il est
difficile de convaincre qu’une
association 50/50 n’est pas
toujours une bonne idée ».
CoLab va ouvrir tout pro-
chainement une antenne
dans le Coworking Namur.
Le Soir Lundi 10 octobre 2016
L'ENTREPRENEURIAT13
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« L’association est
un résultat, pas un point
de départ » OLIVIER BOUCHE,
COACH EN CRÉATION DENTREPRISE
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