OPINION GUILHEM CAUSSE, SJ, Kandy (Sri Lanka)
Cher frère, chère sœur en humanité
L’assassinat des dix-sept personnes en lien avec l’attaque de Charlie Hebdo par trois
hommes se réclamant de l’islam, me parle de toi, de moi, de nous.
En toi, homme, femme assassinés, je reconnais mon semblable que j’aime, pour être
d’une même humanité. Je pleure, et je prie, car je ne sais rien d’autre maintenant si
ce n’est garder ton souvenir de femme ou d’homme debout, libre jusqu’au bout. En
toi, proche des victimes, je reconnais mon semblable, et je pleure avec toi, et je prie
pour que la haine n’envahisse pas ton cœur, que la force te soit donnée pour rester
debout, libre jusqu’au bout.
En toi, qui as assassiné mes frères humains, je reconnais un homme. Homme, tu
vaux mieux que les actes inhumains que tu as commis. Car assassiner n’a aucune
justification. Avancer des raisons, vouloir expliquer le mal, c’est un mal
supplémentaire. Il est possible de décrire ton histoire, le contexte dans lequel tu as
grandi. Cela n’explique pas : car il y a eu, entre ce contexte et l’acte, ta décision,
manifestation de ta liberté. Tu as décidé de tuer, c’est le motif de ta condamnation
par la loi.
Maintenant, je m’interroge, non pour celui qui est mort, mais pour toi qui voudrait
prendre le même chemin : comment te rejoindre pour te détourner de tuer, te rendre
à la vie ? Je crois que c’est possible, car je continue de croire que, parce que tu es
homme, tu n’es pas apparu sur terre pour haïr mais pour aimer. Par quelle porte les
extrémistes sont-ils entrés, pour ensuite te faire sortir par leur porte de haine ? Je
voudrais trouver cette porte et entrer aussi, pour que tu reviennes vers toi.
En moi, je reconnais la colère, celle qui veut se changer en cris, coups ou froide
vengeance. Elle se nourrit du déni par d’autres de mes besoins les plus élémentaires
ou des valeurs qui me sont les plus chères. Sans la famille qui m’a entouré d’amour,
les enseignants qui m’ont appris les mots, une spiritualité qui m’a conduit à fonder
mes décisions plus profond que le talion (qui est déjà un progrès face à « une vie
pour un dessin »), sans les promesses prononcées (promesse scoute, vœux
religieux), sans les rencontres où j’ai vu le visage humanisant des religions, je
reconnais la colère qui m’emporterait.
Alors, je ne me reconnaitrais plus. Et pourtant, qui d’autre que moi aurait tué ?
En nous, je reconnais une même humanité, les mêmes besoins de respect, de
justice, de vérité, les mêmes sentiments de colère, de peur et de tristesse, et en
d’autres circonstances, de joie et de paix. Mais je peine à reconnaître l’homme que
tu es quand tu laisses la colère devenir haine et meurtre.
Et la religion ? Je reconnais sa grandeur quand elle révèle la grandeur de l’être
humain et du monde, portant l’homme au respect de tout être et de toute chose ;
quand elle révèle à l’homme ce qui le dépasse et le grandit, l’amour, pour l’accueillir
davantage ; et ce qui le dépasse et le détruit, la haine, pour la rejeter. Je ne la
reconnais plus lorsqu’elle prêche la haine et le meurtre. Alors je t’interroge, toi qui dis
appartenir à une religion et vouloir tuer en son nom : qui t’a dit de tuer ? Est-ce cette
religion ou sa perversion au service de ceux qui t’envoient tuer et mourir ?
Je te supplie de me dire la colère qui t’habite, de me dire le respect que tu attends,
de ta bouche plutôt que de ton fusil, d’accepter de me rencontrer pour que nous
trouvions une manière de nous entendre. Et je t’invite chez moi, ou si tu préfères, dis-
moi où tu m’attends pour que nous parlions, d’homme à homme, autour d’une tasse
de café ou de thé, pour qu’ensemble nous inventions le moyen d’agir pour plus de
justice et de paix.
Forum
Dans La Croix du 28 janvier 2015 p.25
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