Été 2
création ! Il est le premier, en particulier, à
introduire dans la science grecque le décou-
page du cercle en 360 degrés, du degré en
60 minutes et de la minute en 60 secon-
des, là où Aristarque et Ératosthène comp-
taient encore en "fractions de tour". Un
quadrillage qu'il applique à la Terre - intro-
duisant l'usage des parallèles et des méri-
diens - comme au ciel : il repère ainsi la
position des étoiles dont il va dresser le pre-
mier catalogue. L'utilisation de ces unités va
lui permettre de noter des petites variations
d'angle qui vont se révéler très importantes
pour la compréhension des phénomènes
astronomiques.
D'abord, il établit l'inégalité des saisons.
Le Soleil ne "tourne" pas toute l'année
avec la même vitesse et, pour rendre comp-
te de ces variations, il propose de placer
hors de la Terre le centre de l'orbite solaire.
Cette intuition d'excentricité est la première
"ébauche d'esquisse" des ellipses de Kepler
- à condition, bien sûr, de changer de repère
et de placer hors du Soleil le centre de l'or-
bite terrestre. Quand on sait à quel point
l'orbite terrestre diffère peu d'un cercle,
cette remarque en dit long sur la précision
de ses mesures. Ensuite, et toujours à pro-
pos du système Terre-Soleil, il découvre la
précession des équinoxes. Or, il s'agit là
d'un "petit phénomène" : un lent mouve-
satellite européen qui a cartographié le ciel
durant trois ans. Un engin précis entre tous
et baptisé, comme de juste, Hipparcos par
ses concepteurs. Jean Pierre Maury
Ciel & Esapce, février 1999
(1) Cela est dû à une propriété de l'œil humain : celui-ci
présente une sensibilité logarithmique aux excitations
qu'il subit.
ment conique de l'axe de rotation terrestre,
qui fait un tour de ciel en 26 000 ans. Il n'y
a guère de quoi donner le vertige. En outre,
Hipparque ne se contente pas de découvrir
le phénomène. Il parvient à estimer la
valeur de cette précession, en ne se trom-
pant que de 20 %.
Ses observations du Système solaire vont
jouer un rôle durable dans l'histoire des
théories astronomiques, et Ptolémée tentera
de les intégrer à sa description. De même,
les successeurs d'Hipparque reprendront, en
le perfectionnant, l'astrolabe dont on lui
attribue l'invention. Mais sa contribution la
plus durable est sans aucun doute son cata-
logue d'étoiles (le premier du genre si on
excepte la carte du ciel comptant 25 étoiles
brillantes dressée deux siècles plus tôt par
Eudoxe) que Ptolémée augmentera à peine
avant de le transmettre aux astronomes ara-
bes du Moyen Âge. Ce catalogue recense un
millier d'étoiles, dûment accompagnées de
leurs positions. Pour rendre compte de leurs
différences d'éclat apparent, Hipparque
introduit en outre la notion de grandeur. Il
les classe en six familles, des plus brillantes
(grandeur 1) aux plus faibles visibles à l'œil
nu (grandeur 6). Lorsqu'au xixe siècle, les
astronomes seront capables de mesurer la
luminosité des étoiles, ils constateront
qu'entre deux grandeurs successives, l'éclat
est divisé par 2,5, autrement dit qu'il s'agit
d'une échelle logarithmique (1). Étendue,
affinée, la classification d'Hipparque devien-
dra notre échelle actuelle de magnitudes.
Les catalogues stellaires ont évidemment
beaucoup progressé depuis Hipparque.
Le dernier en date comprend 1 548 cartes
et répertorie plus d'un million d'étoiles, dont
100 000 repérées à un millionième de
degré près. On y trouve 8 000 étoiles varia-
bles nouvelles, 3 000 nouveaux couples
stellaires, etc. Il est le fruit du travail d'un
De la Terre au Soleil
Sur le papier, la méthode d'Aristarque pour
évaluer la distance Terre-Soleil est aussi belle
que celle de la détermination des dimensions
lunaires. Quand la Lune est exactement au
Quartier, dit-il, la direction Soleil-Lune est per-
pendiculaire à la direction Lune-Terre. Il suffit
donc de mesurer à cet instant l'angle que font
l'axe Terre-Soleil et l'axe Terre-Lune pour
connaître les sommets du triangle formé par
les trois corps. Dès lors, connaissant l'un des
Côtés (la distance Terre-Lune), on calcule les
deux autres, et en particulier la distance Terre-
Soleil.
Aristarque trouve pour l'angle cherché une
valeur de 87° et en déduit que le Soleil est à
peu près trente fois plus éloigné que la Lune.
C'est beaucoup moins que la valeur réelle
(environ 400 fois), pour des raisons
qu'Hipparque précisera quand il tentera de
refaire la mesure : on ne peut pas avec assez
de précision estimer l'instant où la Lune est
exactement au Quartier, ni pointer le centre de
chacun des deux astres, car l'angle cherché est
bien plus proche de 90° que ne le pensait
Aristarque. Si proche même que la différence,
qu'il s'agit de mesurer, est beaucoup plus fai-
ble que les inévitables erreurs de pointé. Ce "je
ne sais pas" - étayé par une solide estimation
des erreurs de mesure - n'est pas le moindre
des titres de gloire d'Hipparque. On retrouvera
la même prudence et la même honnêteté chez
Galilée, quand il essaiera de mesurer avec des
lanternes à volet la vitesse de la lumière.