Depuis l’automne 1995, huit stages "l’Art et la manière
d’intervenir en milieu scolaire" ont été organisés par Jean
Bauné au Nouveau Théâtre d’Angers, Centre Dramatique
National, sous la responsabilité pédagogique de Bernard
Grosjean. Trois cahiers hors-série du Nouveau Théâtre
d’Angers ont déjà synthétisé et rassemblé les interventions
des divers formateurs, voici le quatrième.
L’intérêt des comédiens engagés à divers titres dans un
travail avec le milieu scolaire, issus de tout le territoire, ne
se dément pas pour ces rendez-vous de formation non-
rémunérés, non défrayés (et par conséquent entièrement à
leur charge), et qui de surcroît, ne donnent accès à aucun
diplôme…
Pourquoi ?
C’est à notre sens la conséquence d’une grande solitude
des artistes impliqués dans ce type de démarche.
Les témoignages convergent pour pointer les causes de ce
sentiment de solitude : en dépit de tous les dispositifs
législatifs et réglementaires, des directives, des profes-
sions de foi et des déclarations d’intention, jusqu’à la
récente charte élaborée par le Ministère de la Culture ou
l’objectif annoncé par l’Éducation Nationale d’ouvrir à
court terme des Ateliers d’Expression Artistique dans 50%
des lycées de France, l’idée d’éducation artistique n’est
pas encore vraiment portée par l’ensemble des administra-
tions de la Culture et de l’Éducation. Une vraie écoute pour
les actions sur le terrain est trop généralement remplacée
par l’exécution de consignes "politiquement correctes" ou
le souci de "faire du chiffre".
Premier constat : l’immobilisme des tutelles devant l’ab-
surde inadéquation du statut du comédien intervenant :
appelé en tant qu’artiste à être le partenaire d’un ensei-
gnant, considéré comme un enseignant par les adminis-
trations… N’épiloguons pas. C’est un frein qu’il faut
desserrer.
Deuxième constat : l’absence pour les comédiens de dis-
positifs de formation sérieux face aux enjeux et aux pra-
tiques d’une éducation artistique de qualité au spectacle
vivant.
Des tentatives homéopathiques commencent à voir le jour
au Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique
(CNSAD), une réflexion est en cours au Ministère de la
Culture, dans certaines universités.
Faut-il donc créer un diplôme, ou un certificat, de comé-
dien-intervenant ?
Nous penchons plutôt pour la généralisation de processus
de sensibilisation dans toutes les formations profession-
nelles (Écoles nationales, Conservatoires Nationaux de
Région, etc.) afin que les futurs comédiens se familiarisent
dès le départ à l’idée d’associer les démarches de création
et de transmission. L’une nourrissant l’autre, l’une et
l’autre étant les deux faces d’un même métier.
A l’heure actuelle, l’activité de transmission, d’implanta-
tion, de formation d’un public, est encore fortement dépré-
ciée dans les évaluations, dans l’intérêt des décideurs
culturels, de la presse spécialisée, et plus généralement,
du "métier" : l’idée est tenace que c’est "par défaut" qu’on
accepte d’y consacrer une partie de son activité profes-
sionnelle…
Quant à la formation continue ou plutôt continuée, nous
pensons nécessaire de conforter ou de susciter cinq ou six
lieux repérés et décentralisés, desservant l’ensemble du
territoire, et capables d’accueillir régulièrement les artistes
engagés dans l’intervention auprès de jeunes scolarisés.
Notre expérience en ce domaine montre que l’un des
moyens les plus efficaces de renforcer ces artistes dans
leur action est l’analyse commune de cas concrets et la
confrontation des pratiques, puisque chaque binôme par-
tenarial artiste-enseignant génère sa méthode, infléchie
par les êtres et les circonstances. Une certaine coordina-
tion de démarches par trop "sauvages" ou divergentes
quant aux objectifs recherchés constitue un facteur très
favorable à leur efficacité et à leur multiplication. La
constitution d’une "position artistique commune" devrait
éviter les dérives auxquelles sont exposés les partenaires
à l’intérieur du système scolaire. Des lieux de rencontre et
d’échange sont donc indispensables aux artistes isolés sur
le terrain.
Mais nous avons constaté que les artistes au travail dans
les établissements scolaires ne sont pas les seuls à res-
sentir une certaine solitude : beaucoup d’enseignants ont
aussi le sentiment de se débattre dans l’indifférence géné-
rale de leur hiérarchie et de leurs collègues, voire contre
leur hostilité…
Là encore, le manque de formations, initiales et conti-
nuées, est flagrant. Rares sont les IUFM à mettre en place
les modules indispensables pour préparer les futurs pro-
fesseurs à mettre en œuvre une éducation artistique en
partenariat.
Une double solitude
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Introduction par Claude Yersin.