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B A S Q U E E T F R A N Ç A I S
Méthode abrégée de traduction
Navarro-labourdin classique
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par Jean-Baptiste ORPUSTAN
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Deuxième édition revue et corrigée
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I N T R O D U C T I O N
L’intensité des échanges de toutes sortes entre les pays du monde et leurs
cultures a fait que lexercice de traduction, longtemps travail de spécialistes en petit
nombre, s’impose comme mode normal et universel de la communication. Une
spécialité nouvelle, sinon une science, est née: la “traductologie”. Les plus grands
écrivains, désormais, et d’abord, l’on ne s’en étonnera pas, ceux des cultures des “petits”
pays, tel un Kundera, affirment la nécessité et la dignité littéraire de la traduction. Et les
pays, petits” mais bientôt peut-être aussi plus grands, qui sont passés ou passeront du
stade du simple bilinguisme à celui de la diglossie”, une langue officielle et
dominante ne laisse que peu et de moins en moins d’espace à la langue vernaculaire
devenue minoritaire, se trouvent dans l’obligation de savoir traduire: traduire les cultures
extérieures dans leur langue afin de nourrir et faire vivre celle-ci, mais traduire aussi leurs
propres cultures afin de les porter à la connaissance des autres. Il est en effet probable
que l’enfermement des cultures, en tout cas de celles qui ne dominent pas dans le
monde, en plus d’être un non-sens pour tout ce qui regarde le savoir, signe leur fin
prochaine et celle des sociétés qui les ont créées.
Traduire était un exercice indispensable depuis bien longtemps aux Basques,
comme à tant d’autres, et en même temps bien incommode, vu l’écart entre les langues
d’Europe, principalement latino-romanes, avec lesquelles ils étaient en contact et la leur.
Et très tôt les traducteurs basques prirent la mesure des disparités profondes entre leur
langue et celles qu’il traduisaient: langues antiques comme pour les traducteurs de textes
religieux, dans la “translation” du Nouveau Testament en latin que tenta - et réussit
admirablement - le protestant Lissarrague en 1571, ou modernes quand deux siècles plus
tard, et après beaucoup d’essais intermédiaires principalement religieux dans la plupart
des dialectes basques, le curé dIbarre Lopez fit publier à Avignon en 1782 sous
l’autorité de l’ancien évêque de Dax dont dépendait sa paroisse d’Ostabarret, une
traduction dans son basque bas-navarrais oriental d’un texte français, lui-même traduit et
résumé d’un ouvrage dévot d’abord écrit en… espagnol au XVIème siècle: Je me mis à
traduire le français en basque mot à mot; mais m’étant rendu compte qu’en faisant ainsi l’on forçait en
bien des points la manière et la nature de notre basque, et que souvent il était impossible de rendre avec
assez de justesse le sens du texte français, j’ai pris la décision, sans suivre trop en détail les termes du
français, d’en traduire le sens aussi clairement que possible.”
La méthode s’est affinée depuis le temps de Lopez, et si le mot à mot n’est
pas effet très souvent la bonne solution, quelle que soit la langue, la précision et la
justesse restent la qualité première d’une traduction. Celle qui est présentée ici, du reste,
n’est pas la première du genre. La revue Gure Herria publiait en 1950 une rie d’études
de Sauveur Arotçarena intitulée “Le problème de la traduction”, citant à titre d’exemples
des traductions basques d’extraits du texte espagnol du Don Quichotte, et de textes
français de Rabelais, Bossuet, Chateaubriand, Voltaire, Anatole France, en un choix de
prosateurs renommés assez éclectique, mais aussi des traductions françaises de textes
basques, passage d’Hiriart-Urruty traduit en français par lui-même, confrontations des
mêmes extraits d’ouvrages religieux traduits par Chourio, Inchauspé, Albert Léon.
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Aujourd’hui la mise en place des filières complètes d’enseignement des
langues et cultures dites “régionales”, de la maternelle aux trois cycles de l’Université, et
des concours de recrutement des enseignants, rend plus que jamais nécessaire que cet
exercice soit pratiqué dans la recherche de la plus grande authenticité pour chacune des
langues utilisées: le basque comme le français. C’est à ce besoin que sefforce de
répondre cette Méthode abrégée de traduction, dans le cadre dit ordinairement “dialectal” qui
sera précisé au premier chapitre: le “navarro-labourdin classique ou si lon veut
“littéraire” qui est aussi bien le résultat d’une tradition d’écriture déjà longue de plus de
cinq siècles dans les provinces basques de France que d’une pratique que l’auteur,
comme tout locuteur basque “ancien dans le sien, a rue dans son pays natal bas-
navarrais.
De toutes manres, et pour longtemps encore, les Basques utiliseront les
variantes dialectales de leurs provinces respectives, quitte à les tempérer ou les enrichir -
quelquefois hélas! les appauvrir aussi… - par des éléments venus d’autres horizons, et à
les contrôler, pour les plus conscients des locuteurs, à l’aune d’une bonne connaissance
de la langue dans son histoire. Faut-il ajouter que la plupart de ces traits dialectaux
spécifiques touchent des aspects secondaires, phonétiques notamment, de la langue? A
quelques exceptions près cependant, pour des faits l’on peut conclure, en bonne
analyse et au vu des seuls arguments d’ordre linguistique, que telle pratique peut être
légitimement préférée à telle autre: ainsi, entre autres, des indéfinis zenbat, zenbait,
préférés ici aux variantes “bas-navarraises” bien connues zonbat, zonbait et même ailleurs
zumat etc…, formes locales issues de changements phonétiques parfaitement catalogués
par ailleurs. C’est dire que le dialectisme choisi est largement tempéré”, mais dans le
seul intérêt de cette authenticité historique des formes qui doit être la pierre de touche et
la règle d’or de tout locuteur conscient, mais hostile par principe à toute “normalisation”
arbitraire et autoritaire en matière de langue aussi.
Ce principe de “tempérance dialectale” n’exclut pas pour autant, à un niveau
bien inférieur il est vrai, que chacun ait aussi ses particularismes “de clocher”. Il en va
ainsi de tous les espaces linguistiques, la différence basque étant perceptible seulement
au resserrement géographique des domaines dialectaux, qui menait Lissarrague, non sans
bonne humeur, à les voir se dessiner “presque d’une maison à l’autre”. La culture basque
aujourd’hui se trouve assez développée, en premier lieu par la place des études
dialectales dans les diplômes universitaires, et par bien d’autres échanges, pour que ces
variantes ne fassent pas ou plus obstacle à la compréhension réciproque, ce qui est après
tout la seule chose qui importe.
La langue basque utilisée ici, et privilégiée pour les modèles à traduire en
français, est celle de la meilleure et plus ancienne tradition litraire, continue du
XVIème au XXème siècle. C’est ce que laisse entendre le mot “classique”. Il est à peine
besoin de préciser, alors, que les nouveautés ny seront, sinon admises, du moins
pratiquées que dans la stricte mesure de leur conformité avec cette tradition d’un langage
élaboré, qui fait que tout lecteur basque reste encore étonné de la clarté et de la qualité
des textes d’un Lissarrague (1571), sinon même d’un Dechepare (1545) pour le XVIème
siècle, puis d’un Materre (1617), d’un Axular (1643) et d’autres, vrais fondateurs d’un
“bon usage” déjà “navarro-labourdin”, à une époque où les grandes langues d’Europe se
trouvaient aussi à l’âge de leur classicisme, tradition constamment suivie et élaborée
jusqu’à ces “modernes classiques” de la langue que furent par exemple J. Etchepare le
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médecin, P. Barbier ou P. Lafitte. Ceci pour le basque, choix des textes à traduire ou
type de traduction choisie, car, pour le français, non sans quelque débat pourtant
comme le montrent encore quelques velléis centes de réforme orthographique, la
question est, depuis assez longtemps, entendue. Mais lauteur de ces lignes tient à
préciser, si nécessaire, qu’il trouverait tout aussi normal que d’autres choisissent
d’adapter leur thode de traduction à tel ou tel autre dialecte “classique”, qui, de la
Soule à la Biscaye, a contribué à donner au cours des siècles à la langue basque, ses
colorations régionales. Cette variabilité dialectale du basque n’est pas sans analogie, on le
sait bien, avec bien d’autres domaines linguistiques, et par exemple pour le plus proche,
l’occitan, dans ses variantes gasconne et béarnaise, toulousaine et provençale ou
nissarde. Elle sen différencie pourtant par le fait que, si l’occitan, dans tous ses
domaines ou à peu ps, a depuis quelques siècles le contact principal avec une seule
langue officielle, l’ancienne “langue d’oïl” devenue le français, le basque, après avoir eu
un long contact, aujourd’hui sans guère d’incidence, avec le gascon, se confronte depuis
des siècles aussi, à deux langues étatiques et officielles: non seulement le français en
France, mais bien plus encore, et depuis bien plus longtemps, avec le castillan en
Espagne. L’incidence de cet état de fait sur les pratiques linguistiques, encore que peu
mesurée dans toute sa réalité, reste et restera nécessairement considérable..
Cette thode se présente comme “abrée”, cest-à-dire si lon veut,
incomplète. Le détail de tous les faits de langue susceptibles de faire problème à quelque
titre dans le passage d’une langue à l’autre exigerait à n’en pas douter une “grammaire”
de la traduction fort vaste. Le lecteur ne trouvera ici que des faits en nombre
relativement limi, touchant soit aux choses essentielles les structures de deux
langues diffèrent et parfois s’opposent, ou à des faits plus secondaires. Ils ont été
retenus le plus souvent selon les dones de l’expérience des dernières anes et, en
particulier, celle des concours de recrutement pour l’enseignement secondaire. C’est à
ces techniciens obligés de la traduction que l’ouvrage s’adresse et voudrait rendre
quelque service en premier lieu, sans exclure pour autant ni les autres usagers,
aujourd’hui nombreux, dans la presse écrite et parlée ou ailleurs, ni les locuteurs basques
d’autres domaines dialectaux, d’abord les Souletins si proches de ce “navarro-labourdin
classique” sur des points essentiels de leur pratique dialectale, mais aussi tous les autres.
Ossès, 12 août 1996
Note liminaire à la deuxième édition
Cette nouvelle édition de la Méthode abe de traduction pour le basque et le
français ne comporte aucune modification importante par rapport à celle des Editions
Izpegi parue en 1997, mais seulement un certain nombre de corrections et d’ajustements
de détail. La référence reste toujours le modèle dialectal du navarro-labourdin
“classique” et littéraire tel que défini dans l’introduction. Peut-être l’usage dialectal est-il
cependant, pour la conformide l’écrit à l’oral, du “lu” à l’entendu”, encore un peu
plus précis, y compris dans certains dialectismes comme ceux des formes verbales. C’est
le résultat d’une pratique suivie de la traduction littéraire, en l’occurrence celle de textes
français en basque (Saint-Simon, Flaubert, Rousseau et Baudelaire, pour les prendre
dans l’ordre chronologique des publications), aussi bien que d’une réflexion analytique
sur la langue menées au cours de ces années.
Décembre 2006
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C H A P I T R E I
De quelques traits dialectaux
Avant daborder les problèmes de la traduction proprement dite, il est de
bonne méthode de présenter les gles de ce jeu dialectal, si “tempéré” soit-il sur bien
des points, pour tout ce qui touche du moins les questions extra-lexicales: phonétique,
morphologie nominale et verbale, syntaxe. Ces règles recoupent pour la plupart, mais
sans prétendre à la même exhaustivité, celles qu’exposait il y a un demi-siècle P. Lafitte
dans sa célèbre grammaire du Navarro-labourdin littéraire (1944).
1. Phonétique et orthographe.
La normalisation ou standardisation de lorthographe basque était
commencée dès le temps des premiers écrivains des XVI-XVIIèmes siècles, et avec une
conscience particulière de la spécificité phonétique de la langue chez Oyhénart(1657),
qui systématise, par exemple, la transcription des sifflantes et celle en particulier de la
“chuintante” correspondant au ch français par x, même si ce graphème servait déjà et
servit encore jusqu’au début du Xme siècle pour la sifflante affriquée apicale ts.
Posant peu de problèmes hors des sifflantes justement, cette normalisation s’est
aisément établie. Dans une langue l’orthographe est quasi intégralement phonétique
dans le système adopté, très simple à la grande différence du français, elle ne laisse que
peu de choses en suspens:
1) Les vibrantes fortes écrites comme les faibles (ur(r) “noisette” écrit comme
ur “eau”, haur(r) “enfant” comme haur “celui-ci”): puisque la différence s’efface devant
consonne, le maintien du double -rr final comme de l’intervocalique, que les scribes
médiévaux savaient déjà pratiquer, eût levé une petite difficulté orthographique dans la
déclinaison et la composition des mots à vibrante finale, sources de nombreuses fautes
dans les écrits.
2) Les nasales devant bilabiale orale b ne sont écrites systématiquement par la
dentale n qu’à la suite d’une mauvaise définition de ce qu’on nomme la “phonologie
basque”; si la transcription systématique par la bilabiale m devant b/p à la mode latino-
romane était en effet défectueuse, il est faux de dire que les Basques, quels qu’ils soient,
aient jamais prononcé Kanbo pour Cambo ou kanpo pour l’emprunt roman kampo
“dehors”. Il en est de même dans les noms de lieux proprement basques ou d’autres
mots où, selon une très ancienne tendance de la langue, le basque fait ce que l’auteur de
ces lignes a nommé une “anticipation nasale”, toujours et nécessairement bilabiale, de la
bilabiale orale b ou p; la bonne orthographe basque de ces noms et mots est avec m,
Elissamburu/Elizamburu, Etxembeheti etc… En revanche et puisque le basque comme le
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