Les diverses peines prévues par le législateur obéissent, de manière générale,
à des objectifs et principes juridiques, mais aussi pénologiques, que l’on
retrouve dans la loi ainsi que dans la tradition judiciaire. Ces objectifs et
principes constituent le point d’ancrage des règles que nous examinerons
ultérieurement et qui gouvernent les difrentes peines. Il est donc essentiel
den discuter préliminairement.
1 LES OBJECTIFS GÉNÉRAUX SOUS-JACENTS
À LA DÉTERMINATION DE LA PEINE
L’article 718 du Code criminel1constitue un énoncé législatif explicite des
principes et justifications nologiques qui sous-tendent le choix d’une peine
ou sentence2. Dans la partie XXIII du C o d e, sous la rubrique «objectifs et
principes», cette disposition déclare :
CHAPITRE 1
PRINCIPES GÉNÉRAUX
________________
1. Code criminel, L.R.C. 1985, c. C-46 et amendements subséquents [C.cr.].
2. Le mot « s e n t e n c e» n’est pas nécessairement un emprunt à la langue anglaise. Il est défini par le
Petit Larousse illustré 2007, de la manière suivante: «Décision rendue par un arbitre, un juge, un
t r i b u n a l». Dans un sens plus spécifique, on retrouve à la même référence : «Décision des tribunaux
d’instance et des conseils de prud’hommes». Le dictionnaire en ligne Trésor de la langue fran -
ç aise informatisé, que l’on retrouve à l’adresse Internet <http://atilf.atilf.fr/tlf.htm>, suggère plusieurs
définitions en ce sens, notamment : «Décision rendue sur une question litigieuse par l’autori
c o m p é t e n t e», «cision de justice, jugement», «Jugement rendu et dont on fait appel», «J u g e m e n t
de condamnation à mort» et, référant au droit canon : «Jugement, de nature contentieuse ou crimi-
nelle, rendu par une juridiction ecclésiastique et clôturant une procédure régulièrement conduite».
D’autres autorités sont au même effet : «s e n t e n c e » signifie «Peine, condamnation à une peine,
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718 Objectif Le prononcé des peines a pour objectif essentiel de contribuer,
parallèlement à d’autres initiatives de prévention du crime, au respect de la loi et
au maintien d’une société juste, paisible et re par l’infliction de sanctions justes
visant un ou plusieurs des objectifs suivants :
a) dénoncer le comportement illégal;
b) dissuader les délinquants, et quiconque, de commettre des infractions;
c) isoler, au besoin, les délinquants du reste de la société;
d) favoriser la réinsertion sociale des délinquants;
e) assurer la réparation des torts causés aux victimes ou à la collectivité;
f) susciter la conscience de leurs responsabilités chez les délinquants, notamment
par la reconnaissance du tort qu’ils ont causé aux victimes et à la collectivité.
Notons rapidement que ces objectifs pénologiques trouvent écho et
correspondance au sein du régime législatif s’appliquant aux adolescents. En
effet et tel qu’il sera discuté plus loin, tant la déclaration de principes que les
principes de termination de la peine applicables aux adolescents se retrouvent
dans la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents3.
Ainsi que le mentionne Ruby, les amendements de 1996 modifiant
substantiellement la partie XXIII du C o d e ont codifié la common law
anrieure qui, pendant des décennies, avait dégagé les divers principes
applicables à la détermination de la peine deme que le ou les paradigmes
qui en constituaient les prémisses4.
La jurisprudence antérieure aux modifications législatives de 1 9 9 6
relevait déjà d’une approche dite plurifonctionnelle de la peine, en ce sens que
celle-ci devait rechercher un équilibre individualisé à chaque cas en référence
à une varié d’objectifs pénologiques. Ainsi que le note la professeure
Dumont :
[La jurisprudence canadienne contemporaine] s’est souvent appuyée sur l’une ou
l’autre des thèses pour tenir un discours r é t r i b u t o - i n t i m i d a t e u r sur le châtiment
pénal canadien. Les tribunaux ont ainsi amalgamé toutes les thèses sur le châti-
ment pénal en proposant que l’idéal à atteindre dans l’imposition d’une peine
DE LA DÉTERMINATION DE LA PEINE4
____________________________________________________________________________________
jugement, art, sentence » (Henry Saint Dahl, Dictionnaire juridique Dahl, 2eéd., Dalloz, 2001
à la p. 631). « S e n t e n c e» décrit un «Jugement imposant une peine à une personne déclarée
coupable par un tribunal criminel» (Hubert Reid, Dictionnaire de droit québécois et canadien, 3eé d . ,
Wilson et Lafleur, 2004 à la p. 526).
3. Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, L.C. 2002, c. 1 et amendements subsé-
quents, art. 3 et 38 [L.S.J.P.A.]
4. Clayton C. Ruby, S e n t e n c i n g, 6eéd., Toronto, LexisNexis Butterworths, 2004 à la p. 4, au para. 1.13.
Nous référons le lecteur, sur le me thème, aux commentaires du professeur Manson : Allan
Manson, The Law of Sentencing, Toronto, Irwin Law, 2001 à la p. 76.
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consistait à doser savamment les objectifs de dissuasion, de réhabilitation et de
rétribution.5[Nous soulignons. L’italique est dans l’original.]
Un exemple de ce qui précède se retrouve dans larrêt C.A.M.:
[D]ans notre système de justice, des considérations normatives et utilitaristes
opèrent conjointement pour donner une justification cohérente des sanctions
pénales. Comme l’a signale juge Gonthier dans R. c. Goltz, [...] les objectifs
visés par les sanctions pénales sont à la fois «généraux et divers». Par
conséquent, il faut examiner le sens de l’objectif de châtiment en corrélation avec
les autres objectifs gitimes de la détermination de la peine, qui comprennent
(notamment) la dissuasion, la réprobation, la réadaptation et la protection de la
société. En effet, il est difficile de séparer nettement ces principes interreliés.6
Dans la mesure ces divers facteurs se retrouvant traditionnellement
dans la jurisprudence devaient être pris en considération par le juge d’instance
dans la détermination de la peine appropriée, il est concevable qu’ils
constituent la trame de fond de larticle 718 du Code. Les modifications de
1996 se situeraient alors simplement dans la foulée de la jurisprudence anté-
rieure et l’article 718 serait ainsi la codification de lapproche dite pluri-
fonctionnelle de la peine. La Cour suprême va cependant plus loin comme
l’indique cet extrait de l’arrêt Gladue:
On ne peut interpréter les termes de l’al. 718.2e) en consultant simplement les
décisions antérieures pour voir si l’on y retrouve des énoncés de principe
similaires. L’adoption de la nouvelle partie XXIII a marqune étape majeure,
soit la première codification et la première réforme substantielle des principes de
termination de la peine dans l’histoire du droit criminel c a n a d i e n. Chacune
des dispositions de la partie XXIII, y compris l’al. 718.2e), doit être interprétée
dans son contexte global, compte tenu des dispositions qui l’entourent.7[ N o u s
soulignons.]
Dans cet esprit, il est utile de commenter chacun des six o b j e c t i f s
prévus par le législateur à l’article 718, notamment à la lumière de certaines
décisions judiciaires.
a) L’objectif de dénonciation
La nonciation est un objectif nologique valide dans la mesure l’inflic-
tion de la peine permet l’affirmation de la réprobation publique du crime. Le
juge Lamer, dans l’affaire C.A.M., discute cet aspect :
PRINCIPES GÉNÉRAUX 5
________________
5. Hélène Dumont, P é n o l o g i e : le droit canadien relatif aux peines et aux sentences, Montréal,
Thémis, 1993 à la p. 103. Voir aussi R. c. Lemire (1948), 92 C.C.C. 201, (1948) 5 C.R. 181 (B.R.
Qué.) (QL).
6. R. c. C.A.M., [1996] 1 R.C.S. 500 au para. 82, [1996] A.C.S. no28 (QL).
7. R. c. Gladue, [1999] 1 R.C.S. 688 au para. 39, [1999] A.C.S. no19 (QL).
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Il convient également de faire une distinction, sur le plan conceptuel, entre le
châtiment et sa sœur légitime, la réprobation. Le châtiment exige que la peine
infligée par le tribunal reflète adéquatement la culpabilité morale du contre-
venant visé. Pour sa part, l’objectif de réprobation commande que la peine
indique que la société condamne la conduite de ce contrevenant. Bref, une peine
assortie d’un élément réprobateur représente une déclaration collective, ayant
valeur de symbole, que la conduite du contrevenant doit être punie parce qu’elle
a porté atteinte au code des valeurs fondamentales de notre société qui sont
constatées dans notre droit pénal substantiel. Comme l’a dit le lord juge Lawton
dans R. c. Sargeant [ . . .]: [Traduction.] «la société doit, par l’entremise des
tribunaux, communiquer sa répulsion à l’égard de certains crimes, et les peines
qu’ils infligent sont le seul moyen qu’ont les tribunaux de transmettre ce
m e s s a g e». La pertinence du châtiment et de la réprobation en tant qu’objectifs de
la détermination de la peine fait bien ressortir que notre système de justice nale
n’est pas simplement un vaste régime de sanctions négatives visant à empêcher
les conduites objectivement préjudiciables en haussant le coût que doit supporter
le contrevenant qui commet une infraction énumérée. Notre droit criminel est
également un système de valeurs. La peine qui exprime la probation de la société
est uniquement le moyen par lequel ces valeurs sont communiquées.8[ N o u s
soulignons.]
Il ressort de ce qui précède que la nonciation ou probation
s’applique à l’infraction elle-même et non à l’infracteur. D’autres objectifs
codifiés par le législateur s’intéresseront à ce dernier. Il est pertinent de
souligner également que la notion de probation ou de dénonciation est
difficilement quantifiable. En effet, quelle norme doit guider l’instance
judiciaire dans le dosage de cet élément de la peine? Comment identifier la
quantité de dénonciation requise pour une infraction en particulier? Comme
l’indique à nouveau le juge Lamer dans l’arrêt C . A . M ., «il est difficile de
séparer nettement ces principes interreliés»9.
Cependant, on peut retrouver une approche normative de la dénon-
ciation ou réprobation dans le cadre de certaines infractions qui exigeraient,
par leur nature ou leurs modalités, la mise au premier plan de la nonciation.
L’affaire Latimer en fournit un exemple :
En outre, la dénonciation prend beaucoup plus d’importance dans l’examen de la
peine dans les cas il y a un [Traduction.] «degré élevé de planification et de
préméditation, et l’infraction et ses conséquences font l’objet d’une forte
publicité, [de sorte que] les personnes ayant les mêmes idées peuvent fort bien
être dissuadées par des peines sévères» : R. c. Mulvahill and Snelgrove [...]. Cela
est particulièrement vrai dans les cas la victime est une personne vulnérable
en raison de son âge, d’un handicap, ou d’autres facteurs de même nature.10
DE LA DÉTERMINATION DE LA PEINE6
________________
8. R. c. C.A.M., [1996] 1 R.C.S. 500 au para. 81, [1996] A.C.S. no28 (QL).
9. Ibid. au para. 82.
10. R. c. Latimer, [2001] 1 R.C.S. 3 au para. 86, [2001] A.C.S. no1 (QL).
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b) L’objectif de dissuasion
La dissuasion peut être générale ou spécifique. Une peine sera généralement
dissuasive lorsqu’elle visera à dissuader lensemble des citoyens d’adopter
l e comportement linquant qu’elle vise à dénoncer. Elle sera spécifique
lorsqu’elle dissuadera le linquant qu’elle punit de commettre d’autres
délits similaires. La dissuasion est une fonction ancienne de la peine :
Inspirer une terreur salutaire avec la peine, voilà une finalité qui a des échos très
anciens et qui a cautiondes châtiments effroyables dans le but d’épouvanter
les délinquants éventuels et d’empêcher le criminel de recommencer.11
Il existe néanmoins un bat important quant à la question de savoir
s i la dissuasion mérite de figurer au nombre des principes gouvernant
l’infliction d’une peine. Ce débat est en lien avec le scepticisme grandissant
et documenté à l’effet que les peines auraient un faible impact dissuasif bien
que la jurisprudence persiste à l’évoquer12. On retrouve une trace de ce débat
notamment dans l’affaire B u r n s1 3 à l’occasion de laquelle la Cour suprême
du Canada devait examiner la remise de fugitifs canadiens dont le pays
requérant demandait lextradition pour des infractions punissables de la peine
capitale. Il est intéressant d’y noter l’opinion selon laquelle la sévérité d’une
peine ne saurait nécessairement remplir le crire de la dissuasion lorsque
cette sévérité est absolue comme l’est la peine de mort14. Un débat similaire
existe également à l’égard de la dissuasion en lien cette fois avec le recours à
l ’ e m p r i s o n n e m e n t1 5. Quoi qu’il en soit, le législateur a choisi d’ingrer la
dissuasion au nombre des fonctions de la peine, cautionnant ainsi une
jurisprudence constante à ce sujet1 6. Encore une fois, les différentes fonctions
PRINCIPES GÉNÉRAUX 7
________________
11. Hélène Dumont, P é n o l o g i e : le droit canadien relatif aux peines et aux sentences, Montréal,
Thémis, 1993 à la p. 106.
12. Ibid.aux pp. 108 et s. Voir aussi Clayton C. Ruby, Sentencing, 6eéd., Toronto, LexisNexis Butter-
worths, 2004 aux pp. 8 et s.
13. États-Unis d’Amérique c. Burns, [2001] 1 R.C.S 283, [2001] A.C.S. no8 (QL). Voir également un
commentaire de la Cour dans R. c. B.W.P.,R. c. B.V.N., [2006] 1 R.C.S. 941 au para. 3, [2006]
A.C.S. no27 (QL), reconnaissant l’existence de ce bat sans que ce ne soit celui po par ce
pourvoi en particulier.
14. États-Unis d’Amérique c. Burns, [2001] 1 R.C.S 283 au para. 78, [2001] A.C.S. no8 (QL).
15. R. c. Gladue, [1999] 1 R.C.S. 688 au para. 57, [1999] A.C.S. no19 (QL) : «Ainsi, il appert que
même si l’emprisonnement vise les objectifs traditionnels d’isolement, de dissuasion, de dénon-
ciation et de réinsertion sociale, il est généralement admis qu’il n’a pas réussi à réaliser certains
d’entre eux». Voir aussi R. c. Proulx, [2000] 1 R.C.S. 61 au para. 107, [2000] A.C.S. no6 (QL).
16. Nous référons le lecteur, à titre d’exemple, aux commentaires de la Cour d’appel de l’Ontario
d a n s R. v. Wismayer, R. v. J.W. (1997), 115 C.C.C. (3d) 18, [1997] O.J. No. 1380 (Ont. C.A.)
( Q L ) , particulièrement à la page 36 citant des extraits de la Commission Archambault : Canada,
Commission canadienne sur la détermination de la peine (Commission Archambault), R é f o r m e r
la sentence, une approche canadienne, Ottawa, Ministre des Approvisionnements et Services
Canada, 1987.
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