principes généraux

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CHAPITRE 1
PRINCIPES GÉNÉRAUX
Les diverses peines prévues par le législateur obéissent, de manière générale,
à des objectifs et principes juridiques, mais aussi pénologiques, que l’on
retrouve dans la loi ainsi que dans la tradition judiciaire. Ces objectifs et
principes constituent le point d’ancrage des règles que nous examinerons
ultérieurement et qui gouvernent les différentes peines. Il est donc essentiel
d’en discuter préliminairement.
1 – LES OBJECTIFS GÉNÉRAUX SOUS-JACENTS
À LA DÉTERMINATION DE LA PEINE
L’article 718 du Code criminel1 constitue un énoncé législatif explicite des
principes et justifications pénologiques qui sous-tendent le choix d’une peine
ou sentence2. Dans la partie XXIII du Code, sous la rubrique « objectifs et
principes », cette disposition déclare :
________________
1.
2.
Code criminel, L.R.C. 1985, c. C-46 et amendements subséquents [C.cr.].
Le mot « sentence» n’est pas nécessairement un emprunt à la langue anglaise. Il est défini par le
Petit Larousse illustré 2007, de la manière suivante: «Décision rendue par un arbitre, un juge, un
tribunal ». Dans un sens plus spécifique, on retrouve à la même référence : « Décision des tribunaux
d’instance et des conseils de prud’hommes ». Le dictionnaire en ligne Trésor de la langue fran çaise informatisé, que l’on retrouve à l’adresse Internet <http://atilf.atilf.fr/tlf.htm>, suggère plusieurs
définitions en ce sens, notamment : « Décision rendue sur une question litigieuse par l’autorité
compétente», « Décision de justice, jugement », « Jugement rendu et dont on fait appel», «Jugement
de condamnation à mort » et, référant au droit canon : « Jugement, de nature contentieuse ou criminelle, rendu par une juridiction ecclésiastique et clôturant une procédure régulièrement conduite».
D’autres autorités sont au même effet : « sentence » signifie « Peine, condamnation à une peine,
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718 Objectif – Le prononcé des peines a pour objectif essentiel de contribuer,
parallèlement à d’autres initiatives de prévention du crime, au respect de la loi et
au maintien d’une société juste, paisible et sûre par l’infliction de sanctions justes
visant un ou plusieurs des objectifs suivants :
a) dénoncer le comportement illégal ;
b) dissuader les délinquants, et quiconque, de commettre des infractions ;
c) isoler, au besoin, les délinquants du reste de la société ;
d) favoriser la réinsertion sociale des délinquants ;
e) assurer la réparation des torts causés aux victimes ou à la collectivité ;
f) susciter la conscience de leurs responsabilités chez les délinquants, notamment
par la reconnaissance du tort qu’ils ont causé aux victimes et à la collectivité.
Notons rapidement que ces objectifs pénologiques trouvent écho et
correspondance au sein du régime législatif s’appliquant aux adolescents. En
effet et tel qu’il sera discuté plus loin, tant la déclaration de principes que les
principes de détermination de la peine applicables aux adolescents se retrouvent
dans la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents3.
Ainsi que le mentionne Ruby, les amendements de 1996 modifiant
substantiellement la partie XXIII du Code ont codifié la common law
antérieure qui, pendant des décennies, avait dégagé les divers principes
applicables à la détermination de la peine de même que le ou les paradigmes
qui en constituaient les prémisses4.
La jurisprudence antérieure aux modifications législatives de 1996
relevait déjà d’une approche dite plurifonctionnelle de la peine, en ce sens que
celle-ci devait rechercher un équilibre individualisé à chaque cas en référence
à une variété d’objectifs pénologiques. Ainsi que le note la professeure
Dumont :
[La jurisprudence canadienne contemporaine] s’est souvent appuyée sur l’une ou
l’autre des thèses pour tenir un discours rétributo-intimidateur sur le châtiment
pénal canadien. Les tribunaux ont ainsi amalgamé toutes les thèses sur le châtiment pénal en proposant que l’idéal à atteindre dans l’imposition d’une peine
____________________________________________________________________________________
3.
4.
jugement, arrêt, sentence » (Henry Saint Dahl, Dictionnaire juridique Dahl, 2e éd., Dalloz, 2001
à la p. 631). « Sentence » décrit un « Jugement imposant une peine à une personne déclarée
coupable par un tribunal criminel » (Hubert Reid, Dictionnaire de droit québécois et canadien, 3e éd.,
Wilson et Lafleur, 2004 à la p. 526).
Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, L.C. 2002, c. 1 et amendements subséquents, art. 3 et 38 [L.S.J.P.A.]
Clayton C. Ruby, Sentencing, 6e éd., Toronto, LexisNexis Butterworths, 2004 à la p. 4, au para. 1.13.
Nous référons le lecteur, sur le même thème, aux commentaires du professeur Manson : Allan
Manson, The Law of Sentencing, Toronto, Irwin Law, 2001 à la p. 76.
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consistait à doser savamment les objectifs de dissuasion, de réhabilitation et de
rétribution.5 [Nous soulignons. L’italique est dans l’original.]
Un exemple de ce qui précède se retrouve dans l’arrêt C.A.M.:
[D]ans notre système de justice, des considérations normatives et utilitaristes
opèrent conjointement pour donner une justification cohérente des sanctions
pénales. Comme l’a signalé le juge Gonthier dans R. c. Goltz, [...] les objectifs
visés par les sanctions pénales sont à la fois « généraux et divers ». Par
conséquent, il faut examiner le sens de l’objectif de châtiment en corrélation avec
les autres objectifs légitimes de la détermination de la peine, qui comprennent
(notamment) la dissuasion, la réprobation, la réadaptation et la protection de la
société. En effet, il est difficile de séparer nettement ces principes interreliés.6
Dans la mesure où ces divers facteurs se retrouvant traditionnellement
dans la jurisprudence devaient être pris en considération par le juge d’instance
dans la détermination de la peine appropriée, il est concevable qu’ils
constituent la trame de fond de l’article 718 du Code. Les modifications de
1996 se situeraient alors simplement dans la foulée de la jurisprudence antérieure et l’article 718 serait ainsi la codification de l’approche dite plurifonctionnelle de la peine. La Cour suprême va cependant plus loin comme
l’indique cet extrait de l’arrêt Gladue:
On ne peut interpréter les termes de l’al. 718.2e) en consultant simplement les
décisions antérieures pour voir si l’on y retrouve des énoncés de principe
similaires. L’adoption de la nouvelle partie XXIII a marqué une étape majeure,
soit la première codification et la première réforme substantielle des principes de
détermination de la peine dans l’histoire du droit criminel canadien. Chacune
des dispositions de la partie XXIII, y compris l’al. 718.2e), doit être interprétée
dans son contexte global, compte tenu des dispositions qui l’entourent.7 [Nous
soulignons.]
Dans cet esprit, il est utile de commenter chacun des six objectifs
prévus par le législateur à l’article 718, notamment à la lumière de certaines
décisions judiciaires.
a)
L’objectif de dénonciation
La dénonciation est un objectif pénologique valide dans la mesure où l’infliction de la peine permet l’affirmation de la réprobation publique du crime. Le
juge Lamer, dans l’affaire C.A.M., discute cet aspect :
________________
5.
6.
7.
Hélène Dumont, Pénologie : le droit canadien relatif aux peines et aux sentences, Montréal,
Thémis, 1993 à la p. 103. Voir aussi R. c. Lemire (1948), 92 C.C.C. 201, (1948) 5 C.R. 181 (B.R.
Qué.) (QL).
R. c. C.A.M., [1996] 1 R.C.S. 500 au para. 82, [1996] A.C.S. no 28 (QL).
R. c. Gladue, [1999] 1 R.C.S. 688 au para. 39, [1999] A.C.S. no 19 (QL).
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Il convient également de faire une distinction, sur le plan conceptuel, entre le
châtiment et sa sœur légitime, la réprobation. Le châtiment exige que la peine
infligée par le tribunal reflète adéquatement la culpabilité morale du contrevenant visé. Pour sa part, l’objectif de réprobation commande que la peine
indique que la société condamne la conduite de ce contrevenant. Bref, une peine
assortie d’un élément réprobateur représente une déclaration collective, ayant
valeur de symbole, que la conduite du contrevenant doit être punie parce qu’elle
a porté atteinte au code des valeurs fondamentales de notre société qui sont
constatées dans notre droit pénal substantiel. Comme l’a dit le lord juge Lawton
dans R. c. Sargeant [...] : [Traduction.] « la société doit, par l’entremise des
tribunaux, communiquer sa répulsion à l’égard de certains crimes, et les peines
qu’ils infligent sont le seul moyen qu’ont les tribunaux de transmettre ce
message ». La pertinence du châtiment et de la réprobation en tant qu’objectifs de
la détermination de la peine fait bien ressortir que notre système de justice pénale
n’est pas simplement un vaste régime de sanctions négatives visant à empêcher
les conduites objectivement préjudiciables en haussant le coût que doit supporter
le contrevenant qui commet une infraction énumérée. Notre droit criminel est
également un système de valeurs. La peine qui exprime la réprobation de la société
est uniquement le moyen par lequel ces valeurs sont communiquées.8 [Nous
soulignons.]
Il ressort de ce qui précède que la dénonciation ou réprobation
s’applique à l’infraction elle-même et non à l’infracteur. D’autres objectifs
codifiés par le législateur s’intéresseront à ce dernier. Il est pertinent de
souligner également que la notion de réprobation ou de dénonciation est
difficilement quantifiable. En effet, quelle norme doit guider l’instance
judiciaire dans le dosage de cet élément de la peine ? Comment identifier la
quantité de dénonciation requise pour une infraction en particulier? Comme
l’indique à nouveau le juge Lamer dans l’arrêt C.A.M., « il est difficile de
séparer nettement ces principes interreliés »9.
Cependant, on peut retrouver une approche normative de la dénonciation ou réprobation dans le cadre de certaines infractions qui exigeraient,
par leur nature ou leurs modalités, la mise au premier plan de la dénonciation.
L’affaire Latimer en fournit un exemple :
En outre, la dénonciation prend beaucoup plus d’importance dans l’examen de la
peine dans les cas où il y a un [Traduction.] « degré élevé de planification et de
préméditation, et où l’infraction et ses conséquences font l’objet d’une forte
publicité, [de sorte que] les personnes ayant les mêmes idées peuvent fort bien
être dissuadées par des peines sévères » : R. c. Mulvahill and Snelgrove [...]. Cela
est particulièrement vrai dans les cas où la victime est une personne vulnérable
en raison de son âge, d’un handicap, ou d’autres facteurs de même nature.10
________________
8.
9.
10.
R. c. C.A.M., [1996] 1 R.C.S. 500 au para. 81, [1996] A.C.S. no 28 (QL).
Ibid. au para. 82.
R. c. Latimer, [2001] 1 R.C.S. 3 au para. 86, [2001] A.C.S. no 1 (QL).
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b)
7
L’objectif de dissuasion
La dissuasion peut être générale ou spécifique. Une peine sera généralement
dissuasive lorsqu’elle visera à dissuader l’ensemble des citoyens d’adopter
le comportement délinquant qu’elle vise à dénoncer. Elle sera spécifique
lorsqu’elle dissuadera le délinquant qu’elle punit de commettre d’autres
délits similaires. La dissuasion est une fonction ancienne de la peine :
Inspirer une terreur salutaire avec la peine, voilà une finalité qui a des échos très
anciens et qui a cautionné des châtiments effroyables dans le but d’épouvanter
les délinquants éventuels et d’empêcher le criminel de recommencer.11
Il existe néanmoins un débat important quant à la question de savoir
si la dissuasion mérite de figurer au nombre des principes gouvernant
l’infliction d’une peine. Ce débat est en lien avec le scepticisme grandissant
et documenté à l’effet que les peines auraient un faible impact dissuasif bien
que la jurisprudence persiste à l’évoquer12. On retrouve une trace de ce débat
notamment dans l’affaire Burns13 à l’occasion de laquelle la Cour suprême
du Canada devait examiner la remise de fugitifs canadiens dont le pays
requérant demandait l’extradition pour des infractions punissables de la peine
capitale. Il est intéressant d’y noter l’opinion selon laquelle la sévérité d’une
peine ne saurait nécessairement remplir le critère de la dissuasion lorsque
cette sévérité est absolue comme l’est la peine de mort14. Un débat similaire
existe également à l’égard de la dissuasion en lien cette fois avec le recours à
l’emprisonnement15. Quoi qu’il en soit, le législateur a choisi d’intégrer la
dissuasion au nombre des fonctions de la peine, cautionnant ainsi une
jurisprudence constante à ce sujet16. Encore une fois, les différentes fonctions
________________
11.
12.
13.
14.
15.
16.
Hélène Dumont, Pénologie : le droit canadien relatif aux peines et aux sentences, Montréal,
Thémis, 1993 à la p. 106.
Ibid.aux pp. 108 et s. Voir aussi Clayton C. Ruby, Sentencing, 6e éd., Toronto, LexisNexis Butterworths, 2004 aux pp. 8 et s.
États-Unis d’Amérique c. Burns, [2001] 1 R.C.S 283, [2001] A.C.S. no 8 (QL). Voir également un
commentaire de la Cour dans R. c. B.W.P., R. c. B.V.N., [2006] 1 R.C.S. 941 au para. 3, [2006]
A.C.S. no 27 (QL), reconnaissant l’existence de ce débat sans que ce ne soit celui posé par ce
pourvoi en particulier.
États-Unis d’Amérique c. Burns, [2001] 1 R.C.S 283 au para. 78, [2001] A.C.S. no 8 (QL).
R. c. Gladue, [1999] 1 R.C.S. 688 au para. 57, [1999] A.C.S. no 19 (QL) : « Ainsi, il appert que
même si l’emprisonnement vise les objectifs traditionnels d’isolement, de dissuasion, de dénonciation et de réinsertion sociale, il est généralement admis qu’il n’a pas réussi à réaliser certains
d’entre eux ». Voir aussi R. c. Proulx, [2000] 1 R.C.S. 61 au para. 107, [2000] A.C.S. no 6 (QL).
Nous référons le lecteur, à titre d’exemple, aux commentaires de la Cour d’appel de l’Ontario
dans R. v. Wismayer, R. v. J.W. (1997), 115 C.C.C. (3d) 18, [1997] O.J. No. 1380 (Ont. C.A.)
(QL), particulièrement à la page 36 citant des extraits de la Commission Archambault : Canada,
Commission canadienne sur la détermination de la peine (Commission Archambault), Réformer
la sentence, une approche canadienne, Ottawa, Ministre des Approvisionnements et Services
Canada, 1987.
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ou objectifs de la peine entreront globalement en jeu de manière à permettre
au juge d’instance de trouver un équilibre entre ces divers aspects. Chaque
fonction de la peine recevra ainsi la posologie appropriée.
Ainsi, la dissuasion peut, dans certains cas comme le trafic de stupéfiants, devenir pressante au point d’inviter le juge chargé de la détermination
de la peine à considérer que celle-ci, par le biais de l’emprisonnement, doive
l’emporter sur d’autres fonctions de la peine telle que la réhabilitation17.
Deux récentes affaires de fraude à l’endroit de l’État illustrent autrement
cette urgence18. Cependant, un principe demeure à l’effet que la dissuasion
doit être un objectif à l’égard duquel une retenue doit être exercée lorsqu’il
s’agit d’imposer une peine d’incarcération19. En effet, il ne faut pas perdre
de vue que l’impact de la dissuasion sur la peine finale se traduira nécessairement par un alourdissement de la sanction pénale :
Contrairement à d’autres facteurs susceptibles d’être pris en compte dans la détermination de la peine, la dissuasion générale a un effet unilatéral sur la peine. En
effet, lorsqu’elle est appliquée dans ce contexte, la dissuasion générale entraîne
toujours l’augmentation de la peine ou de sa sévérité; elle n’a jamais pour effet
de les atténuer.20
D’autre part, l’objectif de dissuasion générale et même spécifique n’est
pas exclusivement en lien avec la sévérité d’une peine considérée de manière
abstraite21. La dissuasion peut agir par le biais de modalités adaptées au
contrevenant ou à sa situation, comme le note la Cour suprême dans l’arrêt
Proulx :
Un autre moyen de réaliser l’objectif de dissuasion générale est le recours à des
ordonnances de service communautaire, notamment des ordonnances dans le
cadre desquelles le délinquant serait tenu de parler à des membres du public des
________________
17.
18.
19.
20.
21.
R. c. Lafrance, [1993] J.Q. no 2065 (C.A. Qué.) (QL); R. c. Mantha, [2001] J.Q. n o 1712 (C.A.
Qué.) (QL). Voir aussi un raisonnement identique en matière d’ivresse au volant dans R. c. Gravelle,
[2000] J.Q. no 4040 au para. 74 (C.A. Qué.) (QL).
R. c. Coffin, [2006] J.Q. n o 3136 (C.A. Qué.) (QL) ; R. c. Brault, [2006] J.Q. n o 4180 (C.S. Qué.)
(QL).
L’arrêt Wismayer, R. v. Wismayer, R. v. J.W. (1997), 115 C.C.C. (3d) 18, [1997] O.J. No. 1380
(Ont. C.A.) (QL), indique à la page 36 que l’emprisonnement «should be used with greatrestraint
where the justification is general deterrence» [Nous soulignons.]. L’arrêt Coffin, R. c. Coffin, [2006]
J.Q. no 3136 (C.A. Qué.) (QL) au paragraphe 57, indique plutôt «[...] qu’une certaineretenue soit
nécessaire avant d’imposer une peine d’incarcération fondée sur le principe de la dissuasion
générale» [Nous soulignons.].
R. c. B.W.P., R. c. B.V.N., [2006] 1 R.C.S. 941 au para. 36, [2006] A.C.S. no 27 (QL).
Voir, à titre d’exemple, la dissuasion générale qu’implique le processus pénal dans sa globalité,
notamment par l’assujettissement de l’accusé sans antécédents judiciaires à l’enquête de police, au
bertillonnage et aux comparutions à la Cour, tel que le soulignait la Cour supérieure dans le cadre
d’un appel où l’absolution demandée n’avait pas été accordée en première instance dans une
affaire de violence conjugale : R. c. Sagesse, [2006] J.Q. no 2162 (C.S. Qué.) (QL).
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maux engendrés par son comportement criminel, dans la mesure où le délinquant
est ouvert à une telle condition.22
Il demeure que la dissuasion générale, malgré l’assentiment dont elle
jouit dans la jurisprudence, ne constitue qu’une réponse partielle et incomplète aux diverses fonctions de la peine. Il est même suggéré qu’elle ne
devrait pas en être un pilier :
Heavier sentences may, in relation to some crimes and some situations, help to
reduce the incidence of crime, but the main answers to the problem have to be
found elsewhere. Deterrence ought not to be seen as one of the pillars of a
rational sentencing policy. We must continue to question who is deterred by
sentencing and to what extent.23
Il est d’ailleurs intéressant de constater que les principes de la justice
pénale pour les adolescents ne tiennent pas compte de l’objectif de dissuasion
dans l’élaboration d’une peine applicable à ces derniers. Déjà, sous l’empire
de la Loi sur les jeunes contrevenants24, la Cour suprême affirmait dans
l’arrêt M.(J.J.) :
Dans R. c. O., précité, le juge Brooke, au nom de la Cour d’appel de l’Ontario, a
exprimé l’avis que, si le principe de l’effet dissuasif doit être considéré, il revêt
une moindre importance dans la détermination de la peine appropriée dans le cas
du jeune contrevenant. À mon avis, cela est exact. C’est ce qui ressort de l’examen
de certaines dispositions de la Loi sur les jeunes contrevenants [...]
Il est permis de croire que les décisions prises en vertu de la Loi sur les jeunes
contrevenants peuvent avoir un effet dissuasif efficace. Les adolescents tendent
à commettre des crimes en groupe. Le groupe apporte soutien et assistance aux
contrevenants principaux. [...] Si l’activité du groupe est criminelle, la peine
imposée à l’un de ses membres devrait arriver à dissuader le reste du groupe. Par
exemple, dans le cas d’une attaque en essaim (swarming), la peine imposée à un
membre de la bande devrait servir à dissuader les autres.
Cela étant, je souligne qu’il faut se garder d’attacher à la dissuasion, en insistant
indûment sur cet aspect, la même importance, dans l’élaboration d’une décision,
pour un contrevenant adolescent que pour un adulte. Un jeune contrevenant ne
devrait pas être tenu d’assumer la responsabilité pour tous les jeunes contrevenants de sa génération.25 [Nous soulignons.]
Qu’en est-il de la L.S.J.P.A.? La Cour suprême a statué que la dissuasion,
tant générale que spécifique, ne devait pas être considérée comme une fonction de la peine applicable à un adolescent du fait de la différence fondamentale
________________
22.
23.
24.
25.
R. c. Proulx, [2000] 1 R.C.S. 61 au para. 107, [2000] A.C.S. no 6 (QL).
Clayton C. Ruby, Sentencing, 6 e éd., Toronto, LexisNexis Butterworths, 2004 à la p. 11, au
para. 1.33.
Loi sur les jeunes contrevenants, L.R.C. 1985, c. Y-1 [L.J.C.]. Cette loi a été remplacée le 1er avril
2003 par la L.S.J.P.A.
R. c. M.(J.J.), [1993] 2 R.C.S. 421 aux para. 29 à 31, [1993] A.C.S. no 14 (QL).
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entre la L.S.J.P.A. et la L.J.C. Cette conclusion est fondée sur une analyse
tant littérale que téléologique de la loi26. La Cour note :
Le législateur a plutôt voulu favoriser la protection durable du public en
s’attaquant aux causes sous-jacentes de la criminalité chez les adolescents, en
mettant l’accent sur leur réadaptation et leur réinsertion sociale et en les faisant
répondre de leurs actes par l’infliction de sanctions assorties de perspectives
positives liées aux dommages causés. Il ne fait aucun doute que la sanction
imposée peut avoir pour effet de dissuader l’adolescent condamné ainsi que
d’autres personnes de commettre des crimes. Toutefois, je conclus que le législateur a choisi de ne pas inclure la dissuasion comme motif d’imposition d’une
sanction sous le régime de la LSJPA.27
La dissuasion spécifique pose les mêmes questions que la dénonciation
quant à son aspect normatif. Une peine plus sévère dissuadera-t-elle un
contrevenant pour qui la commission répétée de la même infraction relève
d’une pathologie n’affectant pourtant pas sa responsabilité criminelle, ainsi
que pourrait le fournir l’exemple d’une personne souffrant d’une forme de
kleptomanie ? A contrario, la dissuasion spécifique est-elle un paramètre
essentiel dans un contexte d’homicide conjugal ? Ces questions relancent
encore une fois le débat sur la pertinence de la dissuasion comme fonction de
la peine.
Finalement, les objectifs de dissuasion générale et spécifique peuvent entrer en conflit.
Il est possible d’envisager qu’une peine puisse être plus généralement que spécifiquement dissuasive. Bien que l’on ait tenté de hiérarchiser ces deux notions, il
demeure que seuls les faits particuliers à une affaire permettent d’établir une priorité
entre ces deux volets28.
c)
L’isolement du délinquant du reste de la société
Il tombe sous le sens commun que le législateur ait voulu que le prononcé
des peines tienne obligatoirement compte du retrait du contrevenant de sa
communauté. Ce retrait s’effectue par l’incarcération institutionnelle du
délinquant dans les cas qui rendent cette mesure inéluctable. Ce caractère
inéluctable est nécessaire puisque le recours à l’emprisonnement, déjà remis
en question dans une certaine mesure, fait l’objet d’une invitation législative
à la retenue. En effet, rappelons ici les alinéas c), d) et e) de l’article 718.2
du Code :
718.2 Principes de détermination de la peine— Le tribunal détermine la peine à
infliger compte tenu également des principes suivants :
________________
26.
27.
28.
R. c. B.W.P., R. c. B.V.N., [2006] 1 R.C.S. 941 au para. 21, [2006] A.C.S. no 27 (QL).
Ibid. au para. 4.
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[...]
c) l’obligation d’éviter l’excès de nature ou de durée dans l’infliction de peines consécutives ;
d) l’obligation, avant d’envisager la privation de liberté, d’examiner la possibilité de
sanctions moins contraignantes lorsque les circonstances le justifient ;
e) l’examen de toutes les sanctions substitutives applicables qui sont justifiées dans les
circonstances, plus particulièrement en ce qui concerne les délinquants autochtones.
Comme le rappelle la Cour suprême dans l’arrêt Proulx29 reprenant à
cet effet l’arrêt Gladue30, cette disposition est la réaction législative au
recours trop fréquent à la peine d’incarcération ainsi qu’en font foi certaines
statistiques mentionnées dans ces arrêts à ce sujet. De plus, le fait que le
législateur ait employé les mots « au besoin » à l’alinéa 718 c) est, pour le
juge Lamer, une invitation à la mesure et à la retenue :
La volonté du législateur de réduire le recours à l’emprisonnement ressort
d’autres dispositions du projet de loi C-41 : l’al. 718c) tempère l’application de
l’objectif d’isolement des délinquants du reste de la société en précisant qu’il faut
y recourir « au besoin », indiquant par là aux tribunaux de faire montre de
circonspection dans l’emprisonnement des délinquants[.]31
L’objectif pénologique de l’isolement du contrevenant trouve également
application dans la philosophie sous-jacente à la partie XXIV du Code visant
les délinquants dangereux. Ces dispositions, dont l’analyse sera reprise plus
loin, visent à protéger la société par le retrait des contrevenants pour une
durée indéterminée dans les cas prévus par la loi. Un lien peut être préliminairement établi ici entre l’objectif de dissuasion et celui d’isolement en ce
sens que le recours à l’incarcération pour une durée indéterminée suggère par
implication nécessaire la mise en échec de l’objectif de dissuasion, principalement celui de la dissuasion spécifique.
L’isolement du contrevenant, par contre, n’est pas un objectif poursuivi
par le législateur dans le cadre de la L.S.J.P.A. En effet, la priorité du système
de justice pénale pour les adolescents est la réhabilitation de ceux-ci par le
recours à d’autres mesures que l’incarcération qui prend alors le vocable de
« placement sous garde »32. Non seulement la privation de liberté est-elle
subordonnée à l’examen de toutes les autres sanctions applicables33, mais de
plus, une grille d’analyse séparée gouverne le recours au placement sous
garde entendu comme solution de dernier recours34.
________________
29.
30.
31.
32.
33.
34.
R. c. Proulx, [2000] 1 R.C.S. 61, [2000] A.C.S. no 6 (QL).
R. c. Gladue, [1999] 1 R.C.S. 688, [1999] A.C.S. no 19 (QL).
R. c. Proulx, [2000] 1 R.C.S. 61 au para. 17, [2000] A.C.S. no 6 (QL).
Art. 39 et 42 L.S.J.P.A.
Art. 38(2)d) L.S.J.P.A.
Art. 39 L.S.J.P.A. Voir plus particulièrement le paragraphe (2).
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La réinsertion sociale ou réhabilitation
Cet objectif pénologique dénote indubitablement une conception thérapeutique
de la lutte contre la criminalité. Ainsi que le souligne Ruby :
Rehabilitation as a goal of sentencing is premised on the medical model of
punishment. If retribution demands punishment to fit the offence, rehabilitation
mandates punishment to fit the offender.35
La fonction de réinsertion sociale explique donc la disparité des peines
relatives à une infraction donnée, puisque celles-ci varient selon la capacité
du contrevenant à recevoir l’aide requise à sa réinsertion sociale.
Bien que l’objectif pénologique de la réhabilitation soit applicable à
tout type de peine, il appert, dans la foulée de ce qui précède, qu’un certain
scepticisme soit de mise lorsque la réhabilitation prend le chemin de la prison.
En fait, c’est le résultat opposé à la réhabilitation qui serait obtenu par le
recours à l’emprisonnement :
Though the idea that imprisonment will rehabilitate is as old as Bentham, there
is no statistical evidence to support it. In short, there is no respectable support for
the view that imprisonment prevents crime. In fact, imprisonment, by separating
the offender from the community, seems to reduce the offender’s chance to
assume a normal role in society and may result in the creation of a « social
cripple ».36
La professeure Dumont fait le même constat :
En somme, on fait la promotion de l’objectif de réhabilitation d’une peine d’emprisonnement dans le seul cas où un prisonnier peut s’en tenir à ses ressources
humaines personnelles pour se réhabiliter. On cherche alors à démontrer le
risque d’anéantissement de ce potentiel par l’emprisonnement lui-même. On ne
le cache plus : l’emprisonnement nuit à la réhabilitation des criminels.37 [Nous
soulignons.]
On retrouve le même écho dans l’arrêt Proulx:
Le législateur a prescrit le recours accru aux principes de justice corrective en
matière de détermination de la peine en raison de l’incapacité générale de l’emprisonnement à assurer la réadaptation du délinquant et sa réinsertion sociale. En
insistant davantage que par le passé sur les principes de justice corrective, le
législateur compte réduire le taux d’incarcération et accroître l’efficacité du processus de détermination de la peine.38 [Nous soulignons.]
________________
35.
36.
37.
38.
Clayton C. Ruby, Sentencing, 6 e éd., Toronto, LexisNexis Butterworths, 2004 à la p. 14, au
para. 1.43.
Ibid. à la p. 15, au para. 1.48.
Hélène Dumont, Pénologie : le droit canadien relatif aux peines et aux sentences, Montréal,
Thémis, 1993 à la p. 118.
R. c. Proulx, [2000] 1 R.C.S. 61 au para. 20, [2000] A.C.S. no 6 (QL).
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Tel que mentionné précédemment, la réinsertion sociale fait partie des
objectifs primordiaux des principes de la justice pénale pour les adolescents.
L’article 38(1) de la L.S.J.P.A. prévoit d’ailleurs spécifiquement :
38(1) Objectif – L’assujettissement de l’adolescent aux peines visées à l’article
42 (peines spécifiques) a pour objectif de faire répondre celui-ci de l’infraction
qu’il a commise par l’imposition de sanctions justes assorties de perspectives
positives favorisant sa réadaptation et sa réinsertion sociale, en vue de favoriser
la protection durable du public.
Le législateur réitère d’ailleurs cet objectif à l’article 38(2) de la
L.S.J.P.A. sous la rubrique « principes de détermination de la peine »39.
La réinsertion sociale et la réhabilitation peuvent prendre la forme de
traitements ou de thérapies par le biais de conditions imposées dans le cadre
d’une ordonnance de probation ou encore d’une peine d’emprisonnement
avec sursis. Dans le premier cas, la participation active à un programme de
traitement est tributaire du consentement du contrevenant40. Dans le second,
ce programme peut lui être imposé41.
e)
La réparation des torts causés
La « remise en état » de la victime par le contrevenant, dans la mesure du
possible, est à la base de ce critère. Certaines dispositions du Code, sous la
rubrique « dédommagement », discutent des modalités de restitution pécuniaire consécutive à la commission d’une infraction42.
Cet objectif législatif fait indubitablement partie de la notion de « justice
corrective » mise de l’avant par le juge Lamer dans les arrêts Gladue et Proulx.
Citons plutôt un bref passage de ce dernier arrêt :
La justice corrective vise à la réparation des torts causés aux personnes touchées
par la perpétration d’une infraction. Généralement, un crime a des effets sur trois
catégories de personnes : la victime, la collectivité et le délinquant. La justice
corrective tend à remédier aux effets néfastes de la criminalité, et ce d’une
manière qui tienne compte des besoins de tous les intéressés. Cet objectif est
réalisé en partie par la réinsertion sociale du délinquant, la réparation des torts
causés aux victimes et à la collectivité et la prise de conscience par le délinquant
________________
39.
40.
41.
42.
L’alinéa e) du paragraphe (2) énonce: «sous réserve de l’alinéa c), la peine doit: [...] ii) lui offrir
les meilleures chances de réadaptation et de réinsertion sociale ».
Art. 732.1(3) g) et g.2) C.cr. Voir accessoirement R. c. Shoker, 2006 CSC 44, [2006] A.C.S. no 44
(QL).
Art. 742.3(2)(e) C.cr.
Art. 738 C.cr.
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de ses responsabilités, notamment par la reconnaissance du tort qu’il a causé aux
victimes et à la collectivité.43 [Nous soulignons.]
La justice corrective semble ainsi favoriser une approche fondamentalement humaniste et englobante, comme l’indique la Cour suprême qui
tente une définition dans l’arrêt Gladue:
En termes généraux, la justice corrective peut se définir comme une conception
de la réponse au crime selon laquelle, tout étant interrelié, le crime vient rompre
l’harmonie qui existait avant sa perpétration, ou du moins l’harmonie souhaitée.
L’adéquation d’une sanction donnée est alors largement déterminée par les
besoins des victimes et de la communauté, ainsi que par ceux du délinquant.
L’accent est mis sur les êtres humains touchés de près par le crime.44
f)
La rétribution
La rétribution consiste à punir une personne parce qu’elle a fait quelque
chose de mal. De ce point de vue, la rétribution est moins un objectif que l’on
cherche à promouvoir avec l’infliction d’une peine que la nécessité morale
d’en imposer une.45
Dans un premier temps, force est d’admettre que la rétribution ou
châtiment est un paramètre de détermination de la peine comme l’indique
d’ailleurs la Cour suprême dans l’arrêt Lyons:
Dans un système rationnel de détermination des peines, l’importance respective
de la prévention, de la dissuasion, du châtiment et de la réinsertion sociale
variera selon la nature du crime et la situation du délinquant. Personne n’a
prétendu que l’une quelconque de ces considérations pratiques ne devrait pas
entrer en ligne de compte dans les décisions législatives ou judiciaires concernant
les peines à imposer.46
L’approche globale et multifonctionnelle de la peine n’exclut donc pas
la notion de châtiment. La rétribution qui s’énonce depuis des temps immémoriaux par la loi du talion affirme plutôt, contrairement à l’idée répandue,
une norme de proportionnalité entre la gravité de l’infraction et la sévérité de
la punition. Le législateur exprime d’ailleurs cette proportionnalité, fondamentale à la rétribution, à l’article 718.1 du Code qui énonce :
________________
43.
44.
45.
46.
R. c. Proulx, [2000] 1 R.C.S. 61 au para. 18, [2000] A.C.S. n o 6 (QL) et R. c. Gladue, [1999]
1 R.C.S. 688, [1999] A.C.S. no 19 (QL). Voir aussi, antérieurement à l’arrêt Proulx: R. c. Juteau,
[1999] R.J.Q. 1669, [1999] J.Q. no 1862 (C.A. Qué.) (QL).
R. c. Gladue, [1999] 1 R.C.S. 688 au para. 71, [1999] A.C.S. no 19 (QL).
Hélène Dumont, Pénologie : le droit canadien relatif aux peines et aux sentences, Montréal,
Thémis, 1993 à la p. 120.
R. c. Lyons, [1987] 2 R.C.S. 309 au para. 26, [1987] A.C.S. no 62 (QL).
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718.1 Principe fondamental — La peine est proportionnelle à la gravité de
l’infraction et au degré de responsabilité du délinquant.47
Il est cependant essentiel de dissocier la rétribution ou le châtiment de
la vengeance, une notion empreinte de passion qui doit être écartée de tout
processus de détermination de la peine fondée sur des principes rationnels.
Citons à nouveau l’arrêt C.A.M. sur cette question :
Toutefois, quelques précisions s’imposent quant au sens du mot châtiment. La
légitimité du châtiment en tant que principe de détermination de la peine a
souvent été mise en doute en raison de l’assimilation malheureuse de ce mot au
mot « vengeance » dans le langage populaire. [...] Toutefois, il devrait ressortir
clairement de l’examen que je viens de faire que le châtiment a peu à voir avec
la vengeance, et j’attribue à cette confusion une large part des critiques formulées
contre le châtiment en tant que principe. Comme l’ont signalé des universitaires
et d’autres commentateurs judiciaires, la vengeance n’a aucun rôle à jouer dans
un système civilisé de détermination de la peine. [...] La vengeance, si je comprends bien, est un acte préjudiciable et non mesuré qu’un individu inflige à une
autre personne, fréquemment sous le coup de l’émotion et de la colère, à titre de
représailles pour un préjudice qu’il a lui-même subi aux mains de cette personne.
En contexte criminel, par contraste, le châtiment se traduit par la détermination
objective, raisonnée et mesurée d’une peine appropriée, reflétant adéquatement
la culpabilité morale du délinquant, compte tenu des risques pris intentionnellement par le contrevenant, du préjudice qu’il a causé en conséquence et du
caractère normatif de sa conduite. De plus, contrairement à la vengeance, le
châtiment intègre un principe de modération ; en effet, le châtiment exige l’application d’une peine juste et appropriée, rien de plus.48 [Nous soulignons.]
La rétribution doit donc se concevoir en lien étroit avec le principe
fondamental de proportionnalité dicté par l’article 718.1 du Code. Ce principe
est discuté dans l’arrêt Proulx :
Notre Cour a statué à maintes reprises que la détermination de la peine est un
processus individualisé, dans le cadre duquel le juge du procès dispose d’un
pouvoir discrétionnaire considérable pour déterminer la peine appropriée. La
justification de cette approche individualisée réside dans le principe de proportionnalité, principe fondamental de détermination de la peine suivant lequel la
peine doit être proportionnelle à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité du délinquant. Afin que « la peine corresponde au crime », le principe de
proportionnalité commande l’examen de la situation particulière du délinquant et
des circonstances particulières de l’infraction. La conséquence de l’application
d’une telle démarche individualisée est qu’il existera inévitablement des écarts
entre les peines prononcées pour des crimes donnés.49 [Nous soulignons.]
________________
47.
48.
49.
On retrouve également le même principe dans la L.S.J.P.A. à l’article 38(2)c).
R. c. C.A.M., [1996] 1 R.C.S. 500 au para. 80, [1996] A.C.S. no 28 (QL).
R. c. Proulx, [2000] 1 R.C.S. 61 au para. 82, [2000] A.C.S. no 6 (QL). Voir aussi R. c. Johnson,
[2003] 2 R.C.S. 357, [2003] A.C.S. no 45 (QL).
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Comme le note Ruby, l’importance du principe de proportionnalité se
démontre indirectement par la règle obligeant le ministère public à démontrer
tout facteur aggravant hors de tout doute raisonnable50. En effet, le principe
de proportionnalité est en lien immédiat avec la gravité de l’infraction. La
norme de preuve élevée qui doit s’appliquer, même au stade de la détermination de la peine, permet de déduire toute l’importance que la common law
et le législateur accordent ainsi au principe de proportionnalité51.
Le professeur Manson souligne d’ailleurs l’importance capitale, voire
constitutionnelle, du principe de proportionnalité qui constitue une mesure
normative de la peine. La gravité de l’infraction, à la base du principe de
proportionnalité, contient les notions de préjudice, de préjudice potentiel et
de culpabilité morale du contrevenant. Celle-ci s’exprime également par les
modalités de la participation du contrevenant au crime52.
On retrouve une autre application du principe de proportionnalité
lorsqu’il s’agit de l’infliction de peines maximales prévues par le législateur.
En effet, il est de jurisprudence constante que la peine maximale prévue par
la loi ne peut être imposée qu’en vertu de la règle dite du « pire crime commis
par le pire criminel». Ces cas sont rares. Ils permettent, à l’occasion, d’illustrer
le lien fondamental qui unit indissolublement la sévérité de la peine au sérieux
de l’infraction par le biais du principe de proportionnalité.
Au chapitre des divers objectifs que nous examinons, la rétribution, cet
objectif relié au principe de proportionnalité, sera donc un des facteurs qui
devra guider le juge d’instance dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire
au même titre que la dissuasion, la réhabilitation ainsi que les autres principes
qui seront discutés dans la prochaine partie.
________________
50.
51.
52.
R. c. Gardiner, [1982] 2 R.C.S. 368, [1982] A.C.S. no 71 (QL).
Clayton C. Ruby, Sentencing, 6 e éd., Toronto, LexisNexis Butterworths, 2004 à la p. 24 au
para. 2.10.
Allan Manson, The Law of Sentencing, Toronto, Irwin Law, 2001 aux pp. 85, 86 et 91. Clayton
C. Ruby, Sentencing, 6e éd., Toronto, LexisNexis Butterworths, 2004 à la p. 25, au para. 2.12,
illustre le principe de proportionnalité par l’exemple suivant :
Perhaps the most common misapplication of this principle is found in cases where the
offender has committed a relatively minor offence but has a lengthy criminal record. When
a man has committed serious offences in the past and has served long terms in prison for
them, he need not suffer further severe punishment for a later offence which does not
intrinsically call for it. Breaking and entering a town dump and stealing a small quantity of
scrap metal consisting of copper wire and a coil for a car heater, probably worth less than
$1.00, must be treated as minor crime, regardless of who commits it. One must “beware of
treating an offence as serious in itself because it has been committed by a man who
previously has committed a series of offences”. A comparatively trivial offence should not
produce a penitentiary sentence.
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2 – LES PRINCIPES D’APPLICATION
DES OBJECTIFS PÉNOLOGIQUES
Nous avons pu sommairement constater que le législateur avait regroupé et
codifié les objectifs qu’il entendait promouvoir et voir se refléter dans le
processus de détermination de la peine. Ces objectifs de dénonciation, de
dissuasion, d’isolement, de réinsertion, de réparation ou de rétribution sont
autant de paramètres généraux qui n’obéissent à aucune norme précise permettant de les hiérarchiser. Cela est de prime abord souhaitable, puisque
le processus de détermination de la peine est fondamentalement individualisé, en ce sens que toute peine variera nécessairement d’un contrevenant
à l’autre compte tenu de l’insistance particulière sur l’un ou l’autre des
objectifs afin de rencontrer la peine qui sera appropriée dans l’ensemble des
circonstances.
Dans un deuxième temps, le législateur a regroupé et codifié d’autres
principes existant en common law afin d’assurer la mise en œuvre des objectifs
énoncés à l’article 718 du Code. Ces principes normatifs se retrouvent aux
articles 718.1 et 718.2.
Si le principe de proportionnalité à l’article 718.1 évoque sans conteste
les notions centrales de culpabilité morale du contrevenant et de gravité du
délit, l’article 718.2 exigera d’adapter la peine au contrevenant par la prise en
considération des facteurs aggravants et atténuants. Un certain nombre de
facteurs dits aggravants ont été codifiés à l’article 718.2a) du Code. On
y retrouve le fait que l’infraction ait été le produit de préjugés ou de haine,
que les victimes aient été des membres de la famille du contrevenant, que
l’infraction commise ait constitué un abus de confiance ou d’autorité ou
encore qu’elle soit en lien avec une organisation criminelle ou terroriste. Sur
ce même modèle, divers autres facteurs ont été codifiés à l’article 718.21 du
Code en ce qui a trait aux peines à être infligées aux organisations. En
définitive, c’est cet équilibre entre les divers facteurs aggravants et atténuants
d’origine législative ou jurisprudentielle qui, à la lumière de la gravité de
l’infraction et du degré de responsabilité morale du contrevenant, va permettre
la mise en œuvre du principe de proportionnalité.
D’autres normes encadrent cependant l’exercice de la détermination de
la peine juste et appropriée :
– Le principe de l’harmonisation des peines (article 718.2b)) ;
– Le principe de totalité (article 718.2c)) ;
– Le principe de modération dans l’infliction de peines privatives de
liberté (article 718.2d) et e)).
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Le principe de l’harmonisation des peines
Le principe de l’harmonisation ou parité des peines vise une similarité quantitative et qualitative entre les peines infligées à des contrevenants comparables pour des infractions identiques. Ainsi que le souligne le juge Renaud,
le principe de l’harmonisation des peines n’est qu’un corollaire du principe
de proportionnalité53. Inversement, le principe de parité des peines invite à la
disparité si les circonstances le justifient54. Cela pourrait être le cas, à titre
d’exemple, dans le cas d’un accusé présentant un plus grand nombre de facteurs
aggravants bien qu’il se soit engagé dans une aventure commune avec son
co-accusé55. Un raisonnement similaire peut mettre en exergue l’existence
d’un plaidoyer de culpabilité épargnant ainsi à la société un long débat
judiciaire56. Un plaidoyer peut également exprimer, de la part du délinquant,
une amorce de réhabilitation qui justifiera en retour un accroc légitime au
principe de l’harmonisation des peines57.
De la même manière, le recours au principe de l’harmonisation des
peines peut être inapproprié lorsque les peines comparatives sont en lien avec
des condamnations pour des infractions de gravité objective distincte. En effet,
le principe de proportionnalité fait entrer en jeu les notions de gravité de
l’infraction et de culpabilité morale du contrevenant qui auront, en retour, un
effet sur le principe de l’harmonisation des peines. Ce raisonnement s’applique
par exemple à deux contrevenants ayant eu, pour la même infraction reprochée, des rôles différents dans la mise en œuvre du délit. Quoiqu’il en soit,
une certaine disparité est inévitable au sein d’un régime de détermination de
la peine qui prône l’individualisation de celle-ci au contrevenant58.
Les disparités potentielles entre les peines ne sont pas nécessairement le
fruit des variables reliées à la situation du délinquant lui-même. Des considérations plus générales, voire communautaires, peuvent entrer en jeu ainsi que
l’indique la Cour suprême dans l’affaire C.A.M.:
On a à maintes reprises souligné qu’il n’existe pas de peine uniforme pour un
crime donné. [...] La détermination de la peine est un processus intrinsèquement
________________
53.
54.
55.
56.
57.
58.
Gilles Renaud, Principes de détermination de la peine, Cowansville (Qc), Yvon Blais, 2004 à la
p. 37.
Voir un exemple d’application de l’un et de l’autre dans R. c. Nicolucci, [2002] J.Q. no 5034 (C.A.
Qué.) (QL). Nous référons également le lecteur à R. c. Richard, [2003] J.Q. no 3583 (C.A. Qué.)
(QL).
Voir a contrario R. c. M.H., [2003] J.Q. no 13921 (C.A. Qué.) (QL).
R. c. Nicolucci, [2002] J.Q. n o 5034 (C.A. Qué.) (QL).
Voir à titre d’exemple R. c. Olivier, [2002] J.Q. no 1019 (C.A. Qué.) (QL).
Voir le commentaire du juge Lamer dans l’arrêt Proulx, R. c. Proulx, [2000] 1 R.C.S. 61 au
para. 86, in limine, [2000] A.C.S. no 6 (QL).
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individualisé, et la recherche d’une peine appropriée applicable à tous les délinquants similaires, pour des crimes similaires, sera souvent un exercice stérile et
théorique. De même, il faut s’attendre que les peines infligées pour une infraction
donnée varient jusqu’à un certain point dans les différentes communautés et
régions du pays, car la combinaison « juste et appropriée » des divers objectifs
reconnus de la détermination de la peine dépendra des besoins de la communauté
où le crime est survenu et des conditions qui y règnent.59
Il est également d’intérêt de mentionner que le principe de l’harmonisation des peines ne semble s’appliquer que lorsque tous les autres principes
ont été judiciairement examinés :
The principle of avoidance of disparity is only applied after all the ordinary
principles of sentencing have been applied and exhausted, and all the factors,
whether in mitigation or in aggravation, weighed and assessed.60
b)
Le principe de totalité
Le législateur a prévu que des peines d’emprisonnement consécutives pouvaient
être imposées dans certains cas. Nous renvoyons le lecteur à ces modalités
énoncées à l’article 718.3(4) du Code, certaines d’entre elles étant en lien
avec des peines d’emprisonnement pour défaut de paiement d’une amende ou
avec des peines imposées en vertu de la L.J.C. ou de la L.S.J.P.A. pour certaines
infractions. Une application « classique » de peines d’emprisonnement consécutives se retrouve en effet à l’article 718.3(4)c)ii) du Code :
(4) Peines cumulatives – Le tribunal ou le tribunal pour adolescents peut
ordonner que soient purgées consécutivement les périodes d’emprisonnement
qu’il inflige à l’accusé [...] lorsque, selon le cas :
[…]
c) l’accusé est déclaré coupable de plus d’une infraction et, selon le cas :
[…]
ii) des périodes d’emprisonnement sont infligées pour chacune[.]
Il est important de noter que le législateur a prévu, ailleurs dans le
Code, des peines d’emprisonnement consécutives pour certaines infractions
particulières, notamment en ce qui a trait aux infractions reliées aux armes
à feu.
C’est dans ce contexte qu’intervient le principe de totalité qui est lui
aussi une conséquence logique du principe de proportionnalité. Le juge
________________
59.
60.
R. c. C.A.M., [1996] 1 R.C.S. 500 au para. 92 [1996] A.C.S. no 28 (QL).
Clayton C. Ruby, Sentencing, 6e éd., Toronto, LexisNexis Butterworths, 2004 aux pp. 30 et 31, au
para. 2.31.
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chargé de la détermination de la peine ne doit donc pas perdre de vue la
justesse globale de la peine qu’il impose même lorsque celui-ci a recours aux
peines consécutives. Il est utile de référer à l’arrêt C.A.M. à ce sujet :
Dans le contexte de peines consécutives, ce principe général de proportionnalité
se présente sous la forme plus particulière du «principe de totalité». En bref, en
vertu de ce principe, le juge qui impose la peine et ordonne au contrevenant de
purger des peines consécutives pour des infractions multiples doit s’assurer que
la peine cumulative prononcée ne dépasse pas la culpabilité globale du délinquant. D. A. Thomas a décrit ce principe dans son ouvrage Principles of Sentencing
(2e éd. 1979), à la p. 56 :
[Traduction.] En vertu du principe de totalité le juge qui a prononcé une
série de peines, dont chacune a été établie correctement en fonction de
l’infraction à l’égard de laquelle elle est imposée et dont chacune est
devenue correctement consécutive conformément aux principes
applicables à cet égard, doit examiner la peine totale et se demander si elle
est « juste et appropriée ».
Clayton Ruby a formulé de la façon suivante ce principe dans son traité intitulé
Sentencing, op. cit., aux pp. 44 et 45 :
[Traduction.] L’objet est de garantir qu’une série de peines, dont chacune
est imposée correctement eu égard à l’infraction à laquelle elle se rapporte,
est dans l’ensemble « juste et appropriée ». Une peine cumulative peut
violer le principe de totalité si la peine totale dépasse de beaucoup la durée
normale de la peine généralement appliquée à l’égard des infractions
concernées les plus graves ou si elle a pour effet d’imposer au contrevenant
« une peine écrasante », incompatible avec ses antécédents et ses perspectives
de réadaptation.61
Ainsi, la discussion du principe de totalité est souvent précédée de la
question de savoir si les peines d’emprisonnement à être imposées doivent
l’être de manière concurrente ou consécutive. Le juge Lamer traite de cette
question dans l’arrêt Paul:
En effet, si le juge qui impose des peines d’emprisonnement pour plusieurs
infractions est d’avis que la personne doit, dans l’intérêt de la société, être
incarcérée pour une période donnée, il verra, à l’intérieur des limites permises
par la loi, à aménager les sentences de façon à atteindre ce qu’il considère
comme un résultat juste et équitable. Il le fera par le biais du cumul des sentences
si la loi le lui permet. [...] Si chaque infraction commande sa propre période
d’incarcération, la méthode appropriée pour atteindre ce résultat lorsqu’on
impose en même temps les peines à un accusé n’est pas de sanctionner une des
infractions d’une manière disproportionnée à sa gravité, mais plutôt d’imposer
des sentences consécutives.62
________________
61.
62.
R. c. C.A.M., [1996] 1 R.C.S. 500 au para. 42, [1996] A.C.S. n o 28 (QL), citant Clayton C. Ruby,
Sentencing, 6e éd., Toronto, LexisNexis Butterworths, 2004 aux pp. 44 et 45.
R. c. Paul, R. c. Polchies, [1982] 1 R.C.S. 621 au para. 27, [1982] A.C.S. no 32 (QL).
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21
Afin de respecter le principe de totalité dans un cas où les peines cumulatives peuvent être disproportionnées, Ruby suggère deux méthodes :
If, upon reflection, a court finds the totality of sentences that would have been
otherwise imposed is too great, it must somehow lower the overall sentence. This
can generally be done by making some sentences concurrent – where they are
sentences of imprisonment – or by lowering the individual sentences below what
would otherwise be appropriate to reflect the fact that there are a number of
such sentences being imposed. No principle would seem to dictate the choice of
one method over the other, and courts have in effect adopted both.63 [Nous
soulignons.]
Inversement, des peines d’emprisonnement concurrentes constituent la
norme lorsqu’un lien étroit unit les infractions distinctes ou encore lorsque
celles-ci font partie d’une même opération64. Un exemple intéressant de
l’application de cette règle est fourni par l’arrêt Cazzetta où des condamnations
pour diverses affaires connexes, mais ne relevant pas de la règle prohibant les
condamnations multiples, ont été sanctionnées par des peines consécutives
importantes, confirmées ultérieurement par la Cour d’appel du Québec sans
qu’il n’y ait entorse au principe de totalité et en référence directe à la
dissuasion65.
Sous réserve de dispositions particulières et impératives, il vaut de
mentionner que le pouvoir dont dispose le juge d’instance quant au caractère
consécutif ou non des peines est entièrement discrétionnaire, comme le rappelait
la Cour d’appel dans une affaire de délit de fuite pour lequel l’appelant était
condamné à une peine d’une année d’incarcération consécutive à une peine
de deux ans pour négligence criminelle ayant causé la mort66. En ce sens, le
principe de totalité permet de tempérer cette vaste latitude confiée au juge
chargé de l’infliction de la peine67.
Le principe de totalité peut trouver application dans le cas de l’infliction
d’une peine consécutive à une autre plus ancienne. Dans l’affaire Mantha68,
le premier juge avait imposé une peine de sept ans pour trafic de stupéfiants
et une autre de deux ans pour possession de produits de la criminalité. Ces
________________
63.
64.
65.
66.
67.
68.
Clayton C. Ruby, Sentencing, 6 e éd., Toronto, LexisNexis Butterworths, 2004 à la p. 44, au
para. 2.72.
R. c. Gravelle, [2000] J.Q. no 4040 au para. 18 (C.A. Qué.) (QL).
R. c. Cazzetta (2003), 173 C.C.C. (3d) 144, [2003] J.Q. no 43 (C.A. Qué.) (QL).
R. c. Pichette, [2003] J.Q. no 19 (C.A. Qué.) (QL), plus particulièrement au paragraphe 21.
Voir un exemple particulier d’application du principe de totalité à des peines élevées mais
concurrentes qui n’auraient pas été déraisonnables si elles avaient été imposées de manière
consécutives, entraînant de ce fait le rejet de l’appel du contrevenant quant à sa peine : R. c. S.D.,
[2003] J.Q. no 8532 (C.A. Qué.) (QL).
R. c. Mantha, [2001] J.Q. no 1712 (C.A. Qué.) (QL).
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deux peines étaient consécutives entre elles. Le contrevenant, des suites de sa
condamnation, avait cependant vu sa libération conditionnelle révoquée dans
une autre affaire similaire pour laquelle il avait été condamné antérieurement
à une peine de dix ans comportant alors un reliquat de quatre ans. Le juge
d’instance a rendu les deux peines consécutives entre elles, elles-mêmes
consécutives à la peine antérieure (dont la libération conditionnelle avait été
révoquée). Le principe de totalité devait ici trouver application de manière à
rendre la peine convenable dans sa globalité :
Le juge qui impose une peine d’emprisonnement peut ordonner qu’elle soit
purgée consécutivement à une autre (article 718.3(4) C.cr.) ; il doit cependant
regarder l’impact total des peines que le contrevenant sera appelé à purger
consécutivement et s’assurer que la période d’emprisonnement totale est juste et
appropriée. Ici, les crimes commis par l’appelant ont entraîné la révocation de la
libération conditionnelle dont il jouissait en regard de la sentence prononcée en
1992 ; au moment de sa réincarcération, il restait quatre ans à purger en regard de
la peine de 10 ans qui lui avait été infligée. Il restait un peu plus de trois ans au
moment où la sentence dont appel fut prononcée. L’effet global des peines dont
appel est donc d’un peu plus de 13 ans si on calcule à compter de sa réincarcération, ou d’un peu plus de 12 ans si on calcule à compter de la sentence.69
Finalement, bien que le principe de totalité dont nous avons discuté plus
haut s’applique souvent aux peines d’emprisonnement consécutives, sa portée
demeure générale et il est susceptible de s’appliquer à tout autre peine.
D’ailleurs, l’article 718.2c) du Code codifie le principe de totalité de manière
englobante précisant que celui-ci s’applique tant à la nature de la peine qu’à
sa durée70.
c)
Le principe de modération dans l’infliction
de peines privatives de liberté
La Cour suprême du Canada a pris le législateur au mot dans son
analyse des alinéas d) et e) de l’article 718.2 du Code. Rappelons que ceux-ci
prévoient l’examen de sanctions substitutives ou moins contraignantes que la
privation de liberté. Déjà, dans l’arrêt Gladue, la Cour affirmait :
On voit donc qu’à l’époque de l’étude du projet de loi C-41, le gouvernement estimait que la nouvelle partie XXIII avait un caractère essentiellement réparateur.
Les modifications proposées visaient tout particulièrement à réduire le recours à
l’emprisonnement comme sanction, à élargir l’application des principes de justice
corrective au moment du prononcé de la peine, et à poursuivre ces deux objectifs
________________
69.
70.
Ibid. au para. 151.
Art. 718.2c) : « l’obligation d’éviter l’excès de nature ou de durée dans l’infliction de peines
consécutives » [Nous soulignons.]
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en étant sensibles, dans le cas des délinquants autochtones, aux initiatives
autochtones en matière de justice communautaire.71 [Nous soulignons.]
C’est cette notion de justice corrective ou de sanction réparatrice qui
doit inciter les juges d’instance à envisager des peines de substitution. La
Cour insiste à nouveau sur cet aspect dans le même arrêt :
Le recours excessif à l’incarcération est un problème de longue date dont
l’existence a été maintes fois reconnue sur la place publique mais que le
Parlement n’a jamais abordé de façon systématique. Au cours des dernières
années, le Canada, comparativement à d’autres pays, a enregistré une augmentation alarmante des peines d’emprisonnement. Les réformes introduites en 1996
dans la partie XXIII, et l’al. 718.2e) en particulier, doivent être comprises
comme une réaction au recours trop fréquent à l’incarcération comme sanction,
et il faut par conséquent en reconnaître pleinement le caractère réparateur.72
[Nous soulignons.]
Ailleurs, la Cour se montre encore plus explicite :
L’alinéa 718.2e) oblige un tribunal qui inflige une peine à examiner toutes les
sanctions substitutives applicables qui sont justifiées dans les circonstances,
« plus particulièrement en ce qui concerne les délinquants autochtones ». Il
est clair que la disposition a une large portée. À titre de principe général,
l’al. 718.2e) s’applique à tous les délinquants, et il porte que l’emprisonnement
devrait être la sanction pénale de dernier recours. On ne devrait imposer l’emprisonnement que lorsque aucune autre sanction ou combinaison de sanctions n’est
appropriée pour l’infraction et le délinquant.73 [Nous soulignons.]
Évidemment, cette position a été maintenue et renforcée subséquemment
dans l’arrêt Proulx74. À cet égard, le juge Lamer note :
En adoptant les al. 718.2d) et e), le législateur a voulu accorder une plus grande
importance au principe de la modération dans le recours à l’emprisonnement
comme sanction.
[...]
Cette interprétation semble aller à l’encontre de l’intention qu’avait le législateur
en édictant l’al. 718.2e) — savoir réduire le taux d’incarcération.75
L’importance de ces dispositions ainsi que la nécessité de leur pleine
application sont illustrées par l’arrêt Bunn76. Dans cette affaire, l’accusé, un
ancien avocat trouvé coupable d’abus de confiance, s’était vu imposer une
peine d’incarcération pénitentiaire de deux ans. Subséquemment à l’infliction
________________
71.
72.
73.
74.
75.
76.
R. c. Gladue, [1999] 1 R.C.S. 688 au para. 48, [1999] A.C.S. no 19 (QL).
Ibid. au para. 57.
Ibid. au para. 36.
R. c. Proulx, [2000] 1 R.C.S. 61, [2000] A.C.S. no 6 (QL).
Ibid. aux para. 17 et 92.
R. c. Bunn, [2000] 1 R.C.S. 183, [2000] A.C.S. n o 10 (QL).
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de cette peine, la partie XXIII du Code instituant l’emprisonnement avec
sursis est entrée en vigueur. Maintenant l’appel accueilli par la Cour d’appel
du Manitoba, le juge Lamer a souligné que l’appelant devait bénéficier du
nouveau régime de détermination de la peine et qu’il était un candidat à
l’emprisonnement avec sursis :
Ces modifications apportées au droit soulèvent concrètement la possibilité que le
juge qui a condamné un délinquant à une courte peine d’incarcération dans un
pénitencier avant l’adoption du projet de loi C-41, en particulier à une peine de
deux ans exactement, aurait plutôt estimé, si les nouvelles dispositions avaient
été en vigueur au moment du prononcé de la peine, qu’il était approprié de lui
infliger une peine de moins de deux ans. Ce délinquant aurait de ce fait été
admissible à l’octroi du sursis à l’emprisonnement. En conséquence, les modifications pourraient entraîner un allégement de la sanction imposée à un tel délinquant et devraient s’appliquer en appel.77
Le principe de la modération dans le recours aux sanctions privatives de
liberté est essentiel aux fins de la détermination de la peine à infliger à un
contrevenant autochtone78 ou encore en matière de délinquants dangereux ou
à contrôler79. Les cours d’appel ont repris dans divers arrêts ce principe
particulier et ont souligné l’importance qui doit généralement être accordée à
la notion de justice corrective80.
Tel que mentionné précédemment, l’article 718.2e) du Code vise
spécifiquement des solutions de substitution lorsqu’il s’agit de déterminer la
peine à infliger à un contrevenant autochtone. Les raisons de cette politique
législative sont urgentes et éloquentes, ainsi que le souligne avec vigueur le
juge Renaud :
Le législateur en vertu de l’article 718(2)e) du Code et les tribunaux sont
unanimes à accorder des peines clémentes et de la mansuétude aux délinquants
autochtones en raison des situations difficiles auxquelles font face ces derniers,
notamment en raison des problèmes d’alcool, de pauvreté, et de sur-représentation
au sein des prisons, et du racisme qui nuisent à leurs efforts d’améliorer leur
situation.81
________________
77.
78.
79.
80.
81.
Ibid. au para. 19.
R. c. Wells, [2000] 1 R.C.S. 207, [2000] A.C.S. n o 11 (QL), plus particulièrement au paragraphe 31.
R. c. Johnson, [2003] 2 R.C.S. 357, [2003] A.C.S. no 45 (QL), en particulier aux paragraphes 22
et 23.
À titre d’exemple et indépendamment du résultat, nous référons le lecteur aux arrêts suivants :
R.c.L.L., [2001] J.Q. no 6063 (C.A. Qué.) (QL); Deragon c. R., [2003] J.Q. no 13442 (C.A. Qué.)
(QL) et R. c. Locke, [2002] J.Q. n o 5085 (C.S. Qué.) (QL), autorisation de pourvoi à la C.A.
refusée.
Gilles Renaud, Principes de détermination de la peine, Cowansville (Qc), Yvon Blais, 2004 à la
p. 68.
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Comment cette disposition doit-elle être interprétée et mise en œuvre ?
Les arrêts Gladue82 et Wells83 en fournissent les balises. Dans le premier
arrêt, la Cour suprême souligne le fait que l’article 718.2e) est plus que la
simple affirmation législative d’un principe pré-existant. Il s’agit véritablement d’une nouvelle méthode d’analyse qui doit guider le juge d’instance
dans l’application de cette disposition à caractère fortement réparateur84. Son
fondement est ainsi décrit :
Logiquement, la mention spéciale de la situation des délinquants autochtones,
juxtaposée à la directive générale de tenir compte des « circonstances » dans le
cas de tous les délinquants, signifie que les juges devraient porter une attention
particulière aux circonstances dans lesquelles se trouvent les délinquants
autochtones parce que ces circonstances sont particulières, et différentes de
celles dans lesquelles se trouvent les non-autochtones. Le fait notamment que la
mention des délinquants autochtones soit contenue à l’al. 718.2e), disposition
incitant à la retenue dans le recours à l’emprisonnement, donne à penser qu’il y
a, dans le cas des autochtones, quelque chose de différent qui pourrait précisément faire de l’emprisonnement une sanction moins appropriée ou moins
utile.85 [Nous soulignons.]
Afin de déterminer les circonstances propres à un contrevenant autochtone, la Cour indique qu’un nombre élargi de paramètres doit être considéré,
paramètres qui comportent notamment deux types de facteurs. Les premiers
sont ceux dits « systémiques ou historiques ». Ils peuvent fournir au juge
chargé de l’infliction de la peine une explication quant à la présence du contrevenant autochtone devant lui. Les seconds sont fonction de peines ou de
sanctions propres à « l’héritage ou attaches autochtones »86.
Les facteurs systémiques ou historiques ne sont pas qu’une considération académique. Ils doivent guider le juge d’instance :
Dans les cas où de tels facteurs ont joué un rôle important, il incombe au juge de
la peine d’en tenir compte pour déterminer si l’incarcération aurait réellement un
effet de dissuasion et de dénonciation du crime qui aurait un sens dans la
communauté à laquelle le délinquant appartient. Dans bien des cas, les principes
correctifs de détermination de la peine deviendront les plus pertinents pour la
raison précise qu’il n’y a aucun autre moyen d’assurer la prévention du crime et
la guérison individuelle et sociale.87 [Nous soulignons.]
________________
82.
83.
84.
85.
86.
87.
R. c. Gladue, [1999] 1 R.C.S. 688 au para. 39, [1999] A.C.S. no 19 (QL).
R. c. Wells, [2000] 1 R.C.S. 207, [2000] A.C.S. no 11 (QL).
R. c. Gladue, [1999] 1 R.C.S. 688 au para. 33, [1999] A.C.S. no 19 (QL). Cette disposition est ainsi
une application particulière du principe de modération à l’égard du contrevenant autochtone :
Allan Manson, The Law of Sentencing, Toronto, Irwin Law, 2001 à la p. 80.
R. c. Gladue, [1999] 1 R.C.S. 688 au para. 37, [1999] A.C.S. no 19 (QL).
Il est utile de rappeler que l’art. 718.2e) du Code s’applique à tous les contrevenants autochtones,
indépendamment de leur lieu de résidence : Ibid. au para. 91.
Ibid. au para. 69.
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Un lien est ici manifeste entre ces facteurs d’ordre systémique et l’opinion
du juge Renaud quant aux conditions difficiles que connaissent les contrevenants autochtones.
Les seconds facteurs, soit les sanctions appropriées aux attaches et
à l’héritage autochtone, visent à rappeler au juge d’instance que les traditions autochtones misent sur des sanctions de nature corrective plutôt que
punitive :
Un problème important pour les autochtones qui font face au système de justice
pénale tient à ce que les idéaux traditionnels de dissuasion, d’isolement et de
dénonciation sont souvent très éloignés de la vision qu’ont ces délinquants et leur
communauté de la détermination de la peine. Les valeurs de justice corrective,
exprimées aujourd’hui aux al. d), e) et f) de l’art. 718 du Code criminel, s’appliquent
à tous les délinquants, et non seulement aux délinquants autochtones. Cependant
les notions traditionnelles de sanction chez les autochtones accordent pour
la plupart une importance primordiale aux idéaux de justice corrective. Cette
tradition est extrêmement importante pour l’analyse de l’al. 718.2e).88 [Nous
soulignons.]
Ainsi, si les sanctions traditionnelles sont rattachées à la communauté89
et que celle-ci promeut historiquement une justice corrective, alors le juge
chargé de la détermination de la peine devra leur donner priorité dans les cas
qui s’y prêtent et à l’égard de sanctions substitutives raisonnables. Cet effort
doit impérativement faire partie de l’examen d’instance90. Un certain nombre
de questions pertinentes à un tel examen sont d’ailleurs expressément
suggérées par la Cour :
Pour cette infraction, commise par ce délinquant, ayant causé du tort à cette
victime, dans cette communauté, quelle est la sanction appropriée au regard du
Code criminel? Quelle perception la communauté a-t-elle des sanctions pénales ?
Quelle est la nature des rapports entre le délinquant et sa communauté ? Quelle
combinaison de facteurs systémiques ou historiques a fait en sorte que ce délinquant particulier est traduit devant les tribunaux pour cette infraction particulière ? Quelle incidence l’abus de drogue ou d’alcool dans la communauté, la
pauvreté, le racisme manifeste, l’éclatement de la famille ou de la communauté,
par exemple, ont-ils eu sur le délinquant dont il faut déterminer la peine ?
L’emprisonnement serait-il effectivement un moyen de dissuasion ou de dénonciation significatif pour le délinquant et la communauté, ou pourrait-on mieux
parvenir à prévenir la criminalité et à atteindre les autres buts par les cercles de
guérison ? Y a-t-il d’autres options dans les circonstances ?
________________
88.
89.
90.
Ibid. au para. 70.
La notion de «communauté» est conçue de manière large et libérale. Ibid. au para. 92: «À toutes
fins pratiques, le terme “collectivité” devrait recevoir une définition assez large pour inclure tout
réseau de soutien et d’interaction qui pourrait exister en milieu urbain».
Ibid. au para. 74, in fine: « Dans tous les cas, il convient de s’efforcer d’adapter le processus de
détermination de la peine et les sanctions infligées à la façon de voir autochtone ».
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Dans la détermination de la peine à infliger à un délinquant autochtone, comme
pour tout autre délinquant, l’analyse doit être holistique et viser à déterminer la
peine indiquée dans les circonstances.91
La limite inférieure de ce raisonnement ne doit cependant pas être
perdue de vue. En effet, rappelle la Cour, plus l’infraction sera sérieuse, plus
la distance entre cette approche holistique et l’approche générale mettant en
relief les objectifs généraux de la peine (incluant ceux de dissuasion, dénonciation et d’isolement) s’amenuisera. Il en découlera, en toute probabilité,
que la nature ou la durée de la peine sera alors identique ou proche pour le
délinquant autochtone comme pour le délinquant non-autochtone.
La Cour suprême du Canada a été appelée, postérieurement à l’arrêt
Gladue, à examiner l’impact de l’art. 718.2e) du Code dans le contexte de la
peine d’emprisonnement avec sursis92. Dans cette affaire, l’accusé, un
autochtone, a été déclaré coupable d’agression sexuelle sur une jeune femme
autochtone de dix-huit ans. Les événements se sont déroulés à l’occasion
d’une fête alors que la victime, sous l’effet de l’alcool, était inconsciente ou
endormie. Le juge d’instance avait refusé une peine d’emprisonnement avec
sursis et plutôt condamné l’appelant à une peine de vingt mois d’incarcération. L’existence de l’article 718.2e) du Code pouvait-elle, dans ce
contexte, faire pencher le fléau de la balance en faveur de l’emprisonnement
avec sursis93?
Bien que les questions relatives à l’emprisonnement avec sursis soient
discutées plus loin, notons immédiatement que la méthode d’analyse préconisée dans l’arrêt Proulx94 requiert une démarche en deux temps. Tout
d’abord, le juge d’instance doit déterminer la fourchette des peines applicables au contrevenant de manière à décider si l’ensemble des circonstances
milite en faveur de simples mesures probatoires ou, au contraire, d’une peine
de pénitencier. Dans ces deux cas, la discussion relativement à l’emprisonnement avec sursis devient tout simplement caduque. Dans le cas contraire,
le juge d’instance doit déterminer si les conditions prévues par le législateur
pour l’imposition d’une peine d’emprisonnement avec sursis sont
rencontrées, notamment quant au fait que la communauté ne serait pas mise
en danger par le choix de cette peine. Ensuite, le juge d’instance doit – et
cette seconde étape est la plus importante – trancher la question de savoir si
l’imposition d’un emprisonnement avec sursis est, dans le cas individuel qui
________________
91.
92.
93.
94.
Ibid. aux para. 80 et 81.
R. c. Wells, [2000] 1 R.C.S. 207, [2000] A.C.S. no 11 (QL).
Voir d’ailleurs, antérieurement à l’arrêt Wells, l’arrêt R. c. G.I., [1999] J.Q. no 2792 (C.A. Qué.)
(QL).
R. c. Proulx, [2000] 1 R.C.S. 61, [2000] A.C.S. n° 6 (QL).
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lui est soumis et compte tenu de l’ensemble des circonstances pertinentes,
conforme aux objectifs et principes des articles 718 à 718.2 du Code.
Dans le contexte de l’emprisonnement avec sursis, c’est dans cette
seconde partie de l’analyse qu’interviendra alors tangiblement l’article
718.2e) du Code. Bien que cet alinéa soit l’un des facteurs à examiner parmi
d’autres, il demeure que sa spécificité peut trouver une application particulière dans un cas problématique. Dans le cadre de cette partie de l’analyse,
la méthode dégagée par l’arrêt Gladue demeure valide : le juge d’instance,
lorsqu’il jaugera l’importance à accorder à l’article 718.2e) aux fins de
l’imposition d’une peine d’emprisonnement avec sursis, devra alors prendre
en considération les facteurs systémiques et historiques de même que les
diverses alternatives concrètes et possibles propres à la qualité d’autochtone
du contrevenant ainsi qu’à sa communauté.
La Cour n’a pas manqué de rappeler que, dans les cas graves, les différences entre les considérations pénales relatives à un autochtone s’amenuisaient
par rapport à un non-autochtone. Il y a alors résurgence des objectifs traditionnels de dissuasion et de dénonciation lorsque ceux-ci sont particulièrement pertinents, et cela au point d’avoir préséance sur les objectifs qui
relèvent de la justice corrective. Cette nuance, dans l’arrêt Wells, a amené la
Cour à valider l’analyse du premier juge et à maintenir la peine d’incarcération ferme en lieu et place d’un sursis d’emprisonnement bien que le
contrevenant ait été un autochtone.
Cela ne signifie cependant pas que cette nuance vide l’article 718.2e) du
Code de sa substance dès qu’il s’agit d’une infraction grave :
La généralisation faite dans Gladue, selon laquelle plus grave et violente sera
l’infraction, plus grande sera la probabilité, d’un point de vue pratique, que des
peines d’emprisonnement semblables soient infligées aux délinquants autochtones et non-autochtones, ne se voulait pas un principe d’application universelle.
Dans chaque affaire, le juge qui détermine la peine doit examiner les circonstances dans lesquelles se trouve le délinquant autochtone. Dans certains cas, il est
possible que, parmi ces circonstances, figure la preuve de la décision de la
collectivité de s’attaquer aux activités criminelles liées à des problèmes sociaux,
l’agression sexuelle par exemple, en insistant sur les objectifs de justice corrective, malgré la gravité des infractions en cause.95 [Nous soulignons.]
Encore une fois et au risque d’une répétition indue, le processus de
détermination de la peine en est un d’individualisation. Cette analyse englobante qui relève du pouvoir discrétionnaire du juge chargé de l’infliction de
la peine est donc largement balisée par les objectifs pénologiques maintenant
________________
95.
R. c. Wells, [2000] 1 R.C.S. 207 au para. 50, [2000] A.C.S. no 11 (QL).
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codifiés de même que par les principes directeurs que nous avons examinés
précédemment. De cette manière, le jeu des principes de proportionnalité, de
parité, de totalité et de modération permettront de pondérer à leur tour la
nécessité particulière de promouvoir la dissuasion ou encore la réhabilitation
et de favoriser, au cas par cas, une justice punitive ou corrective. La résultante nette de cette approche multifonctionnelle et de ce savant dosage de la
peine sera la détermination de celle qui sera la plus appropriée, l’espère-t-on,
pour le contrevenant et la société.
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