ALGERIE LITTERATURE / ACTION
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Le roi avait chargé une esclave, ramenée du Niger ou du Mali, des soins de
son fils. Une personne que personne ne regardait. Pied-de-Bouc était
malheureux et croyait que son malheur lui venait des sujets de son père. Les
sujets, qui voyaient le roi et qui ne se voyaient pas, étaient persuadés que
leur sire était fourbe, malsain, dégénéré, et qu’il était à l’origine de la
faillite du royaume. L’esclave que personne ne regardait, touchée par le
malheur du jeune garçon, lui glissa un jour dans la main un couteau de
marchand d’esclaves et lui conseilla de faire semblant de se suicider s’il
voulait sortir de sa prison. Pied-de-Bouc porta le couteau à son cou,
l’esclave hurla, le roi trembla, il libéra son fils. `
Ce fut ainsi que Pied-de-Bouc devint un poison pour les enfants du pays.
Il les frappait, il entravait leurs jeux sans raison. Une autre vieille, qui avait
commencé à aimer son mari après sa mort, une vieille qui avait compris que
son mari n’avait pas été la cause de son malheur, une autre personne qui
n’intéressait personne, remarqua la cruauté du jeune prince. Elle lui dit un
jour, après avoir vu pleurer Pied-de-Chèvre qu’il venait de rosser : “Ton
coeur est plein de la haine de l’autre, tu devrais te miroiter un peu!” Pied-
de-Bouc était fâché. Il soupçonnait la vieille d’avoir utilisé des paroles
blessantes à son égard. Il alla voir le roi et lui demanda :
“C’est quoi la haine de l’autre, père?
— La haine de l’autre, mon fils, c’est le refus de l’autre".
Non satisfait, il demanda à sa mère, puis aux membres de la famille
royale. Il reçut de tous la même réponse : “C’est le refus de l’autre”. Il
retourna voir la vieille qui avait commencé à aimer son mari après sa mort.
“Tu devrais, lui dit-elle, te miroiter, mon fils. Tu devrais te miroiter pour
cesser de croire que l’autre est toujours la source de ton malheur.
— Avec le petit miroir de Pied-de-Chèvre? demanda-t-il, l’air averti.
— Non, reprit la vieille, avec ton miroir, et ton miroir est à aller chercher
dans le désert qui donne soif.”
" … la haine de l'autre,
mon fils,
c'est le refus de l'autre…"
La voix douce de la vieille atténua la méfiance du prince. L’intrigue
provoqua son orgueil, si bien que, contre le gré du roi son père, de la reine
sa mère, de toute la famille royale, Pied-de-Bouc sella son cheval et partit à
la recherche du désert qui donne soif. Il chevaucha la plaine, il chevaucha la
colline, il chevaucha la montagne, jusqu’à l’entrée du désert où lui et sa
monture éprouvèrent déjà une grande soif. Il aperçut un homme bossu. Il
l’interpella de sa voix de prince :