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Sujets de DAEU pour s’entraîner
I : Textes / Questions / Discussion
SUJET 1
Les fashion victims1 sont partout. Dans les lycées de centres-villes ou ceux des
cités. Les jeunes Européens ressemblent aux Américains, voire aux Asiatiques des pôles
urbains et tous dépensent autant pour se vêtir. En moyenne 450 euros par année et par
jeune de 11 à 17 ans ! Ce qui, multiplié par le nombre de collégiens, de lycéens et de
grands du primaire, représente une jolie manne pour les fabricants. Car ces 450 euros ne
sont qu’une moyenne souvent largement dépassée, lorsqu’il faut ici ou là un accessoire «
couture ». Et c’est bien souvent le cas. Pour certains, le temps de la basket basique est
maintenant révolu et a laissé place à la basket... rare. Oui, de collection. Idem pour le
jean. La mode dépasse l’entendement parce qu’elle n’est pas une affaire de raison
Par la marque, l’objet n’a plus rien à voir avec sa dimension utilitaire. Il est devenu
un symbole marquant son appartenance en même temps que sa distance à un groupe. «
Du point de vue économique, la marque doit doter le produit d’une valeur symbolique non
mesurable qui l’emporte sur sa valeur utilitaire et d’échange. Elle doit rendre l’article de
marque non interchangeable avec des articles destinés au même usage et le doter d’une
valeur artistique ou esthétique, sociale et expressive », explique André Gorz dans
L‘Immatériel (...)
Pour le jeune, la marque, le code vestimentaire symbolisent l’appartenance à un
groupe. Pour le philosophe ou le politologue, cette « consomania» est le vecteur d’une
pseudo-religion qui s’empare de l’univers de l’école dans lequel ces consommateurs en
herbe évoluent.
Le politologue Paul Ariès a démontré cette logique qui transforme les marques en
dieux des cours de récréation. « Cette soumission à la dictature des logos représente une
véritable inversion du sacré et du profane. On profane ce qui est considéré habituellement
comme sacré : des valeurs comme l’égalité, la fraternité, le goût de l’effort, etc. Et on
sacralise le plus profane : le culte de l’argent, de l’objet, de la « gagne », de l’avoir, du
paraître, etc. Cette «marquemania» aboutit au fait que l’avoir supplante l’être. Tout
conduit donc à la consommation, parce que c’est devenu un idéal de vie. Un but en soi »,
rappelle-t-il.
Ancien enseignant, théoricien de la décroissance, et cofondateur de RAP -
mouvement de Résistance à la publicité -, François Brune dénonce lui aussi cette Eglise de
la très sainte consommation. « Pour ironique qu’elle soit, cette métaphore n’a rien de
gratuit. La religion publicitaire fonctionne en effet à plusieurs niveaux. Il y a d’abord la
célébration rituelle de la marchandise, sur les affiches ou dans les spots : l’annonce
publicitaire est toujours plus ou moins une «annonciation »2. Le produit apparaît comme
salvateur3 : qu’il fasse l’objet d’un hymne à la jouissance ou d’une liturgie4 de l’efficacité, il
va transformer votre vie.., pour peu, bien sûr, que vous adhériez à sa promesse... Le
bonheur publicitaire ne se présente pas comme simple consommation matérielle il s’allie à
un certain nombre de « valeurs » qu’il récupère — la vie (la vraie !), la liberté, la
convivialité, l’art, le rêve, l’idéal, la démocratie, etc. » Témoins le «Just do it » de Nike, le
« Impossible is nothing » d’Adidas ou le « I am what I am» de Reebok.
Maryline Baumard, «Marques : la nouvelle religion et ses adeptes »,
Le Monde de L’Education, décembre 2005.
1. fashion victims : victimes de la mode.
2. annonciation : dans le christianisme, message de l’ange Gabriel annonçant à la Vierge Marie qu’elle
sera la mère de Jésus, le Messie qui sauvera les hommes.
3. salvateur: qui sauve.
4. liturgie : rites, cultes dédiés à une religion.