Enseignement
plus appréciés des employeurs, comme le montrent
les taux d’emploi et les salaires correspondants.
Qu’est-ce qui explique cette attractivité? Il y a
bien sûr quelque chose d’intrinsèque à la discipline ;
chaque mathématicien connaît le plaisir de réus-
sir une démonstration, et de comprendre pourquoi
les choses marchent, même si ce plaisir prend des
formes très diverses suivant les personnes. Ceux
qui ont eu la chance de travailler dans un atelier
de mathématiques, quel que soit le format, ont
constaté cet intérêt des jeunes. Ce n’est sûrement
pas le seul facteur : les sociologues ont montré
combien les goûts dépendent de la situation sociale
de chacun ; l’article de Pierre Merle cité plus haut
montre que l’intérêt pour les mathématiques baisse
entre la 6
e
et la 3
e
, mais qu’il baisse moins que l’in-
térêt pour le français (peut-être parce que les buts
de l’enseignement des mathématiques sont plus
explicites que ceux du français), et surtout, qu’il
baisse beaucoup moins pour les élèves qui consi-
dèrent qu’ils ont un bon niveau dans la matière. Il
est aussi probable qu’il y a quelque chose de spéci-
fique à la France : la classification d’Auguste Comte
a toujours une grande influence chez nous.
2. Mais un message opposé porté
par la société
Ce qui précède est bien sûr contraire au mes-
sage répandu par les médias. Il est généralement
admis, sans qu’il soit besoin d’argumenter, que les
mathématiques sont un outil de sélection répulsif,
que les élèves ne suivent que sous la contrainte, et
qui exerce une dictature arbitraire sur le système
éducatif. Les journalistes sont persuadés que les
matières littéraires sont plus attractives que les ma-
tières scientifiques, et que parmi celles-ci, la phy-
sique, la chimie et la biologie sont plus attractives
que les mathématiques.
J’ai pu constater à de multiples reprises que
toute opinion qui va dans ce sens est admise sans
contradiction, et sans qu’il soit besoin d’en apporter
des preuves. Par contre, ce qui est écrit plus haut
soulève immédiatement des protestations, et les
preuves que l’on peut apporter sont toujours insuffi-
santes : même si elle date de moins de 5 ans, l’étude
est considérée comme ancienne, et on en demande
une plus récente ; si elle concerne les collégiens, on
demande ce qui se passe pour les lycéens, ou les
étudiants, et on explique que le choix de l’échan-
tillon est biaisé, ou qu’il est trop petit pour être re-
présentatif... On a pourtant maintenant une série
d’enquêtes convergentes sur des niveaux et des pu-
blics divers, bien qu’il n’y ait pas grand monde pour
soutenir ce type d’études ; mais cela ne suffit tou-
jours pas ; on constate un fort biais culturel, assez
ancien, contre les sciences et plus particulièrement
contre les mathématiques.
3. Les fondements de ce message
Si ce message persiste, c’est qu’il s’appuie
sur des faits de nature diverse qui se renforcent.
D’abord, des éléments sociologiques sur la for-
mation du personnel médiatique et politique. En-
suite, la place particulière des mathématiques dans
la culture française. Enfin, un certain nombre de
faits sur l’enseignement des mathématiques et des
sciences.
La plupart des personnalités politiques ou mé-
diatiques n’ont fait aucune étude scientifique ;
ces responsables pensent aux mathématiques en
termes d’échec, et ont du mal à imaginer que l’on
puisse s’y intéresser. Il leur semble évident qu’un
enseignement d’histoire ou de philosophie est inté-
ressant, et qu’un enseignement de mathématique
est ennuyeux et déconnecté de la réalité. Placés
face à une étude qui montre que, pour bien des
élèves, c’est le contraire, ils refusent de la prendre
en compte. Il est d’ailleurs probable, et c’est un fait
inquiétant, qu’il en va de même pour une fraction
des professeurs des écoles.
De plus, les sciences et les mathématiques ont
une place particulière dans la culture française.
D’une part, il est socialement admis de parler en pu-
blic de philosophie, d’histoire ou de littérature, mais
considéré comme grossier de parler de mathéma-
tiques ou de physique (ce qui n’était pas le cas au
siècle de Voltaire et de Condorcet). Cette évolution
date du début du xix
e
siècle, et semble débuter avec
le romantisme. D’autre part, il y a en France (comme
dans d’autres pays) une forme d’anxiété des ma-
thématiques. On s’inquiète régulièrement, à la pre-
mière page des journaux, de la difficulté à recruter
des professeurs de mathématiques, du manque d’in-
génieurs, de la fuite des cerveaux en science ; mais
personne ne se préoccupe du manque de profes-
seurs de français ou d’anglais. Bien que le bac L
baisse depuis 40 ans, et soit féminisé à 78%, c’est
des effectifs du bac S, et de son déséquilibre (54%
de garçons et 46% de filles) que l’on s’inquiète.
Enfin, il y a un certain nombre de phénomènes
négatifs mesurables : les effectifs de la spécialité
mathématique en Terminale ont fortement baissé,
64 SMF – GAZETTE – JANVIER 2015 – No143