LA PAROLE PUBLIQUE - Prologue Numérique

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LA PAROLE
PUBLIQUE
Sous la direction de
Guylaine Martel
Avec la collaboration de
Roger de la Garde
LA PAROLE PUBLIQUE
CULTURE FRANÇAISE D’AMÉRIQUE
La collection « Culture française d’Amérique » est publiée sous
l’égide de la Chaire pour le développement de la recherche sur
la culture d’expression fran­
ç aise en Amérique du Nord
(CEFAN). Conçue comme lieu d’échanges, elle rassemble les
études et les travaux issus des séminaires et des colloques orga­
nisés par la CEFAN. À ce titre, elle répond à l’un des objectifs
définis par le Comité scientifique de la Chaire : faire état de
l’avancement des connaissances dans le champ culturel et
stimuler la recherche sur diverses facettes de la franco­phonie
nord-américaine.
(Liste des titres parus à la fin de l’ouvrage)
Sous la direction de
Guylaine Martel
avec la collaboration de Roger de la Garde
LA PAROLE PUBLIQUE
Les Presses de l’Université Laval reçoivent chaque année du Conseil des Arts du Canada et
de la Société de développement des entreprises culturelles du Québec une aide financière
pour l’ensemble de leur programme de publication.
Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Fonds
du livre du Canada pour nos activités d’édition.
Mise en page :
Maquette de couverture : Laurie Patry
© Presses de l’Université Laval. Tous droits réservés.
Dépôt légal 4e trimestre 2016
ISBN : 978-2-7637-3108-7
PDF : 9782763731094
Les Presses de l’Université Laval
www.pulaval.com
Toute reproduction ou diffusion en tout ou en partie de ce livre par quelque moyen que ce
soit est interdite sans l’autorisation écrite des Presses de l’Université Laval.
Table des matières
Présentation. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1
Guylaine Martel
Problématiser la parole publique. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9
François Demers
Des mots, de la parole et du discours. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29
Roger de la Garde
L’Office québécois de la langue française et les médias :
un dialogue animé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 41
Entrevue avec Robert Vézina
L’engagement citoyen envisagé hors du paradigme déficitaire. . . . . . . . . . . . 43
Chantal Pouliot
L’engagement citoyen. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 61
Entrevue avec Léo Bureau-Blouin
Du lieu public à l’espace de la parole publique :
accessibilité, usage, contrôle. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 63
Patrick Turmel
Qu’est-ce que la citoyenneté ?. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 79
Entrevue avec Jacques Fiset
L’avatar, la porte d’entrée de l’identité numérique. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 81
Mélissa Côté
VI
LA PAROLE PUBLIQUE
Idéologie et stratégie politique au Canada (2006-2014). . . . . . . . . . . . . . . . 97
Frédéric Boily
La mise en scène du discours politique :
un outil de construction du sens. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 117
Marilyn Grenier
La parole politique dans les talk-shows :
le triomphe de la logique médiatique ?. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 131
Frédérick Bastien
L’espace public dans la presse écrite . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 147
Entrevue avec Pierre Paul Noreau
Du journalisme d’information au journalisme de communication. . . . . . . . 151
Jean Charron
Les services français de Radio-Canada . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 169
Entrevue avec Benoit Quenneville
Les acteurs de l’espace public. Débats sur le projet de Mine Arnaud. . . . . . . 173
Julie Fortin
Développer des outils de démocratie locale. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 189
Entrevue avec Marc Jeannotte
Présentation
Qu’on la considère du point de vue de sa production ou de ses effets,
de ses acteurs ou des moyens par lesquels elle se manifeste et se diffuse, la
parole publique retient l’attention des chercheurs de diverses provenances
disciplinaires – communication, linguistique, sociologie, psychologie,
science politique, science de l’information, pour ne nommer que les plus
évidentes – qui, tous, tentent de la circonscrire d’un point de vue théorique.
L’importance des enjeux qui lui sont associés, la prolifération et la
complexité des contextes dans lesquels elle se réalise favorisent par ailleurs
le développement de nouvelles pratiques professionnelles, définissant ainsi
un vaste secteur d’emploi autour des « métiers de la communication ». De
plus, grâce aux récents développements technologiques qui s’inscrivent
dans le prolongement du web 2.0, les individus sortent de leur espace privé
pour se l’approprier à leur tour, revendiquant leur place dans l’espace
public et reconfigurant la notion même de démocratie.
La parole publique est, de ce fait, un phénomène social prégnant que
nous proposons d’aborder sous l’angle de ses manifestations les plus actuelles.
Dans la perspective de recherche multidisciplinaire qui caractérise le
séminaire, nous cherchons à voir comment l’espace public façonne la parole
et, inversement, comment cette parole contribue à l’expansion de l’espace
public au-delà des lieux, des sujets et des individus qui lui sont traditionnel­
lement attachés. Quelles thématiques envahissent cet espace ? Quels acteurs
y sont admis et représentés ? Quels sont les territoires, matériels et virtuels,
qui occupent cet espace ? Quelles sont les contraintes, attentes, normes et
règles qui le balisent ? Quelles mises en scène lui sont propres ? Quelles
stratégies communicationnelles s’avèrent les plus performantes ? ­Qu’apportent
les médias sociaux à l’information diffusée par les médias de masse tradi­
tionnels ? Que recouvrent les notions d’in­fodivertissement et de peo­polisation ?
Comment passe-t-on de la parole privée à la parole publique ? Qu’est-ce qui
1
2
LA PAROLE PUBLIQUE
caractérise la parole citoyenne ? Appliquées plus spécifiquement à la culture
d’expression française dans le contexte nord-américain, les réponses à ces
diverses questions ne manquent pas de faire ressortir le caractère éminemment
dynamique de la parole publique chez les francophones, un dynamisme qui,
à n’en pas douter, contribue à maintenir bien vivant l’usage du français en
Amérique du Nord et partout dans le monde.
Variété des thèmes, diversité des approches théoriques et des ancrages
disciplinaires, la parole publique s’inscrit ici dans une conception sociale
de la communication publique qui donne son unité à la recherche et qui
permet d’en interpréter les résultats avec cohérence. L’objectif de départ est
modeste : revenir sur les universaux en termes de lieux, d’acteurs, de thèmes
et de formats, et identifier les principaux points d’émergence de la parole
publique propres à la décennie 2010 ; avec plus d’ambition, nous visons à
définir le rôle de la parole publique dans la construction d’un sens partagé
par les membres de la communauté. À travers des phénomènes de commu­
nication actuels, chacun des dix articles colligés dans le présent ouvrage
consiste en une visite des lieux privilégiés qu’occupe la parole dans la sphère
publique, un espace où les individus, conformément à leur identité de
citoyens, d’électeurs, d’usagers, de porte-paroles… interagissent entre eux
et à la face de tous autour d’enjeux qui les définissent en tant que société.
Dans les textes et témoignages qui sont réunis dans cet ouvrage, la notion
de « médiatisation » s’est imposée comme piste de réflexion englobante. De
la conception essentiellement technique qui définit le média comme un
véhicule au service de la diffusion et de la circulation des discours dans
l’espace public, la médiatisation se présente comme un processus plus
abstrait et plus général qui transforme la manière de construire le monde
par le discours, oral et écrit, et de se le représenter.
Media have taken over more and more functions for people – they live in
dense networks of mediated communication, the postal net, the telephone
net, the mobile phone net, the internet and others. In addition, interactive
media have become important in all areas of life and, as a consequence, the
construction of knowledge about the world and its meaning is changing.
The same is true for people’s identities and social relations, as well as the way
in which institutions and organizations conduct themselves, and for culture
and society as a whole (Krotz, 2007 : 259)1.
1.
Krotz, Friedrich (2007). « The Meta-process of ‘Mediatization’ as a Conceptual
Frame ». Global Media and Communication, 3(3), p. 256-260.
PRÉSENTATION
3
Au fil des textes de ce collectif, s’est développée autour du concept de
médiatisation une réflexion critique qui pourrait servir de point de départ
à la problématisation de la parole publique.
L’article de François Demers engage cette réflexion en prenant pour
contexte la création du Département d’information et de communication
de l’Université Laval et son « territoire d’objets » privilégié, la communi­
cation publique, définie comme « l’ensemble des phénomènes de
production, de traitement, de diffusion et d’échange de l’information qui
reflètent, créent et orientent les débats et les enjeux publics ». La commu­
nication publique concerne toutes les manifestations de « mise en public
des discours » qui s’attachent à la délibération démocratique par voie de
médiatisation, accordant une place prépondérante aux pratiques professi­
onnelles que sont le journalisme, les relations publiques et la publicité. De
l’étude du message à celles, plus récentes, de ses producteurs et de ses
récepteurs, Demers rappelle les conditions politiques, techniques,
économiques et sociales qui ont marqué l’évolution et le développement de
la recherche dans ce domaine. Ce faisant, il dresse un portrait convaincant
de la nécessité de re-problématiser la parole publique, de manière à rendre
compte des réalités du monde contemporain, aussi bien que des représen­
tations que s’en font les usagers et les citoyens. Dans la perspective de
Demers, l’expérience collective de la médiatisation est présentée comme
un facteur déterminant de la re-problématisation de la parole publique.
Roger de la Garde fait également de la notion de « médiatisation » le
« mot de la fin » de son article. Après une réflexion sur le sens de « parole »
et d’« espace public », l’auteur se questionne sur l’enjeu de la médiatisation
et se demande dans quelle mesure les médias imposent leur logique à
l’exercice de la parole, libre et porteuse de pensées singulières. De leur
fonction de « porte-parole », de (trans)porteurs de l’information d’un desti­
nateur vers un destinataire, de technologies de la communication, les
médias s’autorisent maintenant à intervenir dans le message, à le mettre en
scène, à l’interpréter, et cela, avec l’approbation du public. Les médias
s’érigent en système qui « s’auto-régule et s’auto-alimente » ; la « parole
médiatée » détermine sa propre trajectoire, elle choisit les points d’entrée et
de sortie du message qu’elle construit, son contenu, sa mise en forme. Que
penser alors des médias comme espaces publics d’expression de la parole
libre ?
Le texte de Chantal Pouliot se veut le journal de bord d’une contro­
verse publique, le dossier de la « poussière rouge » à Limoilou, et qui met en
scène plusieurs catégories d’acteurs : des représentants politiques, des
4
LA PAROLE PUBLIQUE
membres de l’industrie, des scientifiques, des gens des médias et, au tout
premier rang, des citoyens concernés et engagés. Cet épisode de la vie
quotidienne des résidants d’un quartier de Québec témoigne en effet de
l’engagement de citoyens « ordinaires » dans la gestion des questions socio­
scientifiques liées à la santé environnementale. À travers les démarches de
l’instigatrice de ce mouvement citoyen, Pouliot retrace le parcours de
Véronique Lalande et de sa médiatisation dans la presse locale. L’auteure
rend compte du rôle qu’ont joué les médias dans la construction sociale de
la crédibilité de la citoyenne en tant que productrice de savoirs légitimes,
scientifiques. Ce faisant, elle révèle également de quelle manière la personne
privée a pris sa place dans l’espace public, devenant de ce fait une person­
nalité publique.
Dans l’article qu’il consacre à l’espace public, Patrick Turmel
distingue le lieu physique, un espace d’expression, de délibération et de
contestation ouvert à la critique des institutions politiques et économiques,
de la « sphère publique », entendue non pas comme un espace matériel­
lement circonscrit, mais comme la condition formelle à la base de la
délibération démocratique. Le texte consiste en une description des trois
conditions selon lesquelles un lieu public peut être considéré comme un
espace public : son accessibilité, son ouverture à des usages multiples
incluant, bien sûr, l’exercice de la parole publique, et son contrôle démocra­
tique, soit le fait d’être protégé de toute domination arbitraire. L’auteur ne
manque pas de mentionner que ces espaces sont devenus des enjeux
majeurs lors d’événements politiques comme le mouvement Occupy, le
Printemps arabe et le Printemps érable. Sans nier l’importance et la perti­
nence de l’espace public virtuel que constitue Internet, Turmel exprime
une réserve selon laquelle certains messages transmis dans cet espace
circulent en vase clos et peuvent être filtrés en fonction des intérêts et des
sympathies des utilisateurs.
Inspirée par le travail de Turmel, Mélissa Côté consacre son étude à
un espace public tout à fait original, celui du Massive Multiplayer Role
Playing Games (MMORPG), un univers numérique virtuel qui caractérise
les jeux vidéo en ligne où se rencontrent des milliers de joueurs hors des
contraintes de temps et de lieu. L’auteure s’intéresse plus spécifiquement à
l’identité numérique des joueurs, telle que celle-ci s’incarne à travers leurs
avatars, « le masque du joueur », qu’elle compare, dans son travail, à leur
identité matérielle lorsqu’ils sont hors ligne. Le résultat de cette compa­
raison montre que la construction identitaire des joueurs repose
principalement sur l’apparence physique, les valeurs véhiculées par le
PRÉSENTATION
5
« clan » et la stratégie du jeu. À l’abri de son avatar, le joueur contrôle
l’image qu’il projette de lui-même sur les autres, une image en partie
calquée sur son identité matérielle et sur des traits de caractère qui la
complètent et lui permettent d’évoluer. Une dynamique qui n’est pas sans
rappeler la construction interactionnelle des représentations sociales dans
l’espace public matériel.
Dans son texte, Frédéric Boily inscrit la parole publique au cœur
d’un de ses environnements les plus naturels : la communication politique.
Prenant pour contexte le Parti conservateur du Canada, le politologue
montre comment cette parole publique s’exprime dans les formats définis
par le marketing politique. À une conception idéale du discours politique
qui s’appuie sur des arguments rationnels pour convaincre un public
d’électeurs de voter pour un programme reflétant l’idéologie d’un parti
s’oppose une stratégie de communication inspirée du monde des affaires,
qui recourt à des techniques commerciales pour « vendre » une image à des
« consommateurs-électeurs ». Bien que la manœuvre se soit raffinée et
systématisée sous le gouvernement Harper, Boily montre que la « machine
à gagner des élections » n’est pas exclusive aux conservateurs et qu’elle
profite d’un bon nombre de circonstances sociopolitiques, dont la média­
tisation. En effet, la logique médiatique tire avantage de l’état de
permanence des campagnes électorales, de l’image et du recours à l’émotion
comme moyens d’attirer l’attention d’un électorat qualifié d’apathique, et
de la vedettarisation touchant aussi bien la classe journalistique que la
classe politique.
L’article de Marylin Grenier illustre l’une des stratégies utilisées en
marketing politique : la mise en scène de la parole publique des politiciens.
Dans un parallèle original entre la « scène théâtrale » et la « scène politique »,
l’auteure compare le travail du stratège à celui du metteur en scène, l’un et
l’autre organisant l’espace selon « un mode de coordination et d’homogé­
néisation de tous les éléments permettant de donner un sens au texte ».
À partir de l’analyse qu’elle a réalisée sur les prestations de Stephen Harper,
de Justin Trudeau et de Thomas Mulcair devant leurs partisans, elle montre
comment les principaux constituants de la mise en scène – le décor (organi­
sation spatiale de la scène, thème musical, tenues vestimentaires), les
référents culturels (couleurs, drapeaux) et les rapports de proximité entre
les participants (distance entre le chef, sa députation et les partisans) –
contribuent à la construction d’un leadership propre à chaque chef de
parti.
6
LA PAROLE PUBLIQUE
Le politologue Frédérick Bastien s’intéresse aussi à la parole politique
dans le contexte d’un espace public fortement médiatisé. S’appuyant sur
les résultats d’une analyse réalisée sur près de 90 entrevues politiques
produites dans le cadre d’émissions d’information, de divertissement et
d’infodivertissement, l’auteur rend compte de la tension entre les logiques
politique et médiatique à la télévision québécoise. Entre la dégénérescence
de l’information politique et l’impact positif que la présence des politiciens
dans les talk-shows susciterait quant à l’attention, la participation, voire
l’engagement d’une certaine partie de l’électorat, Bastien adopte une
position nuancée selon laquelle la parole politique médiatisée résulte d’une
négociation entre des acteurs politiques et médiatiques qui ont, les uns
comme les autres, tout à gagner de cette collaboration. Il rappelle toutefois
que, les politiciens devant s’adapter aux normes très diversifiées de leur
environnement médiatique, il est tentant, aussi bien pour les partis
politiques que pour les électeurs d’ailleurs, de choisir leurs représentants
sur la base de leur performance communicationnelle plutôt que sur leurs
compétences à gouverner. Un critère de sélection qui s’avère sans doute
moins efficace pour l’exercice de la démocratie.
Le journalisme est, par excellence, la pratique médiatique par laquelle
s’exprime la parole publique. Dans l’étude qu’il lui consacre, Jean Charron
montre que, depuis ses débuts au milieu du XVIIIe siècle, les transforma­
tions que cette pratique a subies s’inscrivent avec cohérence dans le
prolongement des conditions de toutes natures – techniques, politiques,
économiques et sociales – qui ont marqué la société au sein de laquelle elle
s’est développée. Définie par l’auteur comme un dispositif sociocognitif
complexe, la pratique journalistique s’adapte à l’espace public dont elle est
à la fois le produit et un important vecteur de changement et de recons­
truction de ce même espace. Après avoir présenté les divers éléments qui
caractérisent les paradigmes du journalisme d’opinion (fin du XVIIIe siècle
jusqu’au milieu du XIXe) et du journalisme d’information (milieu du XIXe
jusqu’au milieu du XXe), Charron observe que le journalisme de commu­
nication est moins strictement dévoué à la production de l’information
objective qu’à « communiquer » au public une vision du monde dans
laquelle il se reconnaît et se sent concerné. Selon l’auteur, cette nouvelle
préoccupation est le résultat de l’hyperconcurrence dans l’offre média­
tique.
L’analyse de la couverture journalistique entourant le projet de Mine
Arnaud à Sept-Îles illustre avec éloquence le traitement « de simplification,
de polarisation et de personnalisation » que subit l’information dans la presse
PRÉSENTATION
7
quotidienne, afin d’attirer l’attention du public, très sollicitée par ailleurs, sur
des enjeux d’une grande complexité et fort éloignés de son expérience
immédiate. Dans l’étude qu’elle consacre à ce projet, Julie Fortin explique
comment certains acteurs privilégiés de l’espace public – les élus, les
i­
nstitutions gouvernementales, les syndicats, les regroupements de gens
d’affaires et, plus récemment, les environnementalistes – adaptent leur
discours à cette logique médiatique, afin « d’acquérir de la visibilité » et « de
bénéficier de la légitimité que leur confèrent les médias ».
Ces dix articles présentent un point de vue à la fois théorique et
pratique sur les différents systèmes de connaissances qui participent à la
problématisation de la parole publique. Dans le présent ouvrage, ils sont
entrecoupés des témoignages d’acteurs qui ont contribué de façon originale
au séminaire, en y apportant l’expérience concrète, ancrée dans le quotidien
de la parole publique.
Selon Robert Vézina, président-directeur général de l’Office québécois
de la langue française (OQLF), les médias jouent un rôle prépondérant
dans la diffusion et l’implantation des termes proposés par l’organisme.
Outre que les productions médiatiques nourrissent le travail terminolin­
guistique accompli par l’Office, les médias agissent comme autant de
relayeurs qui facilitent l’adoption des termes français par la population.
Une telle collaboration participe à la vitalité de la langue française dans
l’espace public contemporain.
De l’avis de Léo Bureau-Blouin, ex-leader de la Fédération étudiante
collégiale du Québec (FECQ) et ex-député du Parti Québécois, l’ampleur
qu’a prise le mouvement étudiant lors du Printemps érable de 2012 est
attribuable aussi bien à la prolifération des messages sur les médias sociaux
qu’à la couverture quotidienne que lui ont accordée les médias tradi­
tionnels, et tout spécialement les téléjournaux. Dans le contexte
communicationnel actuel, l’un des défis de tout mouvement social consiste
à passer du clic électronique à l’acte manifeste. Dans cette perspective, on
ne peut pas sous-estimer l’effet des médias de masse.
Depuis sa retraite des nombreux postes qu’il a occupés au sein des
conseils de quartier de la Ville de Québec, Jacques Fiset poursuit son
engagement dans l’action citoyenne. De l’intimité du cercle familial jusque
dans la rue, il dénonce l’inertie et l’individualisme au profit d’une
démocratie participative qui dépasse la parole publique telle qu’elle se
complaît dans les pétitions en ligne et les médias sociaux. Il exhorte les
8
LA PAROLE PUBLIQUE
citoyens à exercer leur droit de parole dans les espaces, aussi bien réels que
virtuels, où se concrétise la démocratie.
Pierre-Paul Noreau travaille au quotidien Le Soleil depuis 1977, où il
y occupe actuellement le poste d’éditeur adjoint et de vice-président à
l’information. Pour lui, le journaliste est un médiateur privilégié de la
parole publique. Il vérifie, s’interroge, conteste et met en contexte l’infor­
mation, de manière à la rendre la plus transparente et la plus complète
possible. Tout en admettant que le média est un espace plus facilement
accessible à une certaine élite en quête d’influence, cet éditorialiste expéri­
menté reconnaît le rôle de la parole citoyenne dans les enjeux d’intérêt
public.
Benoit Quenneville a passé l’essentiel de sa carrière de journaliste et
de gestionnaire à Radio-Canada dans les stations francophones régionales
hors Québec. Il souligne le rôle prépondérant que jouent les médias dans
le maintien, l’évolution et la vitalité du français dans les milieux où cette
langue est minoritaire. En plus de servir de référence en matière linguis­
tique, la parole publique diffusée sur les ondes de la société d’État a une
fonction identitaire nécessaire à l’émancipation des communautés
francophones.
Pour Marc Jeannotte, cofondateur de la plateforme votepour.ca, la
parole citoyenne se décline en plusieurs dimensions. Il y a, bien sûr, la
parole qu’on prend volontairement en public pour manifester ses positions,
mais aussi celle qu’on communique involontairement par nos façons d’agir,
de se comporter et de se représenter dans les espaces quotidiens que nous
habitons. Il y a la parole intime, celle qui s’exprime dans les conversations
de cuisine où nous refaisons le monde... Marc Jeannotte s’est donné pour
mission de saisir toutes ces paroles et de les rendre accessibles aux citoyens
afin que, adéquatement informés et libres de leurs pensées, ils participent
activement au développement de leur communauté.
Guylaine Martel
Problématiser la parole publique
François Demers
Université Laval
La définition de la communication publique que propose le Dépar­
tement d’information et de communication de l’Université Laval se réclame
plus d’un champ de recherches que d’une discipline. Il n’y a pas vraiment de
prétention à l’existence d’une discipline de la communication publique, au
sens où Thomas Kuhn (1983) en parle, avec un réseau de chercheurs qui se
reconnaissent comme formant une sorte de famille, avec ses auteurs fétiches,
ses théories accréditées, ses colloques et congrès, et dont le label serait reconnu
par des institutions. Il s’agit plutôt d’un territoire d’objets sur lequel le
Département entend développer son expertise, faire des recherches et de
l’enseignement. Son site Internet l’affiche d’entrée de jeu : « La communi­
cation publique consiste en l’ensemble des phénomènes de production, de
traitement, de diffusion et d’échange de l’information qui reflètent, créent et
orientent les débats et les enjeux publics. »1
Il s’agit donc véritablement d’un découpage dans la courtepointe
« communication ». Au fil du temps, les discussions internes au Dépar­
tement ont finalement débouché sur une réduction de cet ensemble
d’objets puisque, pour les études de doctorat, trois axes de recherche
seulement ont été retenus parmi tous ceux possibles. Ces objets de
recherche sont tous trois dans l’ordre du discursif ou du sociodiscursif : les
représentations et discours publics, l’intervention sociale par le discours
public, et les pratiques professionnelles liées à la production de ces mêmes
discours2.
1.http://www.com.ulaval.ca/etudes/programmes/troisieme-cycle/1-axes-de-re­
cherche-en-communication-publique/.
2.http://www.com.ulaval.ca/etudes/programmes/troisieme-cycle/.
9
10
LA PAROLE PUBLIQUE
Une des premières représentations graphiques3 de ce champ de
recherches rend compte d’une intention d’embrasser l’ensemble des
phénomènes liés à la parole publique, tout en donnant priorité à certains
d’entre eux.
(Demers, 2008 : 224)
(Demers, 2008 : 224)
Cette représentation fait des conversations en public produites par
voie de médiatisation et qui contribuent à la discussion des enjeux collectifs
et de l’intérêt général la cible centrale de ses préoccupations. D’où les liens
de la bulle du centre avec les médias de masse, d’une part, et la délibération
démocratique, d’autre part, ce deuxième lien indiquant l’inclusion de la
communication politique dans la communication publique. Par ailleurs, la
figure montre que les (abondantes) activités de journalisme, de relations
publiques et de publicité qui obéissent à d’autres objectifs ou finalités que
le débat public sont considérées comme étant hors champ. Les quatre
formations professionnelles y sont toutefois bien mises en scène :
1. Le journalisme. Les études en communication à l’Université Laval
ont commencé en 1968 par un programme de journalisme, le premier en
3.
Graphique légèrement retouché par l’auteur.
PROBLÉMATISER LA PAROLE PUBLIQUE
11
cette matière dans le monde universitaire francophone au Canada.
Aujourd’hui, au premier cycle, il existe une filière de formation profession­
nelle en journalisme, à laquelle s’ajoutent, au deuxième cycle, des
spécialisations en journalisme international et en journalisme scientifique.
2. Les relations publiques, aussi nommées « communication insti­
tutionnelle », « communication stratégique », ou encore « communication »,
tout court, comme en France notamment, et même parfois « les communi­
cations publiques » dans le langage courant des étudiants. Il s’agit des
pratiques professionnelles dont le Département a commencé à offrir la
formation dès le milieu des années 1970.
3. La publicité. Cette filière professionnelle de production de
messages publics est apparue plus tardivement. Son enseignement n’offre
qu’une sous-spécialité du domaine, celle des messages d’intérêt public
(notamment la « publicité de plaidoyer » et publicité dite « sociale »),
laissant ainsi à sa périphérie la publicité commerciale et le marketing, dont
l’enseignement et la recherche sont assurés par d’autres départements
(l’administration, notamment). Cette spécialisation est cohérente avec la
priorité accordée aux contenus discursifs d’implication citoyenne. Avec
l’arrivée du doctorat en communication publique au début des années
2000, cette formation a quitté sa position plutôt marginale pour s’affirmer
comme l’un des trois axes centraux des activités des enseignants-chercheurs.
Il est maintenant désigné sous l’étiquette d’« intervention sociale » définie
comme étant « [l]’étude des opérations de communication explicitement
destinées à provoquer des changements individuels ou sociaux. La commu­
nication en matière de santé, de sécurité, de droits humains, de
développement et d’environnement. La rédaction professionnelle et
technique. »4
4. La recherche en communication publique. Parallèlement aux
trois précédentes pratiques, la profession de « chercheur » s’est elle aussi
développée, alimentée par les diverses disciplines des sciences humaines et
sociales, leurs théories, leurs méthodes et techniques de recherche, et leurs
acquis. La communication publique est ainsi marquée par une très forte
multidisciplinarité. « Les activités de communication [sont] abordées en
fonction d’une préoccupation formelle de recherche », c’est-à-dire qu’elles
sont utilisées « comme instruments pour tenter de faire prévaloir un point
4.http://www.com.ulaval.ca/etudes/programmes/troisieme-cycle/1-axes-de-re­
cherche-en-communication-publique/.
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