Christine BRABANT, L`école à la maison au Québec. Un projet

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compte rendu
mai 2015
www.efg.inrs.ca
Compte rendu d’ouvrage
Christine Brabant
L’école à la maison au Québec.
Un projet familial, social et démocratique
Québec, Presses de l’Université du Québec, 2013,
280 pages, ISBN : 978-2-7605-3899-3
Marine Dumond
Candidate à la maîtrise en administration de l’éducation
Université de Montréal (Canada)
[email protected]
Chercheure pionnière en la matière, Christine
Brabant présente ses réflexions personnelles et
les résultats de recherches universitaires au sujet
de l’« école à la maison ». Pour sortir du principal amalgame qui consiste à considérer que les
parents reproduisent l’école, ou un contenu et
des pratiques identiques à une forme scolaire,
à la maison – ce qui peut insinuer un manque
de socialisation et d’ouverture sur le monde –,
l’auteure utilise plutôt le terme d’apprentissage
en famille. L’originalité de Christine Brabant
est d’aborder le sujet à l’aide de l’adage connu
« il faut un village pour élever un enfant », qui
traduit ses intentions pragmatique et démocratique. Ses propos alternent entre la description
et l’analyse des pratiques actuelles de l’apprentissage en famille au Québec et la présentation
de différentes théories historiques, explicatives
ou interprétatives de la situation, le tout entrecoupé de ses propres réflexions et observations.
L’apprentissage en famille rassemble des
enfants, des parents-éducateurs, des acteurs sco-
laires, des familles, des regroupements collectifs, des institutions religieuses, des États et des
communautés et, par conséquent, se retrouve
au carrefour de questions de société éducatives,
sociales et même émotives. Premier abordé,
l’aspect « familial » trace un portrait du phénomène dans le temps, à travers lequel l’auteure
légitime le rôle de la famille dans l’éducation
des enfants en rappelant que, à l’échelle de
l’humanité, la prise de responsabilité de l’institution étatique dans l’éducation des enfants est
récente. Malgré une documentation essentiellement étasunienne sur le sujet, le mouvement
de l’apprentissage en famille canadien puiserait ses racines idéologiques d’une part dans le
mouvement libéral étasunien des années 1960
et d’autre part dans la psychologie du développement. Son étude sociodémographique menée
auprès de 203 familles (1 032 enfants étaient inscrits auprès de leur commission scolaire comme
étant scolarisés à la maison pour l’année scolaire 2009-2010) montre que les parents mettent
en avant une volonté de « vivre un projet éduca-
M. Dumond, compte rendu de l’ouvrage L’école à la maison au Québec de Christine Brabant,
Enfances Familles Générations, mars 2015, 3 pages. - http://www.efg.inrs.ca/index.php/EFG/article/view/511
tif familial […] plus propice à l’éducation des
enfants » (p. 76) plutôt que les motifs religieux
fréquents dans les études étasuniennes. Leurs
visions éducatives, quant à elles, sont de deux
types : les visions progressistes (centrées sur
l’enfant) et celles plus traditionnelles (centrées
sur le contenu), mais toutes remettent en question les approches éducatives centrées principalement sur les résultats.
lons représentatifs, plusieurs études montrent
toutefois que la réussite éducative des enfants
est égale, voire supérieure, à celle des élèves
de l’école publique. Un chapitre plus théorique explore ensuite le parallèle possible entre
le mouvement d’apprentissage en famille et
deux courants de l’éthique de société (p. 111).
L’auteure montre des similitudes entre l’éthique
féministe et l’appren­tissage en famille, au sujet,
par exemple, de l’expertise en éducation des
mères, de leurs valeurs éducatives (l’autonomie, les relations significatives, le dialogue)
et de leur engagement social. N’ayant pas été
approfondies par des recherches empiriques, ces
réflexions restent à explorer.
Dans un souci de neutralité, l’aspect « social »,
ensuite abordé par l’auteure, traite de plusieurs
questionnement ou enjeux sociaux (la réussite éducative, la transmission de valeurs et le
développement moral) développés par plusieurs
d’auteurs, qu’ils soient pour et contre l’apprentissage en famille, laissant au lecteur le soin de
se faire sa propre opinion. Elle conclut toutefois
que les préoccupations sont finalement souvent
communes et partagées, mais, simplement pas
abordées sous le même angle. Par exemple, s’ils
s’entendent sur la nécessité d’un pluralisme
d’opinion, d’une éducation citoyenne et sur le
rejet d’une forme imposée d’idéologie, certains
considèrent que le choix de ces parents traduit
une forme de pensée inappropriée pour la vie
en société tandis que pour d’autres, c’est plutôt l’idéologie prônée par l’État, autrement dit
la transmission des valeurs du gouvernement
en place, qui serait insatisfaisante pour le développement personnel des enfants. De même,
elle discute la perception de différents auteurs
concernant la participation des parents au système éducatif, qui sont considérés tantôt comme
des irresponsables (rejet de la forme publique
d’éducation) et tantôt comme des ressources
sur le plan pédagogique (possibilités d’expérimentation et d’innovation). Bien qu’il faille
prendre leurs conclusions avec précautions du
fait d’une méconnaissance de la population
totale du mouvement d’apprentissage en famille
et donc, d’une difficulté à obtenir des échantil-
Enfin, les chapitres présentant l’aspect « démocratique » de l’apprentissage en famille sont
relatifs aux recherches actuelles de l’auteure,
notamment son interprétation de la situation
selon la théorie de la gouvernance réflexive,
le chapitre le plus abstrait du livre. L’auteure
appréhende la situation de manière pragmatique, c’est-à-dire en recherchant des solutions
concrètes et, de préférence, directement dans
leur contexte d’application et dans l’expérience
des individus, afin de limiter les écarts entre
les normes idéales et appliquées. Les parents
regrettent le manque de critères et d’outils
d’évaluation adéquats de la part de l’administration scolaire dans l’évaluation de l’enseignement reçu et l’expérience éducative vécue
à la maison par l’enfant tandis que les acteurs
scolaires se trouvent démunis face à cette clientèle. Cela conduit, d’une part, à un manque de
collaboration entre les commissions scolaires
et les parents et, d’autre part, à des situations
d’invisibilité et de non-dialogue lorsque ces
familles, en résistance face à l’institution, n’inscrivent pas leurs enfants auprès de la commission scolaire. Cet écart entre le cadre législatif
québécois et la pratique appelle, selon l’auteure,
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M. Dumond, compte rendu de l’ouvrage L’école à la maison au Québec de Christine Brabant,
Enfances Familles Générations, mars 2015, 3 pages. - http://www.efg.inrs.ca/index.php/EFG/article/view/511
à une évolution de la régulation québécoise. À
titre d’exemple et d’inspiration, l’auteure propose un modèle d’analyse et de schématisation
des situations de régulation existantes dans le
monde afin de percevoir l’ensemble des situations possibles d’interaction entre les parents et
les autorités scolaires selon le pouvoir décisionnel accordé à chacun d’entre eux.
scolaires dans leur réflexions et leur recherche
de solutions concernant la situation actuelle.
Elle présente, de façon partielle, quelques pistes
de solutions élaborées collectivement par des
groupes de parents, d’une part, et par des administrateurs scolaires, d’autre part. Quelques
résultats plus théoriques, à savoir, l’influence
de sa propre posture et les apprentissages pragmatiques et génériques réalisés par les groupes
de participants, sont également présentés, ce
qui amène une visée plus « scientifique » à
l’ouvrage.
Comme solutions, elle propose, notamment, de
considérer le phénomène d’autorégulation des
parents, qui, selon ses observations, pourrait
aboutir à l’élaboration de solutions concrètes
de régulation. Malgré un manque de données
empiriques pour soutenir ses propos, l’auteure
rapporte que les parents québécois évolueraient
selon les principes d’expérimentation sociale
(recherches de solutions créatives pour l’éducation), de pratique réflexive (réflexions individuelles et collectives) et d’action collective
(regroupement en groupes de soutien). Ainsi,
ses recherches consistent en l’élaboration de
deux « recherches-formations » afin d’accompagner des groupes de parents et des acteurs
Pour conclure, au-delà du principal et fréquent
questionnement sur la socialisation des enfants,
les réflexions proposées par Christine Brabant
apportent une nouvelle lecture pertinente du
phénomène de l’apprentissage en famille, qui
peut, comme un miroir face au système scolaire
actuel, contribuer à le questionner et à l’améliorer. Sans être un manuel de l’école à la maison, l’ouvrage se veut accessible à tous, malgré
quelques chapitres plus théoriques et abstraits
qui pourraient décourager certains lecteurs.
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