Physique nucléaire La conversion interne entre états liés : du noyau au cortège électronique Un nouveau mode de décroissance du noyau apparaît dans certains atomes ionisés lorsque l’énergie de la transition nucléaire est plus petite que l’énergie de liaison des électrons : le noyau peut alors se désexciter par conversion interne vers des états atomiques liés. Ce mécanisme vient d’être observé dans le noyau de 125Te. Ceci ouvre des perspectives quant au phénomène inverse, l’excitation du noyau, qui pourrait être mis en évidence dans des plasmas induits par laser. L a période radioactive, ou période de demi-vie, T1/2, d’un noyau atomique constitue l’une de ses caractéristiques fondamentales. Pour de nombreux noyaux radioactifs dans l’état fondamental ou pour de nombreux états excités de noyaux stables dans l’état fondamental, la seule mesure de la période de décroissance suffit à identifier de manière univoque le nucléide concerné. Cette propriété est à la base de très nombreuses applications de la physique nucléaire dans d’autres disciplines, en médecine, en métallurgie, en astrophysique, dans les techniques liées à l’environnement, etc. A l’aube de la physique nucléaire, de très nombreuses expériences ont cherché à mettre en évidence des variations significatives de T1/2 en fonction de paramètres tels que la température, la pression, la nature chimique des composés. En règle générale, les variations de T1/2 enregistrées en fonction de ces paramètres sont faibles, de l’ordre de – Centre d’études nucléaires de BordeauxGradignan, UMR 5797 CNRS, Université Bordeaux 1, BP 120, Le Haut-Vigneau, 33175 Gradignan cedex. – Centre de spectroscopie nucléaire et de spectrométrie de masse, UMR 8609 IN2P3CNRS, Université d’Orsay, 91405 Orsay. – Centre interdisciplinaire de recherches avec ions lourds, CEA-CNRS, BP 5133, 14040 Caen. quelques pour cent et l’on peut dire que la valeur de T1/2 présente une remarquable stabilité vis-à-vis de l’environnement du noyau. Comme nous le montrons par la suite, des effets plus spectaculaires peuvent cependant être attendus si l’on considère des modifications profondes de cet environnement faisant intervenir une perturbation des couches électroniques les plus internes de l’édifice atomique. LES PÉRIODES RADIOACTIVES DANS DES ATOMES TRÈS IONISÉS Les accélérateurs d’ions lourds modernes permettent de modifier profondément l’état du cortège électronique qui entoure le noyau. Il devient ainsi possible de mesurer la variation de T1/2 pour certains processus de désexcitation du noyau en fonction du nombre d’électrons qui restent liés au noyau. Dans les processus de désintégration électrofaible, capture électronique, désintégration β, les électrons du cortège électronique sont aussi les acteurs de la désintégration du noyau. Certains effets remarquables ont été mis en évidence dans les ions ayant perdu beaucoup d’électrons. Ainsi le noyau de 163 66 Dy qui est stable dans un atome neutre, devient radioactif, émetteur β − avec une période T1/2 = 50 jours dans un ion « nu » (où tous les électrons du cor- tège ont été arrachés), comme cela vient d’être mesuré au GSI DARMSTAD. Les atomes qui ont le même nombre de nucléons (protons plus neutrons) constituent un multiplet isobarique dont l’état fondamental est formé par l’atome (en général stable) qui possède la plus petite énergie totale. L’énergie totale d’un atome s’exprime à travers la relation E = mc2 comme la somme des énergies de masse de ses constituants (nucléons et électrons), diminuée de l’énergie d’interaction entre les différents constituants (nucléonnucléon, électron noyau, électronélectron). L’atome neutre de 163 66 Dy a ainsi une énergie totale plus petite que celle de l’atome neutre de 163 67 Ho. En conséquence, un atome neutre de 163 67 Ho décroît spontanément vers un atome de 163 66 Dy. En revanche, l’énergie totale de l’ion 66+, est plus grande que « nu » 163 66 Dy 66+ l’énergie totale de l’ion 163 67 Ho auquel il reste un électron K lié par noyau. L’énergie de liaison (négative) de cet électron est en effet supérieure à la différence des énergies de masse (positive) des noyaux de 163Dy et de 163Ho. Le système 163 66+ peut alors décroître sponta66 Dy 66+ par une nément vers l’état 163 67 Ho émission β avec émission de l’électron sur la couche K de l’ion Ho66+. Lors de la désexcitation d’un noyau, par couplage avec le champ électromagnétique, la distribution de 103 la charge électronique autour du noyau est perturbée ce qui conduit, dans certains cas, à l’ionisation de l’atome. Ce processus de décroissance nucléaire qui s’accompagne de la création d’une lacune dans le cortège électronique et de l’émission d’un électron dans le continuum porte le nom de conversion interne nucléaire (CI). Le graphe de Feynmann qui correspond à la CI est similaire à celui de la figure 1a où l’état A* est un état du continuum. La probabilité de ce phénomène est proportionnelle à la probabilité de présence des électrons du cortège au voisinage du noyau. Elle est donc maximale pour les électrons de la couche K. La conservation de l’énergie impose que l’énergie cinétique de l’électron, Ee, en fonction de l’énergie de la transition nucléaire, E γ et de l’énergie de liaison de l’électron Eb, soit : Ee = Eγ − Eb On peut attendre des variations importantes de la période de décroissance d’un état nucléaire excité en fonction de l’état de charge des ions lorsque l’énergie de liaison d’un électron devient du même ordre de grandeur que l’énergie de la transition nucléaire. Comme nous le montrons par la suite, la période s’accroît considérablement si la CI devient énergétiquement impossible, mais elle peut également diminuer si des transitions entre des états atomiques liés sont permises. Le processus de CI acquiert alors un caractère résonnant et le taux de transition nucléaire devient fortement dépendant de la configuration du cortège électronique. BLOCAGE ENERGÉTIQUE DE LA CONVERSION INTERNE L’équation de conservation de l’énergie dans le processus de Figure 1 - Graphe des interactions dans le cas d’une conversion interne liée sans émission d’électron (BIC) et d’une excitation nucléaire par transition électronique (NEET). Les lignes ondulées représentent une interaction avec le champ électromagnétique impliquant un photon virtuel ou réel. Les doubles lignes et simples lignes se rapportent respectivement au noyau et au cortège électronique (I et F), (i et f) dénotent respectivement l’état initial et final du noyau et du cortège électronique. A et A* (N et N*) représentent l’état du cortège électronique (du noyau) dans l’état fondamental et dans un état excité. Dans le cas du BIC pour le Te45+,46+, A* possède une lacune dans la couche 1s et un électron dans un état ns. Le système électronique A* retourne vers l’état final par émission d’un rayonnement X qui accompagne la transition électronique 2p → 1s. 104 conversion interne montre que la conversion d’une transition nucléaire sur la couche K est en principe interdite si son énergie E γ devient inférieure à EK, l’énergie de liaison d’un électron K. L’énergie EK dépend de la configuration des électrons qui entourent le noyau comme le montre la figure 2 sur laquelle nous avons porté la valeur de EK dans les atomes neutres et dans les ions hydrogénoïdes correspondants pour des éléments au voisinage du 52Te. Cette variation résulte de la modification de l’écrantage du potentiel coulombien du noyau par les électrons des couches plus périphériques. Il ressort de la figure 2 la possibilité de faire varier quasi continûment l’énergie EK, sur un domaine d’environ 6 keV en contrôlant le degré d’ionisation. Dans le noyau de 125 52 Te, le premier état excité, noté 3/2+, pour un spin 3/2 et une parité paire de la fonction d’onde qui décrit cet état, se situe à une énergie de 35.492 keV au-dessus de l’état fondamental de spin 1/2+. Le niveau 3/2+ se désexcite vers le fondamental par une transition dipolaire magnétique d’énergie E γ = 35.492 keV avec une période T1/2 = 1,49 ns. Dans l’atome neutre, ce niveau décroît essentiellement par CI avec un coefficient de conversion interne (encadré 1) αT = 13,9. La conversion de cette transition met principalement en jeu les électrons K (α K = 12). Dans un atome neutre de Te, les électrons K ont une énergie de liaison de 31,82 keV. On constate sur la figure 2 que l’énergie E γ se situe entre les deux courbes pour Z = 52. Un calcul de l’énergie de liaison des électrons K en fonction de l’état de charge, Q, de l’ion Te, montre que 45+ pour Q = 45, l’énergie E K devient supérieure à l’énergie E γ. En conséquence on s’attend dans l’ion Te45+ : – au blocage de la conversion interne sur la couche K bien que les électrons K soient toujours présents ; – à une grande variation de la période T1/2 du premier niveau excité puisque la principale voie de désexcitation se trouve alors bloquée. Energie de liaison 1Ss (keV) Énergie Physique nucléaire cette configuration où les électrons K font toujours partie du cortège électronique de l’ion, l’allongement de T1/2 démontre que la conversion interne se trouve effectivement bloquée sur la couche K. Néanmoins, la transition continue à être convertie sur la couche L qui, pour ces états de charge, n’est jamais complètement dépeuplée. 50 40 Eγ Egamma 30 Te 20 45 50 Figdraw @ aiche - 1998 Te 55 Figure 2 - Énergie de liaison d’un électron K en fonction du numéro atomique. Les carrés se rapportent à des atomes neutres. Les triangles concernent des ions hydrogénoïdes, c’est-à-dire avec un seul 45+ dans électron. E γ correspond à l’énergie de la transition nucléaire dans le 125 52 Te. Pour un ion 52Te l’état fondamental l’énergie de liaison d’un électron 1s dépasse E γ de 90 eV. VÉRIFICATION EXPÉRIMENTALE DU BLOCAGE DE LA CONVERSION INTERNE Une série d’expériences effectuées au GANIL, avec des ions 125Te accélérés à une énergie de 3.4 GeV, nous a permis de mesurer la période du niveau 3/2+, pour des états de charge compris entre 45 et 49. Le principe de la mesure est commenté dans l’encadré 2. Nous avons observé une variation importante de la valeur de T1/2 en fonction de la charge de l’ion. Pour la 48+ augmente de charge Q = 48, T1/2 700 % par rapport à la valeur dans l’atome neutre à (11 ± 2) ns. Pour Les valeurs de T1/2 mesurées pour les charges 47+ et 48+ sont un bon accord avec les valeurs théoriques qui incluent le blocage de la conversion interne. En revanche, on constate un désaccord important entre valeurs théoriques et expérimentales pour les charges 45+ et 46+. Pour ces états de charge, les périodes de 45+,46+ T1/2 mesurées sont proches de la valeur de T1/2 de l’atome neutre, comme si le blocage de la conversion interne sur la couche K ne se produisait qu’à partir de la charge Q = 47. Cette différence ne s’explique ni par une incertitude sur l’énergie d’excitation du niveau nucléaire, qui a été mesurée avec une précision inférieure à 0.1 eV, ni par une incertitude sur l’énergie des électrons 1s pour des ions Te dans les états de charge impliqués qui est estimée à quelques eV à partir des calculs d’électrodynamique relativiste. Encadré 1 COEFFICIENT DE CONVERSION INTERNE L’expression théorique qui donne le taux de décroissance du noyau par conversion interne, λe, est le résultat d’un calcul complexe qui fait intervenir les fonctions d’ondes électroniques et les fonctions d’ondes des nucléons. On préfère, puisque les deux processus de décroissance du noyau, par émission d’un photon γ et par conversion interne, sont presque toujours en compétition, définir la probabilité relative de la conversion interne par rapport à l’émission γ. On appelle coefficient de conversion interne le rapport : α = λe /λγ où λγ est le taux de décroissance du noyau par émission γ. Pour une énergie E γ fixée, la conversion interne peut avoir lieu sur les différentes couches électroniques pour lesquelles la relation de conservation de l’énergie est vérifiée. La probabilité de conversion interne est d’autant plus grande que l’électron est proche du noyau. Le coefficient de conversion interne décroît donc très rapidement quand on passe de la couche K aux couches plus externes L, M, etc. On définit des coefficients de conversion partiels α K, α L, α M... selon la couche d’origine de l’électron converti. Le coefficient total αT est la somme des coefficients partiels α K + α L + α M + . . . La période de demi-vie, T1/2 s’exprime en fonction de αT et de λγ : T1/2 = Ln2/ λγ (1 + αT) 105 Encadré 2 MESURE DE LA PÉRIODE RADIOACTIVE A L’AIDE D’UN SPECTROMÈTRE MAGNÉTIQUE DANS LE CAS DU 125Te Les ions Te sont accélérés dans les deux cyclotrons du GANIL. Ils traversent alors une cible de 232Th où, par collisions avec les atomes cibles, ils sont amenés dans une distribution d’états de charge centrée autour de Q = 46. Par ailleurs, une fraction des noyaux de Te se retrouve, après passage dans la cible, portée dans le premier état excité. L’excitation du noyau résulte de l’interaction coulombienne dépendant du temps entre le noyau cible et le noyau projectile. La probabilité d’excitation coulombienne dépend de la distance d’approche des deux noyaux dans la collision et donc de l’angle de diffusion du projectile. Les angles les plus grands (entre 2 et 6 degrés pour ce travail), conduisent à une probabilité d’excitation du noyau de Te de l’ordre de 0,5 %. On appelle ces processus inélastiques. Pour les angles compris entre 1 et 1,5 degré, l’excitation nucléaire est tout à fait négligeable. Pour ces collisions, dites élastiques, les processus purement atomiques sont dominants. Environ 1,5 ns après leur passage dans la cible les ions pénètrent dans le champ magnétique d’un spectromètre, SPEG, disposant d’un grand pouvoir de séparation. Trois cas se présentent alors. a) Le noyau de Te n’est pas excité. Les ions ont dans le spectromètre une trajectoire définie par la relation : c) Les noyaux de Te sont dans le premier état excité mais avec une période supérieure à 1,5 ns dans le cas du blocage de la CI sur la couche K. La désexcitation se produit pendant le temps de passage (120 ns) dans le spectromètre. Le changement de charge qui accompagne la conversion interne (sur la couche L dans le cas où la conversion interne sur la couche K est bloquée), modifie la trajectoire des ions dans le spectromètre qui devient intermédiaire entre les trajectoires des ions de charge Q et Q + 1. Dans le spectre en position ces événements vont apparaître entre les pics. L’analyse de la distribution des événements à l’aide d’un code de simulation des trajectoires permet de déterminer la période T1/2 en fonction de l’état de charge. R = mv/QB. La valeur du champ d’induction B étant fixée, les ions Te ont à la sortie du SPEG une position qui ne dépend que de la charge Q. Le spectre de position des ions est caractérisé par des pics dont la largeur reflète la dispersion en énergie des ions Te. Ce type d’événement est le plus probable. b) Les noyaux des ions Te sont dans le premier état excité avec une période courte, de l’ordre de 1,5 ns proche de celle de l’atome neutre. L’analyse des trajectoires dans le SPEG ressemble au cas précédent à la différence près qu’il faut tenir compte de la désexcitation du noyau. Cette désexcitation se fait soit par émission de γ ce qui ne change pas l’état de charge de l’ion, soit par conversion interne avec émission dans le continuum d’un électron de la couche K ou L ce qui provoque une augmentation d’une unité de la charge ionique. Compte tenu de la période courte, le changement d’état de charge a lieu avant ou immédiatement après l’entrée dans le champ magnétique et les ions se retrouvent dans le spectre de position dans l’un des pics précédents. CONVERSION INTERNE ENTRE ÉTATS ATOMIQUES LIÉS (BIC) Le désaccord enregistré entre les valeurs expérimentales et théoriques 106 Figure - Schéma de principe du dispositif utilisé pour mesurer la période de décroissance du niveau excité à 35.49 keV du 125Te en fonction de l’état de charge de l’ion Te. Les trajectoires en trait plein correspondent à des ions dont l’état de charge reste conservé à l’intérieur du champ magnétique du spectromètre. Les trajectoires en trait tiré concernent des ions dont la décroissance s’effectue à l’intérieur du spectromètre avec un changement de l’état de charge. Le spectre attendu de position des ions dans le plan focal du spectromètre est schématiquement indiqué. Le spectre réel est présenté dans la partie inférieure de la figure. de T1/2 dans les ions Te45+ et Te46+ peut être levé si l’on envisage que le noyau peut encore transférer son énergie au cortège électronique quand l’énergie EK est supérieure à l’énergie E γ. Dans le cas de la photoabsorption d’un flux de photons réels par un ensemble d’atomes, il est connu que le passage du seuil entre photoionisation et photoexcita- Physique nucléaire Figure 3 - Schéma du dispositif expérimental utilisé pour mesurer le spectre des photons émis en coïncidence avec des ions Te dont l’état de charge est compris entre 45+ et 47+ et qui ont été diffusés à un angle θ. La flèche en tirets montre la direction d’émission des XCI. La flèche en pointillés donne un exemple de trajet suivi par des XDIR émis depuis la cible et qui atteignent le détecteur. La différence entre les directions d’émission des photons XCI et XDIR par rapport à la direction des ions Te entraîne que les variations d’énergie des photons dues à l’effet Doppler sont de signes contraires. L’analyse de la trajectoire des ions dans le spectromètre permet de connaître l’angle θ de diffusion. tion ne se manifeste pas par une discontinuité marquée dans la section efficace de photoabsorption. Il est logique de penser qu’il devrait en être de même pour la section efficace de CI qui correspond à la photoionisation d’un atome mettant en jeu un photon virtuel d’énergie égale à l’énergie de la transition nucléaire. Pour la charge 45+, l’état final de l’électron deviendrait un état lié, localisé sous le continuum à une énergie ωnk, déterminée par la différence entre l’énergie de la transition nucléaire et l’énergie de l’électron K pour l’ion Te45+. Nous avons donné à ce nouveau processus de désexcitation du noyau le nom de conversion interne liée (BIC pour Bound Internal Conversion). La figure 1a montre le graphe de Feynmann associé au processus BIC. L’état initial du système atomique est défini par le noyau dans un état excité et le cortège électronique dans l’état fondamental de l’ion de charge Q. La dispersion en énergie de l’état initial est donnée par une largeur I déterminée à travers la relation d’incertitude de Heisenberg, par le taux de décroissance du niveau nucléaire. Dans le cas du 125Te dans son premier état excité cette largeur est très petite, I ~ 10–6 eV. L’état final du système, après conversion, est défini par le noyau dans l’état fondamental et le cortège électronique dans une configuration excitée correspondant à une lacune dans la couche K et un électron promu dans une orbitale vacante. La dispersion en énergie du système est maintenant fixée par le taux des transitions atomiques dipolaires entre les états 2p et 1s du cortège électronique qui déterminent l’évolution du système. Pour des atomes comme le Te cette largeur f est de l’ordre de 12 eV. Le taux de conversion interne liée est fixé par le recouvrement en énergie de l’état initial et de l’état final qui dépend de la largeur = I + f, et de la densité de niveaux atomiques autour de l’énergie ωnk. La conservation de l’énergie au cours du processus fixe l’énergie du rayonnement X émis qui accompagne le comblement de la lacune 1s par un électron de la couche 2p. En tenant compte de l’occurrence du BIC dans la décroissance du noyau pour les ions Te45+ et Te46+, l’accord entre les périodes expérimentales et théoriques devient satisfaisant. Au cours d’une seconde série d’expériences effectuées au GANIL, nous avons cherché à obtenir une évidence directe du BIC et une mesure des valeurs des coefficients associés à chacun des états de charge. Les transitions atomiques radiatives 2p → 1s qui accompagnent la désexcitation du noyau par BIC fournissent la seule observable possible. En effet, il n’est plus possible de caractériser la conversion interne liée par le changement d’état de charge de l’ion comme dans l’expérience précédente. La mesure de l’intensité de ce rayonnement X, appelé par la suite XCI, est difficile en raison de la présence d’un rayonnement de même énergie due à l’ionisation de la couche K du projectile dans les collisions purement coulombiennes entre les atomes de la cible et le projectile. Ce rayonnement que nous appellerons par la suite XDIR, est 600 fois plus intense que le rayonnement recherché en provenance du BIC. Il est émis instantanément lorsque les ions Te atteignent la cible, alors que le rayonnement associé au BIC est différé d’un temps proche de la période du niveau nucléaire. Le schéma de principe du dispositif expérimental utilisé pour cette mesure est donné sur la figure 3. Un détecteur de photons analyse les photons X et gammas émis en arrière de la cible à une distance comprise entre 5 cm et 20 cm de la cible. Les XCI ou les gammas atteignent le détecteur lorsqu’ils sont émis à un angle moyen de 120° par rapport à la direction de la vitesse des ions Te. Il en résulte une variation de l’énergie des photons détectés liée à l’effet Doppler. L’énergie détectée des XCI et des gammas est diminuée d’environ 5 keV par rapport à l’énergie des photons émis dans un ion au repos. Une protection de plomb, placée entre la cible et le détecteur, absorbe la majeure partie des XDIR. La petite fraction des XDIR émis dans une direction proche de celle du faisceau incident de Te qui peut atteindre le détecteur en effectuant des diffusions secondaires sur les matériaux du dispositif expérimental voit en revanche son énergie s’accroître de 3 keV environ. 107 Les différentes composantes du spectre de photons apparaissent clairement sur le spectre de la figure 4. La différenciation entre les interactions atomiques et nucléaires est améliorée en considérant leur dépendance respective en fonction de l’angle de diffusion des ions Te après la collision. L’excitation du noyau requiert une petite distance d’approche entre les atomes cible et projectile qui se traduit par un angle de diffusion grand. Le spectre de photons, montré sur la figure 4, est associé à ces événements inélastiques. Il fait apparaître les XCI associés au BIC et les photons γ. L’excitation de la couche K du Te s’effectue, en moyenne, à des distances d’approches supérieures auxquelles sont associées des angles de diffusion plus petits. La figure 4b est associée à ces événements élastiques. Les photons d’origine atomique, XDIR émis par le projectile et rayonnement XL émis par la cible de Th, dominent le spectre. La mesure de l’angle de diffusion entre 1° et 5° s’effectue au moyen du spectromètre SPEG. A chaque photon détecté dans l’expérience sont ainsi associés l’état de charge et l’angle de diffusion de l’ion Te émetteur. Pour chaque état de charge, le rapport entre le nombre de XCI et le nombre de γ détectés respectivement aux énergies de 24 keV et 29 keV correspond au coefficient de conversion interne liée. Pour la charge 46+, le coefficient de conversion interne vaut α 46 K = 4,7 ± 0.5. Il diminue sensiblement par rapport à celui de la charge 45+, α 45 K = 12 ± 3, ce qui traduit un recouvrement en énergie plus faible entre l’état initial et l’état final dans le cas du 46+. Le modèle théorique prévoit que pour une variation relative de seulement 16 eV entre les énergies de l’état initial et de l’état final, le coefficient α K peut varier par un facteur 6. Pour la charge 47+ il n’existe plus de niveau électronique résonant avec l’énergie de la transition nucléaire, et le coefficient α 47 K devient non mesurable. Ces résultats démontrent clairement l’existence de ce nouveau mode de désintégration du noyau dans les atomes ionisés. L’accord avec les prédictions théoriques montre également la maîtrise théorique des processus de couplage entre le cortège électronique et le noyau. EXCITATION DES NOYAUX PAR DES TRANSITIONS ÉLECTRONIQUES Figure 4 - Spectres en énergie des photons émis en vol. La partie a) de la figure est associée aux événements inélastiques. Les trois pics observés dans le spectre sont mentionnés en fonction décroissante de l’énergie. 1) photons XDIR à 32 keV ; 2) photons γ de la transition nucléaire d’énergie 35.49 keV mesurés à 29 keV compte tenu de l’effet Doppler ; 3) photons XCI, mesurés à 24 keV compte tenu de l’effet Doppler, et provenant de la transition électronique 2p → 1s associée au comblement de la lacune crée par la conversion interne liée. La partie b) de la figure est associée aux événements élastiques pour lesquels l’excitation nucléaire est négligeable. Seul reste le pic XDIR issu des collisions purement atomiques. 108 Il est bien connu que tout phénomène physique au niveau microscopique est symétrique par renversement du temps. Le processus inverse de la conversion interne liée, qui correspond à l’excitation du noyau à partir d’une transition entre deux états électroniques sans émission de photon, est un phénomène recherché depuis longtemps. Ce processus est connu sous le nom de NEET (pour Nuclear Excitation by Electronic Transition). Au départ le cortège électronique se trouve dans un état excité, d’énergie Ei et de largeur . Lors du retour vers l’état fondamental, l’énergie disponible peut être transférée au noyau dans l’hypothèse où il existe dans ce dernier un niveau d’énergie localisé exactement à l’énergie de la transition atomique. L’état final du système est donc celui d’un état nucléaire excité. La relation entre les deux processus inverses est explicitée sur la figure 1. Pour des états nucléaires d’une durée de vie longue, on entrevoit alors une possibilité pour un stockage d’énergie à très haute densité ou pour accomplir une inversion de population nucléaire. Il se pose la question de savoir si un tel système existe dans la nature. Le nombre de noyaux qui possèdent deux niveaux d’énergie séparés par moins de 100 keV (correspondant au domaine d’énergie X) est relativement grand. Ce nombre diminue notablement si l’on impose que l’état initial soit l’état fondamental d’un noyau stable ou un état à longue durée de vie. Le noyau qui semble le plus prometteur est le noyau 235U qui possède un premier niveau excité situé à 76 eV, d’une durée de vie moyenne de 26 minutes. Plusieurs laboratoires travaillent actuellement sur la possibilité d’utiliser un plasma induit par l’impact d’un faisceau laser sur une cible de 235U pour générer des ions U dans une configuration électronique initiale susceptible d’être en résonance avec l’énergie de 76 eV. Il faut attendre les résultats de cette expérience extrêmement délicate, à la frontière de trois disciplines, physique nucléaire, physique atomique, physique des plasmas pour savoir si une possibilité d’excitation du noyau à grande échelle, par l’intermédiaire du couplage électron-noyau peut devenir une réalité. CONCLUSION En règle générale, les dimensions caractéristiques très différentes du noyau et du système atomique Physique nucléaire entraînent une séparation entre les processus atomique et nucléaire. Cependant, dans certains cas, comme le montre ce travail, des perturbations du cortège électronique peuvent entraîner de profondes modifications des propriétés nucléaires fermant des voies de désexcitations du noyau ou au contraire faisant apparaître de nouveaux modes de décroissance comme celui de la conversion interne liée dont l’existence est démontrée ici dans le cas du 125Te. Bien que relevant d’un formalisme complexe dans lequel le système atomique noyau-cortège est traité globalement et non plus comme deux sousensembles disjoints, l’analyse théo- rique du couplage entre le cortège électronique et le noyau rend bien compte des résultats expérimentaux observés. Cette description théorique ouvre la voie à de nouvelles études concernant l’excitation de certains niveaux nucléaires à partir de l’énergie emmagasinée par le système électronique, qui peuvent dans l’avenir faire progresser les problèmes liés au stockage de l’énergie ou au développement du laser gamma. POUR EN SAVOIR PLUS Pauli (H.), Alder (K.), Steffen (R.M.), « The Electromagnetic Interaction in Nuclear Spectroscopy », Chapitre 10, North Holland Publishing Company édité par Hamilton (W.D.), 1975. Attallah (F.) et al., « Charge state blocking of K-shell internal conversion in 125Te », Phys. Rev. Lett. 75, 1715, 1995 et Phys. Rev. C55, 1665, 1997. Karpershin (F.) et al., « Subthreshold internal conversion to bound states in highly ionized 125Te ion », Phys. Rev. C, 53, 1640, 1996. Harston (M.) et al., « Mecanisms of nuclear excitation in plasmas », Phys. Rev. C, 59, 1999. Article proposé par : Jean-François Chemin et le Groupe hauts spins hautes déformations du CENBG, tél. 05 57 12 08 74, [email protected] 109