moment à la quasi-totalité des Japonais, et galvanisa leur résistance à
l'adversité, jusqu'à l'absurde ? Il faudra aussi comprendre pourquoi l'armée
ne constitua jamais une force réellement unifiée, ce qui entrava son projet
de réorganisation totale du système politique et de la société.
1946, enfin, est comme le négatif -il vaudrait mieux dire le positif- de
1928 : l'armée, écrasée, disqualifiée, dissoute, perd en quelques semaines
toute emprise sur le pays. Les éléments d'une démocratie apaisée -et
démilitarisée- se mettent aussi vite en place, dans un consensus assez
étonnant entre l'occupant américain et la masse de la population. Et la
société se réinstitue, sans révolution, sur de nouvelles bases.
I-1928-1936 : Le double pouvoir et la faillite du parlementarisme
A-1928-1931 : La déstabilisation
Les demi-échecs des années 1920-22 (retraits de l'essentiel des
conquêtes réalisées en Chine et en Russie, limitation des armements
navals) avaient permis au ministre des Affaires Etrangères Shidehara
Kijuro d'imposer une diplomatie fondée sur l'expansion économique, le
respect de l'unité chinoise et l'entente avec le monde anglo-saxon, entre
1924 et 1927. Mais le coup de force déjà cité en Mandchourie, et la
tentative du Premier ministre Tanaka d'empêcher militairement
l'intégration du nord de la Chine par le pouvoir central de Nankin vont
non seulement introduire un processus de dégradation irréversible des
relations extérieures du Japon, mais permettre aux militaires de
conditionner de plus en plus la politique de leur pays. Leurs méthodes : la
pression politique légale (menace de démission des ministres de la Guerre
-armée- et de la Marine, traditionnellement des militaires, pour faire
tomber le gouvernement), l'insubordination, et de plus en plus souvent
l'assassinat (la première victime d'importance est le Premier ministre
Hamaguchi, en novembre 1930, qui succombera quelques mois plus tard).
La crise de 1929, tôt arrivée au Japon du fait des liens étroits,
commerciaux et financiers, avec les Etats-Unis, va par ailleurs provoquer
de très graves tensions sociales. Elle frappait en effet avec une extrême
brutalité un monde rural déjà en difficultés depuis le début de la décennie.
Pour les plus pauvres des Japonais, le rapprochement était facile, même s'il
était abusif, entre leur misère et le récent pouvoir des partis et de la Diète.
Les libéraux alors au pouvoir aggravèrent leur cas en recourant à des
méthodes déflationnistes d'une grande orthodoxie, qui ne firent
qu'accélérer la spirale dépressive. Or beaucoup de jeunes officiers des
années vingt et trente étaient issus de familles paysannes pauvres, dont ils
constituaient la seule espérance d'ascension sociale. Leur indignation prit
la forme d'un anticapitalisme de droite, et d'un rejet du "désordre"
démocratique au profit de ce qu'ils connaissaient : l'autorité, la hiérarchie,
le nationalisme. L'armée vit donc se développer un courant "national-
socialiste" au sens premier du terme, particulièrement dans ce bouillon de