La problématique cannabis en NC - ASS-NC

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Calédonien & Polynésien
La problèmatique
du Cannabis en
Nouvelle-Calédonie
1ÈRE PARTIE : MÉDECINE D’URGENCE CHEZ L’ENFANT
N° 50 - Mars 2008
A.D.I.M-N.C. - BP 14 999
98 803 NOUMEA Cédex
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12 ème année
trimestriel
Prix au numéro : gratuit
A G E N C E S A N I TA I R E E T S O C I A L E - N C
La problématique cannabis en Nouvelle-Calédonie
Ch Michel
La consommation de cannabis a fortement augmenté dans le monde depuis 10 ans,
particulièrement chez les jeunes. La France est l’un des pays d’Europe où les niveaux de
consommation sont les plus élevés. La proportion d’élèves qui déclarent en avoir déjà
consommé au moins une fois est d’environ deux fois supérieure à la moyenne de
l’ensemble des pays européens.
Chez les garçons de 17 ans, l’expériQu’a fait la Calédonie face à l’ampleur du phénomène?
mentation a doublé en 10 ans, et la consommation répétée a triplé, pour concerner près
2001 : Mise en place par le Gouvernement du programme alcool avec extension à
d’un jeune de 17 ans sur 5 en 2003. En 2005, l’addictologie en 2005 prenant en compte la problématique cannabis ainsi que le tabagisme,
près de la moitié des jeunes de 17 ans disent sous la tutelle de l’agence sanitaire et sociale.
avoir déjà fumé du cannabis au cours de leur vie.
2005 : congrès international alcool / addictologie financé par le Gouvernement. Présence
d’experts australiens, métropolitains, néo-zélandais, suisses, belges ainsi que les professionnels
locaux. Réunion grand public sur le thème du cannabis devant une centaine de personnes
Qu’en est-il en Nouvelle-Calédonie?
animée par le docteur Morel, secrétaire général de la Fédération française d’addictologie.
2005 : enquête concernant les usages de produits psycho actifs faite en milieu scolaire
A 14 ans environ un jeune sur six déclare auprès de 5000 jeunes (collégiens, lycéens et apprentis) et enquête ESCAPAD effectuée
avoir déjà fumé du cannabis au cours de sa dans le cadre des journées d’appel à la défense auprès de 701 jeunes.
2006 : Ouverture du centre de soins addictologiques accueillant toute personne en diffivie (Enquête faite en milieu scolaire en 2005
par le service de prévention en addictologie, culté directement ou indirectement avec l’alcool, le cannabis ou le tabac. Gratuité des
auprès de 2517 élèves de classes de 4ème des consultations addictologiques. Mise en place des activités de liaison au C.H.T. permettant une
prise en charge précoce. Conférence grand public à l’université sur le thème du cannabis.
collèges des trois provinces).
Depuis 2004 : en partenariat avec le vice rectorat : séances d’éducation pour la santé
A 16 ans le pourcentage de jeunes qui a
déjà consommé du cannabis passe de 17% à auprès des élèves de 4ème ou de 3ème des collèges publics ou privés de Nouvelle42,6% (Même enquête faite en milieu scolaire Calédonie dans la cadre du plan addictions (recommandations du ministère de l’éducation)
en 2005 auprès de 2516 élèves de classes de ainsi qu’auprès des élèves de secondes des lycées en collaboration avec les services de
préventions provinciaux. Sensibilisation des adultes (enseignants et parents d’élèves). Création
secondes des lycées des trois provinces).
Entre 17 et 18 ans, 47% de jeunes d’outils pédagogiques adaptés et théâtre forum.
2006 : Formation « cannabis » pour les professionnels de santé et les enseignants animés
calédoniens déclarent avoir déjà consommé
du cannabis (Enquête ESCAPAD 2005 faite par le docteur A. MOREL pendant quatre jours.
2007 : Ouverture de la consultation cannabis « DECLIC » destinée aux jeunes 12/25 ans
auprès de 701 jeunes de 17-18 ans : 366 garçons
et 335 filles dans le cadre des journées et à leur famille. Formation à l’utilisation de tests de repérage de consommation de cannabis
pour les infirmières scolaires et les assistantes sociales scolaires.
d’appel à la défense).
Depuis 2002 : Actions de sensibilisation et d’éducation pour la santé coordonnées par
Le cannabis est un produit facilement
accessible en Nouvelle-Calédonie, et son l’Agence Sanitaire et Sociale auprès du public scolaire, en milieu du travail, en tribu, auprès
usage soulève des controverses et des débats des associations de femmes… Action communautaire en santé animée par la population de
dans lesquels chacun a son explication, ses Ponérihouen avec les acteurs locaux. Développement du dispositif « cannabis » financé par
solutions, ses certitudes et le débat oscille la province nord permettant l’accompagnement et la réinsertion des jeunes en difficulté avec
souvent entre banalisation pour certains et le cannabis.
2008 : Le cannabis est une priorité de santé publique pour le Gouvernement.
dramatisation pour d’autres.
Immédiatement après consommations,
Comment se situe la Nouvelle-Calédonie Quels sont les effets produits par la
peuvent apparaître des douleurs à l’estomac,
par rapport aux D.O.M. / T.O.M/ C.O.M.? consommation de cannabis?
une augmentation du rythme cardiaque,
(Source : Escapad 2005, exploitation Nouvelle-Calédonie, OFDT)
Les effets varient d’une personne à une autre, une irritation des bronches associée à celle
en fonction de la quantité fumée, de la concen- produite par le tabac, un état de détente,
ȷ Tabac – Usage quotidien : 37%
1er sur 6
tration en THC, du contexte de consommation, de bien être voire d’euphorie, cet état peut
ème
ȷ Alcool – Usage régulier :
8% 2
sur 6
de l’état physique et psychique du jeune au s’accompagner d’une modification des
ème
ȷ Ivresses – Répétées :
22%
2
sur 6
moment où il fume, et enfin de la fréquence sens (sensation de mieux entendre la
er
ȷ Cannabis – Usage régulier : 8%
1
sur 6
de consommation (occasionnelle ou régulière). musique par exemple).
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A G E N C E S A N I TA I R E E T S O C I A L E - N C
- Apparition d’une schizophrénie chez le
consommateur sans antécédents psychiatriques :
- Risque d’apparition d’une schizoLa consommation aigue
phrénie lors des consommations intenses et
répétées chez les très jeunes consommateurs
• Ralentissement psychique avec difficultés (15 ans ou < à 15 ans),
de concentration et diminution de la vigilance,
- Le risque est âge – dépendant et
ralentissement physique,
dose dépendant.
• Ivresse cannabique,
ƒ Conséquences sur la vie sociale :
• Troubles de l’humeur, anxiété, agressivité,
- Accidents de circulation en vélo, en
attaque de panique,
booster ou en automobile,
• « Bad trip » ou mauvais voyage : expérience
- Désintérêt scolaire et professionnel
désagréable, une sensation de malaise ou de conduisant à l’échec,
- Isolement,
mort imminente pouvant survenir chez un
- Organisation de la vie du jeune autour
jeune en mauvaise condition physique ou
du cannabis,
psychologique qui a associé le cannabis à de
- Problèmes avec la police, la gendarmerie
l’alcool ou qui a consommé un cannabis ou la justice.
fortement dosé en T.H.C..
• Dans de rares cas : Psychose cannabique
(sentiment de persécution, hallucinations Les différents usages
de consommation de cannabis
visuelles survenant chez un sujet n’ayant pas
d’antécédents psychiatriques).
On peut distinguer plusieurs stades
• Accidents de circulation et / ou du travail.
de consommation qui se réfèrent à des
motivations différentes.
La consommation régulière
L’expérimentation
ȷ Les risques somatiques : surtout cardioȷ Curiosité, besoin de nouvelles expévasculaire et pulmonaires après des années de
consommation régulière.
riences et sensations. Recherche de plaisir et
de détente. Pression du groupe.
ȷ Les risques psychiques :
Quels sont les risques liés à la
consommation de cannabis?
ż Induits par le cannabis
- Les troubles cognitifs : Diminution de la
mémoire immédiate et de la capacité d’apprentissage, modification du temps vécu
- Le syndrome amotivationnel : Indifférence
affective, absence ou pauvreté des projets de vie,
déficit de l’activité, perte de l’intérêt.
ż Les comorbidités psychiatriques : dans
70% des cas ces troubles précèdent de l’usage
nocif de cannabis:
- Les troubles de l’humeur (dépression,
trouble bipolaire…),
- Les troubles anxieux pouvant conduire à
l’usage auto thérapeutique de cannabis,
- Les troubles du comportement alimentaire.
ż Le cas particulier de la schizophrénie :
- Aggravation d’une schizophrénie connue,
- Moins bonne observance thérapeutique avec hospitalisations plus fréquentes,
- Augmentation du risque suicidaire,
- Risque de désocialisation plus
important.
22
Mars 2008 - N° 50
L’usage récréatif
et occasionnel
ȷ Recherche de plaisir, de convivialité,
d’appartenance au groupe, recherche de
sensations d’ivresse (« s’éclater »).
ȷ L’accessibilité favorise la consommation
sans la déterminer (plus le cannabis est
banalisé et présent plus le jeune risque d’en
consommer).
L’usage intensif et nocif
ȷ L’inhibition, la dépression, les conflits
ou des carences affectives, l’oisiveté sont des
facteurs de vulnérabilité pour passer d’un
usage récréatif à un usage nocif posant des
problèmes. Les problèmes apparaissent (conflits
familiaux, difficultés scolaires, ennuis avec
les forces de l’ordre) et renforcent le besoin
de consommer pour « oublier » les problèmes
engendrés par la consommation.
Usage avec dépendance (10% des cas environ)
Cette dépendance est surtout psychique :
perte de maîtrise de la consommation (impossibilité
de diminuer ou d’arrêter sa consommation malgré
les promesses faites à l’entourage ou à soi même
ce qui diminue encore l’estime de soi), isolement,
perte des copains, des activités sportives ou
professionnelles habituelles. Toute la vie
s’articule autour du cannabis.
Principales caractéristiques des types de
consommation de cannabis à l ’adolescence
Consommation
Festive/conviviale
Effet recherché
Euphorisant
Mode social de
consommation
Scolarité
En groupe
Activités sociales
Facteurs de risque
familiaux
Facteurs de risque
individuels
Autothérapeutique Toxicomaniaque
Anxiolytique
Anesthésiant
Surtout solitaire, Solitaire et groupe
parfois en groupe
Cursus scolaire habituel Décrochage scolaire Exclusion scolaire
Rupture
Conservées
Limitées
Marginalisation
Absents
Absents
Présents
Absents
Présents
Présents
(Document du service universitaire de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent de
POITIERS, Daniel MARCELLI/Yves GERVAIS, 2000)
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Consommation de cannabis
chez les jeunes en Nouvelle-Calédonie
Évolution de la consommation en fonction de l’âge
Ch Michel
Cette synthèse est réalisée à partir des enquêtes calédoniennes
faites en 2005 :
1) Une enquête mise en oeuvre par le service de prévention en
addictologie de l’agence sanitaire et sociale, avec la collaboration
de la DASS/NC et le concours du Vice-rectorat et des chambres
consulaires de Nouvelle-Calédonie.
Elle repose sur un auto questionnaire anonyme proposé à
l'ensemble des jeunes collégiens des classes de 4ème (2517 élèves)
et des lycéens des classes de seconde (2116 élèves) de l’enseignement
public ainsi que 687 apprentis des C.F.A. (des trois chambres
consulaires : C.C.I., Chambre d’agriculture et chambre des métiers).
Ŷ Chez les apprentis (moyenne d’âge 19 ans) 62%. déclarent
avoir déjà consommé du cannabis au cours de leur vie et 14,1%
déclarent être des consommateurs réguliers (au moins 10 fois / mois).
Cons om m ation de cannabis au cours de la vie par
âge e t par s e xe
70%
62,8%
60%
46% 47%
42,5% 42%
50%
2) L’enquête ESCAPAD mise en oeuvre par l'O.F.D.T., en
partenariat avec la Direction du service national (DSN). Elle
consiste en un auto questionnaire proposé à l'ensemble des jeunes
présents lors des journées d'appel de préparation à la défense
(JAPD) soit 701 jeunes calédoniens (366 garçons et 335 filles).
61,5%
40%
30%
17,1%
20% 16,3%
Les indicateurs utilisés
10%
Les indicateurs retenus pour ces deux enquêtes sont des
indicateurs de niveau et de fréquence d’usage habituellement
utilisés dans les enquêtes internationales :
Ŷ Expérimentation qui désigne le fait de déclarer avoir déjà pris
un produit au cours de sa vie, quel que soit le nombre de
consommations (au moins une fois) ;
Ŷ Usage actuel qui désigne l’usage au cours des douze derniers
mois ;
Ŷ Usage régulier, qui désigne le fait de déclarer avoir pris au
moins dix fois un produit au cours des trente derniers jours, à
l’exception du tabac, pour lequel il s’agit de l’usage quotidien ;
Ŷ Usage quotidien, qui désigne le fait d’avoir pris un produit
quotidiennement au cours des trente derniers jours.
0%
14 ans
16 ans
Fille s
17-18 ans 19 ans
(e scapad) (cfa)
Garçons
Us age ré gulie r de cannabis
par âge e t par s e xe
17,9%
18%
16%
14%
12%
Les résultats
Ces enquêtes nous permettent de dire qu’en 2005 :
ème
Ŷ A 14 ans (classe de 4 ) environ un jeune sur 6 a déclaré
avoir fumé du cannabis au moins une fois au cours de sa vie et que
3,4% déclarent être consommateurs réguliers (au moins 10 fois /
mois) ;
Ŷ A 16 ans (classe de seconde) 42,6% de jeunes déclarent
avoir déjà consommé du cannabis au cours de leur vie et 7,9%
déclarent être des consommateurs réguliers ;
Ŷ A 17/18 ans, (enquête ESCAPAD 2005) 47%. des jeunes
calédoniens déclarent avoir déjà consommé du cannabis au cours
de leur vie est et 8% déclarent être des consommateurs réguliers
(au moins 10 fois / mois);
10,0%
9,2%
8,7%
10%
8%
7%
4,1%
6%
6%
4%
2,6%
2%
0%
14 ans
16 ans 17-18 ans 19 ans
(escapad) (cfa)
Fille s
Garçons
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A G E N C E S A N I TA I R E E T S O C I A L E - N C
Bien entendu le groupe « apprentis » n’est pas représentatif
d’une classe d’âge mais d’un groupe de jeunes en parcours de
formation (une semaine de cours et deux semaines de stages en
entreprises) ayant un âge moyen de 19 ans et présentant un
parcours scolaire souvent plus difficile que les jeunes scolarisés à
temps plein en structure scolaire classique.
En moyenne l’expérimentation a lieu entre 12 et 15 ans selon
les groupes (entre 13 et 14 ans pour le groupe collège, dans l’année
des 14 ans pour le groupe lycée et dans l’année des 15 ans pour les
apprentis) avec peu de différences entre garçons et filles.
Concernant l’usage au cours de la vie il n’y a pas de différence
significative entre garçons et filles, en revanche les d’usages
réguliers sont plus fréquents chez les garçons que chez les filles
quel que soit l’âge.
L’analyse des questions concernant l’intensité des consommations et leur contexte (en particulier contexte de la dernière
consommation), nous montre que les fumeurs réguliers consomment
nettement plus que les autres (27% des fumeurs réguliers déclarent
avoir fumé 5 joints ou plus lors de la dernière occasion alors qu’ils
ne sont que 6,3% à déclarer avoir fumé 5 joints ou plus la dernière
fois en ce qui concerne les fumeurs occasionnels.
Parmi les consommateurs de 5 joints ou plus, il y a significativement plus de garçons que de filles.
Le week-end est un moment pendant lequel on fume plus que
pendant les jours de semaine.
Certaines consommations apparaissent plus à risque que
d’autres, notamment lorsqu’elles sont suivies de la conduite d’un
véhicule (bicyclette, booster, moto ou voiture). En effet plus de 4
fumeurs réguliers sur 10 déclarent conduire très souvent ou souvent
après avoir fumé du cannabis. Les garçons sont plus nombreux que les
filles à déclarer conduire après avoir fumé.
D’autres modes de consommations sont révélateurs de consommations problématiques :
- un consommateur régulier sur deux déclare consommer assez
souvent ou très souvent le matin,
- et également un consommateur régulier sur deux déclare
consommer assez souvent ou très souvent seul.
La perception de la consommation et de ses conséquences vues
par le consommateur a permis de constater que plus la consommation
est régulière plus le jeune consommateur a l’impression qu’il fume
trop (35,3% des fumeurs réguliers pensent qu’ils fument trop contre
15,2% pour l’ensemble des consommateurs).
De même 32,4% des fumeurs réguliers déclarent avoir très
souvent ou assez souvent envie de diminuer leur consommation,
contre 23,5% pour l’ensemble des consommateurs.
Ceci se confirme également concernant les reproches de
l’entourage, les problèmes de mémoire perçus par le fumeur ainsi
que pour tous les autres dommages (bagarres, disputes, mauvais
résultats scolaires, difficultés professionnelles).
En ce qui concerne les consommations d’alcool
- A 14 ans, 4% des jeunes déclarent consommer de l’alcool au moins 10 fois par mois.
- A 16 ans, 5,3% des jeunes déclarent en consommer au moins 10 fois par mois.
- A 17 / 18 ans (ESCAPAD) plus de 6 jeunes sur 10 ont eu au moins une crise d’ivresse aigue dans leur vie et 22% déclarent des
ivresses répétées.
En ce qui concerne le tabac
(qui est expérimenté plus tôt que le cannabis) on note :
- A 14 ans : 5,5% de fumeurs quotidiens de tabac.
- A 16 ans : 17,9% de fumeurs quotidiens de tabac, les filles étant plus nombreuses que les garçons (20,6% pour les filles et 14,9%
pour les garçons).
- A 17 / 18 ans (ESCAPAD): 37,2% de fumeurs réguliers de tabac, ce qui est très voisin de la consommation de la population adulte
(38% en 2007).
Il parait souhaitable également de suivre l’évolution des usages de kava dans les années à venir puisqu’à 16 ans, 18,4% des jeunes déclarent
avoir déjà consommé du kava au cours de leur vie et 0,5% déclarent une consommation régulière.
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Le rôle du médecin dans le repérage précoce
et l’abord de l’usage nocif de cannabis
Ch Michel
Comment aborder le cannabis avec son patient ?
Comment évaluer ?
L’adolescent consulte rarement et il faut profiter de tout motif de
consultation pour aborder la consommation de cannabis, par exemple
lors d’un examen d’aptitude à un sport ou d’une consultation pour
une vaccination. Il en est de même lors du recueil de données à
l’hôpital. L’interne ou l’infirmière ou le médecin doivent aborder
de façon systématique la consommation de cannabis au même titre
que les consommations d’alcool et de tabac. Si les patients n’abordent
pas spontanément le problème de leur consommation avec le soignant
cela ne veut pas dire qu’ils ne souhaitent pas que celle-ci soit abordée.
Un étude réalisée par Michaud en 2003 confirme le décalage entre
l’attente des patients et la réserve des médecins.
Il peut s’agir d’une autoévaluation que le professionnel de santé
propose au patient ou d’une évaluation partagée avec le patient:
% de patients trouvant
la question légitime
% de patients interrogés
par le médecin
Alcool
90%
9%
Tabac
88%
25%
Produits
illicites
85%
4%
Il ne faut pas hésiter à évoquer également le cannabis devant
toute modification du comportement d’un adolescent ou toute
baisse des résultats scolaires ou d’un absentéisme scolaire.
Quelques fois la demande vient de la famille et le soignant est
alors bien désarmé face à une famille inquiète et demandeuse et un
jeune non demandeur qui ne se sent pas « malade » et qui identifie
le soignant comme un allié de ses parents ne comprenant rien aux
problèmes de la jeunesse.
L’abord doit se faire dans une ambiance de dialogue en se
situant en professionnel de santé comme on le fait pour l’alcool ou
le tabac.
Si les questions sont posées simplement, le patient a de fortes
chances de répondre assez facilement.
Des questions de ce type peuvent être posées :
« Fumez vous actuellement du cannabis ? »
« Et vous, qu’est ce que vous en pensez de votre consommation ?
« Quels bénéfices en retirez-vous ? »
A quel âge avez-vous fumé pour la première fois ?
A quel âge avez-vous fumé régulièrement (au moins 10 fois / mois)?
Pensez-vous que vous fumez trop ?
Avez-vous déjà eu envie de diminuer ?
Fumez-vous dès le matin ou avant midi pour être en forme ?
Fumez-vous seul ?
Rechercher les facteurs de risque et de gravité
• Les facteurs individuels : troubles du comportement, comorbidités psychiatriques, précocité de la consommation, conduite
d’excès, faible estime de soi, difficultés relationnelles.
• Les facteurs environnementaux et sociaux : histoire familiale,
entourage, ruptures diverses, marginalité, difficultés relationnelles,
oisiveté.
Rechercher des complications éventuelles
« En avez-vous déjà fumé ? »
« Avez-vous rencontré des problèmes liés à votre consommation ?
Avec qui ? Vos parents ? Vos professeurs ? La police ? Les copains ?
« Où en êtes vous avec le cannabis ?»
Comme pour l’abord de l’alcool, il ne faut pas hésiter à
reformuler :
Avez-vous l’impression que votre mémoire
est moins bonne depuis quelque temps ?
« Si j’ai bien compris vous en fumez comme tout le monde,
Avez-vous déjà eu l’impression de ne plus être le même qu’avant ?
et pour vous, c’est comment comme tout le monde ? »
Avez-vous eu parfois l’impression d’entendre des voix ?
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A G E N C E S A N I TA I R E E T S O C I A L E - N C
Se servir des questionnaires
Le test D.E.T.C.
Le CAST
Ce questionnaire d’autoévaluation dérivé du CAGE est validé aux États-Unis
(Cannabis abuse screening test, conçu à l’OFDT)
Source : Beck F, Legleye S, Reynaud M, Karila L.
OUI
OUI
NON
1) Avez-vous déjà ressenti le besoin de DIMINUER votre
consommation de cannabis ?
1) Avez-vous déjà fumé du cannabis avant midi ?
2) Votre ENTOURAGE vous a-t-il déjà fait des remarques
au sujet de votre consommation ?
2) Avez-vous déjà fumé du cannabis lorsque vous étiez
seul(e) ?
3) Avez-vous déjà eu l’impression que vous fumiez TROP
de cannabis ?
3) Avez-vous déjà eu des problèmes de mémoire quand
vous fumez du cannabis ?
4) Avez-vous déjà eu besoin de fumer du CANNABIS dès
le matin pour vous sentir en forme ?
4) Des amis ou des membres de votre famille vous
ont-ils déjà dit que vous devriez réduire
votre consommation de cannabis ?
Deux réponses positives ou plus évoquent une consommation nocive du
cannabis
5) Avez-vous déjà essayé de réduire ou d’arrêter votre
consommation de cannabis sans y parvenir ?
6) Avez-vous déjà eu des problèmes à cause de votre
consommation de cannabis (dispute, bagarre,
accident, mauvais résultat à l’école…) ?
ADOSPA / CRAFFT
Permet de dépister les usages à risque sous l’effet de l’alcool et du cannabis
chez les adolescents. Validé en médecine générale en France.
OUI
NON
1) Êtes-vous déjà monté dans un VEHICULE (auto, moto,
scooter) conduit par quelqu’un (vous y compris) qui
avait trop bu ou qui était défoncé ou qui avait
consommé de l’alcool ou des drogues ?
Deux réponses positives doivent inciter à s’interroger sur les conséquences
de la consommation.
Trois réponses positives doivent inciter à demander de l’aide.
Le test d’autoévaluation
de la consommation nocive du cannabis
Validé en Nouvelle-Zélande
OUI
2) Utilisez-vous de l’alcool ou des drogues pour vous
DETENDRE, vous sentir mieux ou tenir le coup ?
1) Votre ENTOURAGE s’est-il plaint de votre usage de
cannabis ?
3) Vous est-il arrivé d’OUBLIER ce que vous avez fait
sous l’emprise de l’alcool ou d’autres drogues?
2) Avez-vous des problèmes de MEMOIRE immédiate ?
4) Consommez-vous de l’alcool ou des drogues
quand vous êtes SEUL ?
5) Avez-vous déjà eu des PROBLEMES en consommant
de l’alcool ou des drogues ?
6) Vos AMIS, votre FAMILLE vous ont-ils déjà dit que
vous deviez réduire votre consommation de boissons
alcoolisées ou votre usage de drogues ?
Deux réponses positives ou plus évoquent une consommation nocive du
cannabis
Le DEPADO
Ce test un peu plus long à utiliser mais il permet de « classer » le
consommateur en trois catégories :
ƒ
ƒ
ƒ
Feu vert : Pas de problème évident.
Feu orange : Problème en émergence. Intervention souhaitable.
Feu rouge: Problème évident. Intervention spécialisée.
Les infirmières scolaires et les assistantes sociales du Vice –Rectorat
ont été formées en 2007 à l’utilisation de ce test dont elles se servent, pour
la plupart d’entre elles, pour aborder le cannabis avec le jeune et pour savoir
s’il doit être orienté ou non vers une structure spécialisée.
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Mars 2008 - N° 50
NON
NON
3) Avez-vous déjà eu des épisodes DELIRANTS lors
d’usage de cannabis ?
4) Manquez-vous d’énergie pour faire les choses que
vous faisiez habituellement ?
5) Vous êtes-vous déjà senti PREOCCUPE par les effets
de votre usage de cannabis ?
6) Avez-vous plus de difficultés à ETUDIER ? À intégrer
des informations nouvelles ?
7) Avez-vous déjà essayé, sans succès, de DIMINUER
ou d’ARRÊTER votre usage de cannabis ?
8) Aimez-vous « PLANER », « ETRE DEFONCE »
dès le matin ?
9) Êtes-vous de PLUS en PLUS souvent défoncé ?
10 ) Avez-vous ressenti « LE MANQUE », des maux de
tête, de l’irritabilité ou des difficultés de concentration
quand vous arrêtez l’usage du cannabis ?
Deux réponses positives ou plus évoquent une consommation nocive du
cannabis
A G E N C E S A N I TA I R E E T S O C I A L E - N C
Aider le jeune et sa famille à faire le point
Évaluer la motivation au changement
Aider le jeune :
• Faire avec lui le bilan des bénéfices qu’il attribue à sa consommation de cannabis :
Le soignant doit situer le patient dans son désir de changement
selon les six stades du schéma de Prochaska :
- La préintention : la personne n'envisage pas de changer son
comportement dans les 6 mois ;
- L'intention : la personne envisage de modifier ses habitudes
dans un délai proche ;
- La préparation : la décision est prise et la personne se prépare
au changement ;
- L'action : c'est une période d'environ 6 mois au cours de laquelle la
personne modifie ses habitudes. Cela lui demande beaucoup d'attention
et d'énergie au quotidien. Elle doit être aidée, accompagnée ;
- Le maintien : Il s'agit d'éviter les rechutes. L'effort à fournir est
moins intense, la personne a davantage confiance en ses capacités
de changement.
- La résolution : C'est le moment où la personne n'a plus jamais
la tentation de revenir à son comportement antérieur, même quand
elle est stressée, anxieuse, déprimée ou en colère.
ż Faire la fête avec les copains,
ż Faire comme les autres, faire partie du groupe et bien
« délirer » avec les autres,
ż Se détendre, être « stone »,
ż Mieux s’endormir le soir,
ż Assurer auprès des garçons ou des filles.
• Faire ensuite avec lui le bilan des dommages liés à la consommation :
ż Les reproches des parents, la perte de certains camarades
conduisant à un isolement social,
ż Les problèmes avec la loi, la baisse des résultats scolaires,
ż Les difficultés à se mettre au travail, les problèmes d’argent.
Aider la famille :
• Évaluer les connaissances de la famille concernant le cannabis
et les compléter éventuellement,
• Les aider dans leur fonction parentale face à un adolescent
qu’ils ne comprennent plus,
• Faire le point sur le dialogue intrafamilial.
En avez-vous parlé avec lui ? Qui en parle avec lui ?
Uniquement vous Madame? Et pourquoi pas son père ?
• Orienter éventuellement la famille vers une structure spécialisée
et formée à l’accueil de ce jeune public (consultation cannabis
DECLIC) lorsque la situation est trop lourde à gérer et / ou lorsque
le jeune n’est pas ou est peu demandeur afin qu’elle y trouve une
aide et un temps de paroles.
- Le soignant doit savoir s’adapter afin de concilier les objectifs
de soins, les priorités en terme de réduction de risques, les souhaits
et les possibilités actuelles du patient.
Orienter
Vous pouvez également vous appuyer sur une consultation spécialisée
lorsque la situation l’exige (Consultation cannabis). Le premier
entretien effectué par un professionnel de santé et/ ou un travailleur
social, permet d’évaluer la consommation, ses répercussions dans
la vie personnelle, familiale, scolaire ou professionnelle du jeune.
Cet entretien permet également de diagnostiquer éventuellement
des problèmes psychologiques sous jacents plus graves.
C’est un temps de dialogue et d’évaluation partagée avec le jeune
consommateur. C’est également un lieu d’écoute pour la famille.
En cas de complications psychiatriques ou de comorbidité, une
orientation vers le milieu psychiatrique est bien entendu nécessaire.
DECLIC
Consultation gratuite destinée aux jeunes usagers
(12 à 25 ans) et à leur famille
Intérêt :
Faciliter la rencontre avec un public peu ou non demandeur,
Aider une famille inquiète et très demandeuse (à tort ou à raison)
face à un adolescent qui refuse de se mobiliser,
Aider un adolescent demandeur à faire le point sur sa ou ses
consommations
Aider un adolescent demandeur à modifier son usage,
Le cadre :
Des horaires adaptés aux horaires scolaires,
La confidentialité et la possibilité d’anonymat en particulier
pour les mineurs,
La gratuité,
Un cadre discret, indépendant des consultations adultes
Téléphone : 25.50.78 ou 24.01.66 ou 25. 50. 61
Sources : • INPES : Repérage précoce de l’usage nocif de cannabis • A.N.P.A.A. Rhone-Alpes : « comment aborder « alcool- tabac- cannabis en consultation ? » • Reynaud M., Karila L. évaluation des conduites de consommation dans le cadre des polyconsommations. Alcoologie
et addictologie 2007 ; 29 (4) : 352-362 • Mortel A. « Prévenir les consommations à risque chez les jeunes »Adolescents et usage de cannabis : plaidoyer pour une intervention précoce. La santé de l’homme 2006 ; 386 : 32-34
• Michaud et al : le public fait confiance aux médecins .La revue du praticien Médecine Générale 2003 ; 611 :605-608
Mars 2008 - N° 50
27
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