LE MOT DE L’ÉDITORIALISTE :
Des jardins au septième ciel
Laisser croître tomates, basilic et ciboulette à hauteur
d’oiseau et achever sa récolte en contemplant la cohue
fiévreuse de la ville s’illuminer au crépuscule n’est plus de
l’écologie-fiction.
À défaut d’un « plancher des vaches », la nature retrouve
sa place en ville sur ses hauteurs. Les citadins sont
de plus en plus soucieux de leur alimentation, mais ne
dédaignent pas pour autant s’offrir d’agréables moments
de détente sur leurs jardins-terrasses. Les toitures
végétalisées contribuent ainsi à améliorer le climat
des villes et l’humeur de leurs résidants.
Aujourd’hui, les produits et l’expertise pour réaliser
des toits végétalisés durables sont plus facilement
disponibles. Malgré le peu d’incitatifs financiers de la part
des municipalités, un nombre grandissant de citoyens
troquent le gravillon torride ou glacial de leurs toits pour
un lit végétal nettement meilleur au goût et tellement
plus convivial.
dE l’AvANT AGE
ET dEs biENFAiTs
dEs ToiTs vERTs
EN villE
UN TEXTE DE JULIETTE PATTERSON
n 2004, je me lançais avec enthousiasme dans la cons-
truction d’un toit vert sur l’immeuble où j’avais mon agence
d’architecture de paysage, à Montréal. Nouvellement diplômée
de l’Université Harvard, j’avais été séduite par l’expérience des
Allemands, les pionniers des toitures végétalisées modernes.
À cette époque, les toits verts étaient encore peu courants
au Québec.
J’engage donc un couvreur inexpérimenté mais enthousiaste pour
refaire la membrane du toit, et une compagnie ontarienne pour
installer les modules préplantés sur le toit. Après des semaines
de délais, le couvreur disparaît, laissant des plantes mortes et
un toit qui coule au beau milieu de l’hiver. Catastrophe ! Ayant
appris de mes erreurs, je reprends le chantier au printemps. À
la n de l’été, j’avais un magnique jardin sur le toit, avec des
vues spectaculaires sur le centre-ville de Montréal. Aujourd’hui,
j’y fais pousser des tomates, du basilic et de la ciboulette pour
la salade de midi. Le soir, je m’assois sur la terrasse devant le
coucher de soleil et j’observe la ville s’illuminer au crépuscule.
Désormais, les produits et l’expertise des toits végétalisés sont
disponibles au Québec. Le peu d’incitatifs nanciers de la part
des municipalités décourage souvent les résidants, mais je re-
marque quand même un enthousiasme grandissant des citoyens
pour les toits végétaux. Témoin d’une évolution en profondeur
de la société, chacun veut créer son havre de nature en ville et,
par la même occasion, contribuer au mieux-être de tous les cita-
dins. Les toitures végétalisées contribuent à rendre la ville moins
stressante, à recréer un lien entre les habitants et la nature, et
elles redonnent aux villes une indéniable valeur esthétique.
À l’approche de la ville de Stuttgart, en Allemagne, la vue aéri-
enne offre une grande supercie de toits végétalisés. Depuis
vingt ans, on assiste à un essor continu des toits verts légers en
Allemagne, sans doute favorisé par d’importantes subventions et
la formidable machine industrielle allemande. Mais aujourd’hui,
tandis que nous entrons dans la « deuxième génération » des
toits végétalisés, certains questionnent la valeur écologique et
sanitaire de ces toitures standardisées issues d’une production
à la chaîne. Celles-ci créent des environnements uniformes qui
contribuent peu à la biodiversité, jugent-ils, et la profondeur
minimale de terreau exclut une absorption signicative des eaux
de pluie.
Dans cette nouvelle génération de toits verts, il n’est plus ques-
tion de couvrir un maximum de mètres carrés avec un tapis de
sédum. Pour créer un environnement riche en biodiversité,
il faut varier les profondeurs de terre, permettant ainsi une
palette végétale plus large et des habitats fauniques diversiés.
Les cortèges faunistiques associés trouveront ainsi des îlots où
leur survie est possible. Par exemple, un terreau de profondeur
très mince abritera un milieu sec, propice aux insectes de ce
milieu, un terreau plus profond rendra possible la plantation
de
eurs et leurs pollinisateurs, un terreau de 24 pouces permettra
la plantation d’arbustes et la venue des oiseaux, et ainsi de suite.
Les toitures végétalisées ont le potentiel de créer un vérita-
ble maillage écologique qui autorise la circulation et la survie
d’espèces animales et végétales en ville. Mais pour ce faire, il faut
varier la profondeur du substrat de plantation sur le toit, et créer
une complexité de microclimats. De plus, les toitures végétali-
sées ont un apport social non négligeable. Lorsque bien conçues,
elles contribuent à rendre la ville moins stressante, répétons-le,
lui redonnant une indéniable valeur esthétique et l’occasion aux
habitants de communier avec l’air pur, le ciel et le soleil.
jUliETTE pATTERsoN
Est biologiste et architecte et a complété une maîtrise en
architecture de paysage à l’Université Harvard. Riche de
ses expériences professionnelles à Londres et à Montréal,
elle fonde son agence, Catalyse Urbaine, qui intervient sur
des commandes très diversifiées, allant des toits verts au
design urbain, en passant par la gestion des zones humides.
L’intérêt de Juliette pour la nature en ville l’a amenée à diriger
la sauvegarde du Griffintown Horse Palace,
écuries urbaines
à Montréal en opération depuis 150 ans.
E
L'ESPACE COLLECTIf URbAIN à L'hEURE DES ChANGEMENTS CLIMATIqUES
pAysAGEs 2013