li1ia le paradis terrestre. Il suffit d'un peu de
patience. Il découvre les Petites Antilles et rentre
en Espagne. Il a 45 ans, l'air d'un vieillard, les
cheveux blancs et les yeux brûlés par le soleil.
A Séville, un homme surveille les caprices du
héros. Juan de Fonseca. Le ministre des Indes
complote contre le gouverneur des Indes.
L'image de Colomb à la cour est épouvantable.
On le dit cupide, violent, et surtout on le soup-
çonne de vouloir négocier avec les Portugais. Le
bruit court que Colomb veut changer de seigneur,
qu'au fond il a toujours été un proche du roi du
Portugal. Chez qui, lors du retour du premier
voyage, Colomb s'est-il rendu ? Chez Jean II de
Portugal. Dans ses notes de voyage, il prétend
avoir été détourné de son chemin par une violente
tempête qui l'a forcé à se rendre à Lisbonne avant
de rejoindre Séville. Mensonge, affirme le clan
Fonseca : Colomb est un espion du roi Jean, cet
amoureux des cartes maritimes et des marins.
Comment endiguer cette vague de rumeurs ? En
faisant un nouveau coup d'éclat. Comme tou-
jours, en partant vers de nouvelles découvertes.
Cette fois, ce sera une grande île, regorgeant
d'or et d'argent, dont le butin fabuleux permettra
de reprendre Jérusalem aux musulmans. L'idée
d'une nouvelle croisade ne déplaît pas à Ferdi-
nand. Colomb, qui porte barbe et robe de francis-
cain, réussit encore une fois à le convaincre. Un
nouveau raid est organisé. Le 4 août 1498, pour
son troisième voyage, Colomb s'engage dans le
golfe de Paria, en Amérique du Sud. Il est sur les
côtes du Venezuela, à l'embouchure de l'Oréno-
que, et il ne le sait pas. Ce si grand fleuve, cette eau
douce qui s'avance si loin dans la mer, tout cela
déconcerte le marin. Une telle quantité d'eau
douce ne peut venir que d'un continent ou.., du
paradis terrestre. Il écrit dans son journal de bord:
C'est une chose admirable, et ce le sera pour tous
les savants, que le fleuve qui aboutit là soit à ce
point grand qu'il rende la mer douce jusqu'à
quarante-huit lieues. J'ai la conviction que le
paradis terrestre se trouve là. »
Terrorisé à l'idée d'avoir découvert le paradis,
Colomb prend peur et fait demi-tour. Comment
un marin de son génie a-t-il pu faire une si
monumentale erreur ? C'est que Colomb n'est
plus le même homme. Il est malade, atteint de la
malaria. Epuisés par des années de navigation, ses
yeux ne lui permettent plus de voir que quelques
heures par jour, Ses rêves de découvertes ne sont
plus que des fantasmes de vieil homme blessé.
Quand il rentre à Saint-Domingue, l'île est
ravagée par la guerre civile. Son lieutenant,
Francisco Roldan, l'a trahi et mène une rébellion
contre lui. Colomb n'est plus que l'ombre de
lui-même. Il se montre cruel, implacable avec ses
ennemis. Il devient fou. Il fait embastiller l'un des
chefs rebelles, Adrian de Muxica. Condamné à
mort, Muxica refuse de se confesser pour retarder
l'exécution de la sentence. Colomb le jette lui-
même du haut d'une tour.
Portrait attribué à Rtdolfo Ghirlandais (x )
Dans la colonie, on commence à être terrifié par
cet homme qui ne respecte même plus les lois de
l'Eglise. Séville envoie alors un gouverneur qui le
dépossède de tous ses droits. Il est ramené en
Espagne, enchaîné Il va encore pouvoir plaider sa
cause auprès des rois. Mais le charme de eet
homme épuisé, fini n'opère plus. Il s'installe au
monastère franciscain de Las Cuevas, à Séville, où
il fait de longues retraites et écrit « le Livre des
prophéties », oeuvre mystique qui reprend sa
vieille idée de la reconquête de Jérusalem grâce à
l'or trouvé au paradis. Colomb rédige ce livre avec
l'aide d'un moine italien, Gaspar
.
Gorricio. Frère
Gorricio devient son confident, son banquier, et
sans doute son lecteur et son scribe. Car Christo-
phe Colomb est pratiquement aveugle.
Il réussit tout de même à organiser un qua-
trième voyage, financé par quatre banquiers
génois de Séville. Odyssée absurde. La traversée
de trop. Un fiasco terrible. Colomb échoue à la
Jamaïque et reste bloqué dans une baie pendant
près d'un an. Pour survivre, il est obligé de
mendier sa nourriture aux Indiens de la côte. Il est
quasiment leur prisonnier et attend désespéré-
ment un bateau de secours qui ne vient pas.
Colomb, réduit à jouer les Robinson Crusoé, ne
doit sa survie qu'a de vieux restes de malice
génoise. Au cours d'une éclipse, il leur raconte
qu'il commande au soleil et qu'il peut le faire
revenir. Abasourdis, les autochtones prennent
Colomb pour un demi-dieu et se mettent à le
vénérer. Les secours arrivés, l'amiral des Indes
rentre en Andalousie Un retour piteux, comme sa
fin.
Colomb, génie des mers, est atteint de la goutte.
Il est aveugle. Les Rois Catholiques ne lui recon-
naissent plus que le titre d'amiral de la mer
océane. Un titre d'opérette. Son ami Amerigo
Vespucci le trahit en acceptant de travailler pour
Juan de Fonseca et, au cours d'une expédition très
officielle, mouille lui aussi dans l'estuaire de
l'Orénoque. Amerigo découvre le continent amé-
ricain.... Colomb avait, lui, découvert le paradis...
Il meurt le 20 mai 1506, à Valladolid, dans une
ville grise et froide du nord de l'Espagne. Il allair,
encore une fois, négocier à la cour un nouveau
voyage. Mais comment aurait-on pu l'écouter ?
Cet homme qui avait pour mission de conquérir
des terres et de ramener de l'or avait tout raté. Les
colons, au contact des Indiennes, avaient connu
une terrible épidémie de syphilis, maladie incon-
nue jusque-là en Europe. Les premiers retours
allaient, bien sûr, propager la maladie en Europe.
Christophe Colomb, en découvrant le paradis,
avait collé la vérole au Vieux Monde. L'Histoire
ne fait pas de cadeaux.
SERGE RAFFY
A lire
HISTOIRE
« La Découverte de l'Amérique - Journal de
bord », tomes I, II et III, par Michel
Lequel= et Soledad Estorach ; la Décou-
verte.
« Portrait historique de Christophe Colomb »,
par Marianne Mahn-Lot ; Seuil, « Points
histoire ».
« Christophe Colomb juif», par Sarah Leibo-
vici ; Maisonneuve et Larose.
« Les Grandes Découvertes », par Jean
Favier ; Fayard.
« 1492, Un monde nouveau ? », par Bartolomé
et Lucile Bennassar ; Perrin (à paraître en
septembre 1991).
« Christophe Colomb raconté par son fils »,
par Fernando Colomb ; Perrin.
« L'Etat du monde en 1492 », par Consuelo
Varela et Guy Martinière ; la Découverte.
« La Conquête de l'Amérique », par Tzvetan
Todorov ; Seuil.
« Christophe Colomb », par Jacques Heers ;
Hachette.
« Isabelle et Ferdinand », par Joseph Pérez ;
Fayard.
e
Voies océanes », par Mireille Pastoureau
Hervas.
« Cristobal Colon », par Consuelo Varela
Alianza « Universidad » (Madrid).
« De Séville et du Nouveau Monde», par José
de la Pena y Camara ; Sevilla 90.
« Christophe Colomb », par Salvador de
Madariaga ; Calmann-Lévy.
« La Voile de l'espoir'», par Simon Wiesen-
thal ; Laffont.
« Mythes et utopies de la découverte », par
Juan Gil (3 tomes) ; Alianza (Madrid).
« Colomb et les Florentins », par Consuelo
Varela ; Alianza « America ».
ROMANS
« La Harpe et l'ombre», par Alejo Carpentier;
Gallimard.
« Christophe Colomb », par H. Houben
Payot.
« 1492 — Des aventures de Juan Cabezon de
Castille », par Homero Aridjis ; Seuil.
« Christophe Colomb, Mémoires » ; par
Stephen Marlow ; Seuil, « Points roman».
« La Vie fabuleuse de Christophe Colomb »,
par Pierre Gamarra ; Messidor.
12
LE NOUVEL OBSERVATEUR
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