http://www.mediapart.fr/journal/international/210914/rechauffement-climatique-les-
balbutiements-dune-mobilisation-mondiale
CLIMAT
Réchauffement climatique: les
balbutiements d'une mobilisation mondiale
21 septembre 2014 | Par Jade Lindgaard
Des centaines de milliers de personnes devaient manifester ce dimanche dans 136 pays lors
d'une "marche pour le climat". Alors que les négociations internationales reprennent,
comment créer un vaste mouvement populaire sans renoncer à critiquer le système ?
Tout est parti d’une date : le 21 septembre, à New York, « la marche des peuples pour le
climat ». Deux jours avant une rencontre de chefs d’État sur le changement climatique, la
première depuis le sommet de Copenhague en 2009, convoquée par le secrétaire général de
l'Onu Ban Ki Moon, des centaines de milliers de personnes sont appelées à venir marcher
pour « tout changer ». Parmi les instigateurs, on trouve 350, qui mobilise contre le projet
d’oléoduc Keystone XL, une des grandes luttes écologistes actuelles aux États-Unis. Mais
aussi Avaaz, le mouvement citoyen en ligne, qui excelle dans la communication virale. Les
mots d’ordre sont délibérément flous : « Pour la justice environnementale et l’égalité. »
L’accent est mis sur l’importance supposée de l’événement : « La plus grande marche pour le
climat de l’Histoire. »
Les
activistes des Yes Men aux prises avec le dérèglement climatique (©YesLab)
Au même moment se tient aussi à New York un forum pour le climat aux revendications plus
précises et clairement plus contestataires : en finir avec les carburants fossiles, changer le
système, obtenir des emplois durables. Slogan : « Pour les gens, la planète et la paix, avant
les profits. » Cible : les « vrais responsables », les multinationales polluantes et leurs
banques, les responsables politiques trop inertes.
Depuis le début de l’année, le mot d’ordre de la marche new-yorkaise s’est élargi, plusieurs
millions de dollars ont été levés, la mobilisation s’est internationalisée et le slogan est devenu
encore plus consensuel : « Marchons pour le climat. » L’affiche officielle représente une
petite fille arborant un cœur vert dessiné autour de son œil droit. À première vue, on croirait
une pub pour un parc d’attractions ou un film pour enfants. L’autocollant ne représente plus
qu’un gros cœur vert et la date du 21 septembre. Ce pourrait aussi bien être une pub de
l’office de tourisme de la capitale. Le message s’est dépolitisé. Au point que pour le journal
de gauche américain Counterpunch, la marche pour le climat est devenue « une campagne
publicitaire ». La journaliste d’investigation Cory Morningstar, qui a enquêté sur les liens
entre Avaaz et le monde des affaires, met en garde ses lecteurs : cette manifestation « ne
changera rien du tout ».
Affiche de la marche
pour le climat du 21/09.
Près de 100 000 personnes sont tout de même attendues à New York dimanche, dont le
secrétaire national de l’Onu lui-même. Alors qu’« il promeut, ou encourage, toute une série
de fausses solutions face aux dérèglements climatiques et qu’il a fortement contribué, depuis
sa prise de fonctions, à ce que le secteur privé et les multinationales occupent toujours plus
de place dans les divers programmes et instances de l'ONU », remarque Maxime Combes
d’Attac France. Les participations de Leonardo di Caprio, Brad Pitt ou Natalie Portman sont
annoncées à New York et claironnées, en bonnes prises de guerre médiatique. À Paris, ce sont
les comédiens Mélanie Laurent, Omar Sy et le cinéaste Mathieu Kassovitz qui jouent ce rôle
d’étendards grand public pour la manifestation qui doit se tenir ce dimanche à partir de 14
heures, place de la République.
Au total, on attendrait 400 000 participants dimanche 21 septembre dans le monde, avec plus
de 2 500 défilés dans 136 pays. Si ces chiffres se confirment, ce serait la plus grosse
mobilisation à ce jour contre le dérèglement climatique. Lundi 22 à New York, des activistes
(parmi lesquels des militants d’Occupy, la journaliste Naomi Klein, l’auteure et activiste
Rebecca Solnit) veulent « inonder Wall Street » pour arrêter le capitalisme et la crise
climatique. Venir habillé de bleu, comme l’océan. Les Yes Men promettent une beach party à
l’issue du sit-in. Prévoir aussi un maillot de bain.
Depuis les premiers rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur le climat (Giec), et
la lente sensibilisation mondiale sur les enjeux du dérèglement climatique, aucun mouvement
populaire de masse pour le climat n'a pu émerger. Des luttes éclatent contre des projets très
émetteurs de gaz à effet de serre : les gaz de schiste, l’aéroport Notre-Dame-des-Landes,
l’oléoduc Keystone XL, des autoroutes. Mais jusqu’ici, les manifestations contre l’inaction
face au réchauffement global n’ont jamais attiré beaucoup de monde.
A Gonesse, le 20 septembre : premier Alternatiba en Ile-de-France (JL).
Après l’échec du sommet de Copenhague et l’absence de suite aux rencontres de Cochabamba
en 2010, le mouvement pour la justice climatique s’est plus ou moins disloqué. Les grandes
ONG environnementales internationales n’ont pas investi dans la création de réseaux
militants. En France, seule l’association Bizi, née au pays basque, organise régulièrement
actions de résistance et manifestations plus grand public, comme les villages des alternatives
Alternatiba qu’elle appelle à développer un peu partout. Pour la première fois ce samedi en
banlieue parisienne, une manifestation à Gonesse contre le projet Europa City d’Auchan a
rallié entre 250 et 300 personnes.
"Mettre la question des lobbies sur la table"
À l’approche du sommet Paris Climat 2015 en décembre de l’année prochaine, échéance du
premier accord international depuis l’expiration du protocole de Kyoto, ce moment de
mobilisation de masse est-il venu ? L’épuisement de la social-démocratie, l’échec des
politiques d’austérité et l’incapacité des politiques gouvernementales à renouer avec la
croissance créent-ils un nouveau contexte de mobilisation sociale ? C’est ce que veulent croire
les têtes de réseau du mouvement climatique.
Nicolas Hulot, toujours envoyé spécial du président de la République pour la protection de la
planète, déclare samedi dans Le Parisien : « Cette marche doit être le début d’une nouvelle
mobilisation (…), le message est clair : osez changer de modèle économique. » Pour Marie
Yared, d’Avaaz en France : « On attend des points de non-retour. » Leur pétition pour qu’en
2050, toutes les énergies utilisées dans le monde soient renouvelables, a recueilli deux
millions de signatures. « Ce qui mobilise la société civile, c’est demander que la France
promeuve un agenda des solutions », analyse Alix Mazounie du Réseau action climat, à près
d’un an de la conférence Paris Climat 2015.
Affiche pour l'action "Inondez
Wall Street".
Comment développer un mouvement de masse sans renoncer à la critique du système ? Les
activistes du climat furent près de 200 à se réunir à Paris fin août pour gamberger sur leur
stratégie politique. Contrairement à ce qui s’était passé en 2009, ils souhaitent se présenter en
front uni face à l’Onu, aux États et aux multinationales, des plus modérés aux (presque) plus
radicaux d’entre eux. Les idées de campagne contre les compagnies pétrolières et leurs
banques, pour l’interdiction des subventions fossiles, contre les marchés de carbone
fleurissent, plus spécifiques et plus conflictuelles que l’appel général à protéger le climat.
En France, une large coalition a vu le jour pour se préparer au sommet parisien de 2015, la
« Cop 21 », à savoir la 21e conférence des parties de l’ONU, mêlant associations de plaidoyer
et d’expertise (Rac, Oxfam, Greenpeace, Amis de la terre, France nature environnement) et
organisations de mobilisation citoyenne (Attac, Crid, des syndicats). Elle fait suite à une
action commune lors du sommet de Varsovie en 2013 : les ONG avaient claqué la porte de la
conférence, pour dénoncer l’omniprésence des lobbies et la faible ambition des
gouvernements.
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