Anne Marie Lauras Roland Garrigue À Marc, bien sûr, et à mes trois chatons (parfois légèrement bruyants) qui, s’ils ne sont plus si petits, n’ont pas encore quitté le nid. À Louis Nicolardot (je lui dois bien ça) et aux frères Bescherelle. La fourmi cro-onde Le bla-bla des animaux © Delachaux et Niestlé SA, Paris, 2014 Conception graphique et réalisation : Hokus Pokus Créations Correction d’épreuves : Monika Gabbay Cet ouvrage ne peut être reproduit, même partiellement et sous quelque forme que ce soit (photocopie, décalque, microi lm, duplicateur ou tout autre procédé analogique ou numérique), sans une autorisation écrite de l’éditeur. Tous droits d’adaptation, de reproduction et de traduction réservés pour tous pays. Braire avec les ânes C’est faire comme ceux avec qui l’on se trouve, et non crier comme l’âne. Ce verbe s’appliquait autrefois à n’importe quel animal, et l’homme ne faisait pas exception, ce qui n’était guère latteur. C’est au xviie siècle que le privilège de braire fut réservé à l’âne. Mais si nous ne brayons plus, nous pouvons toujours brailler, et ce n’est toujours pas latteur. Ne dit-on pas brailler comme un âne ? Il nous arrive aussi d’ânonner, ce qui, pour être moins sonore, ne nous range pas moins au rang de l’ignorant. C’est une comparaison dont l’âne pourrait à bon droit s’of usquer, car lorsque sa compagne l’ânesse ânonne, elle aussi, il ne peut que se réjouir de lui voir donner ainsi le jour à son petit. En ces temps anciens où l’animal était doté d’une parole plus riche qu’aujourd’hui, l’âne pouvait également recaner ou recaigner, c’est-àdire crier en montrant les dents, ce que l’homme continue de faire lorsqu’il ricane. Selon les régions, ce brave animal (l’âne, pas l’homme) pouvait également carnonner ou carnucher, ou bien encore hinhanquer, hihanquer, hihaner. Quoi qu’il en soit, l’interruption de son cri s’exprimait alors par le verbe onquer, qui aurait pu voguer en d’autres lieux pour s’appliquer au phoque ou à l’otarie (« honk, honk ! », dit l’otarie à Gaston, gafeur bien connu des éditeurs et des lecteurs). Mais ce serait sauter du coq à l’âne, et nous n’en sommes pas encore là. 4 Et hurler avec les loups Les deux expressions semblent bien synonymes. Cependant, « braire avec les ânes » serait plutôt le trait de caractère d’un esprit certes peu éveillé et faible, mais placide. Celui qui hurle avec les loups fait preuve d’une faiblesse de caractère plus dangereuse, puisqu’elle le pousse, par lâcheté, à suivre la meute lorsque celle-ci se précipite sur sa proie. Le loup hurle habituellement d’un cri prolongé que chacun de nous entend encore, même si l’espèce a quasiment disparu de nos campagnes. Ces hurlements ont beau avoir glacé le sang de dizaines de générations, ils n’en ont pas reçu d’appellation spéciique, et le loup s’exprime peu, comparé à l’âne. Il lui arrive cependant de grogner, ou de gronder, quand il émet un cri sourd et menaçant du fond de la gorge. Il peut également aboyer, comme son lointain cousin le chien. Et il strépite lorsqu’il baisse la voix jusqu’au gémissement. Mais qui s’en soucie encore ? 6 La cane cancane La cane cancane, et son compagnon le canard aussi, comme le font, du reste, toutes les volailles. Le canard peut aussi canqueter, à moins que seule la cane ne s’exprime ainsi, certains le pensent. Ce verbe s’est effacé au profit de caqueter, qui pourtant, dans les dictionnaires, ne s’applique qu’à la poule, et, dans le langage familier, à certaines réunions de femmes, ce qui n’est guère à leur avantage. Alexandre Vialatte a dit aussi, et c’est fort joliment trouvé, que le canard (il parlait de Donald ) peut « coincoiner, nasiller en yankee1 ». Et s’il cacarde parfois, c’est par emprunt à l’oie. Dans des temps plus anciens, il tétrinait, d’un verbe latin qui signifiait « caqueter en parlant des canards ». Mais ce verbe ne résonnait peutêtre pas assez à l’oreille, et l’usage s’en est perdu. Et le canard barbote Barboter désigne le fait de s’ébattre dans l’eau, mais avant cela, on le sait moins, quand le canard barbote, il cherche sa nourriture en fouillant bruyamment avec le bec (comme l’oie et le cygne). Nasiller s’utilise quand le canard pousse son cri, mais aussi pour le sanglier qui enfonce ses naseaux dans la fange et le chien qui cherche les odeurs par petites aspirations des narines. S’ils n’y mettent pas vraiment d’ardeur, on peut dire qu’ils nasillonnent. Canarder a pu signifier imiter le cri du canard. Aujourd’hui, le militaire qui canarde à bon escient récoltera récompenses et applaudissements (à moins qu’il n’ait été canardé lui-même), tandis que le musicien pour la même action ne récoltera que sifflements et moqueries. 1. Chroniques de la Montagne, vol. I, 1952-1961, Paris, Robert Laffont, 2000, coll. « Bouquins », p. 716. 8 9 Au chant du coq Il accompagne ceux qui se lèvent tôt, et auxquels, dit-on, l’avenir appartient. Certains trouvent qu’il chante, d’autres prétendent qu’il vocifère. En fait, si le coq français pousse avec beaucoup de ierté son traditionnel et sonore COCORICO, le coq allemand se contente d’un plus discret kikeriki. Il est vrai qu’un autre volatile – l’aigle – lui fait outre-Rhin de l’ombre lorsque son homologue français est élevé, depuis César, à la dignité d’emblème national ! Ce ier cocorico, qui ne cocotte pas, pousse quelques variantes moins énergiques : coqueriquer, coqueliner, coquiliner, et même cocoricocoter. Toutes ont la même racine et le même sens : chanter pour le coq. Finalement, monsieur, tout paradant que vous soyez, vous n’avez pas grande conversation ! C’est bien l’œuf qui fait (chanter) la poule Avant la ponte, elle claquette, elle crie par brèves saccades. Elle clupe, cloupe ou cloupionne, ou encore glupe – tous ces verbes désignant le gloussement particulier qu’elle émet lorsqu’elle veut couver –, puis couisse quand elle couve (le dernier de la couvée s’appelle le coissou, et il est toujours plus « cacaudé », c’est-à-dire plus couvé que les autres !). Elle peut aussi, en ces circonstances, crosser ou crousser, cris dont elle use également pour appeler sa progéniture. Lorsqu’elle vient de pondre, elle crételle, glocit, ou glosse. On utilise encore l’onomatopée cotcotcodoquer quand la poule chante son œuf, mais on peut aussi dire qu’elle cloque ou cocaille. Caquetez mesdames, et bien d’autres choses encore Ce n’est pas le cas de madame la poule. Certes on l’entend le plus souvent caqueter, coqueter par abus de langage et confusion avec le chant de son compagnon, et parfois cracqueter. Mais sa conversation est des plus variées. Elle peut ainsi couaquer – pousser un cri discordant –, coucasser, sans précision particulière, et glousser d’une manière générale quand elle pousse des cris brefs et répétés. Certains parlers régionaux la font crâler, craler ou craller : crier, avec parfois la précision « de façon stridente ». 10 11