Y A
¯S A
¯E T S H A R I A
Mésopotamie, le cœur du da
¯r al-isla
¯mabbasside. L’hostilité entre Mamelouks et
Ilkhans dura plus de soixante ans, jusqu’à la signature d’un traité de paix en
1323
7
. Pendant toute cette période, ces deux puissances rivales se livrèrent à une
véritable guerre idéologique : le ya
¯sa
¯en fut un élément majeur.
En 1268, l’Ilkhan Abaqa (r. 1265-1282) envoya à Baybars une lettre dans
laquelle il expliquait que la désunion au sein de la famille impériale avait été la
cause de la défaite mongole à !Ayn G
ˇa
¯lu
¯t. Maintenant, disait-il, tous les princes
mongols sont convenus de mettre en œuvre les ordres (farma
¯n) et les ya
¯sa
¯de
Gengis-khan et du grand khan Qubilai (r. 1260-1294)
8
. Dans sa réponse à Abaqa,
Baybars proclama : « Notre ya
¯sa
¯est supérieur à celui de Gengis-khan. Dieu nous
a donné de régner sur quarante rois
9
. » Nul doute que Baybars utilisait ici le terme
ya
¯sa
¯dans le sens de sharia
10
. Il n’est pas étonnant que ces menaces ilkhanides sur
les pays du Levant aient conduit les musulmans à percevoir le ya
¯sa
¯mongol comme
un ensemble de lois en désaccord avec l’islam, qui resta en vigueur même après
la conversion officielle de l’Ilkhan Ghazan-khan à l’islam, en 1295.
Aussitôt converti, Ghazan-khan avait pris le titre de Pa
¯dis
ˇa
¯h al-isla
¯m(roi de
l’islam) manifestant ainsi son ambition d’assurer la direction du monde musulman.
Il invoqua des motifs religieux pour justifier sa première invasion de la Syrie, en
décembre 1299
11
. Il accusait les Mamelouks d’avoir fait des incursions en territoire
ilkhanide, à Mardı
¯n, où ils avaient commis des turpitudes : il y aurait eu pendant le
mois de ramadan des orgies avec des filles de musulmans (duh
cta
¯ra
¯n-i musalma
¯na
¯n)
et des beuveries dans les mosquées
12
. Cette mission lui avait été confiée par une
fatwa « des imams de la religion et des ulémas de l’islam
13
» ; Ghazan-khan se posait
ainsi en protecteur de l’islam.
Les sources persanes et arabes attestent cependant l’attachement de Ghazan-
khan au ya
¯sa
¯mongol. Son ministre, Ras
ˇı
¯d al-Dı
¯n, rapporte qu’il avait l’habitude
de rassembler ses compagnons pour leur enseigner les coutumes (yu
¯su
¯n) et le ya
¯sa
¯.
Il avait assigné un rang à chacun : si l’un d’entre eux franchissait cette limite, il
était ramené dans la voie du ya
¯sa
¯
14
. Et, selon l’historien mamelouk al-S
gafadı
¯, lors-
que Ghazan-khan accéda au pouvoir, il suivit la manière de gouverner (al-siya
¯sa)
de Gengis-khan et il établit la loi des Mongols (al-ya
¯sa
¯al-mug
hu
¯liyya)
15
.
7 -
Sur l’état de guerre entre Ilkhans et Mamelouks, voir R
EUVEN
A
MITAI
-P
REISS
,Mongols and
Mamluks. The Mamluk-I
¯lkha
¯nid war,1260-1281, Cambridge, Cambridge University Press, 1995.
8 - I
D
., « An exchange of letters in Arabic between Abaγa I
¯lkha
¯n and sultan Baybars
(A. H. 667/A. D. 1268-1269) », Central Asiatic journal, 38, 1, 1994, pp. 11-33, ici pp. 28-30.
9 - Ibid., p. 30.
10 - Voir la discussion sur le sens, dans cette lettre, donné au terme ya
¯sa
¯dans ibid., p. 31 ;
A
NNE
F. B
ROADBRIDGE
, « Mamluk legitimacy and Mongols: the reigns of Baybars and
Qala
¯wu
¯n », Mamluk studies review, 5, 2001, pp. 91-118, ici pp. 108-109.
11 - Chronologie et récit des trois invasions de Ghazan-khan en Syrie dans J
EAN
M
ICHOT
,
Ibn Taymiyya. Lettre à un roi croisé, Lyon, Tawhid, 1995, pp. 35-62.
12 - R
AS
ˇI
¯D AL
-D
I
¯N
,Ta"rı
¯h
c-i muba
¯rak-i G
ha
¯za
¯nı
¯, éd. par Karl Jahn, Londres, 1940, p. 124.
13 - Ibid., p. 125.
14 - I
D
., G
ˇa
¯mi!al-tawa
¯rı
¯h
c,op. cit., p. 251.
15 -
R
EUVEN
A
MITAI
-P
REISS
, «Ghazan, Islam and Mongol tradition: a view from the Mamlu
¯k
sultanate», Bulletin of the school of Oriental and African studies, LIX/1, 1996, pp. 1-10, ici pp. 3-4.
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