Editorial
vec l'histoire, contre la morosité et pour le civisme: cette nouvelle édition de nos
Rendez-vous sera fidèle à la ligne de l'aventure que nous partageons depuis
plus de dix ans. Au centre de la Présidence
Française de l'Union Européenne, le sujet que nous avons choisi s'imposait de
lui-même à nos curiosités, à nos controverses, à la diversité de nos regards et
de nos engagements.
Oh certes! la conjoncture n'est pas exempte de chagrins et d'incertitudes sur la situation
de notre continent, en un temps où paraissent distendus les ressorts de l'unité: ceux qui
permirent le rapprochement structurel de nations si longtemps antagonistes. Est-ce le
résultat de l'insouciance des nouvelles générations, pour qui la paix et la prospérité, loin
des combats des aînés, paraissent (à tort peut-être) des acquis aussi assurés que l'air
qu'on respire? Est-ce la disparition, avec la chute du communisme à l'est, d'une menace
immédiate contre lesquels se regroupaient plus aisément les peuples? Estce l'effet
néfaste d'un élargissement réalisé avant que ne soient consolidés les liens permettant
que s'exprime, dans le monde, une volonté politique commune à l'Europe entière? Est-ce
le malaise que crée l'instabilité des frontières de l'Union, empêchant une pleine prise de
conscience de son identitépar elle-même?
Quoiqu'il en soit, comme il advient toujours, le passé permet de remettre l'actualité en
perspective et de chasser les pensées trop noires. Durant des siècles, les Européens
eurent à endurer deux « modèles» politiques, tous deux gros de douleurs infinies. Celui
d'un conquérant - Charlemagne, Charles Quint, Napoléon, jusqu'à Hitler, au plus barbare "
jaloux d'établir sa domination, à la pointe de l'épée, sur le continent tout entier. Et puis le
modèle d'un prétendu
« concert des puissances », tel que le voulurent, en 1815, Metternich et Castlereagh,
voué à brider la libre détermination des peuples puis à se scléroser peu à peu jusqu'à
aboutir au drame absolu que fut, pour l'Europe, la Grande
Guerre de 1914-18. Or, voici qu'après 1945 un groupe d'hommes généreUx~(mettons-y, du
côté français, de Gaulle autant que Jean Monnet et Robert Schuman), inventèrent et
consolidèrent un troisième système d'organisation, celui-ci sans précédent, qui a assuré
aux Européens une longue protection contre toute guerre entre eux: la libre association de
nations regroupées.
Aboutissement seulement provisoire? Qui sait, au regard des siècles? Mais bonheur
durable, à coup sûr, à vue humaine. Et qui ne s'explique que si l'on restitue, comme nous
allons le faire, les rythmes pluriséculaires entrelaçant leur cours pour faire se mouvoir
lentement les mentalités, surgir les reuvres immortelles, s'affronter les religions,
s'épanouir et perdurer l'éclat de l'humanisme et des Lumières. Ce foisonnement de
destins entremêlés, les destins de nos ancêtres, va nous aider à prendre la mesure de
notre dette envers eux, en même temps que de la liberté qui nous revient d'être différents,
avec détermination.
JEAN-NOÊLJEANNENEY
Président du Conseil scientifique des Rendez vous de l'histoire.
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