Le Rôle du Striatum dans l`Application des Règles Morpho

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M2 Cogmaster 2009-2010
Juin 2010
Le Rôle du Striatum dans l’Application des Règles
Morpho-phonologique du Langage:
Le Modèle de la Maladie de Huntington
Alizée Foucher
Sous la codirection d’Anne-Catherine Bachoud-Lévi et de Maria Giavazzi.
Laboratoire de Neuro-Psychologie Interventionnelle, INSERM/ENS,
Paris, France.
1
Remerciements
Je remercie vivement ma directrice de stage Anne-Catherine Bachoud Lévi, pour son
dynamisme, sa patience, et sa disponibilité qui m’ont encouragée tout au long de ce
stage.
Je remercie chaleureusement Maria Giavazzi pour son enthousiasme, sa disponibilité,
son exigence et ses précieux conseils.
Je remercie également Ruth De Diego-Balaguer, Charlotte Jacquemot, Sophie Sudraud,
et Sara Sambin pour leur aide, et leurs conseils scientifiques.
Je remercie l’équipe du LSCP pour leurs remarques et conseils.
Enfin, je remercie Jérémie Vexiau, et ma mère pour leur soutien et leur aide dans ce
mémoire.
2
Table des Matières
1.
Introduction ........................................................................................................................ 4
1.1. Le striatum ................................................................................................................... 4
1.2. Le modèle Huntington ................................................................................................. 6
1.3. Striatum et Langage ..................................................................................................... 9
1.3.1. Dichotomie règle lexique ..................................................................................... 9
1.3.2. Hypothèses alternatives ...................................................................................... 10
1.3.3. Révision syntaxique ........................................................................................... 12
1.4. Striatum et automatisme non linguistique ................................................................. 13
1.5. Hypothèse .................................................................................................................. 14
2. Expériences ...................................................................................................................... 15
2.1. Morphologie et Morphophonologie........................................................................... 15
2.2. Morphologie des adjectifs ......................................................................................... 16
2.3. Les règles morpho-phonologiques............................................................................. 16
2.3.1. Fréquence de la règle.......................................................................................... 17
2.3.2. Simplicité de la règle .......................................................................................... 18
2.3.3. Fréquence des syllabes ....................................................................................... 18
2.3.4. Nombres d’options possibles ............................................................................. 20
2.4. Expérience 1 : La production..................................................................................... 21
2.4.1. Hypothèses ......................................................................................................... 21
2.4.2. Participants ......................................................................................................... 22
2.4.3. Matériels et Méthodes ........................................................................................ 23
2.4.4. Résultats ............................................................................................................. 24
2.4.5. Discussion intermédiaire .................................................................................... 26
2.5. Expérience 2 : La perception ..................................................................................... 28
2.5.1. Hypothèses ......................................................................................................... 28
2.5.2. Participants ......................................................................................................... 28
2.5.3. Matériels et Méthodes ........................................................................................ 29
2.5.4. Résultats ............................................................................................................. 33
2.5.5. Discussion .......................................................................................................... 39
3. Conclusion ........................................................................................................................ 42
Bibliographie………………………………………………………………………………….43
Annexe……………………………………………………………………………………… 46
3
1. Introduction
A la différence du rôle bien connu de l’aire de Broca et de Wernicke, l’implication des
structures sous-corticales et en particulier du striatum dans le langage, reste à élucider.
Pourtant, aussi bien les lésions vasculaires que les lésions dégénératives, comme dans la
maladie de Huntington, indiquent que celui-ci joue un rôle dans le langage. Ces patients
parlent peu, leurs structures syntaxiques sont simples, leur compréhension déficiente dans
certains cas. Depuis une quinzaine d’année les premiers modèles de traitement du langage
intégrant le striatum ont vu le jour, mais les expériences sur lesquelles ils reposent restent
rares et leurs résultats parfois contradictoires. Ce mémoire tente de tester de nouvelles
hypothèses en utilisant l’application des règles morpho-phonologiques permettant de dériver
le genre des adjectifs et ainsi d’apporter quelques éclaircissements sur le rôle du striatum
dans le langage. Cette étude a été menée sur des patients atteints de la maladie de Huntington
et s’inscrit dans le cadre des recherches faites au laboratoire de Neuro-Psychologie
Interventionnelle de l’INSERM-ENS (NPI) dirigé par le Pr Anne-Catherine Bachoud Lévi.
1.1.
Le striatum
Pour comprendre le rôle du striatum dans le langage, il faut tout d’abord comprendre son
intégration anatomique dans le cerveau. Le striatum est une structure de substance grise
centrale du cerveau. Il fait parti des ganglions de la base. Son aspect strié lui a valu son nom
en raison des nombreux réseaux de fibres qui le composent. Le striatum est la cible principale
des afférences corticales qui vont aux ganglions de la base, et lui-même projette à son tour
vers ces mêmes régions corticales comprenant le cortex frontal (Hoover & Strick, 1993), le
4
cortex pariétal (Clower et coll., 2005) et le cortex temporal (Middleton & Strick, 1996).
Selon le modèle d’Albin et coll. (1989), on peut distinguer deux zones distinctes du striatum :
-
une zone afférente (projections d’entrée) recevant des fibres du cortex cérébral, du
thalamus et de la substance noire compacte.
-
une zone efférente (projections de sortie) qui projettent sur les noyaux subthalamiques,
la substance noire réticulée et le globus pallidus interne pour enfin envoyer des
projections sur le thalamus.
Ces deux compartiments d’entrée et de sortie sont intégrés par deux circuits, direct et indirect.
Le circuit direct projette sur le globus pallidus interne (GPi) directement tandis que le circuit
indirect projette sur le thalamus par une succession de projections via le globus pallidus
externe (GPe), les noyaux subthalamiques, la substance noire réticulée et le GPi. Ces deux
circuits ont des effets opposés (Alexander et Crutcher 1990). La neuropsychologie a permis
de les mettre en évidence. Même s’il est admis que ces circuits sont plus complexes et
recouvrent certaines fonctions communes sans réelle ségrégation, on admet grossièrement
qu’une lésion du striatum comme dans la maladie de Huntington réduirait l’activité du GPi et
du GPe
alors qu’une atteinte par réduction de l’apport dopaminergique au striatum
entrainerait une hyperactivité du noyau sous-thalamique par la levée de l’inhibition exercée
par le GPe. Les circuits striataux seraient impliqués dans des fonctions exécutives, telle que :
attention, planification et mémoire de travail.
La Figure 1 schématise les circuits direct et indirect du modèle d’Albin et collaborateurs.
5
Figure 1. Schéma du circuit indirect et direct, tiré de Albin et coll. (1989)
Composé du putamen et du noyau caudé, le striatum
d’intégration/régulation
constitue un carrefour
entre plusieurs fonctions, d’une part, par la convergence et
l’intégration de l’information (Kemp & Powell, 1970 ; Morris et coll., 2003), d’autre part, par
la ségrégation des différents types d’informations (l’inhibition des informations concurrentes
et le renfort des informations saillantes) (Alexander et coll., 1986). C’est ce qui en fait
l’intérêt et la complexité, car il est difficile de ségréguer les fonctions entre elles. C’est
pourquoi pendant des années les gens ont considéré qu’il n’avait pas de rôle spécifique dans le
langage. Ces concepts d’intégration et de régulation s’appliquent aux processus des
mouvements mais aussi aux processus cognitifs notamment dans la mémoire de travail,
l’apprentissage de séquences temporelles. Ils ont servi aussi de modèles computationnels afin
de simuler certains processus séquentiels de la syntaxe (Dominey et Ramus 2000)
1.2.
Le modèle Huntington
La maladie de Huntington est une maladie neurodégénérative rare autosomique
dominante qui se caractérise à un stade précoce par un dysfonctionnement puis une atrophie
striatale. Elle offre un modèle relativement homogène de lésion striatale contrairement aux
6
accidents vasculaires qui débordent souvent du striatum et touchent celui-ci de manière
hétérogène rendant les patients peu comparables entre eux. En effet, l’atrophie striatale de la
MH suit un gradient stéréotypé (Vonsatel et coll, 2004). Selon la classification
anatomopathologique de Vonstattel et Lianski (2004) qui comportent 4 grades, l’atrophie
serait cantonnée au striatum pour les grades 1 et 2 et s’étendraient au cortex à partir du grade
3.
Cependant cette description d’une atteinte pure du striatum aux stades précoces a été
remise en cause par les travaux récents d’imagerie cérébrale qui montrent semble-t-il une
atteinte corticale dès le début de la maladie. En effet, Thieben et coll. (2002) ont montré qu’il
y a une réduction du volume de la substance grise du striatum gauche ainsi que de l’insula
bilatérale, du mésencéphale dorsal et du sulcus intra-pariétal bilatéral chez des porteurs du
gène qui n’ont pas déclaré la maladie (sujets « présymptomatiques ») comparés à des sujets
non porteurs du gène. Néanmoins, cette atteinte reste réduite comparée à l’atrophie du
striatum dans la maladie ce qui fait que l’on peut considérer à l’instar des recherches menées
au NPI que les troubles occasionnés dans la MH au début de la maladie (stade 1) sont dus
essentiellement à l’atrophie du striatum.
La maladie de Huntington se manifeste en général vers l’âge de 35-40 ans alors que 40
% des cellules du striatum ont déjà disparu. Elle associe des troubles moteurs, cognitifs et
psychiatriques. Elle est particulièrement connue pour sa chorée qui est une des manifestations
de la maladie des plus spectaculaires mais ce qui cause la désinsertion sociale des patients est
avant tout l’association des troubles cognitifs et psychiatriques. En effet les patients au delà
des troubles psychiatriques sur lesquels nous n’insisterons pas (dépression, psychose etc.),
souffrent d’une atteinte des fonctions cognitives, principalement de la mémoire de travail de
la planification, et de l’attention.
C’est pourquoi jusqu’ici, parce qu’ils n’apparaissaient pas au premier plan,
peu
d’auteurs se sont intéressé aux troubles du langage.
Outre une dysarthrie manifeste du à l’appauvrissement du contrôle moteur sur les
mandibules, quelques études ont évoqué un trouble du langage dans la maladie de Huntington
(MH). Pour Wallesch et coll. (1988), les troubles du langage des patients MH ne seraient dus
qu’à un problème de dysarthrie et non la conséquence d’un dysfonctionnement linguistique
sous-jacent. Néanmoins Wallesch et coll. évoquent la perte progressive des verbes modaux
(must, can etc.) chez les locuteurs anglais en fonction de l’avancé de la maladie.
7
Jensen et coll. (2006) vont dans le même sens dans une étude qu’ils ont menée utilisant le test
WAB qui consiste en la description d’images (Western Aphasia Battery). Ils ont trouvé que
les MH n’avaient pas de troubles au niveau sémantique et lexical ce qui suggère que la
mémoire sémantique est préservée. Mais, ils relèvent un trouble grammatical, omission des
articles en début de phrase, qu’ils attribuent à un problème dysarthrique associé à la maladie,
ou à une conséquence des déficits cognitifs. Ils excluent un trouble proprement linguistique.
Une analyse d’Illes (1989) sur le discours spontané des patients MH a montré qu’ils
avaient un trouble syntaxique (appauvrissement de la génération de structures syntaxiques
complexes) et que ce trouble était identique pour les patients à stade précoce que pour ceux
d’un stade avancé suggérant que l’origine de ce trouble n’est pas moteur mais linguistique.
Cela laisse supposer que certaines régions des ganglions de la base affectent les processus
linguistiques. Cambier et coll. (1979) ont rapporté le cas d’une patiente atteinte d’une
hémorragie dans la tête du noyau caudé gauche. Cette patiente avait une « perturbation de
l’expression orale, écrite et graphique », alors qu’elle n’avait aucun problème de
compréhension ou de dysarthrie. Après examen du langage, Cambier et coll. ont constaté que
la patiente avait une désorganisation systématique du discours et de l’expression graphique.
La patiente avait une tendance à la persévération (répétition de mots ou morphèmes), qui n’est
pas sans rappeler le comportement des patients MH. Cambier et coll. concluent qu’une telle
lésion dans le noyau caudé influe sur le cortex frontal en réduisant son action inhibitrice sur
les comportements. Pour eux l’action inhibitrice du lobe frontal intervient dans « le
déroulement des processus qui, au stade pré-linguistique, avant la verbalisation, assurent la
sélection des idées et des mots et maintient la finalité du discours. ».
Ces dernières études sont très intéressantes car elles suggèrent à la fois que les troubles
du langage des patients MH ne sont pas le résultat d’un dysfonctionnement moteur mais ont
bien une origine linguistique et que les ganglions de la base sont impliqués dans les processus
du langage. D’autres auteurs ont proposés que les patients MH auraient un trouble dans
l’application des règles du langage (Ullman et coll. 1997 ; Teichmann et coll. 2005), comme
nous le verrons plus tard.
8
1.3.
Striatum et Langage
1.3.1. Dichotomie règle lexique
Le langage est fondé sur deux concepts : le lexique et les règles (Pinker 1999). Le
lexique contiendrait tous les éléments idiosyncratiques de la langue tels que les phonèmes1,
morphèmes2 et les représentations syntaxiques ainsi que certaines phrases idiomatiques. A
chaque niveau linguistique des règles permettent d’assembler les phonèmes entre eux pour
faire des morphèmes ; combinés entre ces morphèmes donnent des mots qui eux-mêmes
combinés donnent des phrases. Cependant le lexique ne contient pas toutes les réalisations de
chaque item mais plutôt des variables (symboles prototypiques) qui permettent de les
représenter (Fodor, 1981). Dans ce système, les règles ont une propriété exponentielle car
elles peuvent agir sur des variables abstraites et sont combinatoires (Miller 1991). Les
arguments expérimentaux qui sous-tendent ce modèle se restreignent à la morphologie
(Ullman et coll., 1997).
Ullman et coll. (1997) à partir du modèle dichotomique règle / lexique a fait
l’hypothèse que les patients qui ont un trouble de la mémoire déclarative et lexicale du à une
lésion dans le cortex temporal ou dans le néocortex pariétal devraient avoir du mal à
conjuguer les verbes irréguliers au passé et à avoir tendance à les sur-régulariser (appliquer la
règle régulière par défaut). Les patients ayant une atteinte des ganglions de la base ou du
cortex frontal devraient avoir des troubles dans l’application des règles et donc rencontrer des
difficultés avec les verbes réguliers alors que la conjugaison des verbes irréguliers ne poserait
pas de problème. Il vérifie cette hypothèse en comparant des patients aphasiques (aphasie
postérieure) ayant une atteinte du circuit temporo-parietal ou ayant un Alzheimer (MA), et des
patients striataux lésés (MH, MP, et aphasie antérieure). Dans une tâche de production où les
sujets devaient compléter une phrase en conjuguant au passé des verbes et non-verbes suivant
le modèle régulier (ajout du suffixe –ed à la racine du verbe, e.g. look, looked) et irrégulier
(dig, dug) en anglais. Les patients ayant une atteinte de la mémoire déclarative, MA et aphasie
postérieure avaient du mal à conjuguer des verbes irréguliers alors qu’ils n’avaient pas de
souci avec les verbes réguliers, et les patients ayant une atteintes du circuit fronto-striatal
1
2
Le phonème est la plus petite unité sonore de la langue (voyelles et consonnes).
Le morphème est la plus petite unité significative de langue (em-barque-ment).
9
avaient du mal à appliquer les règles régulières pour le passé (MP, aphasie antérieure, MH).
Dans le cas de la MP, Ullman propose qu’une dégénérescence des ganglions de la base
entraine une inhibition du cortex frontal par atteinte du circuit direct selon le modèle d’Albin
et coll. (1989), qui entrainerait une suppression de la programmation des règles. Dans le cas
de MH, c’est le circuit indirect fronto-striatal qui serait atteint provoquant une double
inhibition du GPe et du GPi sur le thalamus. Cela entrainerait une hyperactivité du thalamus
causant une excessive excitation des zones motrices et frontales qui reçoivent des projections
des ganglions de la base. Les patients MH auraient un trouble dans l’application des règles
morphologiques et auraient tendance à sur-régulariser les verbes irréguliers (production de
« digged » pour « dug »). Ce déficit serait à l’origine d’un excès de mouvement (chorée) et
d’un excès dans l’utilisation des règles du langage. A partir de cette étude Ullman proposa un
modèle (2001) selon lequel le lexique serait pris en charge par cortex temporo-parietal et
stocké dans la mémoire déclarative, tandis que les règles seraient gérées par le circuit frontostriatal et seraient stockées dans la mémoire procédurale. Ce modèle révolutionnaire ne
permet cependant pas de différencier la contribution du striatum de celle du lobe frontale. De
plus, cette hypothèse n’a été démontrée que dans le cas de la morphologie chez des patients
striato-lésés.
1.3.2. Hypothèses alternatives
Afin d’étayer l’hypothèse d’Ullman et de vérifier si l’implication du striatum dans
l’application des règles se limitait au langage et si cela s’appliquait aussi aux autres domaines
de la linguistique, Teichmann et coll. (2005) ont monté une expérience testant la syntaxe, la
morphologie et l’arithmétique. Dans une tâche de conjugaison similaire à celle utilisée par
Ullman et coll. (1997), les patients devaient compléter une phrase en conjuguant des verbes et
non verbes donnés à l’infinitif au présent et au futur (« aujourd’hui il … , demain il … »). Il
existe en français trois groupes de verbes distincts. Ces trois groupes se distinguent par leur
conjugaison. Les verbes du premier groupe en –er sont les plus réguliers et suivent les règles
de conjugaison par défaut. Les verbes du deuxième et troisième groupe suivent une sous-règle
de la règle par défaut. Il s’agit d’une sous-règle car la désinence est toujours la même mais la
racine du verbe ne suit pas toujours le même modèle. A cela s’ajoute les verbes irréguliers,
suivant une conjugaison irrégulière (avoir : « il a », « il aura » ; être « il est », « il sera »;
prendre, « il prend », « il prendra »). Certains verbes peuvent également avoir un infinitif
10
similaire à celui des verbes du 1er et 2ème groupe tout en étant irrégulier voire singleton (ex.
aller). Les résultats ont montré que les patients MH n’avaient pas de problème à conjuguer
des verbes réguliers et irréguliers mais en avaient pour conjuguer les non-verbes sous
réguliers du type choupoir sur le modèle de boire. En effet, les patients MH pouvaient faire
appel à la mémoire pour conjuguer les verbes, tandis qu’ils étaient obligés d’utiliser la règle
pour les non-verbes. La conclusion tirée de cette expérience est que le striatum servirait à la
gestion des règles sous-régulières.
Les mêmes résultats ont été trouvés dans une expérience en perception (Teichmann et
coll. 2006). Dans cette expérience les sujets devaient dire si les verbes étaient correctement
conjugués. La terminaison verbale avait été faite en fonction des erreurs que les sujets avaient
produits dans l’expérience de conjugaison. Le fait que Teichmann et coll. trouvent les mêmes
résultats pour les deux expériences signifie que les patients MH ont bien un trouble dans
l’application des règles et que ce n’est pas un problème de prononciation.
En syntaxe, les patients devaient décider si la phrase qui leur était donnée
correspondait à l’image qu’ils avaient sous les yeux. Les phrases utilisées comprenaient des
phrases passives, actives et des subordonnées relatives objet ou sujet. Dans cette expérience
deux facteurs étaient manipulés, soient la plausibilité pragmatique et le respect de l’ordre
canonique de la phrase. Une phrase active ou relative sujet est dite canonique tandis que
qu’une phrase passive ou relative objet est non canonique. Les patients MH avaient des
difficultés à traiter les phrases non plausibles et non canoniques. Les auteurs concluent que les
patients MH ont un trouble dans les processus de règles syntaxiques et notamment dans les
mouvements à distance, les patients ont plus de difficultés avec les phrases relatives objets /
sujets que passive / relative. Il existe probablement outre la distinction entre règles et lexiques
une distinction de règles dissociant les règles primaires (par défaut) et les règles secondaires
s’appliquant quand la règle primaire n’est pas fonctionnelle. Le striatum servirait à la gestion
de ces règles secondaires. Aucune atteinte des règle n’a été démontré en phonologie. Dans
une tâche AAAX manipulant la règle d’assimilation du français (Teichmann et coll. 2009), les
patients MH avaient une performance similaire aux contrôles. L’assimilation phonologique
s’applique en français lorsqu’une consonne sonore e.g. [b] se retrouve en contacte avec une
consonne sourde e.g. [s]. C’est le cas par exemple, de « robe sale » ou le [b] s’assourdit
devant le [s] donnant [ropsal]. C’est une assimilation de voisement. L’assimilation de
voisement était bien appliquée par les patients francophones. En revanche, dans une tâche de
détection de mots dans une phrase, les patients avaient plus de difficultés. Cela suggère qu’ils
détectent difficilement les phonèmes dans des contextes de phrases, ce qui pourrait être
11
expliqué par un défaut de la mémoire à court terme. Ces résultats vont à l’encontre des
résultats précédents ce qui signifierait que le striatum joue un rôle dans l’application des
règles complexes non canoniques au niveau de la syntaxe et de la morphologie mais pas au
niveau de la phonologie pour la règle testée. D’autres études menées en syntaxe manipulant la
cor-référence d’un pronom et d’un nom (principe C) ont suggérées que le défaut syntaxique
des patients MH n’étaient pas du à un problème de stockage, puisqu’ils sont sensibles au
principe C mais bien un problème dans l’application de la règle non canonique (Teichmann,
Sambin, en révision). De même d’autres expériences ont montré que les patients MH avaient
du mal à faire un transfert des règles extraites dans une langue artificielle 1 à une langue 2
contrairement aux contrôles alors qu’ils n’ont pas de déficit dans l’apprentissage de la règle
(De Diego-Balaguer 2008).
La stricte dichotomie règle/ lexique semble remise en cause par ces résultats. Cette
dernière n’a été confirmée que dans le domaine de la syntaxe et de la morphologie pour les
règles non-automatisées. Aucun résultat concluant n’a été montré en phonologie, ce qui tend à
remettre en cause la dichotomie dans ce domaine. Les règles par défauts ainsi que la
connaissance lexicale semblent être épargnées chez les patients MH, ce qui signifierait
qu’elles ne sont pas prises en compte par le striatum.
1.3.3. Révision syntaxique
Une autre hypothèse, en rapport avec la composante des règles du langage, suggère que le
striatum serait impliqué dans la révision et le contrôle des phrases erronées ou ambiguës
(Friederici 2003). En effet, dans une étude en ERP (Event Related Potential) mesurant les
potentiels évoqués de patients ayant une atteinte corticale ou sous-corticale dans l’hémisphère
gauche à l’écoute de phrases sémantiquement ou syntaxiquement correctes ou incorrectes, il a
été montré que patients avec atteintes sous-corticales avaient une P600 réduite (Friederici et
coll. 1999). Lorsque le cerveau détecte une erreur syntaxique un potentiel évoqué intervient
positivement 600 millisecondes (ms) après le début du stimulus (P600). Dans le cas d’une
violation sémantique, un potentiel évoqué négatif apparaît 400 ms après le début du stimulus
(N400). Les auteurs trouvent que les patients avec atteintes corticales ont une N400 affaiblie
mais une P600 présente et normale, alors que les patients avec atteintes sous corticale
présentaient un profil inverse avec une P600 affaiblie et une N400 normale. La présence
d’une P600 bien qu’affaiblie signifie que les ganglions de la base ne jouent pas un rôle dans
12
l’analyse syntaxique précoce, mais pourrait être impliqués dans un stade plus tardif. Les
ganglions de la base interviendraient alors dans une ultime étape du traitement du langage
pour opérer une révision des phrases syntaxiquement incorrectes ou ambiguës. Ce rôle tardif
se caractérise par la présence d’une P600 lors de l’écoute d’une phrase syntaxiquement
incorrecte. Le système nerveux détecte la violation syntaxique. Si les ganglions de la base
servaient dans la gestion des règles, aucune P600 ne devrait être présente pour les patients
striato-lésés en contexte syntaxique incorrect. Le striatum ne serait donc pas impliqué dans la
gestion des règles mais dans la correction ou la ré-analyse syntaxique.
1.4.
Striatum et automatisme non linguistique
Longworth et collaborateurs (2005) pensent que la relation entre le langage et le striatum
n’est pas d’ordre linguistique mais relève des fonctions exécutives telles que la sélection du
lexique requérant l’inhibition de tous les candidats associés. Les résultats obtenus par
Longworth dans une tâche identique à celle d’Ullman (conjugaison de verbe au passé) ne
révèlent pas les mêmes conclusions. Longwoth compare les performances de patients ayant
une lésion dans les ganglions de la base suite à un accident vasculaire à des patients MH et
MP. Il part du principe que si les patients striato-lésés ont des difficultés avec la conjugaison
des verbes réguliers au passé cela indiquerait que le striatum est impliqué dans la gestion des
règles, mais que si ces patients n’ont pas de problème à conjuguer les formes régulières, cela
voudrait dire que le déficit linguistique des patients MH et MP ne serait pas du aux ganglions
de la base mais aux autres zones corticales potentiellement atteintes dans ces maladies. Les
patients MH et MP avaient comme chez Ullman tendance à sur-régulariser les verbes
irréguliers ou à n’opérer aucun changement, tandis que les patients striato-lésés n’avaient
aucune difficulté à faire la tâche. Selon lui ce n’est donc pas le striatum qui gérerait
l’application des règles morphologiques mais que cela interviendrait à un niveau plus cortical.
Il suggère donc que le striatum servirait à l’inhibition des alternatives compétitrices sans que
cela soit spécifique au langage.
13
1.5.
Hypothèse
L’affaiblissement de la P600 obtenue par Friederici en contexte de violation syntaxique
chez les patients MH, ne va pas à l’encontre de l’hypothèse que le striatum servirait à la
gestion des règles secondaires. En effet, les violations syntaxiques utilisées dans cette étude
(Friederici et coll. 1999) visaient les règles primaires de la syntaxe. Teichmann et
collaborateurs soulignent que les règles canoniques ou par défaut ne sont pas atteintes chez les
patients MH. D’autres parts, dans les résultats obtenus par Longworth les patients striato-lésés
suite à un accident vasculaire n’avaient certes pas des performances significativement
différentes de celles des sujets contrôles, néanmoins, ils avaient une légère tendance aussi à
sur-régulariser les nouveaux verbes irréguliers ou n’opérer aucun changement. Cette tendance
a été surtout perçue chez l’un des patients. Ces différents résultats n’infirment pas nettement
l’hypothèse que le striatum soit impliqué dans les règles du langage et en particulier la gestion
des sous-règles. On peut se demander alors quel est exactement le type de règles défaillantes
chez les patients MH et s’il s’agit d’un défaut de sélection ou d’inhibition. S’il s’agit d’un
défaut de sélection quel critère fait que la règle par défaut prime sur la règle non automatisée ?
Est ce qu’une règle par défaut se définit par sa fréquence, par son degré de simplicité ou sa
régularité ? Dans le cadre de ce mémoire nous tâcherons d’explorer ces questions dans le
domaine de la morphologie des adjectifs.
14
2. Expériences
2.1.
Morphologie et Morphophonologie
La morphologie est la branche de la linguistique qui étudie la façon dont les
morphèmes, qui sont les plus petites unités significatives de la langue (Saussure 1916), se
combinent pour former des lemmes3. La morphophonologie est l’étude des types de
changements phonologiques qui s’opèrent sur les morphèmes une fois qu’ils sont combinés
entre eux, et l’étude des forme phonologiques que les morphèmes adoptent selon le contexte
phonologique dans lequel ils se trouvent. Par exemple, la préfixation de certains morphèmes
tels que le morphème itératif re- provoque des changements phonologiques de ce morphème
selon la racine sur laquelle il se greffe. La préfixation de re- au verbe dire donne redire avec
un chva et préfixé au verbe inventé donne réinventé avec un é ouvert. Cette règle
phonologique semble dépendre de la première syllabe de la racine : devant une voyelle, le e
du préfixe s’ouvre.
Contrairement aux règles syntaxiques, les règles morphologiques ont une complexité
plus quantifiable et par conséquent les hypothèses sur la fréquence et la complexité de la règle
sont plus facile à formuler. Dans les expériences de conjugaison de verbe au futur (Teichmann
2006), la régularité et la fréquence de la règle sont confondues. En effet, les verbes en –er qui
sont les plus réguliers sont à la fois ceux qui déterminent la classe la plus large et la plus
fréquente. Mais cette étude est restrictive car elle ne testait que 2 cas, un extrêmement
fréquent et un moins fréquent, et qu’une alternance régulière/ irrégulière. Ce paradigme
n’offrait donc qu’une variabilité relativement pauvre. C’est pourquoi Maria Giavazzi (2009) a
réalisé une autre expérience utilisant la dérivation adjectivale qui offre une variabilité plus
distribué (4 contre 2) afin de voir si les conclusions de Teichmann pouvaient être généralisées
à un ensemble de règles morphologiques plus large.
3
Lexie, unité autonome constituante du lexique de la langue.
15
2.2.
Morphologie des adjectifs
Le français est une langue où le genre est marqué morphologiquement (voir exemple
(1)). Chaque nom de la langue est déterminé par son genre, féminin ou masculin. Le genre
conditionne le choix de l’article et l’accord des adjectifs se rapportant au nom. En effet, les
adjectifs s’accordent en genre et en nombre au nom auquel ils se rapportent contrairement à
des langues comme l’anglais où le genre n’est pas morphologiquement marqué (exemple (2)).
(1)
Une
gentille
article Fem Adj + Fem
(2) A
nice
article Adj
2.3.
fille,
un
gentil
garçon
Nom Fem
article Masc Adj-Masc
Nom Masc
girl,
a
nice
boy
Nom Fem
article
Adj
Nom Masc
Les règles morpho-phonologiques
Lorsque l’on traite la dérivation d’un adjectif en genre, il s’agit de décomposer la racine et le
suffixe marquant le genre. Les adjectifs du français peuvent être regroupés selon la règle
morpho-phonologique qui s’opère sur le suffixe quand on dérive l’adjectif du féminin au
masculin. Il existe quatre règles de dérivation. La forme du féminin est la forme sous-jacente
du suffixe, car elle offre la structure la plus complète et visible de celui-ci, c’est pourquoi
nous l’avons choisie comme point de départ de la dérivation:
- élision de la consonne finale au masculin (petite/ petit, [petit]/ [peti])
- dévoisement4 de la consonne finale au masculin (sportive/ sportif, [sportiv]/ [sportif])
- aucun changement phonologique entre les deux formes (joviale/ jovial,
[Ωovjal]/[Ωovjal])
- chute de la consonne finale et nasalisation5 de la voyelle précédente (coquine/
coquin, [kokin]/[kokiÕ].
4
Le dévoisement est lorsque qu’une consonne sonore [v] devient sourde [f].
La nasalisation est lorsqu’une voyelle orale, où l’air est expulsé seulement par la bouche, devient nasale, c'està-dire que l’air est expulsé par la bouche et par le nez comme pour les consonnes nasales ([n], [m]).
5
16
Un des problèmes majeurs que pose la diversité de ces règles est de savoir quelle stratégie un
sujet va adopter pour dériver un nouvel adjectif. Un sujet sain extraira la règle appropriée en
fonction du suffixe pour dériver ce nouvel adjectif. En cas de doute, le sujet adoptera une
autre stratégie. Différentes approches conduisent à des prédictions différentes pour étudier ces
règles.
2.3.1. Fréquence de la règle
Une première stratégie possible est l’utilisation de la règle la plus fréquente. En effet,
les règles de dérivation ont une fréquence variable. Les règles les plus fréquentes sont celles
de l’élision de la consonne finale et celle de la nasalisation. Elles occupent à elles deux la
moitié de la répartition des adjectifs selon la fréquence de la règle. La Figure 2 résume la
fréquence des règles qui sous-tendent la dérivation du féminin au masculin. Le dévoisement
de la consonne finale et l’absence de changement sont nettement moins fréquents selon cette
répartition. Si les sujets adoptent toujours la règle la plus fréquente pour dériver un adjectif
qu’ils rencontrent pour la première fois, on s’attend à ce qu’ils produisent préférentiellement
une règle de nasalisation ou d’élision quelque soit l’adjectif proposé.
Figure 2. Représentation de la répartition en % de la fréquence des règles de dérivation des
adjectifs du féminin au masculin. La totalité des adjectifs français sont représentés dans cette
figure. Les différentes parts sont le % de la moyenne de la fréquence des adjectifs aux formes
féminines et masculines répartis selon leur règle de dérivation. La part « autre » regroupe les
adjectifs qui ne sont pas sujets aux dérivations des autres parts. La fréquence des adjectifs est
tiré de la base de donnée Lexique 3 (New B., Pallier C., Ferrand L., 2005). Figure tirée des
17
travaux de Maria Giavazzi, communication personnelle. La nomenclature est différente : C>0
désigne le processus d’élision, dev. celui du dévoisement, -in celui de la nasalisation, et no
change celui où aucun changement n’est apparent.
2.3.2. Simplicité de la règle
Une deuxième stratégie serait d’adopter non pas la règle la plus fréquente mais la plus
simple. Certaines règles de dérivation sont plus simples que d’autres d’un point de vue
linguistique. On peut définir la simplicité d’une règle par le nombre de traits phonologiques
qui sont manipulés dans celle-ci. Plus une règle est simple, moins il y a de traits
phonologiques manipulés. Dans ce cas les règles sont classées par ordre décroissant de
simplicité :
-
la règle « identique » est la règle la plus simple, car pour une forme féminine donnée,
aucun trait phonologique n’est modifié.
(3)
-
/èl/, /al/ > [èl], [al]
la règle « dévoisement » entraine le changement d’un trait phonologique : la consonne
finale se dévoise au masculin.
(4)
-
/iv/ > [if]
la règle « élision » est plus complexe, un phonème entier est modifié : la consonne
finale est élidée au masculin :
(5)
-
/it/, /at/, /øz/, /iz/ > [i], [a], [ø]
la règle « nasalisation » est la plus complexe car deux phonèmes sont modifiés : la
consonne nasale finale transfère son trait nasal à la voyelle précédente et est élidée au
masculin :
(6)
/in/, /yn/, /èn/ ; /òn/ > [iõ], [oõ]
Cette notion de simplicité est importante puisqu’elle pourrait expliquer le choix d’une règle
par rapport à une autre.
2.3.3. Fréquence des syllabes
Une troisième stratégie serait d’adopter le suffixe le plus fréquent. Cette stratégie ne
tient pas compte de la règle, mais du suffixe. Dans ce cas, on s’attend à ce que le sujet
18
sélectionne parmi tous les suffixes possibles le plus fréquent. On peut définir le suffixe le plus
fréquent par la fréquence de la syllabe qui le compose dans la langue française.
Le Tableau 1 résume la distribution de la fréquence cumulée des syllabes pour tous les mots
de langue française quelle que soit leur place dans le mot. Les syllabes rapportées
correspondent au suffixe masculin et féminin des adjectifs sélectionnés. La fréquence de
chaque syllabe est issue de Lexique 3 (New B., Pallier C., Ferrand L., 2005). Par exemple la
fréquence de [i] est la fréquence cumulée de toutes les syllabes ayant pour noyau vocalique le
[i] quelle que soit leur place dans le mot. Et, [i] est la syllabe du suffixe masculin
correspondant aux suffixes féminins -ite, -ise. La deuxième colonne indique la fréquence
cumulée du token et la dernière celle du type. La fréquence du token est le nombre de mots
contenant cette syllabe. La fréquence du type est la fréquence des mots contenant cette
syllabe. Nous avons classé les syllabes par ordre croissant en fonction de la fréquence du
type. Il est intéressant de noter que la syllabe la plus fréquente après le -a et le -i est le -in. Le
morphème /iÕ/ est très fréquent car il compose l’un des mots les plus fréquents dans la langue à
savoir l’article indéfini un.
19
Syllabe
Fréquence
token
Fréquence
type
[if]
709
995,7
[yÕ]
159
1030,2
[øz]
1665
1360,7
[iv]
808
1592,6
[iz]
864
2022,7
[on]
1062
2091,0
[at]
1523
2350
[in]
1442
2646,9
[it]
1345
3024,1
[èn]
1701
4223,1
[al]
3031
7167,8
[yn]
60
9539,3
[ø]
862
11430,4
[èl]
1776
14440,4
[iÕ]
4833
19650,3
[i]Õ +[yÕ]Õ
4992
20680,5
[oÕ]
14487
43159,7
[i]
61156
140786,8
[a]
29582
142203,0
Tableau 1. Ce tableau représente la fréquence cumulée des syllabes correspondant aux
suffixes des adjectifs du français dans tous les mots quelle que soit leur position dans le mot.
Les lignes en italiques indiquent la fréquence cumulée de deux types de syllabe ([i]Õ et [yÕ]Õ)
n’étant plus distinct en français moderne.
2.3.4. Nombres d’options possibles
Une quatrième stratégie serait d’adoptent le suffixe masculin correspondant au suffixe
féminin n’ayant qu’une dérivation possible. Certains suffixes n’ont qu’une règle possible de
dérivation. C’est le cas par exemple du suffixe –ive qui ne peut se dériver qu’avec la règle de
dévoisement pour donner –if, de même le suffixe –ine ne peut se dériver qu’avec la règle de
nasalisation. Cependant d’autres suffixes féminins peuvent conduire à plusieurs suffixes
masculins différents. C’est le cas du suffixe –ite qui peut conduire au suffixe masculin –i en
suivant la règle de l’élision comme dans petite-petit ou à –ite et suivre la règle où aucun
20
changement n’a lieu (« identique ») comme dans israélite-israélite. De même le suffixe –ate
peut être dérivé au masculin suivant la règle de l’élision comme dans ingrate-ingrat et ou
celle de « identique » comme dans diplomate-diplomate. Quand au suffixe –elle, il suit la
règle « identique » et donne -el au masculin comme dans usuelle-usuel, mais
exceptionnellement il peut être dérivé avec –eau comme dans le cas de belle-beau. Bien qu’il
s’agisse d’une exception, la paire d’adjectifs est extrêmement fréquente.
2.4.
Expérience 1 : La production
Dans cette expérience, il s’agissait de voir quelles propriétés de la dérivation des
adjectifs influencent la performance des sujets dans la dérivation d’adjectifs qu’ils ne
connaissent pas (non-mots). D’autres parts, il est avéré que les patients MH ont des difficultés
à appliquer certaines règles mais pas d’autres. L’utilisation de non-mots obligeait les sujets à
manipuler les règles plutôt qu’à se référer au lexique. Cette expérience permettait donc de voir
si les patients MH étaient influencés de la même manière que les sujets sains ou s’ils
adoptaient une autre stratégie de dérivation. Mon rôle dans cette première expérience crée par
Maria Giavazzi se cantonnait à la passation des sujets et à l’interprétation des résultats.
2.4.1.
Hypothèses
1. Hypothèse de la fréquence de la règle.
-La dérivation des non-adjectifs seraient guidée par la fréquence de la règle.
- Dans ce cas, on s’attend à ce que les sujets aient de meilleures performances pour les
suffixes où la règle de dérivation est la plus fréquente (nasalisation et élision) et à ce que les
patients appliquent la règle la plus fréquente par défaut, par exemple qu’ils produisent le
masculin danan pour le féminin danate en suivant la règle de nasalisation.
2. Hypothèse de la simplicité de la règle.
- La dérivation des non-adjectifs serait guidée par le degré de simplicité de la règle.
- Dans ce cas, on s’attend à ce que les sujets de façon générale aient de meilleures
performances pour les suffixes où la règle de dérivation est la plus simple (-elle, -ale) et à ce
que les patients MH aient tendance à produire une forme masculine identique à la forme
21
féminine indifféremment du suffixe ou n’opérer qu’un changement phonologique moindre
comme un dévoisement.
3. Hypothèse du nombre d'options possibles de règles pour un suffixe féminin donné.
- La dérivation des non-adjectifs serait guidée sur le modèle du suffixe féminin n’ayant
qu’une possibilité de dérivation.
- Dans ce cas, on s’attend à ce que les patients MH appliquent préférentiellement le suffixe
masculin résultant du féminin n’ayant qu’une possibilité de dérivation, à savoir –if , –in, -al.
4. Hypothèse de la fréquence du suffixe masculin.
- Cette hypothèse ne teste plus la règle mais de la fréquence du suffixe. La flexion des nonadjectifs serait guidée par un effet de fréquence du suffixe masculin. Le suffixe le plus
fréquent est [iõ], car c’est le suffixe masculin des formes nasale -ine, -aine, -une qui
représentent une partie importante des suffixes adjectivaux de la langue française (20%). Et
d’autres parts, parce que le déterminant indéfini un est l’un des morphèmes le plus représenté
de la langue française. De plus la règle nasalisation est l’une des plus fréquentes pour la
dérivation des adjectifs.
- Si le choix du suffixe masculin est déterminé par sa fréquence, on s’attend alors à ce que les
patients appliquent préférentiellement le suffixe le plus fréquent, par défaut.
2.4.2. Participants
Vingt adultes atteints de la maladie de Huntington (MH précoce, Stade 1), et 16 adultes sains
(Contrôles) ont participé à cette expérience. Six patients ont été exclus des analyses car ils
avaient une TFC inférieur à 10. Le TFC (Shoulson, 1981) indique le niveau de développement
de la maladie. Les patients ont été recrutés à la consultation spécialisée MH à l’Hôpital Henri
Mondor et participaient tous au protocole Biomarqueur. Les patients n’avaient pas
d’antécédents neurologiques ou psychiatriques autres que Huntington et leur diagnostic
avaient été confirmé génétiquement. Les sujets contrôles n’avaient pas de trouble
neurologique ni psychiatrique et étaient appariés aux patients en âge, niveau d’éducation et
latéralité. Tous les sujets avaient signé une feuille de consentement. Les informations
concernant les sujets sont résumées dans le tableau 2.
22
N
Age
Sexe
Latéralité
Education TFC
Contrôles
16
40,46
8H/8F
2G/14D
14,46
n/a
MH
16
47,25
7H/9F
2G/14D
15,12
12 (st.1)
Tableau 2. Caractéristiques démographiques des sujets. L’éducation représente la moyenne
du nombre d’années scolaires suivies depuis la primaire (niveau Baccalauréat = 12), le TFC
(Total Functionnal Capacity) indique le niveau de développement de la maladie, c’est une
échelle allant de 14 à 0. Un sujet sain a une TFC de 14. L’âge est en année. H = homme, F =
femme, G = gaucher, D = droitier.
2.4.3. Matériels et Méthodes
Matériel
Nous avons sélectionné pour les besoins de notre étude onze types d’adjectifs en fonction de
leur suffixe. Nous avons exclu de cette classification les adjectifs verbaux tels que les
participes présent et passé afin de pas interférer avec le système verbal. Le Tableau 3 résume
la répartition des adjectifs selon leur règle de flexion.
Elision
Dévoisement
Nasalisation
-ite ([petit], [peti] ;
-ive ([sportiv], [sportif] ;
-ine
peti- petit)
sportive-sportif)
coquine-coquin)
([kokin],
-ise ([ekskiz], [ekski] ;
-une
exquise-exquis)
brune-brun)
-eux
([krøz],
[crø] ;
creuse-creux)
-ate
([iÕgrat],
-aine
([bryn],
([ymèn],
Identique
[kokiÕ] ;
-al ([Ωovjal], ([Ωovjal];
joviale-jovial)
[briÕ] ;
-el
([yzyèl],
([yzyèl];
usuelle-usuel)
[ymiÕ] ;
humaine-humain)
[iÕgra] ;
ingrate-ingrat)
-onne
([bòn],
[bõ] ;
bonne-bon)
Tableau 3. Répartition des adjectifs selon leur règle de flexion morpho-phonologique du
féminin au masculin.
180 non-adjectifs ont été fabriqués à partir des 11 catégories d’adjectifs. Les non-adjectifs ont
été construits de telle sorte qu’ils n’avaient aucun voisin phonologique (Lexique 3, New B.,
23
Pallier C., Ferrand L., 2005). Un voisin phonologique était compté comme résultant soit d’une
élision, soit d’une insertion ou d’une substitution d’un phonème du mot existant. Les adjectifs
étaient lus à haute voix et la réponse des patients étaient notée manuellement par
l’expérimentateur. Le temps de réaction n’était pas mesuré.
Procédure
Les participants devaient donner le masculin de l’adjectif que l’expérimentateur proposait au
féminin en finissant la phrase donnée, par exemple :
(7) La fille est très starnive, le garçon est très … ?
L’expérimentateur notait la réponse du sujet et cotait sa justesse en fonction de la réponse
attendue. Une réponse juste était une réponse attendue en fonction des règles présumées du
français.
2.4.4. Résultats
Les sujets contrôles avaient un taux d’erreur à 6%. Les patients MH avaient un taux d’erreur à
18%. Une bonne réponse est définie à la fois par la réponse attendue et la réponse alternative
moins fréquente mais attendues, par exemple pour le suffixe –elle la réponse attendue est –el,
et la réponse moins fréquente mais attendue est –eau. Une ANOVA a été réalisée pour le
groupe des patients MH avec le taux de bonne réponse comme variable dépendante et avec le
facteur « suffixe » (-ite, -ise, -ate, -euse, -ale, -elle, -ive, -une, -ine, -onne, -aine) comme
variable indépendante. Un effet de suffixes a été trouvé F(1,2222)= 3.27, p < 0.05896. Il y a
donc une différence entre les suffixes du taux de bonnes réponses dans le groupe des patients
MH. L’analyse ANOVA dont le facteur dépendant était taux de bonne réponse et le facteur
indépendant les sujets n’a pas montré de différence significative entre la performance des
sujets, F(1,2222) = 0.3047, p< 0.581. L’analyse ANOVA dont le facteur dépendant est le
taux de bonnes réponses, et le facteur indépendant le type d’erreurs a montré une différence
significative entre les types d’erreurs, F(1,2222) = 27.596, p< 1.638e-07. Le type d’erreur
pouvait être, l’élision de la consonne finale, le dévoisement de la consonne finale,
l’application du suffixe -in ou la répétition de la forme proposée (« identique ») là où une
24
autre réponse était attendue. Les Figures 3 et 4 indiquent la répartition des erreurs commises
par les patients et les sujets contrôles.
Nombres d’erreurs
Répartition des erreurs MH (par suffixes)
40
35
30
25
20
15
10
5
0
identique
élision
-in/un/ain
if
other
ite
ive
ise euse ate
ale elle onne aine une ine
suffixes
Figure 3. Tirés des analyses de Maria Giavazzi (communication personnelle). Ce graphique
représente le nombre d’erreurs pour chaque suffixe et le indique le type d’erreur fait par les
patients.
Nombre d’erreurs
Répartition des erreurs C (par suffixes)
40
35
30
25
20
15
10
5
0
identique
élision
-in/un/ain
-if
autres
ite
ive
ise euse ate
ale elle onne aine une ine
suffixes
Figure 4. Tirés des analyses de Maria Giavazzi (communication personnelle). Ce graphique
représente le nombre d’erreurs pour chaque suffixe et le indique le type d’erreur fait par les
contrôles.
25
2.4.5.
Discussion intermédiaire
Contrairement à ce que font les sujets contrôles, les patients MH ont tendance à appliquer
le suffixe –in très fréquemment comme réponse incorrecte. Par ailleurs, les sujets contrôles
ont tendance à préférer la simplicité de la règle, et produisent une forme identique à celle
proposée, et font très peu d’erreurs (3 fois moins que les patients 6% contre 18%).
Ces résultats invalident donc l’hypothèse de la simplicité de la règle. En effet, les patients
appliquent préférentiellement le suffixe –in qui ne résulte pas de la règle la plus simple, mais
au contraire de la plus complexe (cf exemple (6)). Ils font 27% d’erreurs en appliquant le
suffixe –in contre 12% d’erreur en appliquant la règle la plus simple (« identique »).
Les résultats peuvent être partiellement expliqués par la deuxième hypothèse qui stipule
que le choix du suffixe est déterminé par le du nombre d’options possibles de règles. En effet,
les patients appliquent le suffixe masculin –in qui ne suit qu’une règle possible pour dériver le
suffixe masculin, et ils ne choisissent pas le suffixe –ite qui connaît plusieurs règles de
dérivation. Mais, ils appliquent également le suffixe masculin –in pour dériver le suffixe
féminin –ive alors que ce-dernier ne connaît qu’une seule règle possible de dérivation (cf. le
nombre d’options possibles section 2.3.4). L’hypothèse 2 fait donc de mauvaises prédictions.
Ces résultats invalident aussi l’hypothèse de la fréquence de la règle. En effet, si les
patients appliquaient la règle de la nasalisation par défaut, on s’attendrait à ce qu’ils
produisent des formes du type [danã] lorsqu’on leur propose [danat] (élision de la consonne
finale et nasalisation de la voyelle précédente) là où ils produisent [daniõ].
La quatrième hypothèse en revanche est plus en accord avec ce qui est observé. On
constate en effet que les patients font moins d’erreur pour les suffixes féminins nasales (-ine, une, -aine) très fréquents alors qu’ils font beaucoup d’erreur pour le suffixe –ive qui est très
peu fréquent (cf Figure 2). Dans la majorité des cas, ils n’appliquent pas une règle de
dérivation, puisqu’ils appliquent, certes dans une faible proportion, le suffixe masculin –in là
où on attend le suffixe masculin –on. En d’autres termes, ils n’appliquent pas la règle de
nasalisation, mais ils sélectionnent le suffixe le plus fréquent. Le choix du suffixe masculin se
fait donc en fonction de la fréquence de celui-ci et non en fonction d’un effet de la règle. Par
ailleurs, les patients segmentent bien l’adjectif et appliquent bien un suffixe masculin
26
d’adjectif, mais ils ont tendance à sélectionner parmi toutes les possibilités de suffixes, le
suffixe le plus fréquent.
En somme le facteur qui oriente la dérivation des non-adjectifs est la simplicité de la
règle pour les sujets contrôles et la fréquence du suffixe pour les patients. Cependant les
résultats de cette expérience peuvent être biaisés par le fait que les patients MH ont des
difficultés à articuler. L’expérimentateur pouvait avoir des difficultés à comprendre ce que
produisaient les patients. . L’utilisation trop fréquente du même suffixe –in pourrait introduire
un artefact à l’expérience. En effet, étant donné qu’il y a beaucoup de forme appelant le
suffixe –in comme réponse (25%), il est possible que les patients répondaient –in par effet de
persévération. Les patient MH ont tendance de manière générale à persévérer (comportement
répétitif, répétition de mot).
Aux vues des résultats de la première expérience, nous avons réalisé une autre
expérience en perception, afin de vérifier si la fréquence du suffixe était bien le facteur de
sélection.
L’expérience de perception nous permet de mieux cerner l’aptitude grammaticale à
l’application de la bonne règle. En effet, il est plus difficile d’accepter une forme
agrammaticale que de la produire.
27
2.5.
Expérience 2 : La perception
Dans cette expérience les sujets entendaient une phrase avec un adjectif féminin suivi
du même adjectif au masculin. Ils devaient déterminer si le suffixe masculin correspondait au
suffixe féminin. Nous avons utilisés les mêmes non-adjectifs que dans l’expérience de
production, et avons fabriqué des adjectifs masculins suivant les réponses possibles et les
erreurs faites par les patients. Il s’agissait de vérifier si la fréquence du suffixe influençait la
dérivation des sujets.
2.5.1. Hypothèses
Les hypothèses sont les mêmes que dans de la précédente expérience mais sélectionnées à
priori, afin de confirmer les résultats obtenus (cf. section 2.4.1).
2.5.2. Participants
Huit patients atteints de la maladie de Huntington (MH précoce, stade 1), 6 sujets présymptomatiques (pré-MH) porteurs du gène mais dont la maladie n’est pas encore déclarée et
15 sujets contrôles (C) ont participés à cette expérience. Les patients ont été évalués selon la
classification TFC « Total Functional Capacity », (Shoulson 1981) et avait tous un TFC
inférieur à 12 indiquant le stade précoce de leur maladie. Les patients ont été recrutés à la
consultation spécialisée de l’Hôpital Henri Mondor et font tous partis du protocole de
recherche Biomarqueur. Les patients n’avaient pas d’antécédent neurologique ou
psychiatrique en dehors de la MH et leur diagnostique avait été confirmé génétiquement. Les
sujets contrôles n’avaient pas de trouble neurologique ou psychiatrique et étaient appariés en
âge, sexe, niveau culturel et latéralité avec les patients. Tous les sujets avaient signé une
feuille de consentement.
Evaluation Clinique :
Tous les patients ont été évalués avec la Mattis Dementia Rating Scale (MDRS ; Mattis
1976), l’United Huntington Disease Rating Scale (UHDRS, The Huntington Study Group
1996), le test de Stroop (Golden 1978), le teste de fluence verbale (Butters et al. 1986) et le
28
Symbol Digit Test (Welcher et al. 1981). Les données démographiques et cliniques sont
résumées dans le Tableau 4.
#
Age
Sexe
Latéralité Education
TFC
Contrôles
N=14
49 (± 13,2)
6H- 8F
13D, 1G
14,1 (± 1,6)
n/a
MH
N=6
53,5 (± 9,5)
3H- 3F
5D, 1G
14,4 (± 2,3)
11
Pré-MH
N=6
42,2 (± 6,7)
2H- 4F
6D
14,7 (± 1,5)
13
Tableau 4. Caractéristiques démographiques des sujets. L’éducation représente la moyenne
du nombre d’années scolaires suivies depuis la primaire (niveau Baccalauréat = 12), le TFC
(Total Functionnal Capacity) indique le niveau de développement de la maladie, c’est une
échelle allant de 14 à 0. Un sujet sain a une TFC de 14. L’âge est en année. H = homme, F =
femme, G = gaucher, D = droitier.
2.5.3. Matériels et Méthodes
Matériel
Nous avons utilisé 194 stimuli audio au total. Les stimuli audio ont été enregistrés par un
enregistreur numérique et normalisés avec le logiciel Praat à 60 dB. Les stimuli audio étaient
présentés sur un ordinateur portable de type PC par un programme Pygame (Python 2.6).
Chaque stimulus durait approximativement 3200 ms. Les stimuli consistaient en deux phrases
consécutives contenant chacune un non-adjectif. Les deux phrases avaient une structure
identique, dans la première le non-adjectif était au féminin et dans la deuxième au masculin.
Nous avons utilisé des non-adjectif afin d’éliminer tout indice lexical.
(8) La fille est très starn-ive. Le garçon est très starn-if.
L’expérience comprenait une phase d’entrainement de 8 essais, une phase de test de 186
essais dont 20 contrôles attentionnels. Un contrôle attentionnel était un essai où les deux non-
29
adjectifs étaient complètement différents (voir procédure pour le déroulement de
l’expérience).
(9) La fille est très merpine. Le garçon est très rupal.
Les166 stimuli de la phase de test, hors contrôles attentionnels, étaient répartis selon quatre
conditions. Chaque condition comprenait à la fois des paires de non-adjectifs qui suivaient
correctement la règle de dérivation propre à leur suffixe (cf. Tableau 3) et des paires de nonadjectifs dont le suffixe masculin était construit à partir des erreurs faites par les patients.
Chaque condition est intitulée d’après le type d’erreur de la paire d’adjectifs incorrecte. Par
exemple, la condition « in » contient des couples d’adjectifs qui suivent correctement la règle
de nasalisation et dont la réponse attendue est « correct » et des couples d’adjectifs auxquels
nous avons appliqué au masculin le suffixe –in indépendamment du suffixe féminin et dont la
réponse attendue est « incorrect ». Les erreurs proposées pour les couples d’adjectifs dans les
conditions « élision » et « identique » sont l’application de la règle respectivement élision et
identique à des suffixes qui normalement ne suivent pas cette règle. Les erreurs proposées
pour les couples d’adjectifs dans la condition « -in » et « -if » sont l’application du suffixe –in
et –if indépendamment du suffixe féminin.
a) la condition « élision » :
- couples d’adjectifs « corrects » : application de la règle d’élision (ex : fém. pronite - masc.
pronit),
- couples d’adjectifs « incorrects » : application de la règle de l’élision (ex, fém. bélune masc. bélu) à des suffixes qui ne suivent normalement pas cette règle.
b) la condition « identique » :
- couples d’adjectifs « corrects » : application de la règle « identique » (ex, fém. glinale –
masc. glinal),
- couples d’adjectifs « incorrects » : application de la règle « identique » (ex, fém. tadeuse –
masc. tadeuse) à des suffixes qui ne suivent normalement pas cette règle.
c) la condition « -in » :
- couples d’adjectifs « corrects » : application de la règle de nasalisation (ex, fém. déronne –
masc. déron ; fém. bonline – masc. bolin),
30
- couples d’adjectifs « incorrects » : application du suffixe –in (ex, fém. pidreuse – masc.
pidrin) à des formes dont la dérivation ne donne normalement pas -in.
d) la condition « -if » :
- couples d’adjectifs « corrects » : application de la règle de dévoisement (ex, fém. starnive –
masc. starnif),
- couples d’adjectifs « incorrecte » : application du suffixe –if (ex, fém. tricrelle – masc. ticrif)
à des formes dont la dérivation ne donne normalement pas -if.
La condition « if » permettait de contrebalancer la condition « in ». Ces deux conditions sont
construites de la même façon et contiennent les deux suffixes qui représentent les deux
extrémités de la fréquence des suffixes (très fréquent –in, peu fréquent –if).
Les stimuli pour les réponses attendues correctes ont été fabriqués d’après ce que 80% des
contrôles ont produits dans l’expérience de production. Les stimuli pour les réponses
attendues incorrectes ont été fabriqués à partir des erreurs produites par les patients. Nous
avons exclu tous les cas d’ambigüité lorsqu’il y avait deux règles de dérivation possibles pour
un suffixe. Les non-adjectifs utilisés n’avaient pas de voisins phonologiques.
Chaque condition contenait 40 stimuli dont la moitié était correcte e.g. le couple
« starn-ive/ starn-if », et l’autre incorrecte e.g. le couple « starn-ive/ starn-in ». La répartition
des stimuli est résumée dans le tableau 5 (voir annexe pour la liste complète des stimuli).
31
masculins proposés
Suffixes
Règle de
Exemple
féminins
dérivation
féminins
Elision
-if
-ite
Elision
Pronite
Pronit
pronif
-ise
Elision
Fébise
Fébis
-ate
Elision
Danate
danat
-euse
Elision
Gloteuse
Gloteux
-aine
Nasalisation
Stavaine
-une
Nasalisation
bélune
-ine
Nasalisation
brafine
-onne
Nasalisation
grumonne
-ale
Identique
géfrale
géfra
Géfral
-elle
Identique
plugelle
Plugé
plugel
-ive
Identique
sépive
Identique
-in
Fébin
Danif
Gloteuse
stavif
Stavain
Belu
Bélun
Brafine
grummif
Brafin
Grumon
Sépif
Tableau 5. Exemple de la répartition des stimuli. La première colonne indique les suffixes
féminins utilisés dans l’expérience. La 2ème colonne indique la règle de dérivation que le
suffixe suit dans la langue française. Les formes de la 3ème colonne sont des exemples de nonadjectifs féminins utilisés dans l’expérience. Les formes des colonnes 4, 5, 6, 7 sont des
exemples indicatifs de non-adjectifs masculins proposés dans l’expérience pour les nonadjectifs féminins de la 3ème colonne. Les formes en gras sont des formes possibles de
masculin dont la réponse attendue est correcte et celle en italique sont des formes possibles
de masculin dont la réponse attendue est incorrecte.
Procédure
Le participant était assis devant un ordinateur PC portable. Après avoir lu les instructions, il
entendait dans un casque audio un stimulus. A la fin du stimulus audio, afin d’éviter une
surcharge de mémoire, les mots « correct » et « incorrect » s’affichaient à l’écran du même
côté que la touche réponse correspondante (Shift gauche et Shift droit). La touche pour la
réponse « correct » était du côté opposé à la main dominante en fonction de la latéralité du
sujet. L’appui sur la touche réponse permettait de mesurer le temps de réaction et de passer à
l’essai suivant. Chaque essai était espacé de 500 ms. Le sujet devait déterminer si la forme de
l’adjectif masculin correspondait à celle de l’adjectif féminin. Pendant la phase de test aucun
feedback n’était donné. Celle-ci était divisée en trois blocks d’ordre aléatoire de 60 essais
32
présentés aléatoirement. Entre chaque bloc le sujet avait la possibilité de faire une pause.
Chaque block était précédé de 2 essais d’entrainement sans feedback. Ces essais
d’entrainement permettait au sujet de retrouver sa vitesse optimale de réponse. Afin
d’empêcher toute stratégie de réponse, une contrainte supplémentaire était ajoutée au
processus aléatoire, il ne pouvait y avoir plus de 4 essais consécutifs appelant la même
réponse. La phase de test était précédée par une phase d’entrainement de 8 essais. Quatre
adjectifs du français dont 2 corrects (e.g. heureuse/ heureux) et 2 incorrects (e.g. ingrate/
ingrin) et 4 non-adjectif dont 2 corrects (e.g. ronive/ ronif) et 2 incorrects (e.g. arrune/ arrif)
étaient présentés pendant celle-ci. A chaque essai le sujet recevait un feedback. L’expérience
durait au total une vingtaine de minutes.
2.5.4. Résultats
Pour des raisons de clarté, nous appelons « erreurs » les réponses déviantes en fonction de la
réponse attendue, et « correct » les réponses conformes à la réponse attendue.
Les sujets ayant plus de 20% d’erreurs dans les essais de contrôles attentionnels ont été
exclus de nos analyses, soit 2 patients MH et 1 sujet contrôle. Au total les sujets avaient moins
de 5% d’erreurs dans ces essais. Il n’y avait aucune différence significative pour le taux de
réponses correctes entre les groupes dans les essais de contrôles attentionnels, F(2, 23) =
0.7496, p < 0.4837
Afin de mener notre analyse pour les temps de réaction nous avons éliminé les essais
au-delà et en deçà de 2 écart-type de la moyenne des temps de réaction par groupe soit 5,6 %
pour les patients MH, 6% pour les sujets pré-MH et 10% pour les sujets contrôles. Et pour
mener nos analyses sur les réponses des sujets nous avons calculé le score d-prime de chaque
sujet dans chaque condition (MacMillan et Creelman, 2005). Le score d-prime vient de la
théorie de la détection du signal et permet de voir le biais de réponse que peuvent avoir les
sujets. Cela nous permet de savoir si les sujets ont du mal à rejeter certaines formes
proposées. Un sujet peut faire 4 types de réponse possibles : « Hit », « False Alarm » (FA),
« Correct Rejection » (CR) et « miss ».
-Un « hit » est lorsque le sujet a correctement détecté le signal (réponse correcte à une réponse
attendue).
-Une FA est lorsque le sujet à répondu alors qu’il n’y avait pas de signal (réponse correcte à
une réponse attendue incorrecte).
33
- Une CR est le rejet d’un signal déviant (réponse incorrecte à une réponse attendue
incorrecte).
- Un miss est la non détection du signal (réponse incorrecte à une réponse attendue correcte).
Pour calculer le d-prime nous avons transformé les réponses en probabilité (p) de hits
pour tous les non-adjectifs, puis nous avons déduit la probabilité de mauvaises réponses en
faisant 1-p, puis nous avons converti la probabilité en z-score. Une probabilité de 1 ou 0
donne un z-score infini, c’est pour cette raison que nous avons converti les probabilités de 1 et
0 en 0,99 et 0,01. Le d-prime étant calculé à partir du taux de bonnes réponses des sujets, plus
le d-prime est élevé plus taux de bonnes réponse est élevé, plus le d-prime est faible voire
négatif, plus le nombre de FA est élevé.
Nous avons testé le score d-prime, et le temps de réaction en fonction des conditions et
des groupes par une série d’ANOVA multifactorielles. Si les résultats étaient significatifs
nous avons mené une analyse plus approfondie en testant le score d-prime en fonction du
facteur groupe par condition. Une analyse a également été menée en intra-groupe lorsque les
résultats étaient significatifs. Dans ce cas, nous avons fait une ANOVA à un facteur testant le
score d-prime en fonction des conditions. S’il y avait une différence significative, nous avons
testé les différentes conditions deux à deux.
Nous avons testé ensuite les conditions en fonction de la fréquence de la règle des
couples d’adjectifs dont la réponse attendue était correcte en regroupant les conditions dont
les règles étaient fréquentes : « élision » et « -in » et celles dont les règles étaient non
fréquentes : « identique » et « -if ».
Enfin nous rapportons les d-prime de chaque suffixe pour le groupe des patients MH,
ainsi que l’analyse statistique à un facteur testant le score-d-prime en fonction des suffixe, et
s’il y avait une différence significative, nous avons analysé par une ANOVA à un facteur le
score-d-prime du suffixe –ite et celui du suffixe –ive, afin de voir s’il y avait une différence
entre ces deux suffixes et de valider ou d’infirmer l’hypothèse 2 (voir section 2.4.1).
Analyses inter-groupe :
L’analyse ANOVA multifactorielle, dont la variable dépendante était le d-prime et les
facteurs indépendant groupes (MH, C, Pré-MH) et conditions (« élision », « -if », « -in »,
« identique ») a révélé une différence significative entre les conditions, F(3, 69) = 8.4917, p <
7.063e-05, une différence significative entre les groupes, F(2,23) = 3.4996, p < 0.04711, et
une interaction entre les conditions et les groupes, F(6, 69) = 2.1533, p < 0.05812.
34
L’analyse ANOVA multifactorielle, dont la variable dépendante était le temps de
réaction et les facteurs indépendant groupes et conditions, n’a révélé aucune différence
significative entre les conditions, F(3, 14) = 0.2789, p < 0.8397, ni entre les groupes, F(2, 14)
= 1.2184, p < 0.3252, ni d’interaction entre les conditions et les groupes, F(6,14) = 0.7989, p
< 0.5865. Le fait qu’il n’y ait pas différence entre les groupes pour le TR est du au fait que la
mesure du TR n’était pas suffisamment sensible pour détecter une différence de TR entre les
groupes, et que ce n’était pas vraiment une tâche de rapidité.
5
score d-prime
4
3
C
2
Pré-MH
1
MH
0
-1
élision
if
in
identique
-2
conditions
Figure 4.
TR en ms
temps de réaction
1800
1600
1400
1200
1000
800
élision
if
in
identique
600
400
200
0
C
MH
groupes
Pré-MH
Figure 5.
35
Figures 4 et 5. Moyenne du score d-prime par conditions et groupes, les barres représentent
les écart-types. Moyenne des temps de réaction par conditions et par groupes en milliseconde,
les barres montrent l’erreur standard.
Les analyses statistiques utilisant le test ANOVA à un facteur dont la variable
dépendante était le d-prime et le facteur indépendant le groupe ont montré une différence
significative entre les groupes pour la condition « -if », F(2, 23) = 6.0981, p < 0.007502, et
pour la condition « -in », F(2, 23) = 5.6069, p < 0.01039, mais aucune différence significative
pour la condition « élision », F(2,23) = 0.8188, p < 0.4534, et pour la condition « identique »,
F(2,23) = 0.3281, p < 0.7236.
L’analyse intra-groupe :
Contrôles :
L’analyse ANOVA à un facteur, dont la variable dépendante était le d-prime et le
facteur indépendant les conditions, a révélé une différence significative entre les conditions,
F(3, 39) = 11.248, p < 1.868e-05
6
score d-prime
5
4
3
2
1
0
in
élision
if
identique
conditions
Figure 6. Moyenne du score d-prime par conditions pour les sujets contrôles, les barres
représentent les écart-types.
Les analyses statistiques utilisant le test ANOVA à un facteur dont la variable
dépendante était le d-prime et le facteur indépendant les conditions (conditions analysées
deux à deux : « - », « - ») ont montré une différence significative entre les condition « -if » et
36
« -in », F(1, 13) = 16.949, p < 0.001214, entre les conditions « élision » et « -in », F(1, 13) =
5.3705, p < 0.03743, entre les conditions « élision » et « identique », F(1,13) = 4.7945, p <
0.04739, entre les conditions « élision » et « -if », F(1,13) = 37.332, p < 3.72e-05, et entre les
conditions « identique » et « -if », F(1,13) = 9.0486, p < 0.01008, mais aucune différence
significative entre les conditions « identique » et « -in », F(1,13) = 0.158, p < 0.6974.
MH :
L’analyse ANOVA à un facteur, dont la variable dépendante était le d-prime et le
facteur indépendant les conditions, a révélé une différence significative entre les conditions,
F(3,15) = 4.3617, p < 0.02133.
5
scores d-prime
4
3
2
1
0
-1
in
élision
if
identique
-2
conditions
Figure 7. Moyenne du score d-prime par conditions pour les patients MH, les barres
représentent les écart-types.
Les analyses statistiques utilisant le test ANOVA à un facteur dont la variable
dépendante était le d-prime et le facteur indépendant les conditions (conditions analysées
deux à deux : « - », « - ») ont montré une différence significative entre les conditions « -if »
et « -in », F(1,5) = 10.893, p < 0.02147, et entre les conditions « identique » et « -in », F(1,5)
= 18.526, p < 0.007685, mais aucune différence significative entre les conditions « élision »
et « -in », F(1, 5) = 2.0872, p < 0.2082, entre les conditions « élision » et « identique », F(1,5)
= 1.457, p < 0.2814, entre les conditions « élision » et « -if », F(1,5) = 1.4868, p < 0.2771, et
entre les conditions « identique » et « -if », F(1,5) = 0.4403, p < 0.5363.
37
Pré-MH :
L’analyse ANOVA à un facteur, dont la variable dépendante était le d-prime et le
facteur indépendant les conditions, n’a révélé aucune différence significative entre les
conditions, F(3,15) = 0.684, p < 0.5756.
L’analyse de la fréquence :
L’analyse ANOVA multifactorielle, dont la variable dépendante était le d-prime et les
facteurs indépendants le groupes et les conditions (fréquentes vs non fréquentes), a révélé une
différence significative entre les conditions, F(1,23) = 30.8430, p < 1.194e-05, une différence
significative entre les groupes, F(2,23) = 3.4996, p < 0.04711, mais pas d’interaction entre les
conditions et les groupes, F(2, 23) = 1.7208, p < 0.2012.
fréquence
5
score d-prime
4
3
fréquente
2
non fréquente
1
0
-1
C
MH
Pré-MH
groupes
Figure 8. Moyenne du score d-prime pour les conditions fréquentes (in-élision) en bleu et non
fréquente (if et identique) en violet, pour le groupes des patients MH, contrôles (C), et PréMH. Les barres représentent les écart-types.
L’analyse ANOVA à un facteur, dont la variable dépendante était le d-prime et le
facteur indépendant les conditions a révélé une différence significative entre les conditions
fréquentes et non fréquentes pour le groupe des patients MH, F(1,5) = 26.582, p < 0.003597,
pour le groupe contrôle, F(1,13) = 18.144, p < 0.0009305, et aucune différence pour le groupe
des sujets pré-MH, F(1,5) = 1.0285, p < 0.3570.
38
L’analyse ANOVA à un facteur, dont la variable dépendante était le d-prime et le
facteur indépendant les suffixes (-ite, -ise, -ate, -euse, -ive, -elle, -ale, -ine, -une, -aine, -onne)
a révélé une différence significative entre les suffixes pour le groupe des patients MH,
F(10,50) = 2.5208, p < 0.01532.
Dans la Figure 9 nous avons reporté la moyenne des d-prime par classe pour les patients.
L’analyse ANOVA à un facteur, dont la variable dépendante était le d-prime et le
facteur indépendant les suffixes (suffixes analysé deux à deux) dans le groupe des patients
MH n’a révélé de différence significative entre les suffixes –ite et –ive, F(1,5) = 0.0673, p <
0.8057, mais a révélé une tendance significative entre les suffixes –ite et –ate, F(1,5) =
2.6219, p < 0.1663, et –ive et –ate, F(1,5) = 5.0714, p < 0.07409. Cette tendance serait plus
marquée si le groupe de sujets était plus grand.
HD
4
3,5
3
2,5
2
1,5
1
0,5
0
aine
une
ine
onne
ive
ale
ise
ite
elle
euse
ate
Figure 9. Moyenne du score d-prime par classes pour le groupe HD.
2.5.5.
Discussion
Dans cette étude nous avons examiné le rôle du striatum dans l’application des règles
morpho-phonologique par deux expériences comparant des patients MH à des sujets
contrôles.
L’expérience de production a permis de voir quelles propriétés de la dérivation des
adjectifs influençaient la performance des sujets dans la dérivation d’adjectifs qu’ils ne
connaissent pas (non-mots).
39
L’expérience de perception a permis de vérifier que les patients MH utilisaient le
critère de la fréquence du suffixe pour dériver un adjectif du féminin au masculin comme
trouvé dans l’expérience de production. Le temps de réaction (TR) était mesuré pour voir s’il
y avait une corrélation entre la réponse du sujet et le type de couples d’adjectifs proposé.
Les TR n’ont pas été exploités à cause de la trop grande variabilité qu’il y avait entre
les sujets. Cette variabilité est du à la mesure du TR en soi. En effet, le TR était mesuré de la
fin du stimulus et jusqu’à l’appui sur la touche réponse par le sujet. Ce dernier entendait
d’abord le féminin et avait le temps de planifier la réponse qu’il attendait quand il entendait le
masculin. Il pouvait donc anticiper la réponse et planifier une commande motrice avant la
mesure du TR. Le feedback des sujets nous a confirmé cette hypothèse. Cependant, la
moyenne des TR qui est à 1011 millisecondes tout groupe confondu, et la médiane à 781
millisecondes indique que les sujets étaient relativement lents, et que la tâche était difficile
(cf. Matériel et méthode section 2.5.3).
Les résultats montrent des différences significatives entre les conditions et entre les
groupes en fonctions des d-primes. L’analyse statistique dans le groupe des patients MH,
révèle que les patients MH ont un biais de réponse pour la condition « -in » et que les
conditions « identique » et « -if » sont significativement différentes de celle de « -in ». En
effet, le d-prime de la condition « -in » est très faible (0,5), ce qui indique que les patients ont
du mal à rejeter une forme incorrecte dans cette condition du type « fem. starnive - masc.
starnin ». Le fait qu’il n’y ait aucune différence significative entre les conditions « -in » et « élision » n’est pas surprenant, car le d-prime dans la condition « élision » chez les sujets
contrôles est plus bas que pour les autres conditions (2 vs 2,6 ; 3,6 ; 2,7), ce qui indique que
les sujets contrôles ont un léger biais de réponse dans cette condition ; on retrouve ce biais de
réponse chez les patients. Cela peut s’expliquer par le fait que dans la condition « élision »,
certains suffixes peuvent suivre plusieurs règles possibles (-ite, -ate). Si le sujet opte pour une
stratégie de sélectionner le résultat de l’une de ces règles et de rejeter toutes les autres formes,
alors il aura une grande quantité de « miss » (réponse « incorrect » pour une réponse attendue
« correcte »).
L’hypothèse qui stipule que la flexion des non-adjectifs est guidée par le degré de
simplicité de la règle n’est pas validée ici car les patients comme les sujets contrôles ont un dprime élevé dans la condition « identique » (2,7 pour les sujets contrôles et 2,1 pour les
patients MH) qui est la condition dont la règle est la plus simple (cf. section 2.3.2).
L’étude des d-prime par suffixes chez les patients a montré que d-prime pour le suffixe
–-ite est faible (1,1), ce qui va dans le sens de l’hypothèse 2 qui stipulait que la flexion des
40
non-adjectifs suit le modèle du suffixe féminin n’ayant qu’une possibilité de dérivation. En
effet, -ite a deux possibilités de dérivation. Cependant cela n’explique pas le d-prime faible de
–ive (1,1) qui n’a qu’une possibilité de dérivation et le d-prime élevé de –ate (2,4) qui a deux
possibilités de dérivation (voir section 2.3.4 pour le nombre de possibilités). D’ailleurs
l’analyse statistique ne montre aucune différence entre les d-prime des suffixes –ite et –ive, là
où s’attendrait à trouver une différence si l’hypothèse était valide. Le fait qu’il y ait une
tendance significative entre les d-prime de –ate et –ite souligne que la flexion des nonadjectifs n’est pas guidée par le modèle du suffixe féminin n’ayant qu’une possibilité de
dérivation, car si tel était le cas, les d-prime de –ate et –ite ne devrait pas être différents
significativement.
Ces résultats en revanche valident la troisième hypothèse, qui stipule que le choix du
suffixe masculin n’est pas régi par une règle en particulier mais par le suffixe le plus fréquent.
Les analyses en termes de fréquence de la règle, montrent que les patients comme les
sujets contrôles et les sujets pré-MH ont tendance à avoir un biais de réponse pour les règles
les plus fréquentes (élision et nasalisation) et que ce biais est d’autant plus marqué chez les
patients MH. Cela paraît logique car la règle nasalisation donne le suffixe masculin -in pour la
majeure partie des suffixes féminin nasals tels que -ine, -aine, -une (75% des suffixes nasals).
Il y a donc effet double de la fréquence, à savoir celui de la règle et celui du suffixe.
Cependant l’analyse de la fréquence de la règle n’est pas vraiment valable. Elle
compare les conditions « -in » et « élision » avec « -if » et « identique » qui contiennent des
formes auxquelles aucune règle n’a été appliquée, à savoir les couples d’adjectifs incorrects
des conditions « -if » et « -in ». Pour que la fréquence de la règle soit vraiment testée il y
aurait fallu appliquer la règle de nasalisation à des formes qui normalement ne la suivent pas
(ex : fém. [danat] - masc. [danã]). L’effet de la fréquence de la règle est donc fragile au regard
du matériel que nous avons utilisé. Il serait intéressant, pour vraiment prouver que les patients
sélectionnent le suffixe le plus fréquent pour dériver un non-adjectif du féminin au masculin,
de confronter des formes auxquelles on aurait incorrectement appliqué la règle de nasalisation
à des formes auxquelles on aurait incorrectement appliqué le suffixe –in.
Au regard des résultats de ces deux expériences, nous pouvons dire que les patients
ont un trouble dans l’application des règles morpho-phonologiques. Ils n’appliquent pas
systématiquement la règle de dérivation attendue, mais sélectionnent parmi toutes les
possibilités de suffixes masculins le suffixe le plus fréquent qu’ils appliquent à défaut.
41
Ces résultats ont le même profil que les résultats obtenus dans les tâches de
conjugaison de verbes chez Teichmann et coll. (2005, 2006). Teichmann et coll. ont trouvé
que les patients MH avaient un trouble dans la conjugaison des non-verbes sous réguliers et
que cela n’était du à un problème d’articulation car ils avaient les mêmes résultats dans la
modalité perceptive. Selon Teichmann et collaborateurs les performances des patients MH
dans les tâches de conjugaison seraient du à un trouble dans l’application des règles non
canoniques du à une dégénérescence du striatum. Nos résultats nuancent cette hypothèse car il
semblerait que les patients MH aient un défaut non pas dans l’application de la règle mais
dans la sélection du suffixe à appliquer.
Nos résultats sont en revanche cohérents avec l’hypothèse de Longworth, selon
laquelle le striatum servirait à inhiber les alternatives compétitrices (section 1.4). En effet, Il
semblerait que les patients aient un défaut dans l’inhibition des formes les plus fréquentes ou
dans la sélection d’une forme parmi ses concurrentes et qu’ils choisissent la plus fréquente par
défaut. Nos résultats vont également dans le sens de l’hypothèse d’Ullman stipulant que
l’hyperactivité du thalamus du au déficit du circuit indirect entrainerait une utilisation
excessive de la forme la plus fréquente (cf. section 1.1 pour le circuit indirect et 1.3.1 pour
l’hypothèse d’Ullman sur l’inhibition).
3. Conclusion
Le striatum aurait donc un rôle inhibiteur dans le langage. Il permettrait d’inhiber les
formes concurrentes les plus fréquentes pour la sélection de la forme appropriée en
morphologie. D’autres études sont nécessaires pour étayer ces résultats. Il serait intéressant
par exemple d’explorer cette hypothèse sur d’autres aspects de la morphologie, de la syntaxe
et de la phonologie. L’imagerie (IRMf, ERP) serait une bonne approche pour mieux
comprendre ce mécanisme d’inhibition et pour mieux cerner le rôle du striatum dans le
langage.
42
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46
Annexe
suffixes
ite (1)
ise (2)
euse (3)
ate (4)
Adjectif Fem.
pronite
terite
boclite
davrite
dinfite
nobite
pramite
runite
zamite
dresite
spranise
rafise
tremise
altise
dorquise
febise
frunise
chudise
mornise
pristise
blideuse
gloteuse
listeuse
tegeuse
ticreuse
nineuse
tadeuse
malieuse
pidreuse
teveuse
gifrate
plomate
mesate
buclate
rudiate
ponstate
eniate
scurate
danate
trumate
Identique
Elsion
pronit
terit
boclit
davrit
dinfit
-in
nobin
pramin
spranis
rafis
tremis
altis
dorquis
febin
frunin
chudise
mornise
pristise
blideux
gloteux
listeux
tégueux
ticreux
nineuse
tadeuse
malieuse
pidrin
tévin
gifrat
plomat
mesat
buclat
rudiat
ponstin
énien
47
ale (5)
elle (6)
ive (7)
glinale
scistale
cudale
puvale
demale
diamale
dobiale
timale
ronfale
bedrale
gefrale
strunale
ticrale
shupale
nurfale
prefale
puchale
mirnale
jepale
trumale
glinal
scistal
cudal
puval
demal
diamal
dobial
timal
ronfal
bedral
drebelle
trilelle
ponelle
spatrelle
rungelle
sirtelle
neselle
nerelle
taquelle
distelle
tromelle
pidrelle
dafelle
zirelle
scofrelle
plugelle
viprelle
sgranelle
ronfelle
ticrelle
drebelle
trilelle
ponelle
spatrelle
rungelle
sirtelle
neselle
nerelle
taquelle
distelle
gefra
struna
ticra
shupin
nurfin
prefin
tromin
pidrin
dafin
zirin
scofre
pluge
vipre
sepive
fritive
cautive
fontive
chenive
clampive
crestive
gomive
merive
nouissive
starnive
surquive
48
tescrive
tranive
troussive
dotrive
crimive
larpive
charive
nuastive
dastive
protive
truline
calpive
stimive
chopive
eltrive
mormive
fapive
scurive
glotrive
danive
pidive
vunive
cative
scramive
prentive
detrive
calcrive
vindrive
une (8)
aine (9)
ine (10)
zopune
frinune
nerune
cramune
fensune
ampune
belune
bratune
scorune
trompune
stavaine
fridaine
clonfaine
crimaine
nouraine
puvaine
salmaine
runaine
vopaine
belmaine
bredine
mospine
crapine
dasti
proti
truli
calpi
stimi
chopi
eltri
mornive
fapive
scurive
glotrive
danive
pidive
vunive
cative
scramin
prentin
detrin
calcrin
vindrin
zopun
frinun
nerun
cramin
fensin
ampu
belu
bratu
stavain
fridain
clonfain
crimin
nourain
puvais
salmais
bredin
mospin
crapin
49
bonline
scramine
brafine
noipine
laldine
mevrine
branvine
onne (11)
Entrainement
Mots
heureuse
coquine
ingrate
brouillonne
Non mots
ronive
suquite
cobaine
arrune
squeronne
spatonne
rinonne
deronne
léfonne
broxonne
plouronne
fiefonne
grumonne
musconne
bonlin
scramin
brafine
noipine
laldine
mevri
branvi
squeron
spaton
rinon
deron
léfon
broxonne
plouronne
fiefonne
heureux
coquin
ingrin
brouillif
ronif
suquit
cobif
arrif
Entrainement Blocs
fonite
vonvise
gepise
nerate
crollune
dammune
fonit
vonvin
gepi
nerin
crollune
dammune
Contrôles
attentionnels
merpine
gribonne
mapaine
jariale
lafonne
polune
critune
dipale
rogrine
losite
spamite
uguite
rupal
tarlif
groleux
disteuse
sgraneuse
jumin
imbrate
pramif
fapate
jaupune
dipale
cratale
50
drimite
stapise
pafise
chourline
patale
tinquise
zoreuse
plomeuse
moulif
grumin
fropif
trourit
fomun
broujain
dazif
ongat
51
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