M2 Cogmaster 2009-2010 Juin 2010 Le Rôle du Striatum dans l’Application des Règles Morpho-phonologique du Langage: Le Modèle de la Maladie de Huntington Alizée Foucher Sous la codirection d’Anne-Catherine Bachoud-Lévi et de Maria Giavazzi. Laboratoire de Neuro-Psychologie Interventionnelle, INSERM/ENS, Paris, France. 1 Remerciements Je remercie vivement ma directrice de stage Anne-Catherine Bachoud Lévi, pour son dynamisme, sa patience, et sa disponibilité qui m’ont encouragée tout au long de ce stage. Je remercie chaleureusement Maria Giavazzi pour son enthousiasme, sa disponibilité, son exigence et ses précieux conseils. Je remercie également Ruth De Diego-Balaguer, Charlotte Jacquemot, Sophie Sudraud, et Sara Sambin pour leur aide, et leurs conseils scientifiques. Je remercie l’équipe du LSCP pour leurs remarques et conseils. Enfin, je remercie Jérémie Vexiau, et ma mère pour leur soutien et leur aide dans ce mémoire. 2 Table des Matières 1. Introduction ........................................................................................................................ 4 1.1. Le striatum ................................................................................................................... 4 1.2. Le modèle Huntington ................................................................................................. 6 1.3. Striatum et Langage ..................................................................................................... 9 1.3.1. Dichotomie règle lexique ..................................................................................... 9 1.3.2. Hypothèses alternatives ...................................................................................... 10 1.3.3. Révision syntaxique ........................................................................................... 12 1.4. Striatum et automatisme non linguistique ................................................................. 13 1.5. Hypothèse .................................................................................................................. 14 2. Expériences ...................................................................................................................... 15 2.1. Morphologie et Morphophonologie........................................................................... 15 2.2. Morphologie des adjectifs ......................................................................................... 16 2.3. Les règles morpho-phonologiques............................................................................. 16 2.3.1. Fréquence de la règle.......................................................................................... 17 2.3.2. Simplicité de la règle .......................................................................................... 18 2.3.3. Fréquence des syllabes ....................................................................................... 18 2.3.4. Nombres d’options possibles ............................................................................. 20 2.4. Expérience 1 : La production..................................................................................... 21 2.4.1. Hypothèses ......................................................................................................... 21 2.4.2. Participants ......................................................................................................... 22 2.4.3. Matériels et Méthodes ........................................................................................ 23 2.4.4. Résultats ............................................................................................................. 24 2.4.5. Discussion intermédiaire .................................................................................... 26 2.5. Expérience 2 : La perception ..................................................................................... 28 2.5.1. Hypothèses ......................................................................................................... 28 2.5.2. Participants ......................................................................................................... 28 2.5.3. Matériels et Méthodes ........................................................................................ 29 2.5.4. Résultats ............................................................................................................. 33 2.5.5. Discussion .......................................................................................................... 39 3. Conclusion ........................................................................................................................ 42 Bibliographie………………………………………………………………………………….43 Annexe……………………………………………………………………………………… 46 3 1. Introduction A la différence du rôle bien connu de l’aire de Broca et de Wernicke, l’implication des structures sous-corticales et en particulier du striatum dans le langage, reste à élucider. Pourtant, aussi bien les lésions vasculaires que les lésions dégénératives, comme dans la maladie de Huntington, indiquent que celui-ci joue un rôle dans le langage. Ces patients parlent peu, leurs structures syntaxiques sont simples, leur compréhension déficiente dans certains cas. Depuis une quinzaine d’année les premiers modèles de traitement du langage intégrant le striatum ont vu le jour, mais les expériences sur lesquelles ils reposent restent rares et leurs résultats parfois contradictoires. Ce mémoire tente de tester de nouvelles hypothèses en utilisant l’application des règles morpho-phonologiques permettant de dériver le genre des adjectifs et ainsi d’apporter quelques éclaircissements sur le rôle du striatum dans le langage. Cette étude a été menée sur des patients atteints de la maladie de Huntington et s’inscrit dans le cadre des recherches faites au laboratoire de Neuro-Psychologie Interventionnelle de l’INSERM-ENS (NPI) dirigé par le Pr Anne-Catherine Bachoud Lévi. 1.1. Le striatum Pour comprendre le rôle du striatum dans le langage, il faut tout d’abord comprendre son intégration anatomique dans le cerveau. Le striatum est une structure de substance grise centrale du cerveau. Il fait parti des ganglions de la base. Son aspect strié lui a valu son nom en raison des nombreux réseaux de fibres qui le composent. Le striatum est la cible principale des afférences corticales qui vont aux ganglions de la base, et lui-même projette à son tour vers ces mêmes régions corticales comprenant le cortex frontal (Hoover & Strick, 1993), le 4 cortex pariétal (Clower et coll., 2005) et le cortex temporal (Middleton & Strick, 1996). Selon le modèle d’Albin et coll. (1989), on peut distinguer deux zones distinctes du striatum : - une zone afférente (projections d’entrée) recevant des fibres du cortex cérébral, du thalamus et de la substance noire compacte. - une zone efférente (projections de sortie) qui projettent sur les noyaux subthalamiques, la substance noire réticulée et le globus pallidus interne pour enfin envoyer des projections sur le thalamus. Ces deux compartiments d’entrée et de sortie sont intégrés par deux circuits, direct et indirect. Le circuit direct projette sur le globus pallidus interne (GPi) directement tandis que le circuit indirect projette sur le thalamus par une succession de projections via le globus pallidus externe (GPe), les noyaux subthalamiques, la substance noire réticulée et le GPi. Ces deux circuits ont des effets opposés (Alexander et Crutcher 1990). La neuropsychologie a permis de les mettre en évidence. Même s’il est admis que ces circuits sont plus complexes et recouvrent certaines fonctions communes sans réelle ségrégation, on admet grossièrement qu’une lésion du striatum comme dans la maladie de Huntington réduirait l’activité du GPi et du GPe alors qu’une atteinte par réduction de l’apport dopaminergique au striatum entrainerait une hyperactivité du noyau sous-thalamique par la levée de l’inhibition exercée par le GPe. Les circuits striataux seraient impliqués dans des fonctions exécutives, telle que : attention, planification et mémoire de travail. La Figure 1 schématise les circuits direct et indirect du modèle d’Albin et collaborateurs. 5 Figure 1. Schéma du circuit indirect et direct, tiré de Albin et coll. (1989) Composé du putamen et du noyau caudé, le striatum d’intégration/régulation constitue un carrefour entre plusieurs fonctions, d’une part, par la convergence et l’intégration de l’information (Kemp & Powell, 1970 ; Morris et coll., 2003), d’autre part, par la ségrégation des différents types d’informations (l’inhibition des informations concurrentes et le renfort des informations saillantes) (Alexander et coll., 1986). C’est ce qui en fait l’intérêt et la complexité, car il est difficile de ségréguer les fonctions entre elles. C’est pourquoi pendant des années les gens ont considéré qu’il n’avait pas de rôle spécifique dans le langage. Ces concepts d’intégration et de régulation s’appliquent aux processus des mouvements mais aussi aux processus cognitifs notamment dans la mémoire de travail, l’apprentissage de séquences temporelles. Ils ont servi aussi de modèles computationnels afin de simuler certains processus séquentiels de la syntaxe (Dominey et Ramus 2000) 1.2. Le modèle Huntington La maladie de Huntington est une maladie neurodégénérative rare autosomique dominante qui se caractérise à un stade précoce par un dysfonctionnement puis une atrophie striatale. Elle offre un modèle relativement homogène de lésion striatale contrairement aux 6 accidents vasculaires qui débordent souvent du striatum et touchent celui-ci de manière hétérogène rendant les patients peu comparables entre eux. En effet, l’atrophie striatale de la MH suit un gradient stéréotypé (Vonsatel et coll, 2004). Selon la classification anatomopathologique de Vonstattel et Lianski (2004) qui comportent 4 grades, l’atrophie serait cantonnée au striatum pour les grades 1 et 2 et s’étendraient au cortex à partir du grade 3. Cependant cette description d’une atteinte pure du striatum aux stades précoces a été remise en cause par les travaux récents d’imagerie cérébrale qui montrent semble-t-il une atteinte corticale dès le début de la maladie. En effet, Thieben et coll. (2002) ont montré qu’il y a une réduction du volume de la substance grise du striatum gauche ainsi que de l’insula bilatérale, du mésencéphale dorsal et du sulcus intra-pariétal bilatéral chez des porteurs du gène qui n’ont pas déclaré la maladie (sujets « présymptomatiques ») comparés à des sujets non porteurs du gène. Néanmoins, cette atteinte reste réduite comparée à l’atrophie du striatum dans la maladie ce qui fait que l’on peut considérer à l’instar des recherches menées au NPI que les troubles occasionnés dans la MH au début de la maladie (stade 1) sont dus essentiellement à l’atrophie du striatum. La maladie de Huntington se manifeste en général vers l’âge de 35-40 ans alors que 40 % des cellules du striatum ont déjà disparu. Elle associe des troubles moteurs, cognitifs et psychiatriques. Elle est particulièrement connue pour sa chorée qui est une des manifestations de la maladie des plus spectaculaires mais ce qui cause la désinsertion sociale des patients est avant tout l’association des troubles cognitifs et psychiatriques. En effet les patients au delà des troubles psychiatriques sur lesquels nous n’insisterons pas (dépression, psychose etc.), souffrent d’une atteinte des fonctions cognitives, principalement de la mémoire de travail de la planification, et de l’attention. C’est pourquoi jusqu’ici, parce qu’ils n’apparaissaient pas au premier plan, peu d’auteurs se sont intéressé aux troubles du langage. Outre une dysarthrie manifeste du à l’appauvrissement du contrôle moteur sur les mandibules, quelques études ont évoqué un trouble du langage dans la maladie de Huntington (MH). Pour Wallesch et coll. (1988), les troubles du langage des patients MH ne seraient dus qu’à un problème de dysarthrie et non la conséquence d’un dysfonctionnement linguistique sous-jacent. Néanmoins Wallesch et coll. évoquent la perte progressive des verbes modaux (must, can etc.) chez les locuteurs anglais en fonction de l’avancé de la maladie. 7 Jensen et coll. (2006) vont dans le même sens dans une étude qu’ils ont menée utilisant le test WAB qui consiste en la description d’images (Western Aphasia Battery). Ils ont trouvé que les MH n’avaient pas de troubles au niveau sémantique et lexical ce qui suggère que la mémoire sémantique est préservée. Mais, ils relèvent un trouble grammatical, omission des articles en début de phrase, qu’ils attribuent à un problème dysarthrique associé à la maladie, ou à une conséquence des déficits cognitifs. Ils excluent un trouble proprement linguistique. Une analyse d’Illes (1989) sur le discours spontané des patients MH a montré qu’ils avaient un trouble syntaxique (appauvrissement de la génération de structures syntaxiques complexes) et que ce trouble était identique pour les patients à stade précoce que pour ceux d’un stade avancé suggérant que l’origine de ce trouble n’est pas moteur mais linguistique. Cela laisse supposer que certaines régions des ganglions de la base affectent les processus linguistiques. Cambier et coll. (1979) ont rapporté le cas d’une patiente atteinte d’une hémorragie dans la tête du noyau caudé gauche. Cette patiente avait une « perturbation de l’expression orale, écrite et graphique », alors qu’elle n’avait aucun problème de compréhension ou de dysarthrie. Après examen du langage, Cambier et coll. ont constaté que la patiente avait une désorganisation systématique du discours et de l’expression graphique. La patiente avait une tendance à la persévération (répétition de mots ou morphèmes), qui n’est pas sans rappeler le comportement des patients MH. Cambier et coll. concluent qu’une telle lésion dans le noyau caudé influe sur le cortex frontal en réduisant son action inhibitrice sur les comportements. Pour eux l’action inhibitrice du lobe frontal intervient dans « le déroulement des processus qui, au stade pré-linguistique, avant la verbalisation, assurent la sélection des idées et des mots et maintient la finalité du discours. ». Ces dernières études sont très intéressantes car elles suggèrent à la fois que les troubles du langage des patients MH ne sont pas le résultat d’un dysfonctionnement moteur mais ont bien une origine linguistique et que les ganglions de la base sont impliqués dans les processus du langage. D’autres auteurs ont proposés que les patients MH auraient un trouble dans l’application des règles du langage (Ullman et coll. 1997 ; Teichmann et coll. 2005), comme nous le verrons plus tard. 8 1.3. Striatum et Langage 1.3.1. Dichotomie règle lexique Le langage est fondé sur deux concepts : le lexique et les règles (Pinker 1999). Le lexique contiendrait tous les éléments idiosyncratiques de la langue tels que les phonèmes1, morphèmes2 et les représentations syntaxiques ainsi que certaines phrases idiomatiques. A chaque niveau linguistique des règles permettent d’assembler les phonèmes entre eux pour faire des morphèmes ; combinés entre ces morphèmes donnent des mots qui eux-mêmes combinés donnent des phrases. Cependant le lexique ne contient pas toutes les réalisations de chaque item mais plutôt des variables (symboles prototypiques) qui permettent de les représenter (Fodor, 1981). Dans ce système, les règles ont une propriété exponentielle car elles peuvent agir sur des variables abstraites et sont combinatoires (Miller 1991). Les arguments expérimentaux qui sous-tendent ce modèle se restreignent à la morphologie (Ullman et coll., 1997). Ullman et coll. (1997) à partir du modèle dichotomique règle / lexique a fait l’hypothèse que les patients qui ont un trouble de la mémoire déclarative et lexicale du à une lésion dans le cortex temporal ou dans le néocortex pariétal devraient avoir du mal à conjuguer les verbes irréguliers au passé et à avoir tendance à les sur-régulariser (appliquer la règle régulière par défaut). Les patients ayant une atteinte des ganglions de la base ou du cortex frontal devraient avoir des troubles dans l’application des règles et donc rencontrer des difficultés avec les verbes réguliers alors que la conjugaison des verbes irréguliers ne poserait pas de problème. Il vérifie cette hypothèse en comparant des patients aphasiques (aphasie postérieure) ayant une atteinte du circuit temporo-parietal ou ayant un Alzheimer (MA), et des patients striataux lésés (MH, MP, et aphasie antérieure). Dans une tâche de production où les sujets devaient compléter une phrase en conjuguant au passé des verbes et non-verbes suivant le modèle régulier (ajout du suffixe –ed à la racine du verbe, e.g. look, looked) et irrégulier (dig, dug) en anglais. Les patients ayant une atteinte de la mémoire déclarative, MA et aphasie postérieure avaient du mal à conjuguer des verbes irréguliers alors qu’ils n’avaient pas de souci avec les verbes réguliers, et les patients ayant une atteintes du circuit fronto-striatal 1 2 Le phonème est la plus petite unité sonore de la langue (voyelles et consonnes). Le morphème est la plus petite unité significative de langue (em-barque-ment). 9 avaient du mal à appliquer les règles régulières pour le passé (MP, aphasie antérieure, MH). Dans le cas de la MP, Ullman propose qu’une dégénérescence des ganglions de la base entraine une inhibition du cortex frontal par atteinte du circuit direct selon le modèle d’Albin et coll. (1989), qui entrainerait une suppression de la programmation des règles. Dans le cas de MH, c’est le circuit indirect fronto-striatal qui serait atteint provoquant une double inhibition du GPe et du GPi sur le thalamus. Cela entrainerait une hyperactivité du thalamus causant une excessive excitation des zones motrices et frontales qui reçoivent des projections des ganglions de la base. Les patients MH auraient un trouble dans l’application des règles morphologiques et auraient tendance à sur-régulariser les verbes irréguliers (production de « digged » pour « dug »). Ce déficit serait à l’origine d’un excès de mouvement (chorée) et d’un excès dans l’utilisation des règles du langage. A partir de cette étude Ullman proposa un modèle (2001) selon lequel le lexique serait pris en charge par cortex temporo-parietal et stocké dans la mémoire déclarative, tandis que les règles seraient gérées par le circuit frontostriatal et seraient stockées dans la mémoire procédurale. Ce modèle révolutionnaire ne permet cependant pas de différencier la contribution du striatum de celle du lobe frontale. De plus, cette hypothèse n’a été démontrée que dans le cas de la morphologie chez des patients striato-lésés. 1.3.2. Hypothèses alternatives Afin d’étayer l’hypothèse d’Ullman et de vérifier si l’implication du striatum dans l’application des règles se limitait au langage et si cela s’appliquait aussi aux autres domaines de la linguistique, Teichmann et coll. (2005) ont monté une expérience testant la syntaxe, la morphologie et l’arithmétique. Dans une tâche de conjugaison similaire à celle utilisée par Ullman et coll. (1997), les patients devaient compléter une phrase en conjuguant des verbes et non verbes donnés à l’infinitif au présent et au futur (« aujourd’hui il … , demain il … »). Il existe en français trois groupes de verbes distincts. Ces trois groupes se distinguent par leur conjugaison. Les verbes du premier groupe en –er sont les plus réguliers et suivent les règles de conjugaison par défaut. Les verbes du deuxième et troisième groupe suivent une sous-règle de la règle par défaut. Il s’agit d’une sous-règle car la désinence est toujours la même mais la racine du verbe ne suit pas toujours le même modèle. A cela s’ajoute les verbes irréguliers, suivant une conjugaison irrégulière (avoir : « il a », « il aura » ; être « il est », « il sera »; prendre, « il prend », « il prendra »). Certains verbes peuvent également avoir un infinitif 10 similaire à celui des verbes du 1er et 2ème groupe tout en étant irrégulier voire singleton (ex. aller). Les résultats ont montré que les patients MH n’avaient pas de problème à conjuguer des verbes réguliers et irréguliers mais en avaient pour conjuguer les non-verbes sous réguliers du type choupoir sur le modèle de boire. En effet, les patients MH pouvaient faire appel à la mémoire pour conjuguer les verbes, tandis qu’ils étaient obligés d’utiliser la règle pour les non-verbes. La conclusion tirée de cette expérience est que le striatum servirait à la gestion des règles sous-régulières. Les mêmes résultats ont été trouvés dans une expérience en perception (Teichmann et coll. 2006). Dans cette expérience les sujets devaient dire si les verbes étaient correctement conjugués. La terminaison verbale avait été faite en fonction des erreurs que les sujets avaient produits dans l’expérience de conjugaison. Le fait que Teichmann et coll. trouvent les mêmes résultats pour les deux expériences signifie que les patients MH ont bien un trouble dans l’application des règles et que ce n’est pas un problème de prononciation. En syntaxe, les patients devaient décider si la phrase qui leur était donnée correspondait à l’image qu’ils avaient sous les yeux. Les phrases utilisées comprenaient des phrases passives, actives et des subordonnées relatives objet ou sujet. Dans cette expérience deux facteurs étaient manipulés, soient la plausibilité pragmatique et le respect de l’ordre canonique de la phrase. Une phrase active ou relative sujet est dite canonique tandis que qu’une phrase passive ou relative objet est non canonique. Les patients MH avaient des difficultés à traiter les phrases non plausibles et non canoniques. Les auteurs concluent que les patients MH ont un trouble dans les processus de règles syntaxiques et notamment dans les mouvements à distance, les patients ont plus de difficultés avec les phrases relatives objets / sujets que passive / relative. Il existe probablement outre la distinction entre règles et lexiques une distinction de règles dissociant les règles primaires (par défaut) et les règles secondaires s’appliquant quand la règle primaire n’est pas fonctionnelle. Le striatum servirait à la gestion de ces règles secondaires. Aucune atteinte des règle n’a été démontré en phonologie. Dans une tâche AAAX manipulant la règle d’assimilation du français (Teichmann et coll. 2009), les patients MH avaient une performance similaire aux contrôles. L’assimilation phonologique s’applique en français lorsqu’une consonne sonore e.g. [b] se retrouve en contacte avec une consonne sourde e.g. [s]. C’est le cas par exemple, de « robe sale » ou le [b] s’assourdit devant le [s] donnant [ropsal]. C’est une assimilation de voisement. L’assimilation de voisement était bien appliquée par les patients francophones. En revanche, dans une tâche de détection de mots dans une phrase, les patients avaient plus de difficultés. Cela suggère qu’ils détectent difficilement les phonèmes dans des contextes de phrases, ce qui pourrait être 11 expliqué par un défaut de la mémoire à court terme. Ces résultats vont à l’encontre des résultats précédents ce qui signifierait que le striatum joue un rôle dans l’application des règles complexes non canoniques au niveau de la syntaxe et de la morphologie mais pas au niveau de la phonologie pour la règle testée. D’autres études menées en syntaxe manipulant la cor-référence d’un pronom et d’un nom (principe C) ont suggérées que le défaut syntaxique des patients MH n’étaient pas du à un problème de stockage, puisqu’ils sont sensibles au principe C mais bien un problème dans l’application de la règle non canonique (Teichmann, Sambin, en révision). De même d’autres expériences ont montré que les patients MH avaient du mal à faire un transfert des règles extraites dans une langue artificielle 1 à une langue 2 contrairement aux contrôles alors qu’ils n’ont pas de déficit dans l’apprentissage de la règle (De Diego-Balaguer 2008). La stricte dichotomie règle/ lexique semble remise en cause par ces résultats. Cette dernière n’a été confirmée que dans le domaine de la syntaxe et de la morphologie pour les règles non-automatisées. Aucun résultat concluant n’a été montré en phonologie, ce qui tend à remettre en cause la dichotomie dans ce domaine. Les règles par défauts ainsi que la connaissance lexicale semblent être épargnées chez les patients MH, ce qui signifierait qu’elles ne sont pas prises en compte par le striatum. 1.3.3. Révision syntaxique Une autre hypothèse, en rapport avec la composante des règles du langage, suggère que le striatum serait impliqué dans la révision et le contrôle des phrases erronées ou ambiguës (Friederici 2003). En effet, dans une étude en ERP (Event Related Potential) mesurant les potentiels évoqués de patients ayant une atteinte corticale ou sous-corticale dans l’hémisphère gauche à l’écoute de phrases sémantiquement ou syntaxiquement correctes ou incorrectes, il a été montré que patients avec atteintes sous-corticales avaient une P600 réduite (Friederici et coll. 1999). Lorsque le cerveau détecte une erreur syntaxique un potentiel évoqué intervient positivement 600 millisecondes (ms) après le début du stimulus (P600). Dans le cas d’une violation sémantique, un potentiel évoqué négatif apparaît 400 ms après le début du stimulus (N400). Les auteurs trouvent que les patients avec atteintes corticales ont une N400 affaiblie mais une P600 présente et normale, alors que les patients avec atteintes sous corticale présentaient un profil inverse avec une P600 affaiblie et une N400 normale. La présence d’une P600 bien qu’affaiblie signifie que les ganglions de la base ne jouent pas un rôle dans 12 l’analyse syntaxique précoce, mais pourrait être impliqués dans un stade plus tardif. Les ganglions de la base interviendraient alors dans une ultime étape du traitement du langage pour opérer une révision des phrases syntaxiquement incorrectes ou ambiguës. Ce rôle tardif se caractérise par la présence d’une P600 lors de l’écoute d’une phrase syntaxiquement incorrecte. Le système nerveux détecte la violation syntaxique. Si les ganglions de la base servaient dans la gestion des règles, aucune P600 ne devrait être présente pour les patients striato-lésés en contexte syntaxique incorrect. Le striatum ne serait donc pas impliqué dans la gestion des règles mais dans la correction ou la ré-analyse syntaxique. 1.4. Striatum et automatisme non linguistique Longworth et collaborateurs (2005) pensent que la relation entre le langage et le striatum n’est pas d’ordre linguistique mais relève des fonctions exécutives telles que la sélection du lexique requérant l’inhibition de tous les candidats associés. Les résultats obtenus par Longworth dans une tâche identique à celle d’Ullman (conjugaison de verbe au passé) ne révèlent pas les mêmes conclusions. Longwoth compare les performances de patients ayant une lésion dans les ganglions de la base suite à un accident vasculaire à des patients MH et MP. Il part du principe que si les patients striato-lésés ont des difficultés avec la conjugaison des verbes réguliers au passé cela indiquerait que le striatum est impliqué dans la gestion des règles, mais que si ces patients n’ont pas de problème à conjuguer les formes régulières, cela voudrait dire que le déficit linguistique des patients MH et MP ne serait pas du aux ganglions de la base mais aux autres zones corticales potentiellement atteintes dans ces maladies. Les patients MH et MP avaient comme chez Ullman tendance à sur-régulariser les verbes irréguliers ou à n’opérer aucun changement, tandis que les patients striato-lésés n’avaient aucune difficulté à faire la tâche. Selon lui ce n’est donc pas le striatum qui gérerait l’application des règles morphologiques mais que cela interviendrait à un niveau plus cortical. Il suggère donc que le striatum servirait à l’inhibition des alternatives compétitrices sans que cela soit spécifique au langage. 13 1.5. Hypothèse L’affaiblissement de la P600 obtenue par Friederici en contexte de violation syntaxique chez les patients MH, ne va pas à l’encontre de l’hypothèse que le striatum servirait à la gestion des règles secondaires. En effet, les violations syntaxiques utilisées dans cette étude (Friederici et coll. 1999) visaient les règles primaires de la syntaxe. Teichmann et collaborateurs soulignent que les règles canoniques ou par défaut ne sont pas atteintes chez les patients MH. D’autres parts, dans les résultats obtenus par Longworth les patients striato-lésés suite à un accident vasculaire n’avaient certes pas des performances significativement différentes de celles des sujets contrôles, néanmoins, ils avaient une légère tendance aussi à sur-régulariser les nouveaux verbes irréguliers ou n’opérer aucun changement. Cette tendance a été surtout perçue chez l’un des patients. Ces différents résultats n’infirment pas nettement l’hypothèse que le striatum soit impliqué dans les règles du langage et en particulier la gestion des sous-règles. On peut se demander alors quel est exactement le type de règles défaillantes chez les patients MH et s’il s’agit d’un défaut de sélection ou d’inhibition. S’il s’agit d’un défaut de sélection quel critère fait que la règle par défaut prime sur la règle non automatisée ? Est ce qu’une règle par défaut se définit par sa fréquence, par son degré de simplicité ou sa régularité ? Dans le cadre de ce mémoire nous tâcherons d’explorer ces questions dans le domaine de la morphologie des adjectifs. 14 2. Expériences 2.1. Morphologie et Morphophonologie La morphologie est la branche de la linguistique qui étudie la façon dont les morphèmes, qui sont les plus petites unités significatives de la langue (Saussure 1916), se combinent pour former des lemmes3. La morphophonologie est l’étude des types de changements phonologiques qui s’opèrent sur les morphèmes une fois qu’ils sont combinés entre eux, et l’étude des forme phonologiques que les morphèmes adoptent selon le contexte phonologique dans lequel ils se trouvent. Par exemple, la préfixation de certains morphèmes tels que le morphème itératif re- provoque des changements phonologiques de ce morphème selon la racine sur laquelle il se greffe. La préfixation de re- au verbe dire donne redire avec un chva et préfixé au verbe inventé donne réinventé avec un é ouvert. Cette règle phonologique semble dépendre de la première syllabe de la racine : devant une voyelle, le e du préfixe s’ouvre. Contrairement aux règles syntaxiques, les règles morphologiques ont une complexité plus quantifiable et par conséquent les hypothèses sur la fréquence et la complexité de la règle sont plus facile à formuler. Dans les expériences de conjugaison de verbe au futur (Teichmann 2006), la régularité et la fréquence de la règle sont confondues. En effet, les verbes en –er qui sont les plus réguliers sont à la fois ceux qui déterminent la classe la plus large et la plus fréquente. Mais cette étude est restrictive car elle ne testait que 2 cas, un extrêmement fréquent et un moins fréquent, et qu’une alternance régulière/ irrégulière. Ce paradigme n’offrait donc qu’une variabilité relativement pauvre. C’est pourquoi Maria Giavazzi (2009) a réalisé une autre expérience utilisant la dérivation adjectivale qui offre une variabilité plus distribué (4 contre 2) afin de voir si les conclusions de Teichmann pouvaient être généralisées à un ensemble de règles morphologiques plus large. 3 Lexie, unité autonome constituante du lexique de la langue. 15 2.2. Morphologie des adjectifs Le français est une langue où le genre est marqué morphologiquement (voir exemple (1)). Chaque nom de la langue est déterminé par son genre, féminin ou masculin. Le genre conditionne le choix de l’article et l’accord des adjectifs se rapportant au nom. En effet, les adjectifs s’accordent en genre et en nombre au nom auquel ils se rapportent contrairement à des langues comme l’anglais où le genre n’est pas morphologiquement marqué (exemple (2)). (1) Une gentille article Fem Adj + Fem (2) A nice article Adj 2.3. fille, un gentil garçon Nom Fem article Masc Adj-Masc Nom Masc girl, a nice boy Nom Fem article Adj Nom Masc Les règles morpho-phonologiques Lorsque l’on traite la dérivation d’un adjectif en genre, il s’agit de décomposer la racine et le suffixe marquant le genre. Les adjectifs du français peuvent être regroupés selon la règle morpho-phonologique qui s’opère sur le suffixe quand on dérive l’adjectif du féminin au masculin. Il existe quatre règles de dérivation. La forme du féminin est la forme sous-jacente du suffixe, car elle offre la structure la plus complète et visible de celui-ci, c’est pourquoi nous l’avons choisie comme point de départ de la dérivation: - élision de la consonne finale au masculin (petite/ petit, [petit]/ [peti]) - dévoisement4 de la consonne finale au masculin (sportive/ sportif, [sportiv]/ [sportif]) - aucun changement phonologique entre les deux formes (joviale/ jovial, [Ωovjal]/[Ωovjal]) - chute de la consonne finale et nasalisation5 de la voyelle précédente (coquine/ coquin, [kokin]/[kokiÕ]. 4 Le dévoisement est lorsque qu’une consonne sonore [v] devient sourde [f]. La nasalisation est lorsqu’une voyelle orale, où l’air est expulsé seulement par la bouche, devient nasale, c'està-dire que l’air est expulsé par la bouche et par le nez comme pour les consonnes nasales ([n], [m]). 5 16 Un des problèmes majeurs que pose la diversité de ces règles est de savoir quelle stratégie un sujet va adopter pour dériver un nouvel adjectif. Un sujet sain extraira la règle appropriée en fonction du suffixe pour dériver ce nouvel adjectif. En cas de doute, le sujet adoptera une autre stratégie. Différentes approches conduisent à des prédictions différentes pour étudier ces règles. 2.3.1. Fréquence de la règle Une première stratégie possible est l’utilisation de la règle la plus fréquente. En effet, les règles de dérivation ont une fréquence variable. Les règles les plus fréquentes sont celles de l’élision de la consonne finale et celle de la nasalisation. Elles occupent à elles deux la moitié de la répartition des adjectifs selon la fréquence de la règle. La Figure 2 résume la fréquence des règles qui sous-tendent la dérivation du féminin au masculin. Le dévoisement de la consonne finale et l’absence de changement sont nettement moins fréquents selon cette répartition. Si les sujets adoptent toujours la règle la plus fréquente pour dériver un adjectif qu’ils rencontrent pour la première fois, on s’attend à ce qu’ils produisent préférentiellement une règle de nasalisation ou d’élision quelque soit l’adjectif proposé. Figure 2. Représentation de la répartition en % de la fréquence des règles de dérivation des adjectifs du féminin au masculin. La totalité des adjectifs français sont représentés dans cette figure. Les différentes parts sont le % de la moyenne de la fréquence des adjectifs aux formes féminines et masculines répartis selon leur règle de dérivation. La part « autre » regroupe les adjectifs qui ne sont pas sujets aux dérivations des autres parts. La fréquence des adjectifs est tiré de la base de donnée Lexique 3 (New B., Pallier C., Ferrand L., 2005). Figure tirée des 17 travaux de Maria Giavazzi, communication personnelle. La nomenclature est différente : C>0 désigne le processus d’élision, dev. celui du dévoisement, -in celui de la nasalisation, et no change celui où aucun changement n’est apparent. 2.3.2. Simplicité de la règle Une deuxième stratégie serait d’adopter non pas la règle la plus fréquente mais la plus simple. Certaines règles de dérivation sont plus simples que d’autres d’un point de vue linguistique. On peut définir la simplicité d’une règle par le nombre de traits phonologiques qui sont manipulés dans celle-ci. Plus une règle est simple, moins il y a de traits phonologiques manipulés. Dans ce cas les règles sont classées par ordre décroissant de simplicité : - la règle « identique » est la règle la plus simple, car pour une forme féminine donnée, aucun trait phonologique n’est modifié. (3) - /èl/, /al/ > [èl], [al] la règle « dévoisement » entraine le changement d’un trait phonologique : la consonne finale se dévoise au masculin. (4) - /iv/ > [if] la règle « élision » est plus complexe, un phonème entier est modifié : la consonne finale est élidée au masculin : (5) - /it/, /at/, /øz/, /iz/ > [i], [a], [ø] la règle « nasalisation » est la plus complexe car deux phonèmes sont modifiés : la consonne nasale finale transfère son trait nasal à la voyelle précédente et est élidée au masculin : (6) /in/, /yn/, /èn/ ; /òn/ > [iõ], [oõ] Cette notion de simplicité est importante puisqu’elle pourrait expliquer le choix d’une règle par rapport à une autre. 2.3.3. Fréquence des syllabes Une troisième stratégie serait d’adopter le suffixe le plus fréquent. Cette stratégie ne tient pas compte de la règle, mais du suffixe. Dans ce cas, on s’attend à ce que le sujet 18 sélectionne parmi tous les suffixes possibles le plus fréquent. On peut définir le suffixe le plus fréquent par la fréquence de la syllabe qui le compose dans la langue française. Le Tableau 1 résume la distribution de la fréquence cumulée des syllabes pour tous les mots de langue française quelle que soit leur place dans le mot. Les syllabes rapportées correspondent au suffixe masculin et féminin des adjectifs sélectionnés. La fréquence de chaque syllabe est issue de Lexique 3 (New B., Pallier C., Ferrand L., 2005). Par exemple la fréquence de [i] est la fréquence cumulée de toutes les syllabes ayant pour noyau vocalique le [i] quelle que soit leur place dans le mot. Et, [i] est la syllabe du suffixe masculin correspondant aux suffixes féminins -ite, -ise. La deuxième colonne indique la fréquence cumulée du token et la dernière celle du type. La fréquence du token est le nombre de mots contenant cette syllabe. La fréquence du type est la fréquence des mots contenant cette syllabe. Nous avons classé les syllabes par ordre croissant en fonction de la fréquence du type. Il est intéressant de noter que la syllabe la plus fréquente après le -a et le -i est le -in. Le morphème /iÕ/ est très fréquent car il compose l’un des mots les plus fréquents dans la langue à savoir l’article indéfini un. 19 Syllabe Fréquence token Fréquence type [if] 709 995,7 [yÕ] 159 1030,2 [øz] 1665 1360,7 [iv] 808 1592,6 [iz] 864 2022,7 [on] 1062 2091,0 [at] 1523 2350 [in] 1442 2646,9 [it] 1345 3024,1 [èn] 1701 4223,1 [al] 3031 7167,8 [yn] 60 9539,3 [ø] 862 11430,4 [èl] 1776 14440,4 [iÕ] 4833 19650,3 [i]Õ +[yÕ]Õ 4992 20680,5 [oÕ] 14487 43159,7 [i] 61156 140786,8 [a] 29582 142203,0 Tableau 1. Ce tableau représente la fréquence cumulée des syllabes correspondant aux suffixes des adjectifs du français dans tous les mots quelle que soit leur position dans le mot. Les lignes en italiques indiquent la fréquence cumulée de deux types de syllabe ([i]Õ et [yÕ]Õ) n’étant plus distinct en français moderne. 2.3.4. Nombres d’options possibles Une quatrième stratégie serait d’adoptent le suffixe masculin correspondant au suffixe féminin n’ayant qu’une dérivation possible. Certains suffixes n’ont qu’une règle possible de dérivation. C’est le cas par exemple du suffixe –ive qui ne peut se dériver qu’avec la règle de dévoisement pour donner –if, de même le suffixe –ine ne peut se dériver qu’avec la règle de nasalisation. Cependant d’autres suffixes féminins peuvent conduire à plusieurs suffixes masculins différents. C’est le cas du suffixe –ite qui peut conduire au suffixe masculin –i en suivant la règle de l’élision comme dans petite-petit ou à –ite et suivre la règle où aucun 20 changement n’a lieu (« identique ») comme dans israélite-israélite. De même le suffixe –ate peut être dérivé au masculin suivant la règle de l’élision comme dans ingrate-ingrat et ou celle de « identique » comme dans diplomate-diplomate. Quand au suffixe –elle, il suit la règle « identique » et donne -el au masculin comme dans usuelle-usuel, mais exceptionnellement il peut être dérivé avec –eau comme dans le cas de belle-beau. Bien qu’il s’agisse d’une exception, la paire d’adjectifs est extrêmement fréquente. 2.4. Expérience 1 : La production Dans cette expérience, il s’agissait de voir quelles propriétés de la dérivation des adjectifs influencent la performance des sujets dans la dérivation d’adjectifs qu’ils ne connaissent pas (non-mots). D’autres parts, il est avéré que les patients MH ont des difficultés à appliquer certaines règles mais pas d’autres. L’utilisation de non-mots obligeait les sujets à manipuler les règles plutôt qu’à se référer au lexique. Cette expérience permettait donc de voir si les patients MH étaient influencés de la même manière que les sujets sains ou s’ils adoptaient une autre stratégie de dérivation. Mon rôle dans cette première expérience crée par Maria Giavazzi se cantonnait à la passation des sujets et à l’interprétation des résultats. 2.4.1. Hypothèses 1. Hypothèse de la fréquence de la règle. -La dérivation des non-adjectifs seraient guidée par la fréquence de la règle. - Dans ce cas, on s’attend à ce que les sujets aient de meilleures performances pour les suffixes où la règle de dérivation est la plus fréquente (nasalisation et élision) et à ce que les patients appliquent la règle la plus fréquente par défaut, par exemple qu’ils produisent le masculin danan pour le féminin danate en suivant la règle de nasalisation. 2. Hypothèse de la simplicité de la règle. - La dérivation des non-adjectifs serait guidée par le degré de simplicité de la règle. - Dans ce cas, on s’attend à ce que les sujets de façon générale aient de meilleures performances pour les suffixes où la règle de dérivation est la plus simple (-elle, -ale) et à ce que les patients MH aient tendance à produire une forme masculine identique à la forme 21 féminine indifféremment du suffixe ou n’opérer qu’un changement phonologique moindre comme un dévoisement. 3. Hypothèse du nombre d'options possibles de règles pour un suffixe féminin donné. - La dérivation des non-adjectifs serait guidée sur le modèle du suffixe féminin n’ayant qu’une possibilité de dérivation. - Dans ce cas, on s’attend à ce que les patients MH appliquent préférentiellement le suffixe masculin résultant du féminin n’ayant qu’une possibilité de dérivation, à savoir –if , –in, -al. 4. Hypothèse de la fréquence du suffixe masculin. - Cette hypothèse ne teste plus la règle mais de la fréquence du suffixe. La flexion des nonadjectifs serait guidée par un effet de fréquence du suffixe masculin. Le suffixe le plus fréquent est [iõ], car c’est le suffixe masculin des formes nasale -ine, -aine, -une qui représentent une partie importante des suffixes adjectivaux de la langue française (20%). Et d’autres parts, parce que le déterminant indéfini un est l’un des morphèmes le plus représenté de la langue française. De plus la règle nasalisation est l’une des plus fréquentes pour la dérivation des adjectifs. - Si le choix du suffixe masculin est déterminé par sa fréquence, on s’attend alors à ce que les patients appliquent préférentiellement le suffixe le plus fréquent, par défaut. 2.4.2. Participants Vingt adultes atteints de la maladie de Huntington (MH précoce, Stade 1), et 16 adultes sains (Contrôles) ont participé à cette expérience. Six patients ont été exclus des analyses car ils avaient une TFC inférieur à 10. Le TFC (Shoulson, 1981) indique le niveau de développement de la maladie. Les patients ont été recrutés à la consultation spécialisée MH à l’Hôpital Henri Mondor et participaient tous au protocole Biomarqueur. Les patients n’avaient pas d’antécédents neurologiques ou psychiatriques autres que Huntington et leur diagnostic avaient été confirmé génétiquement. Les sujets contrôles n’avaient pas de trouble neurologique ni psychiatrique et étaient appariés aux patients en âge, niveau d’éducation et latéralité. Tous les sujets avaient signé une feuille de consentement. Les informations concernant les sujets sont résumées dans le tableau 2. 22 N Age Sexe Latéralité Education TFC Contrôles 16 40,46 8H/8F 2G/14D 14,46 n/a MH 16 47,25 7H/9F 2G/14D 15,12 12 (st.1) Tableau 2. Caractéristiques démographiques des sujets. L’éducation représente la moyenne du nombre d’années scolaires suivies depuis la primaire (niveau Baccalauréat = 12), le TFC (Total Functionnal Capacity) indique le niveau de développement de la maladie, c’est une échelle allant de 14 à 0. Un sujet sain a une TFC de 14. L’âge est en année. H = homme, F = femme, G = gaucher, D = droitier. 2.4.3. Matériels et Méthodes Matériel Nous avons sélectionné pour les besoins de notre étude onze types d’adjectifs en fonction de leur suffixe. Nous avons exclu de cette classification les adjectifs verbaux tels que les participes présent et passé afin de pas interférer avec le système verbal. Le Tableau 3 résume la répartition des adjectifs selon leur règle de flexion. Elision Dévoisement Nasalisation -ite ([petit], [peti] ; -ive ([sportiv], [sportif] ; -ine peti- petit) sportive-sportif) coquine-coquin) ([kokin], -ise ([ekskiz], [ekski] ; -une exquise-exquis) brune-brun) -eux ([krøz], [crø] ; creuse-creux) -ate ([iÕgrat], -aine ([bryn], ([ymèn], Identique [kokiÕ] ; -al ([Ωovjal], ([Ωovjal]; joviale-jovial) [briÕ] ; -el ([yzyèl], ([yzyèl]; usuelle-usuel) [ymiÕ] ; humaine-humain) [iÕgra] ; ingrate-ingrat) -onne ([bòn], [bõ] ; bonne-bon) Tableau 3. Répartition des adjectifs selon leur règle de flexion morpho-phonologique du féminin au masculin. 180 non-adjectifs ont été fabriqués à partir des 11 catégories d’adjectifs. Les non-adjectifs ont été construits de telle sorte qu’ils n’avaient aucun voisin phonologique (Lexique 3, New B., 23 Pallier C., Ferrand L., 2005). Un voisin phonologique était compté comme résultant soit d’une élision, soit d’une insertion ou d’une substitution d’un phonème du mot existant. Les adjectifs étaient lus à haute voix et la réponse des patients étaient notée manuellement par l’expérimentateur. Le temps de réaction n’était pas mesuré. Procédure Les participants devaient donner le masculin de l’adjectif que l’expérimentateur proposait au féminin en finissant la phrase donnée, par exemple : (7) La fille est très starnive, le garçon est très … ? L’expérimentateur notait la réponse du sujet et cotait sa justesse en fonction de la réponse attendue. Une réponse juste était une réponse attendue en fonction des règles présumées du français. 2.4.4. Résultats Les sujets contrôles avaient un taux d’erreur à 6%. Les patients MH avaient un taux d’erreur à 18%. Une bonne réponse est définie à la fois par la réponse attendue et la réponse alternative moins fréquente mais attendues, par exemple pour le suffixe –elle la réponse attendue est –el, et la réponse moins fréquente mais attendue est –eau. Une ANOVA a été réalisée pour le groupe des patients MH avec le taux de bonne réponse comme variable dépendante et avec le facteur « suffixe » (-ite, -ise, -ate, -euse, -ale, -elle, -ive, -une, -ine, -onne, -aine) comme variable indépendante. Un effet de suffixes a été trouvé F(1,2222)= 3.27, p < 0.05896. Il y a donc une différence entre les suffixes du taux de bonnes réponses dans le groupe des patients MH. L’analyse ANOVA dont le facteur dépendant était taux de bonne réponse et le facteur indépendant les sujets n’a pas montré de différence significative entre la performance des sujets, F(1,2222) = 0.3047, p< 0.581. L’analyse ANOVA dont le facteur dépendant est le taux de bonnes réponses, et le facteur indépendant le type d’erreurs a montré une différence significative entre les types d’erreurs, F(1,2222) = 27.596, p< 1.638e-07. Le type d’erreur pouvait être, l’élision de la consonne finale, le dévoisement de la consonne finale, l’application du suffixe -in ou la répétition de la forme proposée (« identique ») là où une 24 autre réponse était attendue. Les Figures 3 et 4 indiquent la répartition des erreurs commises par les patients et les sujets contrôles. Nombres d’erreurs Répartition des erreurs MH (par suffixes) 40 35 30 25 20 15 10 5 0 identique élision -in/un/ain if other ite ive ise euse ate ale elle onne aine une ine suffixes Figure 3. Tirés des analyses de Maria Giavazzi (communication personnelle). Ce graphique représente le nombre d’erreurs pour chaque suffixe et le indique le type d’erreur fait par les patients. Nombre d’erreurs Répartition des erreurs C (par suffixes) 40 35 30 25 20 15 10 5 0 identique élision -in/un/ain -if autres ite ive ise euse ate ale elle onne aine une ine suffixes Figure 4. Tirés des analyses de Maria Giavazzi (communication personnelle). Ce graphique représente le nombre d’erreurs pour chaque suffixe et le indique le type d’erreur fait par les contrôles. 25 2.4.5. Discussion intermédiaire Contrairement à ce que font les sujets contrôles, les patients MH ont tendance à appliquer le suffixe –in très fréquemment comme réponse incorrecte. Par ailleurs, les sujets contrôles ont tendance à préférer la simplicité de la règle, et produisent une forme identique à celle proposée, et font très peu d’erreurs (3 fois moins que les patients 6% contre 18%). Ces résultats invalident donc l’hypothèse de la simplicité de la règle. En effet, les patients appliquent préférentiellement le suffixe –in qui ne résulte pas de la règle la plus simple, mais au contraire de la plus complexe (cf exemple (6)). Ils font 27% d’erreurs en appliquant le suffixe –in contre 12% d’erreur en appliquant la règle la plus simple (« identique »). Les résultats peuvent être partiellement expliqués par la deuxième hypothèse qui stipule que le choix du suffixe est déterminé par le du nombre d’options possibles de règles. En effet, les patients appliquent le suffixe masculin –in qui ne suit qu’une règle possible pour dériver le suffixe masculin, et ils ne choisissent pas le suffixe –ite qui connaît plusieurs règles de dérivation. Mais, ils appliquent également le suffixe masculin –in pour dériver le suffixe féminin –ive alors que ce-dernier ne connaît qu’une seule règle possible de dérivation (cf. le nombre d’options possibles section 2.3.4). L’hypothèse 2 fait donc de mauvaises prédictions. Ces résultats invalident aussi l’hypothèse de la fréquence de la règle. En effet, si les patients appliquaient la règle de la nasalisation par défaut, on s’attendrait à ce qu’ils produisent des formes du type [danã] lorsqu’on leur propose [danat] (élision de la consonne finale et nasalisation de la voyelle précédente) là où ils produisent [daniõ]. La quatrième hypothèse en revanche est plus en accord avec ce qui est observé. On constate en effet que les patients font moins d’erreur pour les suffixes féminins nasales (-ine, une, -aine) très fréquents alors qu’ils font beaucoup d’erreur pour le suffixe –ive qui est très peu fréquent (cf Figure 2). Dans la majorité des cas, ils n’appliquent pas une règle de dérivation, puisqu’ils appliquent, certes dans une faible proportion, le suffixe masculin –in là où on attend le suffixe masculin –on. En d’autres termes, ils n’appliquent pas la règle de nasalisation, mais ils sélectionnent le suffixe le plus fréquent. Le choix du suffixe masculin se fait donc en fonction de la fréquence de celui-ci et non en fonction d’un effet de la règle. Par ailleurs, les patients segmentent bien l’adjectif et appliquent bien un suffixe masculin 26 d’adjectif, mais ils ont tendance à sélectionner parmi toutes les possibilités de suffixes, le suffixe le plus fréquent. En somme le facteur qui oriente la dérivation des non-adjectifs est la simplicité de la règle pour les sujets contrôles et la fréquence du suffixe pour les patients. Cependant les résultats de cette expérience peuvent être biaisés par le fait que les patients MH ont des difficultés à articuler. L’expérimentateur pouvait avoir des difficultés à comprendre ce que produisaient les patients. . L’utilisation trop fréquente du même suffixe –in pourrait introduire un artefact à l’expérience. En effet, étant donné qu’il y a beaucoup de forme appelant le suffixe –in comme réponse (25%), il est possible que les patients répondaient –in par effet de persévération. Les patient MH ont tendance de manière générale à persévérer (comportement répétitif, répétition de mot). Aux vues des résultats de la première expérience, nous avons réalisé une autre expérience en perception, afin de vérifier si la fréquence du suffixe était bien le facteur de sélection. L’expérience de perception nous permet de mieux cerner l’aptitude grammaticale à l’application de la bonne règle. En effet, il est plus difficile d’accepter une forme agrammaticale que de la produire. 27 2.5. Expérience 2 : La perception Dans cette expérience les sujets entendaient une phrase avec un adjectif féminin suivi du même adjectif au masculin. Ils devaient déterminer si le suffixe masculin correspondait au suffixe féminin. Nous avons utilisés les mêmes non-adjectifs que dans l’expérience de production, et avons fabriqué des adjectifs masculins suivant les réponses possibles et les erreurs faites par les patients. Il s’agissait de vérifier si la fréquence du suffixe influençait la dérivation des sujets. 2.5.1. Hypothèses Les hypothèses sont les mêmes que dans de la précédente expérience mais sélectionnées à priori, afin de confirmer les résultats obtenus (cf. section 2.4.1). 2.5.2. Participants Huit patients atteints de la maladie de Huntington (MH précoce, stade 1), 6 sujets présymptomatiques (pré-MH) porteurs du gène mais dont la maladie n’est pas encore déclarée et 15 sujets contrôles (C) ont participés à cette expérience. Les patients ont été évalués selon la classification TFC « Total Functional Capacity », (Shoulson 1981) et avait tous un TFC inférieur à 12 indiquant le stade précoce de leur maladie. Les patients ont été recrutés à la consultation spécialisée de l’Hôpital Henri Mondor et font tous partis du protocole de recherche Biomarqueur. Les patients n’avaient pas d’antécédent neurologique ou psychiatrique en dehors de la MH et leur diagnostique avait été confirmé génétiquement. Les sujets contrôles n’avaient pas de trouble neurologique ou psychiatrique et étaient appariés en âge, sexe, niveau culturel et latéralité avec les patients. Tous les sujets avaient signé une feuille de consentement. Evaluation Clinique : Tous les patients ont été évalués avec la Mattis Dementia Rating Scale (MDRS ; Mattis 1976), l’United Huntington Disease Rating Scale (UHDRS, The Huntington Study Group 1996), le test de Stroop (Golden 1978), le teste de fluence verbale (Butters et al. 1986) et le 28 Symbol Digit Test (Welcher et al. 1981). Les données démographiques et cliniques sont résumées dans le Tableau 4. # Age Sexe Latéralité Education TFC Contrôles N=14 49 (± 13,2) 6H- 8F 13D, 1G 14,1 (± 1,6) n/a MH N=6 53,5 (± 9,5) 3H- 3F 5D, 1G 14,4 (± 2,3) 11 Pré-MH N=6 42,2 (± 6,7) 2H- 4F 6D 14,7 (± 1,5) 13 Tableau 4. Caractéristiques démographiques des sujets. L’éducation représente la moyenne du nombre d’années scolaires suivies depuis la primaire (niveau Baccalauréat = 12), le TFC (Total Functionnal Capacity) indique le niveau de développement de la maladie, c’est une échelle allant de 14 à 0. Un sujet sain a une TFC de 14. L’âge est en année. H = homme, F = femme, G = gaucher, D = droitier. 2.5.3. Matériels et Méthodes Matériel Nous avons utilisé 194 stimuli audio au total. Les stimuli audio ont été enregistrés par un enregistreur numérique et normalisés avec le logiciel Praat à 60 dB. Les stimuli audio étaient présentés sur un ordinateur portable de type PC par un programme Pygame (Python 2.6). Chaque stimulus durait approximativement 3200 ms. Les stimuli consistaient en deux phrases consécutives contenant chacune un non-adjectif. Les deux phrases avaient une structure identique, dans la première le non-adjectif était au féminin et dans la deuxième au masculin. Nous avons utilisé des non-adjectif afin d’éliminer tout indice lexical. (8) La fille est très starn-ive. Le garçon est très starn-if. L’expérience comprenait une phase d’entrainement de 8 essais, une phase de test de 186 essais dont 20 contrôles attentionnels. Un contrôle attentionnel était un essai où les deux non- 29 adjectifs étaient complètement différents (voir procédure pour le déroulement de l’expérience). (9) La fille est très merpine. Le garçon est très rupal. Les166 stimuli de la phase de test, hors contrôles attentionnels, étaient répartis selon quatre conditions. Chaque condition comprenait à la fois des paires de non-adjectifs qui suivaient correctement la règle de dérivation propre à leur suffixe (cf. Tableau 3) et des paires de nonadjectifs dont le suffixe masculin était construit à partir des erreurs faites par les patients. Chaque condition est intitulée d’après le type d’erreur de la paire d’adjectifs incorrecte. Par exemple, la condition « in » contient des couples d’adjectifs qui suivent correctement la règle de nasalisation et dont la réponse attendue est « correct » et des couples d’adjectifs auxquels nous avons appliqué au masculin le suffixe –in indépendamment du suffixe féminin et dont la réponse attendue est « incorrect ». Les erreurs proposées pour les couples d’adjectifs dans les conditions « élision » et « identique » sont l’application de la règle respectivement élision et identique à des suffixes qui normalement ne suivent pas cette règle. Les erreurs proposées pour les couples d’adjectifs dans la condition « -in » et « -if » sont l’application du suffixe –in et –if indépendamment du suffixe féminin. a) la condition « élision » : - couples d’adjectifs « corrects » : application de la règle d’élision (ex : fém. pronite - masc. pronit), - couples d’adjectifs « incorrects » : application de la règle de l’élision (ex, fém. bélune masc. bélu) à des suffixes qui ne suivent normalement pas cette règle. b) la condition « identique » : - couples d’adjectifs « corrects » : application de la règle « identique » (ex, fém. glinale – masc. glinal), - couples d’adjectifs « incorrects » : application de la règle « identique » (ex, fém. tadeuse – masc. tadeuse) à des suffixes qui ne suivent normalement pas cette règle. c) la condition « -in » : - couples d’adjectifs « corrects » : application de la règle de nasalisation (ex, fém. déronne – masc. déron ; fém. bonline – masc. bolin), 30 - couples d’adjectifs « incorrects » : application du suffixe –in (ex, fém. pidreuse – masc. pidrin) à des formes dont la dérivation ne donne normalement pas -in. d) la condition « -if » : - couples d’adjectifs « corrects » : application de la règle de dévoisement (ex, fém. starnive – masc. starnif), - couples d’adjectifs « incorrecte » : application du suffixe –if (ex, fém. tricrelle – masc. ticrif) à des formes dont la dérivation ne donne normalement pas -if. La condition « if » permettait de contrebalancer la condition « in ». Ces deux conditions sont construites de la même façon et contiennent les deux suffixes qui représentent les deux extrémités de la fréquence des suffixes (très fréquent –in, peu fréquent –if). Les stimuli pour les réponses attendues correctes ont été fabriqués d’après ce que 80% des contrôles ont produits dans l’expérience de production. Les stimuli pour les réponses attendues incorrectes ont été fabriqués à partir des erreurs produites par les patients. Nous avons exclu tous les cas d’ambigüité lorsqu’il y avait deux règles de dérivation possibles pour un suffixe. Les non-adjectifs utilisés n’avaient pas de voisins phonologiques. Chaque condition contenait 40 stimuli dont la moitié était correcte e.g. le couple « starn-ive/ starn-if », et l’autre incorrecte e.g. le couple « starn-ive/ starn-in ». La répartition des stimuli est résumée dans le tableau 5 (voir annexe pour la liste complète des stimuli). 31 masculins proposés Suffixes Règle de Exemple féminins dérivation féminins Elision -if -ite Elision Pronite Pronit pronif -ise Elision Fébise Fébis -ate Elision Danate danat -euse Elision Gloteuse Gloteux -aine Nasalisation Stavaine -une Nasalisation bélune -ine Nasalisation brafine -onne Nasalisation grumonne -ale Identique géfrale géfra Géfral -elle Identique plugelle Plugé plugel -ive Identique sépive Identique -in Fébin Danif Gloteuse stavif Stavain Belu Bélun Brafine grummif Brafin Grumon Sépif Tableau 5. Exemple de la répartition des stimuli. La première colonne indique les suffixes féminins utilisés dans l’expérience. La 2ème colonne indique la règle de dérivation que le suffixe suit dans la langue française. Les formes de la 3ème colonne sont des exemples de nonadjectifs féminins utilisés dans l’expérience. Les formes des colonnes 4, 5, 6, 7 sont des exemples indicatifs de non-adjectifs masculins proposés dans l’expérience pour les nonadjectifs féminins de la 3ème colonne. Les formes en gras sont des formes possibles de masculin dont la réponse attendue est correcte et celle en italique sont des formes possibles de masculin dont la réponse attendue est incorrecte. Procédure Le participant était assis devant un ordinateur PC portable. Après avoir lu les instructions, il entendait dans un casque audio un stimulus. A la fin du stimulus audio, afin d’éviter une surcharge de mémoire, les mots « correct » et « incorrect » s’affichaient à l’écran du même côté que la touche réponse correspondante (Shift gauche et Shift droit). La touche pour la réponse « correct » était du côté opposé à la main dominante en fonction de la latéralité du sujet. L’appui sur la touche réponse permettait de mesurer le temps de réaction et de passer à l’essai suivant. Chaque essai était espacé de 500 ms. Le sujet devait déterminer si la forme de l’adjectif masculin correspondait à celle de l’adjectif féminin. Pendant la phase de test aucun feedback n’était donné. Celle-ci était divisée en trois blocks d’ordre aléatoire de 60 essais 32 présentés aléatoirement. Entre chaque bloc le sujet avait la possibilité de faire une pause. Chaque block était précédé de 2 essais d’entrainement sans feedback. Ces essais d’entrainement permettait au sujet de retrouver sa vitesse optimale de réponse. Afin d’empêcher toute stratégie de réponse, une contrainte supplémentaire était ajoutée au processus aléatoire, il ne pouvait y avoir plus de 4 essais consécutifs appelant la même réponse. La phase de test était précédée par une phase d’entrainement de 8 essais. Quatre adjectifs du français dont 2 corrects (e.g. heureuse/ heureux) et 2 incorrects (e.g. ingrate/ ingrin) et 4 non-adjectif dont 2 corrects (e.g. ronive/ ronif) et 2 incorrects (e.g. arrune/ arrif) étaient présentés pendant celle-ci. A chaque essai le sujet recevait un feedback. L’expérience durait au total une vingtaine de minutes. 2.5.4. Résultats Pour des raisons de clarté, nous appelons « erreurs » les réponses déviantes en fonction de la réponse attendue, et « correct » les réponses conformes à la réponse attendue. Les sujets ayant plus de 20% d’erreurs dans les essais de contrôles attentionnels ont été exclus de nos analyses, soit 2 patients MH et 1 sujet contrôle. Au total les sujets avaient moins de 5% d’erreurs dans ces essais. Il n’y avait aucune différence significative pour le taux de réponses correctes entre les groupes dans les essais de contrôles attentionnels, F(2, 23) = 0.7496, p < 0.4837 Afin de mener notre analyse pour les temps de réaction nous avons éliminé les essais au-delà et en deçà de 2 écart-type de la moyenne des temps de réaction par groupe soit 5,6 % pour les patients MH, 6% pour les sujets pré-MH et 10% pour les sujets contrôles. Et pour mener nos analyses sur les réponses des sujets nous avons calculé le score d-prime de chaque sujet dans chaque condition (MacMillan et Creelman, 2005). Le score d-prime vient de la théorie de la détection du signal et permet de voir le biais de réponse que peuvent avoir les sujets. Cela nous permet de savoir si les sujets ont du mal à rejeter certaines formes proposées. Un sujet peut faire 4 types de réponse possibles : « Hit », « False Alarm » (FA), « Correct Rejection » (CR) et « miss ». -Un « hit » est lorsque le sujet a correctement détecté le signal (réponse correcte à une réponse attendue). -Une FA est lorsque le sujet à répondu alors qu’il n’y avait pas de signal (réponse correcte à une réponse attendue incorrecte). 33 - Une CR est le rejet d’un signal déviant (réponse incorrecte à une réponse attendue incorrecte). - Un miss est la non détection du signal (réponse incorrecte à une réponse attendue correcte). Pour calculer le d-prime nous avons transformé les réponses en probabilité (p) de hits pour tous les non-adjectifs, puis nous avons déduit la probabilité de mauvaises réponses en faisant 1-p, puis nous avons converti la probabilité en z-score. Une probabilité de 1 ou 0 donne un z-score infini, c’est pour cette raison que nous avons converti les probabilités de 1 et 0 en 0,99 et 0,01. Le d-prime étant calculé à partir du taux de bonnes réponses des sujets, plus le d-prime est élevé plus taux de bonnes réponse est élevé, plus le d-prime est faible voire négatif, plus le nombre de FA est élevé. Nous avons testé le score d-prime, et le temps de réaction en fonction des conditions et des groupes par une série d’ANOVA multifactorielles. Si les résultats étaient significatifs nous avons mené une analyse plus approfondie en testant le score d-prime en fonction du facteur groupe par condition. Une analyse a également été menée en intra-groupe lorsque les résultats étaient significatifs. Dans ce cas, nous avons fait une ANOVA à un facteur testant le score d-prime en fonction des conditions. S’il y avait une différence significative, nous avons testé les différentes conditions deux à deux. Nous avons testé ensuite les conditions en fonction de la fréquence de la règle des couples d’adjectifs dont la réponse attendue était correcte en regroupant les conditions dont les règles étaient fréquentes : « élision » et « -in » et celles dont les règles étaient non fréquentes : « identique » et « -if ». Enfin nous rapportons les d-prime de chaque suffixe pour le groupe des patients MH, ainsi que l’analyse statistique à un facteur testant le score-d-prime en fonction des suffixe, et s’il y avait une différence significative, nous avons analysé par une ANOVA à un facteur le score-d-prime du suffixe –ite et celui du suffixe –ive, afin de voir s’il y avait une différence entre ces deux suffixes et de valider ou d’infirmer l’hypothèse 2 (voir section 2.4.1). Analyses inter-groupe : L’analyse ANOVA multifactorielle, dont la variable dépendante était le d-prime et les facteurs indépendant groupes (MH, C, Pré-MH) et conditions (« élision », « -if », « -in », « identique ») a révélé une différence significative entre les conditions, F(3, 69) = 8.4917, p < 7.063e-05, une différence significative entre les groupes, F(2,23) = 3.4996, p < 0.04711, et une interaction entre les conditions et les groupes, F(6, 69) = 2.1533, p < 0.05812. 34 L’analyse ANOVA multifactorielle, dont la variable dépendante était le temps de réaction et les facteurs indépendant groupes et conditions, n’a révélé aucune différence significative entre les conditions, F(3, 14) = 0.2789, p < 0.8397, ni entre les groupes, F(2, 14) = 1.2184, p < 0.3252, ni d’interaction entre les conditions et les groupes, F(6,14) = 0.7989, p < 0.5865. Le fait qu’il n’y ait pas différence entre les groupes pour le TR est du au fait que la mesure du TR n’était pas suffisamment sensible pour détecter une différence de TR entre les groupes, et que ce n’était pas vraiment une tâche de rapidité. 5 score d-prime 4 3 C 2 Pré-MH 1 MH 0 -1 élision if in identique -2 conditions Figure 4. TR en ms temps de réaction 1800 1600 1400 1200 1000 800 élision if in identique 600 400 200 0 C MH groupes Pré-MH Figure 5. 35 Figures 4 et 5. Moyenne du score d-prime par conditions et groupes, les barres représentent les écart-types. Moyenne des temps de réaction par conditions et par groupes en milliseconde, les barres montrent l’erreur standard. Les analyses statistiques utilisant le test ANOVA à un facteur dont la variable dépendante était le d-prime et le facteur indépendant le groupe ont montré une différence significative entre les groupes pour la condition « -if », F(2, 23) = 6.0981, p < 0.007502, et pour la condition « -in », F(2, 23) = 5.6069, p < 0.01039, mais aucune différence significative pour la condition « élision », F(2,23) = 0.8188, p < 0.4534, et pour la condition « identique », F(2,23) = 0.3281, p < 0.7236. L’analyse intra-groupe : Contrôles : L’analyse ANOVA à un facteur, dont la variable dépendante était le d-prime et le facteur indépendant les conditions, a révélé une différence significative entre les conditions, F(3, 39) = 11.248, p < 1.868e-05 6 score d-prime 5 4 3 2 1 0 in élision if identique conditions Figure 6. Moyenne du score d-prime par conditions pour les sujets contrôles, les barres représentent les écart-types. Les analyses statistiques utilisant le test ANOVA à un facteur dont la variable dépendante était le d-prime et le facteur indépendant les conditions (conditions analysées deux à deux : « - », « - ») ont montré une différence significative entre les condition « -if » et 36 « -in », F(1, 13) = 16.949, p < 0.001214, entre les conditions « élision » et « -in », F(1, 13) = 5.3705, p < 0.03743, entre les conditions « élision » et « identique », F(1,13) = 4.7945, p < 0.04739, entre les conditions « élision » et « -if », F(1,13) = 37.332, p < 3.72e-05, et entre les conditions « identique » et « -if », F(1,13) = 9.0486, p < 0.01008, mais aucune différence significative entre les conditions « identique » et « -in », F(1,13) = 0.158, p < 0.6974. MH : L’analyse ANOVA à un facteur, dont la variable dépendante était le d-prime et le facteur indépendant les conditions, a révélé une différence significative entre les conditions, F(3,15) = 4.3617, p < 0.02133. 5 scores d-prime 4 3 2 1 0 -1 in élision if identique -2 conditions Figure 7. Moyenne du score d-prime par conditions pour les patients MH, les barres représentent les écart-types. Les analyses statistiques utilisant le test ANOVA à un facteur dont la variable dépendante était le d-prime et le facteur indépendant les conditions (conditions analysées deux à deux : « - », « - ») ont montré une différence significative entre les conditions « -if » et « -in », F(1,5) = 10.893, p < 0.02147, et entre les conditions « identique » et « -in », F(1,5) = 18.526, p < 0.007685, mais aucune différence significative entre les conditions « élision » et « -in », F(1, 5) = 2.0872, p < 0.2082, entre les conditions « élision » et « identique », F(1,5) = 1.457, p < 0.2814, entre les conditions « élision » et « -if », F(1,5) = 1.4868, p < 0.2771, et entre les conditions « identique » et « -if », F(1,5) = 0.4403, p < 0.5363. 37 Pré-MH : L’analyse ANOVA à un facteur, dont la variable dépendante était le d-prime et le facteur indépendant les conditions, n’a révélé aucune différence significative entre les conditions, F(3,15) = 0.684, p < 0.5756. L’analyse de la fréquence : L’analyse ANOVA multifactorielle, dont la variable dépendante était le d-prime et les facteurs indépendants le groupes et les conditions (fréquentes vs non fréquentes), a révélé une différence significative entre les conditions, F(1,23) = 30.8430, p < 1.194e-05, une différence significative entre les groupes, F(2,23) = 3.4996, p < 0.04711, mais pas d’interaction entre les conditions et les groupes, F(2, 23) = 1.7208, p < 0.2012. fréquence 5 score d-prime 4 3 fréquente 2 non fréquente 1 0 -1 C MH Pré-MH groupes Figure 8. Moyenne du score d-prime pour les conditions fréquentes (in-élision) en bleu et non fréquente (if et identique) en violet, pour le groupes des patients MH, contrôles (C), et PréMH. Les barres représentent les écart-types. L’analyse ANOVA à un facteur, dont la variable dépendante était le d-prime et le facteur indépendant les conditions a révélé une différence significative entre les conditions fréquentes et non fréquentes pour le groupe des patients MH, F(1,5) = 26.582, p < 0.003597, pour le groupe contrôle, F(1,13) = 18.144, p < 0.0009305, et aucune différence pour le groupe des sujets pré-MH, F(1,5) = 1.0285, p < 0.3570. 38 L’analyse ANOVA à un facteur, dont la variable dépendante était le d-prime et le facteur indépendant les suffixes (-ite, -ise, -ate, -euse, -ive, -elle, -ale, -ine, -une, -aine, -onne) a révélé une différence significative entre les suffixes pour le groupe des patients MH, F(10,50) = 2.5208, p < 0.01532. Dans la Figure 9 nous avons reporté la moyenne des d-prime par classe pour les patients. L’analyse ANOVA à un facteur, dont la variable dépendante était le d-prime et le facteur indépendant les suffixes (suffixes analysé deux à deux) dans le groupe des patients MH n’a révélé de différence significative entre les suffixes –ite et –ive, F(1,5) = 0.0673, p < 0.8057, mais a révélé une tendance significative entre les suffixes –ite et –ate, F(1,5) = 2.6219, p < 0.1663, et –ive et –ate, F(1,5) = 5.0714, p < 0.07409. Cette tendance serait plus marquée si le groupe de sujets était plus grand. HD 4 3,5 3 2,5 2 1,5 1 0,5 0 aine une ine onne ive ale ise ite elle euse ate Figure 9. Moyenne du score d-prime par classes pour le groupe HD. 2.5.5. Discussion Dans cette étude nous avons examiné le rôle du striatum dans l’application des règles morpho-phonologique par deux expériences comparant des patients MH à des sujets contrôles. L’expérience de production a permis de voir quelles propriétés de la dérivation des adjectifs influençaient la performance des sujets dans la dérivation d’adjectifs qu’ils ne connaissent pas (non-mots). 39 L’expérience de perception a permis de vérifier que les patients MH utilisaient le critère de la fréquence du suffixe pour dériver un adjectif du féminin au masculin comme trouvé dans l’expérience de production. Le temps de réaction (TR) était mesuré pour voir s’il y avait une corrélation entre la réponse du sujet et le type de couples d’adjectifs proposé. Les TR n’ont pas été exploités à cause de la trop grande variabilité qu’il y avait entre les sujets. Cette variabilité est du à la mesure du TR en soi. En effet, le TR était mesuré de la fin du stimulus et jusqu’à l’appui sur la touche réponse par le sujet. Ce dernier entendait d’abord le féminin et avait le temps de planifier la réponse qu’il attendait quand il entendait le masculin. Il pouvait donc anticiper la réponse et planifier une commande motrice avant la mesure du TR. Le feedback des sujets nous a confirmé cette hypothèse. Cependant, la moyenne des TR qui est à 1011 millisecondes tout groupe confondu, et la médiane à 781 millisecondes indique que les sujets étaient relativement lents, et que la tâche était difficile (cf. Matériel et méthode section 2.5.3). Les résultats montrent des différences significatives entre les conditions et entre les groupes en fonctions des d-primes. L’analyse statistique dans le groupe des patients MH, révèle que les patients MH ont un biais de réponse pour la condition « -in » et que les conditions « identique » et « -if » sont significativement différentes de celle de « -in ». En effet, le d-prime de la condition « -in » est très faible (0,5), ce qui indique que les patients ont du mal à rejeter une forme incorrecte dans cette condition du type « fem. starnive - masc. starnin ». Le fait qu’il n’y ait aucune différence significative entre les conditions « -in » et « élision » n’est pas surprenant, car le d-prime dans la condition « élision » chez les sujets contrôles est plus bas que pour les autres conditions (2 vs 2,6 ; 3,6 ; 2,7), ce qui indique que les sujets contrôles ont un léger biais de réponse dans cette condition ; on retrouve ce biais de réponse chez les patients. Cela peut s’expliquer par le fait que dans la condition « élision », certains suffixes peuvent suivre plusieurs règles possibles (-ite, -ate). Si le sujet opte pour une stratégie de sélectionner le résultat de l’une de ces règles et de rejeter toutes les autres formes, alors il aura une grande quantité de « miss » (réponse « incorrect » pour une réponse attendue « correcte »). L’hypothèse qui stipule que la flexion des non-adjectifs est guidée par le degré de simplicité de la règle n’est pas validée ici car les patients comme les sujets contrôles ont un dprime élevé dans la condition « identique » (2,7 pour les sujets contrôles et 2,1 pour les patients MH) qui est la condition dont la règle est la plus simple (cf. section 2.3.2). L’étude des d-prime par suffixes chez les patients a montré que d-prime pour le suffixe –-ite est faible (1,1), ce qui va dans le sens de l’hypothèse 2 qui stipulait que la flexion des 40 non-adjectifs suit le modèle du suffixe féminin n’ayant qu’une possibilité de dérivation. En effet, -ite a deux possibilités de dérivation. Cependant cela n’explique pas le d-prime faible de –ive (1,1) qui n’a qu’une possibilité de dérivation et le d-prime élevé de –ate (2,4) qui a deux possibilités de dérivation (voir section 2.3.4 pour le nombre de possibilités). D’ailleurs l’analyse statistique ne montre aucune différence entre les d-prime des suffixes –ite et –ive, là où s’attendrait à trouver une différence si l’hypothèse était valide. Le fait qu’il y ait une tendance significative entre les d-prime de –ate et –ite souligne que la flexion des nonadjectifs n’est pas guidée par le modèle du suffixe féminin n’ayant qu’une possibilité de dérivation, car si tel était le cas, les d-prime de –ate et –ite ne devrait pas être différents significativement. Ces résultats en revanche valident la troisième hypothèse, qui stipule que le choix du suffixe masculin n’est pas régi par une règle en particulier mais par le suffixe le plus fréquent. Les analyses en termes de fréquence de la règle, montrent que les patients comme les sujets contrôles et les sujets pré-MH ont tendance à avoir un biais de réponse pour les règles les plus fréquentes (élision et nasalisation) et que ce biais est d’autant plus marqué chez les patients MH. Cela paraît logique car la règle nasalisation donne le suffixe masculin -in pour la majeure partie des suffixes féminin nasals tels que -ine, -aine, -une (75% des suffixes nasals). Il y a donc effet double de la fréquence, à savoir celui de la règle et celui du suffixe. Cependant l’analyse de la fréquence de la règle n’est pas vraiment valable. Elle compare les conditions « -in » et « élision » avec « -if » et « identique » qui contiennent des formes auxquelles aucune règle n’a été appliquée, à savoir les couples d’adjectifs incorrects des conditions « -if » et « -in ». Pour que la fréquence de la règle soit vraiment testée il y aurait fallu appliquer la règle de nasalisation à des formes qui normalement ne la suivent pas (ex : fém. [danat] - masc. [danã]). L’effet de la fréquence de la règle est donc fragile au regard du matériel que nous avons utilisé. Il serait intéressant, pour vraiment prouver que les patients sélectionnent le suffixe le plus fréquent pour dériver un non-adjectif du féminin au masculin, de confronter des formes auxquelles on aurait incorrectement appliqué la règle de nasalisation à des formes auxquelles on aurait incorrectement appliqué le suffixe –in. Au regard des résultats de ces deux expériences, nous pouvons dire que les patients ont un trouble dans l’application des règles morpho-phonologiques. Ils n’appliquent pas systématiquement la règle de dérivation attendue, mais sélectionnent parmi toutes les possibilités de suffixes masculins le suffixe le plus fréquent qu’ils appliquent à défaut. 41 Ces résultats ont le même profil que les résultats obtenus dans les tâches de conjugaison de verbes chez Teichmann et coll. (2005, 2006). Teichmann et coll. ont trouvé que les patients MH avaient un trouble dans la conjugaison des non-verbes sous réguliers et que cela n’était du à un problème d’articulation car ils avaient les mêmes résultats dans la modalité perceptive. Selon Teichmann et collaborateurs les performances des patients MH dans les tâches de conjugaison seraient du à un trouble dans l’application des règles non canoniques du à une dégénérescence du striatum. Nos résultats nuancent cette hypothèse car il semblerait que les patients MH aient un défaut non pas dans l’application de la règle mais dans la sélection du suffixe à appliquer. Nos résultats sont en revanche cohérents avec l’hypothèse de Longworth, selon laquelle le striatum servirait à inhiber les alternatives compétitrices (section 1.4). En effet, Il semblerait que les patients aient un défaut dans l’inhibition des formes les plus fréquentes ou dans la sélection d’une forme parmi ses concurrentes et qu’ils choisissent la plus fréquente par défaut. Nos résultats vont également dans le sens de l’hypothèse d’Ullman stipulant que l’hyperactivité du thalamus du au déficit du circuit indirect entrainerait une utilisation excessive de la forme la plus fréquente (cf. section 1.1 pour le circuit indirect et 1.3.1 pour l’hypothèse d’Ullman sur l’inhibition). 3. Conclusion Le striatum aurait donc un rôle inhibiteur dans le langage. Il permettrait d’inhiber les formes concurrentes les plus fréquentes pour la sélection de la forme appropriée en morphologie. D’autres études sont nécessaires pour étayer ces résultats. Il serait intéressant par exemple d’explorer cette hypothèse sur d’autres aspects de la morphologie, de la syntaxe et de la phonologie. L’imagerie (IRMf, ERP) serait une bonne approche pour mieux comprendre ce mécanisme d’inhibition et pour mieux cerner le rôle du striatum dans le langage. 42 Bibliographie : ALBIN, RL., YOUNG, AB., & PENNEY, JB. (1989). The functional anatomy of basal ganglia disorders. 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New York: Psychological Corporation. 46 Annexe suffixes ite (1) ise (2) euse (3) ate (4) Adjectif Fem. pronite terite boclite davrite dinfite nobite pramite runite zamite dresite spranise rafise tremise altise dorquise febise frunise chudise mornise pristise blideuse gloteuse listeuse tegeuse ticreuse nineuse tadeuse malieuse pidreuse teveuse gifrate plomate mesate buclate rudiate ponstate eniate scurate danate trumate Identique Elsion pronit terit boclit davrit dinfit -in nobin pramin spranis rafis tremis altis dorquis febin frunin chudise mornise pristise blideux gloteux listeux tégueux ticreux nineuse tadeuse malieuse pidrin tévin gifrat plomat mesat buclat rudiat ponstin énien 47 ale (5) elle (6) ive (7) glinale scistale cudale puvale demale diamale dobiale timale ronfale bedrale gefrale strunale ticrale shupale nurfale prefale puchale mirnale jepale trumale glinal scistal cudal puval demal diamal dobial timal ronfal bedral drebelle trilelle ponelle spatrelle rungelle sirtelle neselle nerelle taquelle distelle tromelle pidrelle dafelle zirelle scofrelle plugelle viprelle sgranelle ronfelle ticrelle drebelle trilelle ponelle spatrelle rungelle sirtelle neselle nerelle taquelle distelle gefra struna ticra shupin nurfin prefin tromin pidrin dafin zirin scofre pluge vipre sepive fritive cautive fontive chenive clampive crestive gomive merive nouissive starnive surquive 48 tescrive tranive troussive dotrive crimive larpive charive nuastive dastive protive truline calpive stimive chopive eltrive mormive fapive scurive glotrive danive pidive vunive cative scramive prentive detrive calcrive vindrive une (8) aine (9) ine (10) zopune frinune nerune cramune fensune ampune belune bratune scorune trompune stavaine fridaine clonfaine crimaine nouraine puvaine salmaine runaine vopaine belmaine bredine mospine crapine dasti proti truli calpi stimi chopi eltri mornive fapive scurive glotrive danive pidive vunive cative scramin prentin detrin calcrin vindrin zopun frinun nerun cramin fensin ampu belu bratu stavain fridain clonfain crimin nourain puvais salmais bredin mospin crapin 49 bonline scramine brafine noipine laldine mevrine branvine onne (11) Entrainement Mots heureuse coquine ingrate brouillonne Non mots ronive suquite cobaine arrune squeronne spatonne rinonne deronne léfonne broxonne plouronne fiefonne grumonne musconne bonlin scramin brafine noipine laldine mevri branvi squeron spaton rinon deron léfon broxonne plouronne fiefonne heureux coquin ingrin brouillif ronif suquit cobif arrif Entrainement Blocs fonite vonvise gepise nerate crollune dammune fonit vonvin gepi nerin crollune dammune Contrôles attentionnels merpine gribonne mapaine jariale lafonne polune critune dipale rogrine losite spamite uguite rupal tarlif groleux disteuse sgraneuse jumin imbrate pramif fapate jaupune dipale cratale 50 drimite stapise pafise chourline patale tinquise zoreuse plomeuse moulif grumin fropif trourit fomun broujain dazif ongat 51