Colloque « Santé, environnement et cancer : l’alimentation en question » Avignon – 2 octobre 2015 LES ENJEUX DE LA COMMUNICATION GRAND PUBLIC Christine FERRON Instance Régionale d’Education et de Promotion de la santé de Bretagne Fédération nationale de l’Education et de la promotion de la Santé C. Ferron - Avignon - 2015 Objectifs de la communication / du « marketing social » (http://www.inpes.fr/campagne-communication/role-publicite.asp) 1. « Signifier l’engagement des pouvoirs publics, créer un climat, un environnement de l’opinion favorables à la mise en pratique de mesures ou de réformes ayant des répercussions collectives » 2. « Mettre à « l’ordre du jour » un problème de santé, placer une question au cœur des préoccupations de chacun, la faire émerger dans le bruit médiatique, augmenter la prise de conscience collective des problèmes et des situations » 3. « Informer sur les risques et les moyens de prévention et donc inciter à de nouveaux comportements vertueux qui s’appuient sur le principe que « prévenir vaut mieux que guérir » sur le plan épidémiologique mais aussi économique » 4. « Etre un facilitateur des actions de proximité, des communications interpersonnelles directes, potentiellement plus aptes à agir sur les comportements. La publicité fait gagner en notoriété et apporte donc sécurité et légitimité à l’action de terrain » 5. « Agir sur les représentations sociales et faciliter le questionnement des individus sur leurs propres pratiques / structurer un modèle de pensée et accélérer le processus de changement » 6. « Travailler sur les compétences psychosociales de l’individu » C. Ferron - Avignon - 2015 Evaluation de la communication grand public • Données quantitatives • Nombre d’expositions de la cible au message (combien de fois le message-t-il a été vu et par qui ?- fournis par les enquête Médiamétrie en TV) • Nombre d’appels reçus par les dispositifs d’aide à distance et de connexions générés sur un site Internet • Nombre des retombées presse • Données qualitatives = post-tests auprès d’un échantillon de population représentatif de la cible • Mémorisation (Est-ce que vous vous souvenez ? Est-ce que vous avez vu ? Qui est à l’origine de… ?) • Compréhension et appréciation (Avez-vous aimé cette campagne ?) • Incitation (Vous a-t-elle amené à réfléchir, à discuter avec votre entourage ?) • Implication (Vous êtes-vous sentis personnellement concerné ? Avez-vous eu envie d’agir ?) C. Ferron - Avignon - 2015 CETTE COMMUNICATION PEUT-ELLE NE PAS ETRE MORALISATRICE ? La La santé publique est du côté de l’éthique lorsqu’elle se situe du côté du choix, de la proposition, de l’offre, et laisse à la personne la possibilité de l’engagement. (P. LECORPS & JB PATURET, « DU BIOPOUVOIR À LA DÉMOCRATIE », 1999) C. Ferron - Avignon - 2015 santé publique est du côté de la morale lorsque, après avoir mesuré les risques et les probabilités de survenue des pathologies, elle désigne les manières de vivre nécessaires à la sauvegarde de la santé. EXEMPLE : LES NOTIONS DE « RESPONSABILITÉ » ET DE « RESPONSABILISATION » « Responsabiliser » (Petit Robert) – deux acceptions « rendre responsable » « donner des responsabilités à quelqu'un pour qu'il prenne conscience de son rôle » 1ère acception : Responsabilité morale Valeurs transmises, voire imposées de l’extérieur Appel à la conformité à des normes morales L’attitude « responsable » ne relève pas d’une décision personnelle qu’on aurait à construire, mais est signifiée par le groupe / l’institution… Blâme de la victime (« victim blaming ») Culpabilisation Désengagement des professionnels et institutions C. Ferron - Avignon - 2015 RESPONSABILITÉ MORALE OU ÉTHIQUE ? 2ème Etre acteur de sa propre santé, participer, faire des choix, être partie prenante de sa santé, être compétent, être autonome Etre un sujet « éclairé », avec qui l’éducateur pour la santé a partagé, expliqué et discuté l'information, avec qui il a « négocié » des solutions. C. Ferron - Avignon - 2015 acception : Responsabilité éthique Relève d’un engagement personnel vis-à-vis de soi-même et des autres Renvoie aux valeurs propres du sujet Renvoie aussi à des enjeux contradictoires, des paradoxes, des forces contraires… Proposition Questionner la communication grand public à visée de prévention, de promotion de la santé, de prévention des cancers, de promotion d’une alimentation saine… Au travers d’un prisme éthique En s’appuyant sur les travaux de Raymond Massé : « Éthique et santé publique: enjeux, valeurs et normativité » (2003) Et bien d’autres… C. Ferron - Avignon - 2015 LES POSTULATS DE LA SANTE PUBLIQUE (R. MASSÉ, ETHIQUE ET SANTÉ PUBLIQUE : ENJEUX, VALEURS ET NORMATIVITÉ, 2003) 1er C. Ferron - Avignon - 2015 postulat « Les décisions, planifications et interventions reposent sur de solides fondements scientifiques et sont garanties par un savoir rationalisé » 2ème postulat « L’action est bonne en soi, l’activisme est préférable à l’immobilisme » 3ème postulat « Seule la rationalité utilitariste explique les comportements humains » LES POSTULATS DE LA SANTE PUBLIQUE (R. MASSÉ, ETHIQUE ET SANTÉ PUBLIQUE : ENJEUX, VALEURS ET NORMATIVITÉ, 2003) Facteurs de prédisposition, facteurs de risque, facteurs de protection… « Idéologie de la scientificité » Mais il existe des zones d’incertitude efficacité des interventions identification des facteurs de risque populations à « cibler » Enjeux éthiques = valeur de ce savoir rationalisé ? C. Ferron - Avignon - 2015 1ER POSTULAT : « LES DÉCISIONS, PLANIFICATIONS ET INTERVENTIONS REPOSENT SUR DE SOLIDES FONDEMENTS SCIENTIFIQUES ET SONT GARANTIES PAR UN SAVOIR RATIONALISÉ » « PRINCIPE D’INCERTITUDE » ET « ÉLOGE DE L’INCERTITUDE CRÉATRICE » (R. MASSÉ) = « base de l’inefficacité, de l’imprudence, de l’irresponsabilité, de l’intolérance » Incertitude = condition de l’éthique A ne pas confondre avec l’hésitation et l’inaction : au contraire, « la logique de l’action exige la prise en compte de l’incertitude » ≠ Communication grand public C. Ferron - Avignon - 2015 Certitude LES FONDEMENTS SCIENTIFIQUES : L’EPIDEMIOLOGIE Etablit C. Ferron - Avignon - 2015 des corrélations entre des particularités de poids, de taille, de consommations (tabac, alcool, drogues, mais aussi alimentation) ou de conduite sexuelle, et l'observation probabiliste des conséquences sur la santé peut légitimer politiquement une contrainte imposée à chacun LES FONDEMENTS SCIENTIFIQUES : L’EPIDEMIOLOGIE [Citation B. Sandrin-Berthon] Apprendre la santé à l’école. Issy-lesMoulineaux : ESF éditeur, coll. Pratiques et enjeux pédagogiques ; 1997. C. Ferron - Avignon - 2015 1er problème : quelle place pour les savoirs de la population ? LES SAVOIRS PROFANES SUR LA SANTE « C. Ferron - Avignon - 2015 Si l’on n’y prend garde, l’éducation pour la santé provoque une médicalisation de la vie quotidienne. Elle accroît la dépendance aux professionnels de la santé. A une époque où l’on dénonce si souvent la rupture des liens familiaux et sociaux, il faut être attentif à ne pas entraver, par de savants conseils, la transmission de compétences au sein même de la population ». (B. Sandrin-Berthon, Apprendre la santé à l’école. Issy-lesMoulineaux : ESF éditeur, coll. Pratiques et enjeux pédagogiques ; 1997) LA CONNAISSANCE SCIENTIFIQUE : UN SAVOIR UNIVERSEL SUR LA SANTÉ ? « (Deschamps JP. Porter un regard nouveau sur l’éducation pour la santé, Environnement et santé publique ; 1984) C. Ferron - Avignon - 2015 Inconsciemment, les personnels de santé ont longtemps cru qu'ils étaient, en matière de conditions de vie favorables à la santé, détenteurs d'un savoir universel, alors que la vérité dont ils sont porteurs est largement façonnée par les valeurs du milieu au sein duquel ils vivent et qui n'est pas celui où évolue la majorité de la population. » LES FONDEMENTS SCIENTIFIQUES : L’EPIDEMIOLOGIE Quelle réalité, quel sens pour les personnes ? C. Ferron - Avignon - 2015 2ème problème : C. Ferron - Avignon - 2015 C. Ferron - Avignon - 2015 « Une alimentation variée et équilibrée et un minimum d’activité physique sont des facteurs de protection contre le cancer, les maladies cardiovasculaires, l’ostéoporose, le diabète, l'obésité et l’hypercholestérolémie. Certes, ces maladies ne dépendent pas exclusivement de l’alimentation : elles sont également sous l’influence de facteurs génétiques. Mais s’il nous est impossible de choisir nos aïeux, nous pouvons choisir notre alimentation et organiser notre mode de vie. » C. Ferron - Avignon - 2015 LA NÉCESSITÉ DE « QUITTER L’ALCHIMIE PROBABILISTE » (P. LECORPS) Quel est le sens de ce si ? » C. Ferron - Avignon - 2015 « Qui peut dire que telle personne aurait pu vivre plus longtemps si… ? LE SENS DE LA VIE le sujet peut donner sens à la signification pour lui de l’information probabiliste qui lui est transmise, mais à quel prix ? « En s’affrontant physiquement au monde, en jouant réellement (drogue, suicide, vitesse…) ou métaphoriquement (délinquance, fugue…) avec sa vie, on force une réponse à la question de savoir si l’existence vaut ou ne vaut pas d’être vécue » (D. Le Breton, Passions du risque, 2000) C. Ferron - Avignon - 2015 Seul RISQUE ET RECHERCHE DE LIMITES de risque = recherche de limites, de contenant, pour se sentir enfin exister Chercher ses marques, apprendre à se connaître, se différencier des autres, restaurer une valeur à son existence « La prise de risque vise à charmer symboliquement la mort » (D. Le Breton) C. Ferron - Avignon - 2015 Prise POSER LA QUESTION DE CE QUI COMPTE VRAIMENT / CE QUI FAIT SENS « « Nous revient-il de faire un choix, d’établir un ordre de priorité, en fonction de quoi, sur quels critères ? » C. Ferron - Avignon - 2015 Si les personnes suivent les prescriptions éducatives au prix de frustrations vitales d’importance, on peut se demander si les bienfaits sanitaires produits en aval - de qualité essentiellement probabiliste d’ailleurs - valent une telle mutilation. » (S. Fainzang, L’éthique est-elle risquée ? La Santé de l’Homme, 2000) « IL NE S’AGIT PAS SEULEMENT DE VIVRE, MAIS AUSSI D’EXISTER, C'EST-À-DIRE DE VIVRE UNE VIE QUI A DU SENS » (P. LECORPS) « C. Ferron - Avignon - 2015 On peut avoir d’autres valeurs que la conservation de soi, préférer, par exemple, une vie courte, mais bonne, à une existence longue et ennuyeuse » (L. Ferry, Le nouvel ordre écologique – l’arbre, l’animal et l’homme, 1992) nécessité « d’axer les messages sur autre chose que le gain en espérance de vie et en ne choisissant pas à la place des gens, la quantité contre la qualité » (S. Fainzang, L’éthique est-elle risquée ? La Santé de l’Homme, 2000) L’INTERET DES PERSONNES ELLES-MEMES « Or « l’intérêt des personnes devrait passer avant l’intérêt des institutions, des politiques et des professionnels »… (P. Lecorps) C. Ferron - Avignon - 2015 Etre en bonne santé et le rester, retrouver la santé, protéger sa santé et celle des autres, voilà le credo. Le risque d’une telle vision de la santé, c’est l’exclusion du malade et la stigmatisation de tous ceux qui ne font rien pour éviter de l’être. » LES FONDEMENTS SCIENTIFIQUES : L’EPIDEMIOLOGIE Par le biais de la statistique, la santé publique semble capable de « prévision » ouverture de « l’espace de l’anxiété » (I. Illitch, Némésis médicale : l’expropriation de la santé, 1975) C. Ferron - Avignon - 2015 3ème problème : Une prolifération des risques « Cette approche revient à dire aux gens : « Si la cigarette ne vous tue pas, un conducteur ivre, une infection sexuellement transmissible ou une overdose de beurre le fera »… Ce « maillage de risques » transforme la promotion de la santé, « fantastique opportunité d’accroître le plaisir de vivre, en une énumération menaçante et déprimante » Hastings, G. B., & MacFadyen, L. (2002) “The limitations of fear messages”. Tobacco Control, 11 « Emettre des messages à la fois crédibles et respectueux des personnes, et construire des relations à long terme, non infantilisantes, avec le public » Hastings G.B. & Stead M. (2004) “Fear Appeals in Social Marketing: Strategic and Ethical Reasons for Concern ». Psychology & Marketing, Vol. 21(11) C. Ferron - Avignon - 2015 COMPORTEMENTS et POPULATIONS « A RISQUE » Risque = Probabilité de survenue d’un fait ou d‘un danger les risques Etablir des liens de probabilité ou de causalité entre des situations ou des comportements et leurs effets sur la santé Légitime les comparaisons entre les populations en démontrant que certains groupes, par leur environnement, leurs caractéristiques sociales ou leurs manières de vivre, encourent plus de risques que d’autres « Comportements à risque » et « populations à risque » Stigmatisation C. Ferron - Avignon - 2015 Etudier P. PERETTI-WATEL & L. SPICA, « LE STIGMATE, UNE ARME PRÉVENTIVE CONTRE LES CONDUITES À RISQUE ? » QUESTIONS DE SANTÉ PUBLIQUE, N°8 MARS 2010 « La prévention est fréquemment présentée comme une entreprise morale, et à ce titre elle est presque nécessairement productrice de stigmate. En effet, la prévention nous incite à abandonner certaines conduites au motif qu’elles nuisent à notre santé. Or, dans des sociétés qui vouent un véritable culte à la santé, l’opposition entre conduites saines et malsaines a tôt fait d’acquérir une dimension morale. » « Ne pas parvenir à arrêter de fumer, à moins boire ou à perdre du poids, c’est le signe d’une incapacité à se maîtriser, à prendre soin de son capital santé : c’est donc la marque d’une infériorité morale. » « La main tendue de la prévention finit toujours par montrer du doigt ceux à qui elle s’adresse. » C. Ferron - Avignon - 2015 LE VOCABULAIRE DE LA SANTÉ PUBLIQUE SUR LE RISQUE légitimer la lutte contre la prise de risque, on utilise les notions de « Mort prématurée » (avant 65 ans) « Années potentielles de vie perdues » (nombre d’années qu’un sujet mort avant 65 ans n’a pas vécues) « Mortalité évitable » (liée aux comportements à risque) C. Ferron - Avignon - 2015 Pour LES CHAMPS LEXICAUX DE LA SANTÉ PUBLIQUE Guerre C. Ferron - Avignon - 2015 = stratégie, campagne, lutte, objectifs, cibles, taux d’attaque (à l’issue d’une épidémie)… Marketing = promotion de la santé, gestion du capital-santé, investir dans la santé… Religion = notion de faute et de sanction, de bien et de mal, de repentir, de relapse (« retomber dans l’hérésie après l’avoir abjurée une première fois »), de fléau… Pénal = aveu, récidive, récidiviste… LA « SÉMANTIQUE MACABRE » (J. DE KERVASDOUÉ, LES PRÊCHEURS DE L'APOCALYPSE. POUR EN FINIR AVEC LES DÉLIRES ÉCOLOGIQUES ET SANITAIRES. PLON, 2007) Cette C. Ferron - Avignon - 2015 sémantique puise sa légitimité dans des études épidémiologiques reliant des faits, des conduites, des comportements, à des risques de pathologie et de mort (utilisation de la peur et de la menace) Pour autant, on n’insiste jamais assez sur le fait que les « facteurs de risque » ne sont pas des causes directes de décès ; entre les deux, il y a le temps, la maladie, et la (mal)chance http://www.lemonde.fr/planete/article/2015/01/01/canc ers-le-role-du-hasard-reevalue_4548347_3244.html LES POSTULATS DE LA SANTE PUBLIQUE (R. MASSÉ, OP. CIT.) « La santé publique s’acharne, pas inutilement, mais peut-être avec un zèle qui dépasse les attentes des citoyens, à vouloir dominer la maladie, à vouloir maîtriser la population, au risque de conséquences négatives » La santé publique agit au nom d’un contrat implicite par lequel la population la mandaterait pour assurer son salut sanitaire Les enjeux éthiques découlent de la non-explicitation et des malentendus quant aux limites de la portée de ce mandat et des moyens mis en œuvre pour l’exercer. C. Ferron - Avignon - 2015 2ÈME POSTULAT : « L’ACTION EST BONNE EN SOI, L’ACTIVISME EST PRÉFÉRABLE À L’IMMOBILISME » = Mobilisation vers l’action : on ne songe ni à la questionner ni à en analyser les implications LA TRIADE "BESOINS - DEMANDES - RÉPONSES" (C. BAUMANN, ECOLE DE SANTÉ PUBLIQUE DE NANCY, 2009) C. Ferron - Avignon - 2015 1 - MÉCONTENTEMENT 2 - PAS D’UTILISATION 3 - GASPILLAGE 4 - ADÉQUATION COMPLÈTE C. Ferron - Avignon - 2015 « PRINCIPE DE LA RESPONSABILITÉ POLITIQUE PARTAGÉE » (R. MASSÉ) d’équilibre entre les principes de précaution (interventionnisme) et d’incertitude (prudence par rapport à l’interventionnisme) Responsabilité partagée entre les autorités politiques, les scientifiques et les citoyens C. Ferron - Avignon - 2015 Recherche LES POSTULATS DE LA SANTE PUBLIQUE (R. MASSÉ, OP. CIT.) Or les études anthropologiques montrent que dans aucune culture, les agirs humains ne répondent exclusivement à cette rationalité utilitariste Logique des personnes = logique symbolique (amour, compétition, partage…), de conformité sociale Enjeu éthique = approche centrée sur la rationalité qui discrédite cette logique symbolique et lui nie toute pertinence C. Ferron - Avignon - 2015 3ÈME POSTULAT : « SEULE LA RATIONALITÉ UTILITARISTE EXPLIQUE LES COMPORTEMENTS HUMAINS » L’être humain serait essentiellement rationnel Donc accessible aux informations sur la santé, au point qu’être informé sur un risque suffirait pour chercher à l’éviter DES LIENS DE CAUSALITÉ ? (P. LECORPS, op. cit.) Chaque C. Ferron - Avignon - 2015 élément s'inscrirait de façon linéaire par rapport à l'autre dans un lien univoque de causalité. La croyance largement partagée selon laquelle « une présentation rationnelle et bien menée des liens de causalité entre telle conduite et telle pathologie permettrait de prévenir la survenue de celle-ci » « (M. O’Neill, 2004) C. Ferron - Avignon - 2015 S’il est une évidence scientifique incontournable que des dizaines d'années de recherche fondamentale et appliquée en sciences du comportement ont confirmée ad nauseam, c'est l'absence de lien automatique entre les connaissances et le comportement ». « Mémo nutrition – à scotcher sur le réfrigérateur » (INPES - PNNS) C. Ferron - Avignon - 2015 LA RATIONALITE DE L’ETRE HUMAIN FOCALISATION SUR L’INDIVIDU – AU DÉTRIMENT DES ENVIRONNEMENTS ET DES CONDITIONS DE VIE Entretenue par la méthodologie épidémiologique = comportements à risque et facteurs de risque identifiés au niveau individuel Par les théories telles que le Health Belief Model –Modèle des croyances relatives à la santé (I.M. Rosenstock, Social Learning Theory and the Health Belief Model. Health Education & Behavior, 1988) Ce qui influence les comportements Perception de sa propre vulnérabilité par rapport à une maladie donnée Perception de la gravité de la maladie et de ses conséquences Perception des bénéfices des comportements préventifs Perception des obstacles à l’adoption des comportements Perception de sa propre efficacité C. Ferron - Avignon - 2015 LA « DISCRIMINATION FORTUITE » (J. MANN, « SANTÉ PUBLIQUE : ÉTHIQUE ET DROITS DE LA PERSONNE », SANTÉ PUBLIQUE, 1998) C. Ferron - Avignon - 2015 « Toutes les politiques et tous les programmes de santé publique devraient être considérés comme discriminatoires jusqu’à preuve du contraire » LA « DISCRIMINATION FORTUITE » (J. MANN, SANTÉ PUBLIQUE : ÉTHIQUE ET DROITS DE LA PERSONNE, SANTÉ PUBLIQUE, 1998) Programmes C. Ferron - Avignon - 2015 qui ignorent la capacité de réaction réelle de différentes catégories de population ou ne se préoccupent pas de l’existence de moyens permettant d’écarter le danger Activités de communication qui postulent que toutes les populations sont atteintes de façon égale par un message unique exprimé dans le langage dominant (et diffusé par Internet) LE PROFIL DE LA PERSONNE ACCESSIBLE AUX MESSAGES DES CAMPAGNES DE PRÉVENTION (cf. Peretti-Wattel 2009 : http://www.inpes.sante.fr/CFESBases/catalogue/pdf/1242.pdf ) Un Français sur huit concentre l’ensemble des qualités* qui ferait de lui un récepteur idéal aux campagnes de prévention. Ces dernières suscitent par ailleurs des attitudes contrastées : réceptivité, indifférence, hostilité, méfiance et angoisse.» * « attachent une grande importance à la santé, s’en sentent responsables et sont prêts à s’impliquer pour améliorer leur santé future » C. Ferron - Avignon - 2015 « LES CRITÈRES DE QUALITÉ « ETHIQUES » DES CAMPAGNES MÉDIATIQUES Mises C. Ferron - Avignon - 2015 en œuvre et contrôlées par un organisme public Relayées par des actions de terrain Transparence des enjeux et objectifs Interventions de professionnels de la santé publique dans le choix des thèmes et ressorts de communication Approche centrée sur les déterminants de la santé plutôt que sur les conséquences néfastes de certains comportements Prise en compte des risques imposés (ex : santé au travail) autant que des risques choisis (CFES, Education pour la santé et éthique - Séminaire international, 27-28 janvier 2000) DÉFINITION DE LA STRATÉGIE DE COMMUNICATION EN CONCERTATION AVEC LES EXPERTS (HTTP://WWW.INPES.FR/CAMPAGNE-COMMUNICATION/ELABORATION-CAMPAGNE.ASP#3) • • • C. Ferron - Avignon - 2015 • « La stratégie de communication (prévention du tabagisme) est alors soumise : aux experts (équipe « programme tabac » de l'Inpes et groupe de travail « tabac », qui réunit des associations, des médecins, des tabacologues, des universitaires, etc.), à la Direction générale de la santé (DGS - bureau des pratiques addictives) aux « écoutants » de la ligne d’appel tabac-info-service « 3989 » aux tutelles (Ministère de la santé, Service d’information du gouvernement). » ULTIME ENJEU ÉTHIQUE : LA RÉDUCTION DES INÉGALITÉS SOCIALES DE SANTÉ d’accroître les inégalités sociales de santé Attention aux effets pervers de l’information « Ce sont les publics les plus concernés qui sont les moins touchés par les campagnes (de l’INPES) ce qui tend à accroître les inégalités de santé. » (Centre d’analyse stratégique, Lutte contre l’obésité : repenser les stratégies préventives en matière d’information et d’éducation, Note de veille n°166, mars 2010) C. Ferron - Avignon - 2015 Eviter CAMPAGNE PNNS - PLAN NATIONAL NUTRITION SANTÉ C. Ferron - Avignon - 2015 EVALUATIONS DU PLAN NATIONAL NUTRITION SANTÉ « (Synthèse du rapport d’évaluation du PNNS 2) C. Ferron - Avignon - 2015 Si le PNNS, au terme de ses deux programmes, s’appuie sur un consensus sur la définition des repères nutritionnels, dont il a permis de diffuser les références, il lui a été difficile de définir avec succès une politique nutritionnelle généraliste, qui tienne compte des différentes populations cibles en fonction de leur niveau socio-économique (les populations en situation de pauvreté ou de précarité). » EVALUATIONS DU PNNS (SUITE) Le succès relatif du volet « communication » du PNNS auprès de la population générale montre une notoriété de ce programme inégale selon les catégories socioprofessionnelles » « La question qui reste la plus préoccupante, tant chez les adultes que chez les enfants, est celle des personnes de milieux socio-économiques défavorisés chez lesquelles l’épidémie d’obésité continue de progresser » C. Ferron - Avignon - 2015 « EN RÉSUMÉ – LES ENJEUX DE LA COMMUNICATION GRAND PUBLIC Par rapport au 1er postulat (scientificité) Sensibiliser la population à la relativité des notions scientifiques en matière de santé – développer son esprit critique – favoriser le débat Par rapport au 2ème postulat (activisme) S’interroger sur la pertinence de communiquer / préférer d’autres approches de santé publique que la communication – agir sur les environnements et les conditions de vie - soutenir les actions de proximité Par rapport au 3ème postulat (rationalité) Travailler les attitudes, les croyances et les représentations - développer les compétences (psychosociales) Par rapport à la réduction des inégalités sociales de santé Abolir la communication ou l’information sur les normes de comportements – appliquer le principe de l’universalisme proportionné Et d’une façon générale, renoncer à l’utilisation de la peur ou de la menace C. Ferron - Avignon - 2015 Quelques mots sur l’utilisation de la peur en PPS… Des problèmes d’efficacité et des questions éthiques C. Ferron - Avignon - 2015 « Fear appeals » ou « scare tactics » : de quoi parlons-nous ? « Messages persuasifs destinés à effrayer les gens en leur décrivant les choses terribles qui vont leur arriver s’ils ne font pas ce que les messages leur commandent de faire » Witte, K. & Allen, M (2000) “A Meta-Analysis of Fear Appeals - Implications for Effective Public Health Campaigns”. Health Education and Behaviour, 27(5) C. Ferron - Avignon - 2015 La peur : une violence « déstabilisante et incapacitante » oLa personne subit cette forme de violence sans l’avoir anticipée oElle n’est pas en situation de pouvoir la retourner vers l’émetteur oLa menace lui est infligée « pour son bien » oElle s’appuie de façon très importante sur la culpabilité « La peur est à l’origine de l’asservissement, et non pas de l’émancipation » Jean-Michel Besnier (2003) « La peur en question ». Bruxelles Santé, n° spécial Peur et Prévention C. Ferron - Avignon - 2015 La peur : une forme de manipulation • « La parole employée vise à modifier les comportements à travers des processus de persuasion plus encore que de justification » • On n’explique pas, on choque, on provoque, on suscite… • « On glisse inévitablement du terrain de la logique à celui de la psychologie. L’idée de manipulation n’est jamais loin » Michela Marzano (2008 ) Extension du domaine de la manipulation, de l'entreprise à la vie privée, Grasset Michela Marzano (2009) Visages de la peur, PUF C. Ferron - Avignon - 2015 La peur : des effets délétères non intentionnels… mais non sans inconvénients • Accroissement du niveau d’anxiété chez les personnes non concernées • Inégalité sociale d’accès aux recours pour faire face à l’émotion négative Hastings G.B. & Stead M. (2004) “Fear Appeals in Social Marketing: Strategic and Ethical Reasons for Concern ». Psychology & Marketing, Vol. 21(11) C. Ferron - Avignon - 2015 L’utilisation de la peur accroît les inégalités sociales de santé Un exemple « Plus les femmes sont défavorisées socialement et culturellement, plus elles perçoivent les messages de santé comme menaçants, et plus elles tendent à mettre en place des stratégies de coping inefficaces » A.I. Iversen & P. Kraft (2006) “Does socio economic status and health consciousness influence how women respond to health related messages in media ?” Health Education Research, 21/5 C. Ferron - Avignon - 2015 En santé environnementale aussi • « A finite pool of worry » : un stock limité de soucis – une peur chasse l’autre… • Le sentiment d’être impuissant et débordé par l’ampleur des phénomènes • Contrôle du danger externe (souvent impossible) vs. Contrôle de la peur interne (par les mécanismes de défense) S. O’Neill & S. Nicholson-Cole (2009) “Fear Won’t Do It”: Promoting Positive Engagement With Climate Change Through Visual and Iconic Representations. Science Communication, 30 C. Ferron - Avignon - 2015 (2) L’EFFICACITÉ Question principale La réception d'un message choquant ou effrayant peut-elle être à l'origine d'une prise de conscience favorisant la mise en œuvre à long terme d'une action positive pour soi ou pour les autres ? C. Ferron - Avignon - 2015 Le rejet des messages effrayants : démontré depuis fort longtemps • Déni, évitement, distraction, affaiblissement de l’impact émotionnel par la consommation d’alcool ou de drogues • Stratégie psychologique de réduction de la dissonance basée sur la défense ou le rejet (atténuation du message, mise en doute de sa crédibilité, sous-estimation des risques, etc.) H. Leventhal (1971) Fear appeals and persuasion: the differentiation of a motivational construct. American Journal of Public Health, 61/6 C. Ferron - Avignon - 2015 Exemples en prévention du tabagisme (1) « Les avertissements évoquant la mort tendent à accroître la consommation de tabac, en particulier lorsque cette dernière concourt à l’estime de soi des individus ». J. Hansen et al (2010) « When the death makes you smoke - A terror management perspective on the effectiveness of cigarette on-pack warnings. » Journal of Experimental Social Psychology, 46/1 C. Ferron - Avignon - 2015 Exemples en prévention du tabagisme (2) • Rapport national ITC France « Dans l’ensemble, les résultats indiquent d’une part que la mise en place des avertissements graphiques (…) n’a pas été efficace pour la majorité des fumeurs en France et d’autre part que l’efficacité des avertissements a en fait diminué au cours du temps ». « International Tobacco Control », projet d’évaluation des politiques publiques de lutte antitabac, novembre 2014 C. Ferron - Avignon - 2015 Une inefficacité accrue quand les coûts de la réponse sont perçus comme plus élevés que les bénéfices associés à la non-compliance En prévention des addictions oLa peur, « censée déclencher un mouvement de répulsion et de défense, court-circuite toute mentalisation, toute pensée » oElle est encore plus inefficace lorsqu’il s’agit, comme dans la prévention des consommations de drogues, « de dissuader des gestes ne comportant aucun danger immédiat et au contraire, procurant un plaisir immédiat à leurs auteurs » A. Morel (2000) Prévenir les toxicomanies, Dunod C. Ferron - Avignon - 2015 Une inefficacité accrue quand les coûts de la réponse sont perçus comme plus élevés que les bénéfices associés à la non-compliance Dans le champ du dépistage En prévention du cancer du sein, certaines données montrent clairement que « ce ne sont pas les femmes qui ont le plus peur qui se plient le plus volontiers au dépistage » D. Roskos-Ewoldsen & al. (2004) « Fear appeal messages affect accessibility of attitudes toward the threat and adaptive behaviors », Communication Monographs, 71/1 C. Ferron - Avignon - 2015 L’approche par la peur « sous-estime la capacité des humains à échapper à l’information qui les dérange » (Philippe Lecorps) « Réduction psychologique d’une complexité ingérable » (Niklas Luhmann) = « Manœuvres psychiques plus ou moins conscientes qui amènent le sujet à sélectionner dans le discours de l’autre les éléments lui permettant de continuer à vivre sa vie sans trop de bouleversements » Les messages de peur cherchent à propulser leurs destinataires dans une situation, un avenir, où il leur est humainement impossible de se projeter C. Ferron - Avignon - 2015 Mise en place de mécanismes de défense Le destinataire du message cherche à contrôler et à éliminer les émotions négatives (et non pas la menace contenue dans le message) par * La régression ou l’infantilisation (refuge dans des attitudes ou comportements infantiles) * L’annulation, le déni ou l’évitement (« je ne suis pas aussi gravement atteint », « cela concerne d’autres que moi », « cette image me fait trop peur, je vais tout faire pour l’oublier, pour ne pas y penser ») * Le rejet (« en me montrant cela, ils essayent de me manipuler, je les ignore ») * La transformation en contraire Ruiter et al. « Sixty years of fear appeal research : Current state of the evidence », International Journal of Psychology, 2014, 49/2 + Block LG et al., Keller PA et al., Witte K. et al., etc.) C. Ferron - Avignon - 2015 En santé-environnement aussi • Mise en place de mécanismes de défense permettant aux personnes de contrôler leur peur - sans agir sur la menace ou sur le risque : l’incrédulité ou le scepticisme, l’externalisation des responsabilités, la mise en avant de problèmes considérés comme plus immédiats, ou le fatalisme (« mon action sera une goutte d’eau dans l’océan »). • L’attitude de la population vis-à-vis des problèmes environnementaux est directement liée aux différentes stratégies psychologiques pour diminuer la peur : éviter les faits, souligner les incertitudes scientifiques, se focaliser sur les désagréments mineurs liés aux changements, dénigrer les spécialistes du climat. C. Ferron - Avignon - 2015 Usage de la peur = Instrument du pouvoir et du jeu politique Deux hypothèses quant à l’utilisation de la peur à des fins politiques • Définir ce qui doit être le principal objet de peur pour l’opinion publique ; cette menace dominera alors l’agenda politique au détriment d’autres sujets de crainte ou de préoccupation, • Utiliser la menace pour faire en sorte qu’un groupe maintienne ou accroisse son pouvoir au détriment des autres ; cette menace devient un mode essentiel de contrôle politique et social Corey ROBIN (2007) La peur, Histoire d’une idée politique, Hachette C. Ferron - Avignon - 2015 MERCI DE VOTRE ATTENTION ! C. Ferron - Avignon - 2015