La « fausse-séropositivité - Université Paris-Est

publicité
« Monsieur, vous n’allez pas m’injecter un virus » ?
Réinterprétations du principe de vaccination par les
volontaires sains d’un essai vaccinal préventif
contre le VIH
6èmes Journées d’étude du pôle
Santé & Société
31 Mars 2016
Mathilde Couderc
Post-Doctorante en anthropologie de la santé
(Céditec – UPEC – VRI)
Contexte
• Mise en place d’une campagne de communication d’appel à volontariat
pour un essai vaccinal préventif anti-VIH: l’essai ANRSVRI01 (2014-2015)
• Caractéristiques de l’essai vaccinal préventif
– Essai de phase I/II
– Objectif : Evaluer efficacité biologique de 3 candidats vaccins et
tolérance du vaccin MVA HIV-B, développé par l’ANRS et utilisé pour
la 1ère fois chez l’homme.
– Stratégie de « Prime Boost »
 N’a pas pour but de tester un éventuel effet protecteur contre
l’infection par le VIH
 Absence de bénéfice individuel direct pour les participants
– Essai réalisé sur des volontaires sains et « à faible risque d’exposition
au VIH »
Promoteur
Promoteur
INSERM
ANRS
Agences de
communication
Les acteurs du dispositif
de recrutement des
volontaires
Vaccine Research
Institute
(VRI)
UPEC
Céditec
IMRB
Essai vaccinal
préventif
anti VIH
ANRS VRI01
Campagne pour le recrutement
Volontaires
Potentiels
Méthodologie
Une approche qualitative en immersion
Les outils de recueil des données :
• Entretiens semi-directifs
• Observation participante sur 2 sites hospitaliers :
Service Immunologie H. Mondor et CIC de vaccinologie Cochin Pasteur
3 populations d’enquêtés (46 Volontaires : 23H/23F)
• Les participants (29): volontaires inclus dans l’EVP.
• Les volontaires (10): toute personne ayant porté un intérêt pour l’EVP
mais n’ayant pas pu y participer pour des raisons médicales, biologiques,
psychologiques, ou de disponibilité.
• Les Velléitaires (7) : volontaires ayant porté un intérêt pour l’EVP mais
n’ayant pas été jusqu’au bout de la démarche de participation.
Le vaccin contre le VIH-sida :
une recherche relancée
• 1987 : Démarrage des essais cliniques de candidats vaccins thérapeutiques
et prophylactiques anti-VIH, à un niveau international.
• 2009 : essai « RV144 » en Thaïlande (phase III)
– Etape scientifique fondamentale
– Relance intérêt pour la recherche d’un vaccin contre le VIH au niveau mondial
• 29 essais de phase I en cours / 6 essais de phase II et aucun de phase III (AVAC,
2015)
• 2014 : Mise en place de l’essai ANRSVRI01 en France, conduit par le VRI sous
promotion INSERM-ANRS
• 2016: création de l'Alliance européenne pour un vaccin contre le VIH (EHVA)
co-initié et coordonné par le VRI
• Vifs débats dans la communauté scientifique à propos des effets d’annonce
répétés autour de la découverte d’un vaccin contre le sida
Spécificités de la recherche vaccinale
prophylactique contre le VIH
• Probabilité d’un développement d’une séropositivité sans le virus,
désignée par les chercheurs comme une « fausse séropositivité ».
• Incertitudes quant au risque de facilitation d’une contamination en cas
d’exposition au virus en-dehors de l’essai vaccinal, du fait de la
participation à l’essai.
• Vaccination contre le VIH implique un contrôle individuel du risque, qui
vient parfaire la protection collective; a contrario des autres vaccinations
où l’immunité de groupe vient parfaire l’immunité individuelle.
 Nécessité de la part des investigateurs de l’essai vaccinal de réitérer
des discours qui visent à rassurer les volontaires, accompagnés de
consignes de prévention, tout au long du processus de recrutement.
Discours de la campagne de communication
à propos du risque de contamination
«Vous n'avez aucun risque d'être infecté par le virus du sida :
seules des protéines ou morceaux de protéines fabriquées par synthèse
sont utilisés dans les différents vaccins testés : ces protéines ne
peuvent en aucun cas entrainer une contamination par le VIH »
(source : site Internet de l’EVP)
«D’une part, on peut imaginer que ces combinaisons vaccinales
puissent induire une activation inattendue du système immunitaire […]
D’autre part, on ne peut pas exclure que ces vaccins, comme par
ailleurs toute autre stimulation du système immunitaire, puissent
augmenter la sensibilité des cellules à l'infection par le VIH en cas
d’exposition au virus. Ce risque théorique constitue une raison
supplémentaire pour se protéger de toute contamination par le VIH
pendant et après l’essai » (source : note d’information)
Discours de la campagne de communication
à propos de la fausse-séropositivité
« Faussement-positif? » Certains des vaccins testés peuvent
engendrer la production d'anticorps anti-VIH, qui provoquent
parfois un test « faussement positif » lors d'un test de dépistage du
virus du sida. Cette fausse séropositivité ou séropositivité sans virus n'a
aucune conséquence pour la santé, mais elle peut en avoir pour la
souscription d'un contrat d'assurance ou lors d'un voyage à l'étranger »
(source: site Internet de l’EVP)
«Certains vaccins sont capables de provoquer la production d'anticorps
anti-VIH. Cela peut engendrer un résultat « faussement positif » au test
de dépistage ELISA du VIH, et peut dans ce cas provoquer des
désagréments potentiels dans certaines circonstances […] et en cas
d'urgence médicale car elle peut persister des mois voire des années »
(source : note d’information)
Les perceptions du principe de
vaccination par les volontaires
Des connaissances du principe
de vaccination, certes …
« Déjà, on n’injecte pas le virus, mais certaines protéines, et c’est le virus qui se transmet. Et
puis bon, le virus ne se transmet pas systématiquement […] Après, je suis assez sensée
comme personne, si je fais un test vaccinal, ils ne mettent pas en cause la vie des personnes,
et de même la transmission éventuelle du virus à d’autres. Ça me paraît tellement évident »
(Peggy, 26 ans, salariée dans une association d’information et de prévention du VIH, volontaire)
« J’avais de vagues souvenirs de mes cours qui disaient que les virus, enfin les vaccins, pour
créer des réactions immunitaires, on injectait une partie du virus, je me suis bien doutée que
cela n’allait pas être cette technique-là […] Je m’en doutais donc c’est pour cela que je suis
venue » (Marie, 26 ans, étudiante en marketing, participant)
« […] en général un vaccin c’est injecter un bout de maladie ou quoi que ce soit pour que le
corps se défende. Donc ça pourrait faire peur par rapport au VIH » (Bérengère, 25 ans, étudiante
en médecine, volontaire)
«Parce que bon, quand on entend VIH, enfin quand on entend essai vaccinologique VIH, les
gens pensent directement qu’on va nous injecter le virus quoi ! » (Chiara, 22 ans, infirmière,
participant)
… qui une fois appliquées au VIH-sida
deviennent anxiogènes
« Juste le fait qu’on me transfuse un anticorps, quelque part il y a le virus du sida
dedans, ou il y a des cellules du sida… Je sais pas exactement mais du coup
comme j’étais un peu perdu, que j’avais pas beaucoup d’infos, c’est ça qui m’a fait
prendre peur […] mais moi à partir du moment où il y avait le mot anticorps
dedans, ça m’a fait prendre peur […] Vu que c’est le virus du sida, c’est quelque
chose de beaucoup plus important. Ça fait beaucoup plus peur que si on parle
d’un anticorps pour la grippe »
(Renaud, 27 ans, designer, velléitaire)




Réappropriation du terme « anticorps »
Compréhension limitée de la composition du vaccin
Sentiment de peur associé au VIH-sida omniprésent
Recherche d’informations complémentaires sur la notion d’anticorps vient
confirmer ses peurs
 Abandon de sa démarche de participation avant la visite de pré-inclusion
« Ben, en fait j’avais une question qui me faisait peur… Enfin, qui
me faisait peur… J’ai demandé au médecin, j’ai dit : « Monsieur,
vous n’allez pas m’injecter un virus […] Donc je ne me suis pas gêné
en plus avec lui… Il connaît tout donc, j’ai dit : « Monsieur, vous
m’injectez pas un virus, parce que sinon je dis non ». Logiquement,
encore heureux. Parce que sinon il va se mettre à coloniser mon
corps et je vais tomber malade. Vous allez m’injecter une protéine
du virus, un tout petit bout du virus ». Et en fait, ma seule
inquiétude, c’était comment mon corps va pouvoir éliminer ce… En
fait je voulais que ce soit réversible. C’est-à-dire que je voulais qu’à
la fin de la période de l’essai, d’un point de vue biologique je sois
comme avant l’essai. C’était important pour moi quand même […]
mais sinon moi je veux pas garder le microbe toute ma vie dans
mon corps. Donc on est bien d’accord. C’était la seule chose que je
voulais mettre au clair parce que c’était vraiment le seul point
vraiment obscur »
(Brian, 22 ans, étudiant en biologie moléculaire, participant)
La peur de la contamination
comme motif d’abandon
• Equivalence établie entre le vaccin et le virus  perception d’une
contamination induite par le vaccin testé.
• Réappropriation par les volontaires du vocabulaire scientifique : « virus »,
«protéines « cellules », « anticorps »
• Peur de la contamination = Ignorance ? Déficit de connaissances ?
Perceptions défavorables de la science ?
 Modèle explicatif du « déficit » insuffisant car cette perception est
également partagée par des volontaires qui ont des compétences
scientifiques.
 Met en évidence la permanence de la peur associée au VIH-sida
 Nécessité de prendre en considération les facteurs structurels,
psychologiques, cognitifs et sociaux
La fausse-séropositivité :
un frein qui résiste
• Années 1990 - 1ers essais vaccinaux : « Fausse-séropositivité »
déjà identifiée comme problématique dans la littérature
scientifique
• 1992 - Recommandation du Conseil National du Sida à propos
du «recrutement des volontaires pour des essais vaccinaux par
appel au public par voie de presse»: «Il est indispensable que
les volontaires sains soient garantis contre le risque de
confusion existant entre la séropositivité d’origine vaccinale et
la séropositivité liée à l’infection virale »
• 2014-2015 - Essai ANRSVRI01 : «Fausse-séropositivité»
identifiée par les investigateurs comme un des «freins à lever»
dés l’élaboration de la campagne de recrutement
Une notion ambiguë
• Une compréhension partielle de la notion de « fausseséropositivité »
– Perception d’une fausse-séropositivité dès lors qu’on participe à l’EVP
– Difficulté à distinguer une « vraie fausse-séropositivité » d’une
séropositivité réelle
– Information jugée contradictoire entre le statut de « faux-séropositif »
et l’obligation de se protéger
– Puits de questions : Possibilité d’une transmission de la FS à son
partenaire ? Durée FS ? Faisabilité du diagnostic ?

Ces perceptions sont vecteur de peurs, de doutes et d’angoisses chez
certains volontaires
 Entraîne des pratiques informationnelles complémentaires de la part des
volontaires
Irruption du doute et renoncement
«Qu’est-ce que c’est qu’un faux séropositif ? À un moment donné est-ce qu’on
est capable de me dire si c’est un vrai séropositif ou un faux séropositif ? Et là,
je me suis dit, en gros, pendant deux ans, je vais pas savoir si c’est un faux ou
un vrai ! Non, mais je vous dis les choses telles que ça s’est passé dans ma tête
quoi ! Donc dans ma tête je me suis dit qu’on pourrait me dire que c’est un faux,
mais est-ce qu’on va me le prouver ? Je sais pas si c’est possible de le faire, j’en
sais rien, j’imagine que oui, et dans ma tête je me suis dit que pendant deux
ans tu vas pas savoir si c’est un faux ou un vrai. En gros c’est l’angoisse qui
prend le dessus. Vraiment c’est ça. C’est ça qui a été décisif. J’imaginais pas que
ça allait jusque là… Après, je suis complètement novice, j’ai aucune
connaissance médicale donc je me rends pas du tout compte […] »
(Jean-Marc, 39 ans, Maître d’oeuvre, velléitaire)
«En fait ça n’a jamais été clair, et en n’ayant aucune réponse sur le fait qu’on
puisse passer en faux séropositif, moi je ne veux pas faire prendre de risque à
mon entourage. Je sais comment ça peut s’attraper, ne serait-ce que par un
simple rapport. Donc à partir du moment où j’ai eu le doute et où je voyais que
ça ne pouvait plus s’adapter à ma situation, j’ai plus donné suite » (Maxime, 41 ans,
gestionnaire fonction publique, velléitaire)
Une incompatibilité avec
la vie quotidienne
• Contrainte pour détecter une véritable contamination en cas
de prise de risque externe à l’EVP
• Entraîne une modification des pratiques sexuelles (port du
préservatif obligatoire)
• Entraîne une rupture de la confidentialité
• Entraîne des limitations en terme de mobilité : destinations de
voyages restreintes
Conclusion
• Enjeu d’information autour de la composition du vaccin, du risque de
contamination et de la « fausse-séropositivité ».
• La « fausse-séropositivité » : un simple « désagrément » ?
 Ecarts entre le risque appréhendé par les acteurs de santé comme
une catégorie épidémiologique et objective et les perceptions des
volontaires
 Principale source de refus de participation à l’essai vaccinal
• Défi : traduction de concepts scientifiques complexes en une
information accessible, intelligible et complète pour la population
 Information cruciale à propos des risques et des bénéfices, d’autant
plus lorsque les sujets de la recherche sont des volontaires sains.
Remerciements
• Aux équipes médicales du service d’immunologie de l’hôpital
Mondor et du CIC vaccinologie de Cochin Pasteur
• Aux volontaires sains
• Ce travail a bénéficié d’une aide de l’Etat gérée par l’Agence
Nationale de la Recherche au titre du programme
« Investissements d’avenir » portant la référence ANR-10LABX-77-01.
19
Téléchargement