É D I T O R I A L Formation et pratique médicale en ORL pédiatrique Pediatric ENT training and practice ● J.N. Margo ous savons tous d’expérience que la formation médicale est très longue et qu’elle se veut au départ généraliste. Cependant, il est également évident qu’elle ne peut recouvrir tous les domaines des sciences fondamentales et de l’art médical. Tout au long de notre carrière, certaines choses nous sont imposées et des choix sont nécessaires ; de ce fait, notre pratique se doit d’être limitée à nos domaines d’excellence. Cela est vrai, que nous soyons médecin généraliste ou encore médecin ou chirurgien spécialisé ou hyperspécialisé. Il nous est en effet impossible de maintenir un niveau de connaissances dans tous les domaines, et nous n’avons pas toujours les capacités ou les talents adaptés à tous les aspects de la pratique médicochirurgicale. Or, voilà des contraintes qui ne sont pas toujours reconnues. Combien de fois ai-je entendu, sous diverses formes : “Nous sommes spécialisés en ORL. Nous pouvons tout faire, et je peux donc tout faire si cela entre dans la sphère ORL ; je me dois même de tout faire” ? Certes, en théorie, c’est peutêtre incontestable, mais, dans la réalité, sommes-nous sûrs d’assurer les meilleurs soins possibles à nos malades dans ces conditions ? Je pense que nous pouvons très sérieusement en douter. N La pratique médicale ou chirurgicale en pédiatrie, par exemple, justifie une formation, des talents et une adaptabilité très spécifiques. Tout cela tient à des prédispositions et, surtout, à une formation spécialisée indispensable. L’ORL pédiatrique n’échappe pas à cette particularité. En effet, la logique voudrait que tout le monde s’accorde sur le fait que l’exercice médicochirurgical pédiatrique dans notre spécialité nécessite bien une formation adaptée ; car les nouveau-nés ne sont pas des enfants plus petits, pas plus que les enfants ne sont de petits adolescents, ni ces derniers simplement de jeunes adultes. Chacun sait qu’il n’en est rien. Or, dans cette hyperspécialité qu’est l’ORL pédiatrique, le nombre de médecins et de chirurgiens ayant réellement une formation spécifique est assez réduit. Cela n’aurait que fort peu d’importance si, tous, nous savions toujours bien situer nos l i m i t e s, ce qui est loin d’être le cas... D’autant que s’y ajoute, pour beaucoup, de façon erronée, la peur de paraître incompétents, s’ils orientaient un malade vers un spécialiste pour une pathologie courante, ce qui donne des résultats pour le moins aberrants, voire erronés et coûteux. * ORL, Valognes. Pourtant, nous nous devons d’être, face à nos jeunes malades, certes efficaces et au fait des connaissances actuelles, mais avec des gestes médicaux ou chirurgicaux se déroulant dans le calme et la douceur, et en jouant si besoin est. Il nous faut nous adapter à l’enfant ou à l’adolescent, à sa psychologie, et bannir toute forme de violence, ce qui n’exclut pas la fermeté quand elle s’avère nécessaire. Il faut aussi tenir compte des parents, tout un art fait de pédagogie, de diplomatie et d’une certaine patience. Incontestablement, nous ne sommes pas tous prêts ni formés à cela, alors passons la main si nécessaire. Maintenant, détaillons un peu cette pratique ORL pédiatrique. Tout est spécifique. Commençons par l’endoscopie. Celle du toutpetit nécessite vraiment une formation, tant pour la technique du geste que pour les pathologies rencontrées ; mais, chez l’enfant plus grand, il faut aussi une certaine habitude, et surtout une façon d’aborder le jeune patient, pour lui faire accepter une exploration qui doit se dérouler de la manière la moins traumatisante possible et avec efficacité. Il en est de même pour l’audiométrie pédiatrique, qui demande une grande habitude, de la technique et de la patience pour arriver à une conclusion fiable. Mais que dire de la chirurgie, qu’elle soit cervicale ou otologique ? Nous pouvons espérer que personne ne se lance dans des abords laryngés ou dans la chirurgie d’un lymphangiome kystique, par exemple, sans en avoir les compétences, mais, pour d’autres gestes réputés plus simples ou classiques, qu’en est-il ? La pratique médicale elle-même, telle une banale otoscopie chez un nouveau-né, peut poser quelques problèmes plus complexes qu’il n’y paraît et, là encore, une certaine habitude n’est pas inutile. L’état actuel de la science et de l’art médical et chirurgical impose de plus en plus une pratique en équipe, évolution difficile pour des praticiens qui, dans leur grande majorité, sont individualistes ; or, spécifiquement en ORL pédiatrique, ce travail en équipe est indispensable et, incontestablement, les pédiatres préfèrent que leurs jeunes malades rencontrent des ORL formés à cette dimension pédiatrique. Voici un exemple qui illustre bien cette nécessité d’une formation spécifique et du travail en équipe. Je me souviens d’un enfant de 9 ans traité – c’était il y a près de 20 ans – depuis 9 à 10 mois pour asthme ; régulièrement, la mère disait : “Mon fils n’a pas d’asthme, sa gêne respiratoire ne ressemble pas à celle de son cousin, qui, lui, est connu pour avoir de l’asthme.” Cet enfant avait vu plusieurs La Lettre d’Oto-rhino-laryngologie et de chirurgie cervico-faciale - no 292 - mai-juin 2004 3 É D I T O R I confrères – médecin généraliste, pneumologue et ORL – mais aucun formé à la pédiatrie. Quand la mère décida enfin, par elle-même, de consulter une pédiatre, celle-ci confirma l’impression de la mère quant à l’absence d’asthme face à une dyspnée inspiratoire, et adressa le jeune malade à un ORL spécialisé en pédiatrie pour une laryngoscopie : le diagnostic de tumeur sous-glottique (tumeur d’Abrikossof) fut porté. L’enfant fut alors adressé à un “hyperspécialiste”. Il fut opéré et, aux dernières nouvelles, qui datent d’il y a trois ans, il va très bien. Peut-être aurait-il été sage d’écouter la mère dès le départ et de ne pas craindre de passer la main ? 4 A L En conclusion, soyons humbles ! Nous faisons tous des erreurs : le tout est de ne pas persister. Prenons conscience de nos limites, maintenons au mieux nos connaissances par une formation continue adaptée et variée, n’hésitons pas à demander avis et à travailler en équipes formelles ou informelles. Les cancérologues médicaux et chirurgicaux, les équipes oto-neurochirurgicales, pédopsychiatriques, audiophonologiques, et bien d’autres, ont su montrer la voie : ne soyons pas en reste pour des pathologies qui ne sont plus simples qu’en apparence. Tout cela pour une meilleure pratique médico-chirurgicale et pour le bien de nos jeunes patients. ■ La Lettre d’Oto-rhino-laryngologie et de chirurgie cervico-faciale - no 292 - mai-juin 2004