Jean Parrot : « Il faut consolider notre répartition sur le territoire » Le président du Conseil national de l’Ordre des pharmaciens (CNOP) milite en faveur d’une consolidation économique du modèle officinal français. Il attend de la future présidence française à l’UE une directive santé équilibrée. DR DR La redéfinition, voire l’élargissement, des compétences du pharmacien vous semblent-ils nécessaires pour faire face à des thérapeutiques de plus en plus complexes ? Comme dans toutes les professions scientifiques, le pharmacien est appelé à se former en permanence. Au fur et à mesure que les nouvelles thérapeutiques apparaissent, les officinaux doivent acquérir des compétences complémentaires. On l’a bien vu avec les médicaments qui sont sortis de la réserve hospitalière et qui sont passés en ville... Avec la prise en charge de certaines pathologies à l’officine, à l’instar du sida, les pharmaciens ont – de la même manière – dû assurer des suivis thérapeutiques plus complexes qu’auparavant. Le développement des soins et du maintien à domicile a aussi permis aux officinaux d’élargir leur champ d’action et leurs compétences dans le domaine des dispositifs médicaux ou encore dans les services aux patients. Ce contexte implique que les acteurs de la chaîne du médicament s’associent pour accompagner ces développements de l’exercice professionnel. Et ainsi optimiser les résultats. JEAN PARROT, PRÉSIDENT DE L’ORDRE DES PHARMACIENS. 28 PHARMACEUTIQUES - DÉCEMBRE 2007 Peut-on parler d’un « nouveau modèle économique » de l’officine ? Comment le décririez-vous ? Les glissements se sont faits depuis plusieurs années déjà. L’apparition des groupements et l’envol des génériques, notamment, ont entraîné une nouvelle modélisation économique de l’activité officinale. Ces deux paramètres ont amené le pharmacien à avoir une gestion entrepreneuriale plus dynamique. Et ce n’est pas fini ! Nous envisageons – en accord avec les syndicats professionnels – de regrouper économiquement plusieurs entreprises au sein de Sociétés d’exercice libéral (SEL). Dossier Officine Naturellement, les officines ainsi associées conserveraient soins de qualité, les officinaux perdront en pertinence de chacune leur lieu de dispensation de médicaments. Objec- prise en charge des patients. Et tout retombera sur les hôtif : permettre à plusieurs officines d’avoir une exploitation pitaux. Dès lors, comment organiser les soins primaires ? commerciale commune. Une mesure – fiscalement intéres- Les soins secondaires ? Avec quelles équipes ? Je ne suis pas contre les délégations de prescriptions, mais il sante – qui apportera des solutions aux problèmes faut que cette organisation soit définie dans le d’endettement, via une nouvelle répartition cadre de cercles locaux de qualité des soins… capitalistique. Mais pour consolider ce à construire entre les intéressés (médecins, modèle économique, nous avons besoin pharmaciens). Au niveau des des décrets d’application de la loi Dutreil Définir des cercles infirmières, soins secondaires, nous devrons également 2 du 2 août 2005. travailler ensemble à la bonne utilisation de qualité des spécialistes, des CHU, des hôpitaux Les expérimentations du dossier phardes soins généraux… Libéraux et salariés devront maceutique (DP) semblent se dérouler s’entendre à ce sujet afin que le patient ne dans de bonnes conditions. Quels ont soit jamais laissé en perte de chances. Autre été les principaux obstacles identifiés bouleversement majeur : la pharmacie de dejusqu’alors ? main va changer de dimension. Dans l’absolu, Globalement, la phase d’expérimentation s’est bien passée : 107 000 dossiers ouverts, des pharmaciens j’aimerais bien que ce soient des entreprises partagées entre satisfaits et un public très intéressé. Seule contrainte : le des pharmaciens qui exercent ensemble. Les officinaux en temps à consacrer au recueil du consentement du patient. seraient les seuls propriétaires – ou co-propriétaires – et La vérification des données lors de l’acte de dispensation ne travailleraient en aucun cas pour un tiers (grossistesne constituant pas une perte de temps supplémentaire par répartiteurs, grand commerce, fonds d’investissements…). rapport à la pratique habituelle… Mais malgré l’optimisme ambiant, la partie est loin d’être gagnée. Après six mois d’expérimentation, nous n’avons pas demandé à la CNIL l’autorisation immédiate d’un déploiement national. Nous Propos recueillis préférons passer par une deuxième phase expérimentale par Jonathan Icart élargie. Nous allons ainsi créer des « têtes de pont » dans tous les départements avec environ 5 % des pharmaciens pour y servir de référents DP. Et cela, en vue d’une généralisation à la France entière vers la fin du second trimestre 2008. Europe : « Qu’on nous laisse tranquille ! » L’Ordre vient de mettre en place un groupe de travail, en commun avec l’AFSSAPS et la DGS, visant à lutter contre la vente de médicaments contrefaits sur Internet. Pouvez-vous nous en dire plus ? La France est-elle menacée sur ce plan ? La mission du groupe de travail qui vient d’être constitué est claire : inventer un codage produit qui permettra de tracer le médicament de sa fabrication jusqu’au patient. Soit un process qui empêche les duplications, les remplacements et les retours amont. De fait, le contrefacteur ne pourrait à aucun moment s’introduire frauduleusement dans la chaîne du médicament. Je le dis haut et fort : le médicament contrefait doit rester en dehors de nos officines et des circuits d’approvisionnement. Il faut qu’on soit vigilant et qu’on renforce les verrous de la chaîne (laboratoires, grossistes-répartiteurs, pharmaciens…). Sur ce point, la France est relativement à l’abri jusqu’ici. Dans notre pays, trois critères réduisent considérablement le niveau d’appétence du contrefacteur : une législation forte, des prix peu élevés et une assurance-maladie opérationnelle. Quel regard portez-vous sur la pharmacie de demain ? Comment la voyez-vous configurée pour de nouvelles missions ? La pharmacie va se reconfigurer par force. Pour l’heure, les médecins souhaitent faire évoluer le maillage territorial actuel et se regrouper au niveau local (cantons ou autres). Dans ce cas de figure, les pharmaciens auront du mal à vivre sans eux. Si on ne maintient pas un service de premiers Concernant la mise en demeure de la Commission européenne, Jean Parrot assure que « l’action attentée contre la France est due à un incompréhension réciproque et à une méconnaissance de notre système ». Dans les faits, Bruxelles reproche une chose au modèle français : l’absence de fonds extérieurs dans le capital de l’officine. En somme, qu’il n’y ait que des pharmaciens dans la pharmacie… Le président de l’Ordre, lui, raisonne en ces termes : « Est-ce que les anglo-saxons vivent mieux ? Les patients sont-ils mieux servis et les médicaments vendus moins cher ? A toutes ces questions : la réponse est non ! Est-ce que l’accès aux médicaments dans les pays nordiques est meilleur que chez nous : la réponse est non ! C’est l’inverse… Dans les pays du Nord, il n’y a pas de permanence officinale et les patients vont chercher leur médicament directement à l’hôpital, surenchérit-il. Chez nous, en France, sommes-nous disposés à voir disparaître les services de garde ? » Et de marteler : « On coûte trop cher ? Dans ces mêmes pays du Nord qu’on prend pour modèle, les médicaments sont deux à trois fois plus chers. Au Danemark, il y a une pharmacie pour 30 000 ou 40 000 habitants. Qu’on nous laisse tranquille ! » L’Ordre campe donc sur ses positions et compte sur la présidence française – à venir – pour concocter une directive santé européenne (équilibrée) qui tienne compte du principe de subsidiarité. 29 DÉCEMBRE 2007 - PHARMACEUTIQUES