Article original Médecine et Santé Tropicales 2014 ; 24 : 409-415 Suivi des grossesses sur utérus cicatriciel : aspects qualitatifs et implications pronostiques Monitoring pregnancy of women with a previous cesarean delivery: qualitative aspects and prognostic implications Diémé Faye M.É.1, Moreira P.1, Tamofo É.2, Diouf A.A.1, Diouf A.2, Moreau J.-C.1,3 1 2 doi: 10.1684/mst.2014.0403 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 04/06/2017. 3 Clinique gynécologique et obstétricale du CHU Aristide-Le Dantec, avenue Pasteur, BP 3001, Dakar, Sénégal Service de gynécologie et obstétrique, centre hospitalier Roi-Baudouin, Dakar, Sénégal Département de gynécologie et d’obstétrique, université Cheikh-Anta-Diop, Dakar, Sénégal Article accepté le 16/08/2014 Résumé. Objectif : évaluer la qualité du suivi prénatal des femmes porteuses d’une grossesse sur utérus cicatriciel et apprécier le pronostic maternel et néonatal en milieu africain. Patientes et méthodes : étude prospective, descriptive et analytique réalisée entre le 1er novembre 2009 et le 31 août 2010 au centre hospitalier Roi-Baudouin de Dakar au Sénégal. Étaient incluses toutes les patientes qui étaient admises en salle d’accouchement avec une grossesse estimée à vingt-deux semaines aménorrhées révolues, qui avaient au moins une cicatrice utérine et qui disposaient d’un carnet de consultations prénatales (CPN). Nous avions exclu les cicatrices d’intervention gynécologique. L’étude comportait un volet qualitatif d’analyse des carnets de santé et une interview des patientes. Résultats : la fréquence des utérus cicatriciels était de 12,5 %. L’âge moyen des gestantes était de 28 ans. La parité moyenne était de 3. Le nombre moyen de CPN était de 3. Le suivi était assuré par une sage-femme dans la plupart des cas (95,1 %). Les paramètres cliniques de l’examen étaient rarement complets. Les examens biologiques obligatoires n’avaient pas été effectués pour toutes les gestantes. Moins de la moitié (40,7 %) avaient bénéficié de l’échographie du 3e trimestre. Le nombre de gestantes référées vers une structure appropriée pour l’accouchement était de 109 (28,1 %). Une complication du travail était notée dans 28,3 % des cas. Les naissances avaient eu lieu par césarienne dans 73 % des cas et par voie naturelle dans 26 %. La réalisation du bilan prénatal obligatoire était significativement corrélée à la précocité du début des consultations (p = 0,001) et au niveau de la structure où s’était déroulé le suivi prénatal (p = 0,027). Conclusion : la réduction de la morbidité et de la mortalité maternofœtales liées à un utérus cicatriciel passe nécessairement par la sensibilisation des gestantes concernées et par l’incitation des prestataires à une référence précoce et adaptée. Summary. Objectives: To assess the quality of prenatal monitoring of pregnant women with a previous cesarean delivery and determine the maternal and neonatal prognosis in an African setting. Patients and methods: This prospective, descriptive, and analytical study took place at Roi Baudouin Health Center in Dakar (Senegal) and examined the records of women giving birth from November 1, 2009 to August 31, 2010. It included all women admitted for delivery at 22 weeks of gestation or more, with at least one previous cesarean, and a prenatal consultation record booklet. Women with uterine scars from a gynecological intervention were excluded. The study included a qualitative analysis of the record booklets and an interview of patients. Results: Women with previous cesareans accounted for 12.5% of all women giving birth during the study period. The average age of the women in our study was 28 years, their mean parity was 3, and their mean number of prenatal examinations 3 (range: 1 to 5). Most prenatal care was provided by midwives (95.1%). The clinical characteristics were rarely completed. Not all women had undergone the laboratory tests required, and fewer than half (40.7%) had had a third-trimester ultrasound. In all, 109 (28.1%) had been referred to the hospital as an appropriate structure for their delivery. Complications of labor were observed in 28.3% of the cases. In 73% of these cases, women had repeat cesareans; 26% had vaginal deliveries. The performance of the recommended prenatal check-up was significantly correlated to how early prenatal care began (p = 0.001) and the level of the structure providing prenatal care (p = 0.027). Conclusion: Reducing maternal and fetal morbidity and mortality due to uterine scars requires that women be made aware of the relevant issues and that healthcare providers refer them appropriately and early. Mots clés : césarienne, utérus cicatriciel, suivi, qualité, pronostic, Sénégal. Key words: cesarean, scarred uterus, follow-up, quality, prognosis, Sénégal. Correspondance : Diémé Faye MÉ <[email protected]> Pour citer cet article : Diémé M.É F, Moreira P, Tamofo É, Diouf A A. Suivi des grossesses sur utérus cicatriciel : aspects qualitatifs et implications pronostiques. Med Sante Trop 2014 ; 24 : 409-415. doi : 10.1684/mst.2014.0403 409 M.É. F. DIÉMÉ, ET AL. Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 04/06/2017. L’ utérus cicatriciel constitue un facteur de risque majeur en obstétrique, avec la hantise d’anomalies d’insertion du placenta, de la désunion pergravidique de la cicatrice et de la rupture utérine per-partum, pouvant être à l’origine d’hémorragies du post-partum graves [1-3]. En Afrique, comme ailleurs, les études sur le sujet ont porté essentiellement sur la gestion de l’accouchement sur utérus cicatriciel [4-11]. Certains auteurs africains [8, 11, 12] ont identifié plusieurs facteurs de mauvais pronostic d’accouchement sur utérus cicatriciel, parmi lesquels la mauvaise qualité du suivi des grossesses et le retard, voire l’absence de référence des gestantes en fin de grossesse vers la structure appropriée. Il nous a alors paru opportun d’effectuer ce travail afin d’évaluer la qualité du suivi prénatal des femmes porteuses d’une grossesse sur utérus cicatriciel et d’en apprécier le pronostic maternel et néonatal en milieu africain. Patientes et méthodes Il s’agissait d’une étude prospective, descriptive et analytique réalisée entre le 1er novembre 2009 et le 31 août 2010 au centre hospitalier Roi-Baudouin (CSRB) de Dakar (Sénégal), qui réalise en moyenne 6 000 accouchements par an. La population cible de notre étude était constituée par l’ensemble des parturientes porteuses d’un utérus cicatriciel. Étaient incluses toutes celles qui étaient admises en salle d’accouchement avec une grossesse estimée à vingt-deux semaines d’aménorrhée révolues, qui avaient au moins une cicatrice utérine et qui disposaient d’un carnet de consultations prénatales (CPN). Nous avions exclu les cicatrices d’intervention gynécologique (cures de malformations utérines et myomectomies). L’étude comportait un volet qualitatif d’analyse des carnets de santé et une interview des patientes en salle de travail ou dans l’unité des suites de couches et des postopérées. Les variables étudiées étaient : les caractéristiques sociodémographiques (âge, résidence, niveau d’instruction), les antécédents obstétricaux, le suivi de la grossesse (nombre de CPN, qualification du prestataire, qualité de l’examen clinique, réalisation du bilan paraclinique obligatoire, établissement du pronostic de l’accouchement et la référence), ainsi que les modalités de l’accouchement et l’issue maternofœtale. La collecte et l’analyse des données étaient effectuées à l’aide du logiciel Epi-Info version 3.0 et SPSS 13.0. L’analyse était réalisée par des tests statistiques bivariés. Le lien statistique était apprécié par le test du Chi-carré de Pearson ou le test exact de Fisher, selon l’importance de l’effectif. Le risque était estimé par l’Odds ratio (OR), avec un intervalle de confiance (IC) à 95 %, en acceptant une probabilité p 0,05. Résultats Données obstétricales Nous avons relevé qu’il s’agissait de paucipares dans 73,7 % des cas, la parité moyenne étant de 3. Les multipares et les grandes multipares représentaient respectivement 22,7 % et 3,6 % de l’échantillon. Il y avait une prédominance des utérus unicicatriciels : ils représentaient 72,9 % des cas. Les utérus bicicatriciels, tricicatriciels et quadricicatriciels représentaient respectivement 20,3 %, 5,7 % et 0,8 %. L’indication de la dernière césarienne était connue dans 63,9 % des cas. L’intervalle intergénésique était de trente-six mois en moyenne (extrêmes de huit et 180 mois). Dans plus de la moitié des cas (57 %), les gestantes n’avaient utilisé aucune méthode de contraception après le dernier accouchement. Nombre et lieu des consultations prénatales Le nombre moyen de CPN était de trois (extrêmes de 1 et 5). Moins de la moitié des patientes (48 %) avaient eu quatre CPN. La première consultation avait eu lieu au premier trimestre dans 67 % des cas, au deuxième trimestre dans 27,3 % des cas et 5,7 % des gestantes n’avaient consulté qu’au troisième trimestre. Un peu plus de la moitié (62,6 %) des gestantes avaient bénéficié de la consultation du neuvième mois. Cette dernière avait été effectuée dans la structure d’accouchement par seulement 17,2 % des gestantes. Dans la majorité des cas (67,8 %), le suivi avait été effectué au niveau d’un poste de santé, d’un centre de santé communautaire ou d’un centre de santé de district. Il avait ainsi été assuré dans la plupart des cas par une sage-femme (95,1 %), et seules quinze gestantes (5,3 %) avaient été suivies par un obstétricien ou un médecin généraliste. Les tests statistiques n’ont pas révélé de différence significative dans la répartition du nombre de CPN en fonction de certains facteurs socio-économiques des gestantes (tableau 1). Cependant, nous avions constaté que les consultations avaient débuté plus précocement chez les patientes entièrement prises en charge financièrement par leur conjoint – cela étant statistiquement significatif (p = 0,021). D’autres paramètres tels qu’un âge inférieur à 20 ans (77 %), le statut de femme mariée (68,2 %) et la scolarisation (71 %) avaient influencé positivement la fréquentation précoce des structures de suivi prénatal, mais sans être statistiquement significatifs (p = 0,24 et 0,77). Contenu des consultations prénatales Fréquence Durant les dix mois de notre étude, 4 846 accouchements ont été colligés, parmi lesquels 388 utérus cicatriciels, soit une fréquence de 12,5 %. Caractéristiques sociodémographiques L’âge moyen des gestantes était de 28 ans, avec des extrêmes de 18 et 44 ans. L’essentiel de notre échantillon était constitué de femmes sans profession (81,4 %). La quasi-totalité des gestantes 410 (99,5 %) vivaient en couple. Dans plus de la moitié des cas (54,9 %), les patientes n’avaient pas été scolarisées et seules 175 femmes (45,1 %) avaient fait des études scolaires, sans dépasser le niveau primaire dans la majorité des cas (56,6 %). Les paramètres cliniques recueillis au cours de l’examen clinique sont rapportés au niveau du tableau 2. Le toucher vaginal était réalisé chez la quasi-totalité des gestantes au troisième trimestre. Cependant, la qualité du segment inférieur n’était appréciée que dans 13 % des cas, et le niveau de la présentation chez seulement 39 % des patientes. Quant à la pelvimétrie clinique, elle n’avait été effectuée que chez quinze patientes (6,2 %). En ce qui concerne le bilan paraclinique, les examens biologiques obligatoires n’avaient pas été effectués par toutes les gestantes Médecine et Santé Tropicales, Vol. 24, N8 4 - octobre-novembre-décembre 2014 Grossesses sur utérus cicatriciel Tableau 1. Nombre de CPN et données sociodémographiques Table 1. Number of consultations for prenatal care and social and demographic data. Âge Revenu financier Scolarisation Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 04/06/2017. Financement des CPN Nombre de CPN <4 4 10 (77 %) 3 (23 %) 113 (50 %) 111 (50 %) 79 (52 %) 2 (48 %) 34 (49 %) 36 (51 %) 168 (53 %) 150 (47 %) 86 (49 %) 9 (51 %) 116 (55 %) 97 (45 %) 193 (53 %) 173 (47 %) 9 (41 %) 13 (59 %) 19 20-29 30 Oui Non Oui Non Conjoint Autres (tableau 3). Dans plus de 25 % des cas, le groupe sanguin ABO-Rhésus n’avait pas été déterminé. Les autres examens biologiques prénatals conseillés, facultatifs ou orientés, n’avaient pas été rapportés dans le carnet de santé. La réalisation du bilan prénatal obligatoire était significativement et positivement associée à la précocité du début des CPN (p = 0,001) et au niveau de la structure où s’était déroulé le suivi prénatal (p = 0,027). Ainsi, plus de la moitié des gestantes (53 %) suivies dans des structures de niveau 3, avaient effectué un bilan prénatal contre 33 % et 25 % respectivement pour les structures de niveau 1 et 2. En revanche, la notion de scolarisation (p = 0,05) et le revenu financier (p = 0,528) n’avaient pas eu une influence significative sur la réalisation du bilan prénatal. L’échographie du premier trimestre a été réalisée chez cinquante et une femmes, soit 13,1 %. Moins de la moitié des gestantes (40,7 %) avaient bénéficié de l’échographie du troisième trimestre. Sur les comptes rendus, les informations sur la biométrie fœtale, la nature de la présentation, le siège de l’insertion placentaire et la quantité du liquide amniotique avaient été reportées dans tous les cas (100 %). Seuls trois (0,7 %) comptes rendus échographiques avaient précisé l’épaisseur du segment inférieur. La recherche d’anomalies d’adhérence du placenta par le Doppler n’a été réalisée chez Total P 13 (100%) 24 (100 %) 151 (100 %) 70 (100 %) 318 (100 %) 175 (100 %) 213 (100 %) 366 (100 %) 22 (100 %) IC (95 %) 0,18 0,51 0,50-1,41 0,29 0,51-1,20 0,28 0,67-3,86 aucune des gestantes. Aucune de celles-ci n’avait bénéficié d’une exploration radiologique du bassin. Le nombre des gestantes référées vers une structure appropriée pour l’accouchement était de 109 (28,1 %). La majorité des patientes référées (60,8 %) l’était tardivement, c’est-à-dire à la CPN du neuvième mois (figure 1). La référence était uniquement verbale dans 60 % des cas, et documentée dans 40 %. Dans la moitié des cas (50,5 %), les femmes étaient référées pour césarienne prophylactique, dans 34,9 % des cas pour épreuve utérine et pour « prise en charge », sans plus de précision, dans les autres cas (14,7 %). La répartition des patientes ayant des facteurs prédictifs de césarienne itérative en fonction du mode d’admission est représentée au niveau du tableau 4. Les gestantes ayant une anomalie d’insertion du placenta étaient majoritairement (67 %) référées en fin de grossesse, en dehors de tout contexte d’urgence. En revanche, celles qui présentaient d’autres facteurs de morbidité tels qu’une hauteur utérine excessive, un bassin chirurgical, une grande multiparité, un utérus multicicatriciel ou une présentation irrégulière s’étaient « référées » d’elles-mêmes (30 %) ou avaient été admises en urgence (70 %). Les facteurs qui avaient influencé significativement la référence vers une structure appropriée pour accouchement dans les délais étaient : le suivi prénatal effectué Tableau 2. Paramètres recueillis lors de l’examen clinique. Table 2. Data collected at the clinical examination. Paramètres recueillis Taille Poids Tension artérielle Œdèmes Coloration conjonctives Mouvements fœtaux Hauteur utérine Appréciation BDCF Palpation cicatrice Examen au spéculum Toucher vaginal Pelvimétrie clinique Albuminurie à la bandelette Première CPN 67,3 % (n = 261) n % 208 79,7 257 98,5 249 95,4 236 90,4 256 98,1 - Deuxième CPN 93 % (n = 361) N % Troisième CPN 94,8 % (n = 368) N % 349 351 336 346 244 357 0 96,7 97,2 93 95,8 67,6 98,9 0 359 363 346 358 295 367 330 97,5 98,6 94 97,3 80,2 99,7 89,7 10 252 3,8 96,5 11 355 3 98,3 7 366 1,9 99,4 154 59 216 59,8 234 63,6 Médecine et Santé Tropicales, Vol. 24, N8 4 - octobre-novembre-décembre 2014 Quatrième CPN 62,6 % (n = 243) n % 239 238 233 239 196 242 222 0 4 241 15 158 98,4 97,9 95,9 98,4 80,6 99,6 91,3 0 1,6 99,2 6,2 65 411 M.É. F. DIÉMÉ, ET AL. Tableau 3. Répartition des patientes selon les examens biologiques réalisés. Table 3. Distribution of patients according to laboratory examinations performed. Bilan paraclinique Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 04/06/2017. Groupage sanguin-Rhésus Numération-formule sanguine Test d’Emmel Glycémie Sérologie de la syphilis Sérologie VIH Effectifs (n = 368) 272 125 268 138 156 135 Pourcentage (%) 73,9 34 72,8 37,5 42,4 36,7 par un obstétricien (p = 0,000), le suivi au sein d’une structure de niveau 3 (p = 0,001) et un niveau de scolarisation élevé (p = 0,018). Voies d’accouchement et pronostic immédiat Soixante-sept patientes (17,2 %) étaient évacuées au cours du travail pour une complication de l’accouchement. Dans la plupart des cas, elles étaient admises à terme (94 %) et en deuxième phase du travail (62,2 %). Une complication du travail était notée dans 28,3 % des cas. Les complications pouvant être directement imputables à la cicatrice utérine (rupture utérine, placenta praevia, dystocie dynamique) étaient observées dans 8,1 % des cas. Les naissances avaient eu lieu par césarienne chez 283 patientes (73 %) – dont la majorité (54,9 %) en urgence –, et par voie basse dans 26 % des cas. Trois patientes (0,8 %) avaient bénéficié d’une laparotomie pour rupture utérine perpartum sur un bassin rétréci. Le nombre de naissances vivantes était de 382 (98,45 %). Le pronostic néonatal immédiat était favorable dans 94,7 % des cas. Nous avons dénombré treize décès néonatals, soit 34 % naissances vivantes, associés à des complications gravidiques telles que l’hématome rétroplacentaire (OR = 125), la rupture utérine 1% 11,6 % 19,5 % 68.04 % Référées à la CNP2 Référées à la CPN3 Référées à la CPN4 Non référées Figure 1. Répartition des gestantes en fonction du terme de la grossesse au moment de la référence. Figure 1. Distribution of women according to term of pregnancy at referral. 412 (OR = 75) et la prééclampsie (OR = 8,15). La complication maternelle la plus fréquemment retrouvée était l’hémorragie du post-partum qui représentait treize cas sur les vingt-trois complications enregistrées, soit 56,6 %. La survenue de l’hémorragie était significativement associée à la rupture utérine (p = 0,004, OR = 15,54), aux anomalies d’insertion du placenta (p = 0,004, OR = 15,54) et à l’hématome rétroplacentaire (p = 0,006, OR = 33,09). L’hémorragie du post-partum était plus fréquemment diagnostiquée après un accouchement par voie basse ou une césarienne en urgence qu’après une césarienne programmée (p = 0,046 ; OR = 0,287). Aucun décès maternel n’était enregistré parmi nos patientes. Discussion L’existence d’une cicatrice utérine entraı̂ne une augmentation du risque de placenta praevia ou accreta au cours de la grossesse, et de rupture utérine au cours du travail [5, 6]. Depuis l’avènement de la césarienne segmentaire dont la cicatrice est réputée plus solide, l’aphorisme émis par Craigin en 1916 : « Once a caesarean section, always a caesarean section » a été remis en cause [13]. Dès lors, la césarienne prophylactique, itérative et systématique, a commencé à laisser de plus en plus de place à l’épreuve utérine sur utérus cicatriciel. Cependant, cette épreuve utérine doit être réalisée dans une structure appropriée, et chez des patientes sélectionnées au cours d’une surveillance rigoureuse de la grossesse. Cette étude nous a permis de mettre en évidence certains aspects particuliers de la surveillance de la grossesse dans une population de femmes sénégalaises ayant des antécédents de césarienne. Prévalence et profil des patientes Dans notre étude, la prévalence des utérus cicatriciels, 12,5 %, est plus élevée que celle rapportée dans d’autres études africaines : 6,5 % pour Nayama, 4,7 % pour El Mansouri et 2,4 % pour Tshimobo [10, 11, 14]. Elle se rapproche plutôt de celles rapportées par certaines séries occidentales [15]. Cette augmentation de la prévalence peut s’expliquer en partie par l’élargissement des indications de la césarienne à toute situation reconnue comme étant à risque accru de complications, telles que la présentation du siège, la grossesse gémellaire ou la prééclampsie sévère. Par ailleurs, certaines manœuvres obstétricales d’extraction fœtale sont de plus en plus abandonnées en raison des complications maternelles et/ou fœtales qui ne sont plus acceptables actuellement. La répartition des gestantes selon le nombre de césariennes antérieures montrait une nette prédominance des utérus unicicatriciels comme l’avaient auparavant constaté Aboulfalah à Casablanca, avec 85,7 %, et Diadhiou à Dakar, avec 80,9 % [4, 7]. Cependant, nous avons noté, comme d’autres auteurs africains, que l’indication de la ou des césariennes antérieures est souvent méconnue faute de disponibilité d’un compte rendu opératoire [4, 10]. Ainsi, devant l’absence de précision sur le type d’hystérotomie et la qualité de l’état local, le praticien peut se heurter à des difficultés pour prendre une décision obstétricale. En effet, les hystérotomies corporéales, réputées moins solides, comportent un risque accru de rupture utérine [15]. De ce fait, une césarienne itérative doit être programmée avant toute entrée en travail [2]. Par ailleurs, l’influence de la technique d’hystérorraphie a été Médecine et Santé Tropicales, Vol. 24, N8 4 - octobre-novembre-décembre 2014 Grossesses sur utérus cicatriciel Tableau 4. Facteurs influençant la référence. Table 4. Factors influencing referral. Facteurs morbides Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 04/06/2017. Hauteur utérine excessive Bassin chirurgical Grande multiparité Utérus multicicatriciel Présentation irrégulière Anomalies d’insertion placentaire Venue d’elle-même 19 (49 %) 14 (45 %) 16 (55 %) 56 (53 %) 10 (47,6 %) 0 Mode d’admission Évacuée 11 (28 %) 13 (42 %) 8 (28 %) 23 (22 %) 7 (33,3 %) 1 (33 %) relevée par l’étude de Bujold [3]. Il constatait une augmentation du risque de rupture utérine associée à une hystérorraphie en un plan par rapport aux sutures en deux plans avec un OR de 3,95 et IC95 % : (1,35-11,49]. Le retentissement fœtal n’est pas non plus négligeable, comme l’avait montré Diadhiou [4] qui, au cours d’une analyse statistique par régression logistique du score d’Apgar par rapport à l’accès au segment inférieur, avait constaté que la difficulté d’accès au segment inférieur avait un effet délétère statistiquement significatif (p = 0,001) sur le score d’Apgar. Il apparaı̂t ainsi que l’amélioration de la qualité de la rédaction et de la disponibilité des comptes rendus opératoires constituent les préalables d’un bon suivi prénatal devant un utérus cicatriciel. Aspects qualitatifs du suivi prénatal La quasi-totalité des CPN (95,1 %) étaient assurées par une sagefemme d’État (SFE) quel que soit le niveau d’instruction de la gestante. Diadhiou [4] avait fait le même constat, avec des taux respectifs de 62,9 % pour les SFE et de 27,1 % pour les médecins ou obstétriciens. La plus grande disponibilité numérique des SFE et l’inaccessibilité financière et parfois géographique des structures de niveau 2 et 3, constituent probablement les raisons de cette situation. Il serait illusoire, à l’heure actuelle, de recommander systématiquement le suivi exclusif des grossesses sur utérus cicatriciel par un obstétricien, à l’instar des autres grossesses à haut risque, dans un pays qui compte moins de 200 gynécologues-obstétriciens. Il serait toutefois souhaitable de suivre les recommandations de 2007 de la Haute Autorité de santé en France [16]. En effet, celle-ci préconise que le suivi des patientes porteuses d’un utérus cicatriciel soit de type A2, ce qui signifie que l’avis d’un gynécologue obstétricien est nécessaire. Dans notre contexte, cet avis pourrait être recueilli au plus tard au cours de la troisième CPN grâce à une référence précoce, contrairement aux références tardives, verbales et imprécises constatées dans notre série. Nos résultats montrent également qu’il existe encore beaucoup d’insuffisances par rapport au nombre, à la chronologie et au contenu des CPN. Concernant le nombre, la moyenne des CPN réalisées par les gestantes de notre étude était de trois, en deçà des normes en vigueur au Sénégal qui a adopté les recommandations de l’OMS, lesquelles préconisent une CPN à chaque trimestre et une quatrième CPN en fin de grossesse, dite CPN du « neuvième mois ». Contrairement aux observations d’autres auteurs africains, le statut matrimonial et l’exercice d’une profession n’ont pas influé significativement sur la régularité des patientes Référée 9 (23 %) 4 (13 %) 5 (17 %) 26 (25 %) 4 (19 %) 2 (67 %) Total p 39 (100 %) 31 (100 %) 29 (100 %) 105 (100 %) 21 (100 %) 3 (100 %) 0,957 0,088 0,728 0,489 0,733 0,132 aux CPN [12, 17, 18]. Ainsi l’information et la sensibilisation doivent concerner toutes les patientes, quel que soit leur niveau d’instruction. Comme le recommande Gallot [2], cette sensibilisation sur les particularités de l’accouchement sur utérus cicatriciel doit débuter dès la période du post-partum immédiat et lors des consultations postnatales. Les informations données à la patiente doivent porter sur l’indication de la césarienne, sur les avantages et les inconvénients de la voie basse et de la césarienne itérative ainsi que sur la nécessité d’une contraception efficace d’au moins douze mois [2]. La sensibilisation doit porter également sur la précocité des CPN avant la quinzième semaine d’aménorrhée. Cependant, nous avions constaté que dans un tiers des cas (33 %), les patientes étaient venues en consultation au-delà de quinze semaines d’aménorrhée. Ce fait est également souligné par d’autres auteurs africains [12, 19]. L’accessibilité financière, entre autres facteurs, semble être un frein à la prise en charge précoce de ces grossesses à risque dans un contexte où la gratuité des soins prénatals n’est pas effective. Nos chiffres l’illustrent bien en montrant que ce sont les patientes prises en charge par leurs conjoints (OR = 2,68) ou qui avaient une source de revenus qui avaient effectué le plus de CPN. Pour ce qui est du contenu des CPN, l’absence de la mesure systématique de la taille de la patiente (78,8 %) avait également été constatée par Kouakou [20], alors que celle-ci est identifiée comme un indicateur de perméabilité du bassin qui constitue un élément pronostique majeur de la réussite d’une tentative d’accouchement par voie basse [5]. De même, la pelvimétrie clinique était rarement effectuée (3,1 %). Ce taux, bien que supérieur à celui rapporté par Kouakou [20], qui était de 1,8 %, reste encore insuffisant dans cette population de femmes chez lesquelles l’évaluation clinique du bassin doit être systématique au troisième trimestre de la grossesse, et ce d’autant plus qu’une épreuve utérine est envisagée. Aucune patiente n’avait non plus bénéficié d’une scannopelvimétrie. Ceci est en partie lié au faible taux de référence à la troisième CPN (19,5 %) et à l’inaccessibilité financière de la radiopelvimétrie et de la scannopelvimétrie (40 000 à 50 000 F CFA). Considérant la prédominance des utérus unicicatriciels dans notre série (72,9 %), la réalisation systématique d’une pelvimétrie clinique et d’une biométrie fœtale lors de la consultation du huitième mois (troisième CPN) aurait pu aider à établir le pronostic de l’accouchement de manière plus objective, en particulier pour les patientes aux antécédents de césarienne pour dystocie mécanique. L’objectif de cette évaluation étant de poser les indications d’épreuve utérine et celles de césarienne itérative afin d’éviter au mieux les césariennes en urgence au cours Médecine et Santé Tropicales, Vol. 24, N8 4 - octobre-novembre-décembre 2014 413 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 04/06/2017. M.É. F. DIÉMÉ, ET AL. desquelles tous les risques opératoires sont majorés, notamment les plaies vésicales et intestinales (1,3 %), le recours à la transfusion sanguine (1 à 3,3 %) et les infections du site opératoire (7,7 à 18,5 %) [6]. Le dépistage de pathologies gravidiques associées, telles que le diabète, était réalisé dans 35,6 % des cas. Ce taux, bien que supérieur à celui retrouvé par Abauleth [19] en Côte d’Ivoire qui était de 21,1 %, doit être amélioré sachant que le diabète gestationnel constitue l’une des principales causes de macrosomie fœtale, et peut majorer les risques de dystocie mécanique et de rupture utérine [9]. Goffinet [5] recommande une césarienne systématique en cas de macrosomie sévère (> 4 500 g) même si le bassin est normal. Le taux de réalisation de l’échographie obstétricale demeure faible (23,1 %), son coût (10 000 à 15 000 FCFA) étant encore hors de portée pour beaucoup de foyers sénégalais. Elle mériterait cependant d’être systématisée, surtout au troisième trimestre, car les renseignements qu’elle fournit sur les mensurations fœtales, la nature de la présentation fœtale, la qualité du segment inférieur et l’insertion du placenta sont des éléments indispensables à la prise de décision pour la voie d’accouchement. Caractéristiques de l’accouchement Le mode d’admission des patientes et la référence tardive sont le reflet de toutes les insuffisances notées dans le suivi prénatal et notamment dans la préparation à l’accouchement de ces gestantes. Dans notre série, le taux d’accouchement par voie basse était de 26 %, bien en deçà de celui rapporté par Sépou [12], qui était de 60,8 %. Aussi notre taux de césarienne (73 %) est-il plus élevé que ceux rapportés par d’autres études africaines [8, 12]. Ainsi, le taux d’accouchement par voie basse mérite d’être amélioré grâce à une meilleure sélection des gestantes pouvant bénéficier d’une épreuve utérine. Pour le Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF) [21], les facteurs de bon pronostic pour la réussite de l’épreuve utérine sont un indice de masse corporel inférieur à 30 kg/m2, un antécédent d’accouchement par voie basse, une indication de la césarienne précédente autre que dystocique, un poids de naissance inférieur à 4 000 g, une mise en travail spontanée et une bonne dilatation cervicale à l’admission ou à la rupture artificielle des membranes. Au contraire, l’âge maternel plus élevé, l’obésité, une pathologie maternelle, un terme dépassé, le déclenchement du travail ou la maturation cervicale sont des facteurs de mauvais pronostic [21]. Implications pronostiques Bien que la mortalité maternelle soit nulle dans notre série, le risque de décès maternel en cas d’accouchement sur utérus cicatriciel serait de 0,013 % en cas de césarienne itérative et de 0,004 % en cas de voie basse [6]. Le taux de rupture utérine en cas de travail spontané se situe entre 0,15 et 5,5 % [1]. Il était de 0,7 % dans notre série. Nos constatations confirment l’importance d’un suivi prénatal de qualité et d’une bonne planification de l’accouchement sur utérus cicatriciel. En effet, tous les cas de rupture utérine étaient survenus chez des patientes évacuées en travail, ayant un utérus unicicatriciel associé à une anomalie du bassin, et étaient donc directement imputables à une mauvaise appréciation du pronostic de l’accouchement au cours du suivi 414 prénatal. Concernant le placenta praevia, sa fréquence était de 0,7 %. Elle est inférieure aux taux retrouvés dans les séries occidentales avec un OR estimé à 2,6 (IC 95 %) [6]. Notre taux est probablement sous-estimé, sachant que seulement 40 % des gestantes ont bénéficié d’une échographie au dernier tiers de la grossesse. Étant donné qu’il constitue un facteur de risque de survenue d’une hémorragie du post-partum (p = 0,004), à l’instar d’autres complications obstétricales comme l’hématome rétroplacentaire (p = 0,006) et la rupture utérine (p = 0,004), son diagnostic échographique devrait être systématique avant d’établir le pronostic de l’accouchement. Le retentissement périnatal de ces complications n’était pas négligeable, la mortinatalité étant de 33 % naissances vivantes dans notre série. Elle était significativement associée à la survenue d’une complication telle que la rupture utérine (OR = 75), l’hématome rétroplacentaire (OR = 125) et la pré-éclampsie (OR = 8,15), découlant d’une mauvaise prise en charge de la grossesse et de l’accouchement. Conclusion La réduction de la morbidité et de la mortalité maternofœtales liées à la cicatrice utérine passe nécessairement par la sensibilisation des gestantes concernées à la régularité aux CPN, à la réalisation d’un bilan prénatal complet et par l’incitation des prestataires à confier ces patientes dès la troisième CPN à l’équipe obstétricale (obstétricien, anesthésisteréanimateur, néonatologue et SFE) qui doit prendre en charge l’accouchement. Il revient à cette équipe de faire une évaluation précise, de décider du mode d’accouchement en accord avec la patiente clairement informée et de mettre en place un mode de surveillance strict en cas de tentative d’accouchement par voie basse. Ceci passe bien entendu par la formation, le recrutement, et une répartition équitable des gynécologues-obstétriciens sur l’étendue du territoire national. Conflits d’intérêt : aucun. Références 1. Deruelle P, Lepage J, Depret S, Clouqueur E. 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Une partie de football sur l’ı̂le de Gorée (Sénégal), avec baobab au milieu du terrain # L Fourcade Médecine et Santé Tropicales, Vol. 24, N8 4 - octobre-novembre-décembre 2014 415