Les personnalités paranoïaques

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DOSSIER THÉMATIQUE
La paranoïa
Les personnalités paranoïaques
Paranoid personality disorders
J.D. Guelfi*
Préambule
*Hôpital Sainte-Anne, Paris.
Les principales classifications internationales des
troubles mentaux isolent ce diagnostic étudié avec
une grande finesse clinique par plusieurs psychiatres
allemands et français du début du xxe siècle. On
en trouvera plusieurs revues générales en langue
française (1-4). Aux personnalités paranoïaques
sont attachés les noms de E. Kraepelin (1921),
K. Schneider (1923), puis M. Montassut en 1924,
auteur de La Constitution paranoïaque, et G. GenilPerrin, en 1926. Mais, quelques dizaines d’années
auparavant, aux relations entre personnalité et délire
ou folie avaient été attachés les noms de précurseurs
comme J. Falret (Des aliénés persécutés, raisonnants
et persécuteurs, 1878), J. Seglas (1895) ou P. Sérieux
et J. Capgras (Les folies raisonnantes. Le délire d’interprétation, 1909). On trouvera la bibliographie de ces
principaux ouvrages dans mon article “La personnalité paranoïaque”(1).
Les descriptions initiales françaises ont surtout mis
l’accent sur quelques traits centraux : la méfiance
vis-à-vis d’autrui, l’hypertrophie du moi et la fausseté du jugement.
Les descriptions allemandes ont plutôt souligné les
investissements privilégiés de ces personnalités et
leurs manifestations comportementales prédominantes (quérulence, agressivité, tendances procédurières).
Depuis l’origine du concept, l’histoire a oscillé
entre un point de vue unitaire (qui prévalait pour
M. Montassut mais aussi pour les auteurs américains
du DSM-III en 1980) et un point de vue pluriel (de
E. Kraepelin et E. Kretschmer à une certaine conception américaine actuelle illustrée par T. Millon et
R.D. Davis, dont l’ouvrage classique sur les troubles
de la personnalité vient d’être réédité [5]).
Dans la littérature psychanalytique, c’est à la suite
des travaux initiaux de S. Freud sur la projection et
le sentiment de persécution et de ceux de S. Ferenczi
et K. Abraham sur la régression que se sont développées les réflexions de J. Bergeret sur la structure
paranoïaque et de J. Lacan, dont les premiers écrits
sur la paranoïa ont débuté en 1931 et dont la thèse :
De la psychose paranoïaque dans ses rapports avec
la personnalité remonte à 1932 (6, 7) [voir l’article
de C. Verney-Kurtz, p. 124].
C’est la jalousie pathologique qui a fait l’objet du plus
grand nombre de publications sur des cas cliniques.
Les études d’ensemble sur la pathologie paranoïaque
sont très rares. M.J. Boschen et J.C. Warner (8) en ont
dénombré 20 entre 1971 et 2005 (contre 1 650 pour
la personnalité borderline !). Les revues générales
publiées en langue française sur la personnalité paranoïaque sont celles de P. Le Bihan et M. Bénézech,
dans l’Encyclopédie médico-chirurgicale en 2010 (2)
et dans le livre sur les troubles de la personnalité
coordonné par J.D. Guelfi et P. Hardy en 2013 (4).
Cette brève mise au point met surtout l’accent sur
quelques études récentes visant à élucider la structure unitaire ou non de cette pathologie, à déterminer les qualités respectives des divers critères
proposés pour son diagnostic et, enfin, à exposer
brièvement quelques considérations thérapeutiques.
Épidémiologie
Les principales études épidémiologiques disponibles
sur la personnalité paranoïaque ont été réalisées
avec des outils standardisés, qu’il s’agisse d’entretiens structurés ou de questionnaires se référant aux
critères diagnostiques de la classification du DSM-IV
le plus souvent. Ces études ont situé la prévalence de
la personnalité paranoïaque entre 0,27 % et 4,4 % de
la population générale selon M.J. Boschen et al. qui
ont analysé la littérature des années 1971-2005 (8).
Les personnalités paranoïaques sont fréquentes dans
des populations de patients psychiatriques suivis
en consultations : 2 à 10 %, plus fréquentes encore
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Résumé
Le cadre diagnostique des personnalités paranoïaques a donné lieu à beaucoup de discussions, certains
en faisant une entité unitaire, et d’autres plurielle. Le présent article propose une revue sur les critères
diagnostiques de la personnalité paranoïaque, tenant compte de l’historique, de l’épidémiologie, de
l’étiopathogénie et des approches thérapeutiques.
chez les patients hospitalisés (9, 10). Elles sont
plus fréquentes chez l’homme que chez la femme
et dans certains groupes minoritaires présentant
des difficultés d’insertion, comme les immigrants et
les malentendants. Les études familiales anciennes
rapportées avaient mis en évidence une plus grande
fréquence de la personnalité paranoïaque chez les
proches des sujets schizophrènes ; elle a même été
considérée comme faisant partie du spectre de la
schizophrénie.
Des études récentes la situent cependant comme
étant plus proche de la psychose paranoïaque ou du
trouble délirant, selon A.G. Cardno et P. McGuffin
en 2006 (11).
Ainsi, le risque de personnalité paranoïaque est significativement plus élevé chez les parents du premier
degré de personnes ayant eu un trouble délirant
(4,8 %) que dans les familles de schizo­p hrènes
(0,8 %), et on dispose aujourd’hui d’arguments pour
avancer que schizophrénie et délire chronique ne
partagent pas la même base génétique.
Critères diagnostiques. Évaluation
et psychométrie
L. Sperry avait proposé en 2003 (10) un tableau qui
faisait une distinction entre le style paranoïaque
de pensée et la personnalité pathologique de type
paranoïaque (tableau). À l’autre extrême de la
pathologie, dans le domaine du délire paranoïaque,
le diagnostic entre personnalité et délire repose prin-
cipalement sur les caractéristiques de la pensée, où
soupçons systématiques et méfiance se distinguent
bien des convictions inébranlables insensibles au
raisonnement d’autrui du délirant paranoïaque. Dans
les cas de diagnostics difficiles, l’entretien avec les
proches peut se montrer utile.
Les critères retenus dans le DSM-IV (9) n’ont pas tous
la même valeur pour le diagnostic, comme certaines
études l’ont établi. Plusieurs analyses statistiques
concernant leur structure ont d’autre part tenté
de répondre à la question centrale : ces critères
témoignent-ils d’une structure unique, fondamentalement distincte de tout autre diagnostic, ou
doivent-ils être considérés comme les reflets d’une
structure dimensionnelle ?
Il semble que les 4 premiers critères isolés dans le
DSM-IV aient une valeur pour le diagnostic plus
importante que les 3 derniers. Le critère n° 1 est
celui qui est considéré comme le plus important,
avec un haut degré de spécificité diagnostique :
“S’attend sans raison suffisante à ce que les autres
l’exploitent, lui nuisent ou le trompent.”
Les critères n° 2 et 4 sont généralement considérés
comme ceux qui ont la meilleure efficience pour le
diagnostic :
▶▶ critère n° 2 : “Doutes non justifiés concernant la
loyauté et la fidélité de ses amis” ;
▶▶ critère n° 4 : “Discerne des significations cachées
humiliantes ou menaçantes dans des commentaires
ou des événements anodins”.
Les autres critères, même s’ils sont régulièrement
relevés chez les personnalités paranoïaques, sont
Mots-clés
Méfiance
Duplicité
Hostilité
Jalousie
Hypertrophie du moi
Summary
Unicity of paranoid personality
disorder is a matter of discussion, grasped as a unique
entity for some authors, but
as a plural one for others. The
present paper reviews the
diagnostic bases of paranoid
personality disorder, as well
as its history, epidemiology,
etiopathogeny and treatment
approaches.
Keywords
Suspiciousness
Deceitfulness
Hostility
Jealousy
Grandiosity
Tableau. Distinction entre le style paranoïaque de pensée et la personnalité pathologique de type paranoïaque.
Style de personnalité
Trouble de la personnalité
Personnalité assurée, confiance dans ses capacités à prendre
des décisions et à se prendre en charge
Réticence à se confier à autrui de peur que l’information
ne soit utilisée contre lui
Observateur attentif d’autrui, conscience fine de nombreux
niveaux de signification possibles des éléments
de l’environnement
Recherche des significations cachées ou des menaces à partir
d’événements ou de remarques bénins : par exemple, un voisin
a sorti ses poubelles tôt exprès pour l’embêter
Prend les critiques avec sérieux sans en être intimidé, privilégie, S’interroge sans motif valable sur la fidélité du conjoint ou
sur l’échelle des valeurs, la loyauté, la fidélité, le travail dur, etc. du partenaire, des amis, des collègues
Attentif dans les tractations avec autrui, préfère bien évaluer
autrui avant de nouer une relation
S’attend sans motif valable à être exploité par autrui et
à en souffrir
Affirmé, parvient à se défendre sans perte de contrôle
et sans agressivité
Facilement prompt à réagir par de la colère ou à contreattaquer
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DOSSIER THÉMATIQUE
La paranoïa
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Les personnalités paranoïaques
moins spécifiques et s’observent dans d’autres
pathologies :
▶▶ critère n° 3 : “Réticence pour se confier à autrui
en raison d’une crainte injustifiée que l’information
soit utilisée de manière perfide contre lui” ;
▶▶ critère n° 5 : “Rancune. Ne pardonne pas d’avoir
été blessé, insulté ou dédaigné” ;
▶▶ critère n° 6 : “Perçoit des attaques contre sa
personne ; prompt à la contre-attaque ou réagit
avec colère” ;
▶▶ critère n° 7 : “Met en doute de façon répétée
et sans justification la fidélité de son conjoint ou
partenaire”.
Ce dernier critère, présent chez moins de 10 % des
sujets, paraît peu spécifique, et certains auteurs
ayant travaillé sur les critères diagnostiques des
troubles de la personnalité l’ont même supprimé
des analyses statistiques effectuées.
Structure de la personnalité
paranoïaque : une catégorie
diagnostique ou deux dimensions ?
Cet ancien problème s’est trouvé remis au goût du
jour du fait de l’emploi de certains types d’analyses
statistiques effectuées sur les critères diagnostiques
de la classification américaine.
Déjà, en 1990, W.J. Livesley et M.L. Schroeder (12)
avaient avancé l’idée, après une analyse factorielle
en composantes principales, qu’il était possible
d’identifier clairement 2 facteurs au sein de la critérologie paranoïaque : le premier facteur comprenant
8 variables, dont la suspicion, la colère, le ressentiment, l’évitement du blâme, le style rigide de
pensée, l’externalisation et l’hypervigilance, et le
deuxième facteur, sous-tendu par l’hypersensibilité,
la réticence pour se dévoiler et la peur d’une blessure
interpersonnelle, variables moins spécifiques.
Plus récemment, l’étude de A. Arnst et al. (13) a
réalisé 3 types distincts d’analyses statistiques
taxométriques sur les critères diagnostiques
de 1 816 patients présentant des personnalités
évitantes, dépendantes, obsessionnelles, dépressives,
paranoïaques et borderline. L’instrument diagnostique retenu dans cette étude était le Structured
Clinical Interview for the Diagnostic of Personality
Disorders de M. First et al. (SCID-2).
Ce type d’analyse statistique, popularisé au cours des
dernières années par N. Haslam, tente de déterminer
si les structures latentes identifiées par l’analyse des
variables sont plutôt de type catégoriel (taxon) ou
plutôt de type dimensionnel (3). Dans cette étude,
sur 78 analyses taxométriques, 76 ont montré que
le modèle dimensionnel rendait mieux compte des
données empiriques que les données catégorielles ;
les 2 dernières analyses donnaient des résultats
ambigus ; aucune, en fait, n’était en faveur d’une
structure taxonique.
E. Falkum et al. (14), dans une étude de 930 patients
suivis en hôpital de jour, ont analysé les critères
diagnostiques de 114 patients répondant aux critères
diagnostiques de la personnalité paranoïaque, en
réalisant une analyse multivariée en composantes
principales et une analyse factorielle confirmatoire
pour tester l’hypothèse de 2 dimensions distinctes.
La première analyse a montré que les 4 premiers
critères du DSM-IV ont des saturations élevées dans
le premier facteur, les items 5, 6 et 7 ayant des saturations beaucoup moins élevées.
Dans la 2e analyse, plusieurs indices sont en faveur de
l’existence de 2 dimensions distinctes : suspicion et
hostilité, les items 2 et 4 étant les plus efficients pour
le diagnostic, l’item 7 étant le moins fréquemment
représenté (9 %) et le moins sensible.
Diagnostic
Plusieurs entretiens semi-structurés peuvent aider
à faire le diagnostic de personnalité paranoïaque.
Ceux qui ont été retenus par P. Le Bihan et M. Bénézech (4) sont le SCID-2, déjà cité, et le Diagnostic
Interview for DSM-IV Personality Disorders, développé
par M. Zanarini. Plusieurs questionnaires de personnalité (3) sont aussi susceptibles d’aider au dépistage
de ce trouble : le Personality Assessment Inventory de
L.C. Morey et al., questionnaire qui comprend une
échelle “paranoïa” de 24 items regroupant 3 souséchelles : vigilance, persécution et ressentiment,
et la deuxième version du MMPI, développée par
J. Butcher, qui comporte une échelle “paranoïa” dont
les notes s’élèvent souvent chez les personnalités
paranoïaques conjointement à celles des échelles
“hystérie” et “hypocondrie” et à l’échelle de validité K.
Le questionnaire de Millon (MCMI) [3], comprend
aussi une échelle “paranoïa” habituellement élevée
chez les personnalités paranoïaques (de même que
les échelles narcissiques, sadiques, et passives-agressives). Le questionnaire des caractéristiques de la
personnalité paranoïaque de Bernstein et Useda, enfin,
n’a été ni validé ni traduit en langue française à ce jour.
Dans certains cas, les tests projectifs de la personnalité
peuvent aussi avoir un intérêt pour le diagnostic (4).
Les études réalisées sur les critères du DSM-IV
devraient permettre d’améliorer la procédure
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DOSSIER THÉMATIQUE
diagnostique de ce type de trouble, dont les manifestations les plus caractéristiques sont au nombre de 4 :
la suspicion, l’évitement des relations intimes avec
autrui, l’hostilité et les croyances inhabituelles.
Étiopathogénie. Perspectives théoriques
Certaines perspectives psychodynamiques récentes
(N. Cameron, K. Colby) ont mis l’accent sur certains
types de vicissitudes précoces qui favoriseraient la
structuration de la personnalité sur un mode paranoïaque : “Carences affectives précoces, situations
d’humiliation ressentie, maltraitance parfois sadique
de la part de l’entourage proche entraîneraient une
attente systématiquement mauvaise et agressive de
la part d’autrui” (3). Selon d’autres auteurs, comme
I. Turkat, c’est au contraire “un surinvestissement de la
part d’un père puissant auquel le paranoïaque est identifié qui serait principalement à l’origine du trouble…
Ces sujets ont généralement été élevés dans un climat
d’agressivité, de critiques et de reproches de la part de
leurs parents et ils s’identifient au parent critique” (3).
En termes de mécanismes de défense du moi contre
l’angoisse, la projection et l’identification projective sont
les défenses de prédilection des sujets paranoïaques.
Les très rares études, anciennes, visant à confirmer les
hypothèses théoriques concernant une problématique
homosexuelle inconsciente ont donné des résultats
inconstants, divergents et non répliqués (15-17).
Perspectives
cognitivocomportementales
Les perspectives cognitivocomportementales ont
principalement été développées par A.T. Beck et al.
en langue anglaise (18), Q. Debray et al. (19, 20), et
J. Cottraux et I. Blackburn (21) en langue française.
De nombreuses distorsions cognitives et schémas
erronés de pensée ont été mis en évidence chez
les sujets paranoïaques. Les principales distorsions
cognitives sont la pensée dichotomique, l’abstraction sélective et la surgénéralisation avec des biais
attentionnels, mémoriels et d’interprétations. Selon
la théorie des schémas inadaptés de J. Young, les
schémas les plus pertinents pour rendre compte
de la personnalité paranoïaque sont les schémas :
défiance/abus, déficience/honte et vulnérabilité (22).
La perspective biosociale. Elle a été développée
aux États-Unis par T. Millon (5). Cet auteur a décrit
plusieurs variantes de troubles paranoïaques selon
certaines prédominances syndromiques : narcis-
siques, antisociales ou compulsives. La variante
narcissique est marquée par la surestimation parentale et par l’indulgence, avec absence du développement du sens des responsabilités et de la coopération
avec autrui.
La variante antisociale est souvent déterminée par
des attitudes parentales hypersévères et comprend
égocentrisme, arrogance et impulsivité.
La variante impulsive, enfin, correspond à un
comportement encore plus inflexible et rigide que
dans le trouble obsessionnel.
Certaines dernières variantes passives-agressives,
malignes, “insulaires” avec traits évitants, seraient
plus rares.
Abords thérapeutiques
Ils sont toujours délicats. Selon W. Meissner (23),
dans une approche psychodynamique individuelle,
l’accent doit être mis sur :
▶▶ La nécessité de tenter d’établir une bonne
alliance thérapeutique, d’être empathique, d’accepter de recevoir les affects négatifs exprimés,
d’essayer de comprendre les perceptions plutôt
que de les argumenter, de contrôler les réactions
contre-transférentielles.
▶▶ L’intérêt de convertir les idées paranoïaques en
affects dépressifs.
▶▶ Le respect de la fragilité du patient et du sentiment de menace qui l’envahit.
Dans les thérapies d’inspiration cognitivocomportementale, on associe généralement les techniques
comportementales, comme la relaxation ou l’assertivité, à des approches cognitives du type restructuration qui visent à développer auto-efficacité et
compétences personnelles. La thérapie des schémas
de J. Young repose sur l’identification des schémas
précoces d’inadaptation et la planification des stratégies et des interventions.
Les psychothérapies de groupe sont généralement
déconseillées. Les traitements médicamenteux
sont parfois utiles pour réduire une recrudescence
anxieuse ou agressive. Il n’existe à ce jour aucune
étude contrôlée publiée d’un traitement psychotrope
dans cette indication. J. Reich (24) avait signalé il y a
une dizaine d’années l’intérêt potentiel de la rispéridone à faible dose et, en cas d’échec, de l’association
avec le divalproate. L. Sperry, enfin, a pu préconiser
l’emploi des inhibiteurs de la recapture de la sérotonine, et particulièrement de la fluoxétine, lorsque
la suspicion et l’irritabilité prédominent (10). ■
Références
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L ’auteur déclare avoir des liens
d’intérêts avec AstraZeneca, BMS,
Otsuka, Lundbeck, Pfizer et Servier.
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