122 | La Lettre du Psychiatre • Vol. IX - no 4-5 - juillet-août-septembre-octobre 2013
Les personnalités paranoïaques
DOSSIER THÉMATIQUE
La paranoïa
moins spécifiques et s’observent dans d’autres
pathologies :
▶critère n° 3 : “Réticence pour se confier à autrui
en raison d’une crainte injustifiée que l’information
soit utilisée de manière perfide contre lui” ;
▶
critère n° 5 : “Rancune. Ne pardonne pas d’avoir
été blessé, insulté ou dédaigné” ;
▶
critère n° 6 : “Perçoit des attaques contre sa
personne ; prompt à la contre-attaque ou réagit
avec colère” ;
▶
critère n° 7 : “Met en doute de façon répétée
et sans justification la fidélité de son conjoint ou
partenaire”.
Ce dernier critère, présent chez moins de 10 % des
sujets, paraît peu spécifique, et certains auteurs
ayant travaillé sur les critères diagnostiques des
troubles de la personnalité l’ont même supprimé
des analyses statistiques effectuées.
Structure de la personnalité
paranoïaque : une catégorie
diagnostique ou deux dimensions ?
Cet ancien problème s’est trouvé remis au goût du
jour du fait de l’emploi de certains types d’analyses
statistiques effectuées sur les critères diagnostiques
de la classification américaine.
Déjà, en 1990, W.J. Livesley et M.L. Schroeder (12)
avaient avancé l’idée, après une analyse factorielle
en composantes principales, qu’il était possible
d’identifier clairement 2 facteurs au sein de la crité-
rologie paranoïaque : le premier facteur comprenant
8 variables, dont la suspicion, la colère, le ressen-
timent, l’évitement du blâme, le style rigide de
pensée, l’externalisation et l’hypervigilance, et le
deuxième facteur, sous-tendu par l’hypersensibilité,
la réticence pour se dévoiler et la peur d’une blessure
interpersonnelle, variables moins spécifiques.
Plus récemment, l’étude de A. Arnst et al. (13) a
réalisé 3 types distincts d’analyses statistiques
taxométriques sur les critères diagnostiques
de 1 816 patients présentant des personnalités
évitantes, dépendantes, obsessionnelles, dépressives,
paranoïaques et borderline. L’instrument diagnos-
tique retenu dans cette étude était le Structured
Clinical Interview for the Diagnostic of Personality
Disorders de M. First et al. (SCID-2).
Ce type d’analyse statistique, popularisé au cours des
dernières années par N. Haslam, tente de déterminer
si les structures latentes identifiées par l’analyse des
variables sont plutôt de type catégoriel (taxon) ou
plutôt de type dimensionnel (3). Dans cette étude,
sur 78 analyses taxométriques, 76 ont montré que
le modèle dimensionnel rendait mieux compte des
données empiriques que les données catégorielles ;
les 2 dernières analyses donnaient des résultats
ambigus ; aucune, en fait, n’était en faveur d’une
structure taxonique.
E. Falkum et al. (14), dans une étude de 930 patients
suivis en hôpital de jour, ont analysé les critères
diagnostiques de 114 patients répondant aux critères
diagnostiques de la personnalité paranoïaque, en
réalisant une analyse multivariée en composantes
principales et une analyse factorielle confirmatoire
pour tester l’hypothèse de 2 dimensions distinctes.
La première analyse a montré que les 4 premiers
critères du DSM-IV ont des saturations élevées dans
le premier facteur, les items 5, 6 et 7 ayant des satu-
rations beaucoup moins élevées.
Dans la 2
e
analyse, plusieurs indices sont en faveur de
l’existence de 2 dimensions distinctes : suspicion et
hostilité, les items 2 et 4 étant les plus efficients pour
le diagnostic, l’item 7 étant le moins fréquemment
représenté (9 %) et le moins sensible.
Diagnostic
Plusieurs entretiens semi-structurés peuvent aider
à faire le diagnostic de personnalité paranoïaque.
Ceux qui ont été retenus par P. Le Bihan et M. Béné-
zech (4) sont le SCID-2, déjà cité, et le Diagnostic
Interview for DSM-IV Personality Disorders, développé
par M. Zanarini. Plusieurs questionnaires de person-
nalité (3) sont aussi susceptibles d’aider au dépistage
de ce trouble : le Personality Assessment Inventory de
L.C. Morey et al., questionnaire qui comprend une
échelle “paranoïa” de 24 items regroupant 3 sous-
échelles : vigilance, persécution et ressentiment,
et la deuxième version du MMPI, développée par
J. Butcher, qui comporte une échelle “paranoïa” dont
les notes s’élèvent souvent chez les personnalités
paranoïaques conjointement à celles des échelles
“hystérie” et “hypocondrie” et à l’échelle de validité K.
Le questionnaire de Millon (MCMI) [3], comprend
aussi une échelle “paranoïa” habituellement élevée
chez les personnalités paranoïaques (de même que
les échelles narcissiques, sadiques, et passives-agres-
sives). Le questionnaire des caractéristiques de la
personnalité paranoïaque de Bernstein et Useda, enfin,
n’a été ni validé ni traduit en langue française à ce jour.
Dans certains cas, les tests projectifs de la personnalité
peuvent aussi avoir un intérêt pour le diagnostic (4).
Les études réalisées sur les critères du DSM-IV
devraient permettre d’améliorer la procédure
1. Guelfi JD. La personnalité para-
noïaque. La revue de Médecine
1979;20:75-85.
2. Le Bihan P, Bénézech M. Person-
nalités paranoïaques. Encycl Med
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3. Guelfi JD, Hanin B. Les personna-
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du DSM-IV. Ann Medico-Psychol
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4. Le Bihan P, Bénézech M. La
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nalités pathologiques. Paris : Lavoi-
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5. Millon T, Davis RD. Disorders of
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1996, 3e ed., 2012.
6. Lacan J. De la psychose para-
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7. Lacan J. Premiers écrits sur la
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8. Boschen MJ, Warner JC. Publica-
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