CLARIS. LA REVUE, 2007, n°3 (avril)
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Le processus de ghettoïsation : éléments d’introduction
Laurent Mucchielli
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A
u terme de plus de vingt ans d’études sur les quartiers populaires et de diagnostics liés à la politique
de la ville, la démonstration n’est plus à faire
1
. Les 751 ZUS, dans lesquelles vivaient 4,7 millions de
personnes au recensement de 1999 (soit 8 % de la population française, et 12 % des Franciliens),
concentrent les situations de précarité et d’exclusion. A tel point qu’il nous semble légitime de parler
d’un processus de ghettoïsation. Certes, il ne s’agit pas de suggérer une comparaison directe entre les ZUS
françaises et les ghettos de certaines grandes villes d’Amérique du Nord ou du Sud
2
. Pour autant, il ne
faudrait pas s’interdire de penser l’existence d’un processus de « séparatisme social » éloignant de plus
en plus les conditions de vie et les destins des différents groupes sociaux
3
. Pour nous, ce processus de
ghettoïsation a deux faces, trop rarement étudiées de concert : l’une objective, relative aux conditions
de vie des habitants et aux difficultés d’insertion socio-économique qui se posent massivement pour la
jeunesse, l’autre subjective, relative aux représentations que les habitants se forgent d’eux-mêmes, des
différents groupes sociaux qui composent la société et de leurs relations.
Les ZUS se caractérisent par une triple concentration 1) des familles nombreuses, voire très
nombreuses, et donc la jeunesse de leur population (les moins de 25 ans peuvent représenter 50 % de
la population sur certains îlots), 2) des milieux populaires à faible revenu et à fort taux de chômage, 3)
des populations étrangères et d’origine étrangère. Ces premiers facteurs peuvent déjà susciter un
sentiment de « différence » par rapport au reste de la société. Ce sentiment peut ensuite s’enraciner de
façon décisive dans le rapport des familles aux institutions et, en premier lieu, à l’école. Faiblement
dotés en capital culturel et scolaire, ayant souvent des difficultés de maîtrise de la langue française, les
parents sont à la fois peu outillés face à la culture de l’institution et très démunis pour assurer le suivi
scolaire des enfants
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. De fait, les problèmes précoces de scolarité, le taux de redoublement, le taux
d’échec scolaire, le poids des orientations vers l’enseignement professionnel et l’absentéisme sont
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Sociologue, chercheur au CNRS. Ce texte est extrait de la nouvelle édition de Quand les banlieues brûlent. Retour sur les
émeutes de novembre 2005 (Paris, La Découverte, mars 2007, sous la direction de L. Mucchielli et V. Le Goaziou).
1
. Voir la synthèse de C. Avenel, Sociologie des « quartiers sensibles », Paris, Armand Colin, 2004 ; ainsi que les rapports de
l’Observatoire national des ZUS (http://www.ville.gouv.fr).
2
L. Wacquant, Parias urbains. Ghetto, banlieues, État, Paris, La Découverte, 2006, p. 145-171.
3
Voir les constats convergents de E. Maurin, Le ghetto français. Enquête sur le séparatisme social, Paris, Seuil, 2004 ; H.
Vieillard-Baron, Des banlieues françaises aux périphéries américaines : du mythe à l’impossible confrontation ?,
Hérodote, 2006, 122, p. 10-24 ; J. Donzelot, Quand la ville se défait, Paris, Seuil, 2006.
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A. Van Zanten, L’école de la périphérie. Scolarité et ségrégation en banlieue, Presses Universitaires de France, 2001 ; M.
Millet, D. Thin, Ruptures scolaires. L’école à l’épreuve de la question sociale, Presses Universitaires de France, 2005.