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Le boson de Higgs, une découverte
scientifique historique
PAR MICHEL DE PRACONTAL
ARTICLE PUBLIÉ LE MERCREDI 4 JUILLET 2012
« I think we have it ! » « Je pense que nous le
tenons! » : le commentaire de Rolf Heuer, directeur
général du Cern (Organisation européenne pour la
recherche nucléaire), est aussi sobre qu’expressif.
Le 4 juillet 2012, près d’un demi-siècle après
que son existence a été pronostiquée par plusieurs
théoriciens, le boson de Higgs, la particule élémentaire
la plus activement recherchée depuis vingt ans
par les physiciens du monde entier, la dernière
pièce manquante du grand Meccano cosmique, est
officiellement entré dans l’histoire.
Fabiola Gionatti, du Cern, annonçant la découverte du boson de Higgs © DR
L’événement s’est produit au Convention Center de
Melbourne, Australie, un séminaire exceptionnel
a rassemblé, dans une atmosphère fiévreuse, 900
physiciens victimes du décalage horaire. A 18 h 34
(heure locale, 10 h 34 à Paris et à Genève, siège du
Cern), un tonnerre d’applaudissements éclate dans la
salle : Fabiola Gionatti, porte-parole de l’équipe Atlas,
l’un des deux groupes du Cern qui ont mis en évidence
le boson de Higgs, vient de montrer un transparent sur
lequel apparaît l’expression : « 5.0 sigma » (voir le
communiqué du Cern).
Synthèse des résultats démontrant la découverte © DR
Cette écriture, équivalent pour les physiciens du
« Sésame ouvre-toi ! » d’Ali Baba, signifie que
l’ensemble des résultats expérimentaux de 2011 et
2012 sont significatifs. Très fortement significatifs: la
probabilité qu'ils ne soient pas un effet du hasard est
de 99,9999426697%!
Autrement dit, concrètement, on peut considérer que
la particule est détectée, avec un signal clairement
au-dessus du bruit de fond : il ne s’agit pas d’une
fluctuation entrant dans la marge d’erreur, mais
de la signature authentique d’un objet physique
prédit par la théorie, mais jamais encore détecté
expérimentalement.
Quelques minutes plus tard, Rolf Heuer confirme une
« étape historique » (« historic milestone »), précisant
qu’une particule nouvelle a été découverte, et que ses
caractéristiques sont compatibles avec la théorie du
boson de Higgs. Puis François Englert et Peter Higgs,
deux des physiciens qui avaient prédit l’existence de
cette particule, commentent la découverte, visiblement
très émus.
L’annonce du Cern conclut une histoire qui a
débuté en 1964, lorsque trois équipes de physiciens
théoriciens ont proposé un mécanisme pour expliquer
un phénomène apparemment banal, à savoir la masse
des particules.
Pourquoi les particules et donc la matière qui
en est constituée ont-elles une masse ? Aussi
surprenant que cela paraisse, la science est incapable,
en 1964, de répondre à cette question simple. A
l’époque, le modèle standard, la théorie qui explique
les phénomènes physiques élémentaires, reconnaît
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quatre forces fondamentales dans l’univers, quatre
types d’interactions entre les particules qui constituent
la matière (pour une explication plus complète, voir
l'onglet Prolonger) :
l’interaction forte, qui assure la cohésion des noyaux
d’atomes ;
l’interaction faible, qui permet à un noyau d’atome
radioactif de se transformer en un noyau plus stable en
émettant un électron ;
l’interaction électromagnétique, qui s’exerce entre
particules chargées et explique, notamment, la lumière
ou le fonctionnement d’un lecteur de CD ;
et enfin, l’interaction gravitationnelle, responsable
de l’attraction réciproque des corps massifs entre eux
(par exemple, de l’attraction exercée par la Terre sur
la Lune ou par le Soleil sur la Terre).
Or, si cette dernière force est celle qui nous paraît
la plus familière, c’est aussi la plus difficile à
comprendre. La théorie de Newton permet de calculer
l’accélération que subit une pomme en train de tomber,
et de déterminer à quelle vitesse elle va nous atterrir
sur le crâne. Mais elle ne dit pas pourquoi, au fond, les
pommes tombent.
Un mécanisme pour expliquer la masse des
particules
Un premier degré d’explication réside dans le fait
que la matière qui constitue les objets ordinaires est
formée de particules qui, elles, ont une masse. Ces
particules sont des protons et des neutrons, qui forment
les noyaux d’atomes, et qui sont eux-mêmes formés de
quarks et de gluons. Autour des noyaux orbitent des
électrons.
Schéma de l'expérience CMS du Cern © DR
Toutes ces particules ont une masse. Si elles n’en
avaient pas, il n’y aurait ni atomes, ni chimie,
ni biologie, ni êtres humains et encore moins
de physiciens pour décrire le fonctionnement des
particules !
Mais si le modèle standard expliquait, dès les années
1960, la raison d’être des interactions forte, faible et
électromagnétique, il était impuissant à rendre compte
de la masse.
C’est qu’entre en scène le boson de Higgs. Précisons
que selon le modèle standard, il existe deux grandes
familles de particules, les bosons et les fermions. Un
boson est une particule dont le comportement obéit à
une loi statistique formulée par les physiciens Bose
et Einstein ; c’est le cas des photons et des gluons,
et bien sûr du boson de Higgs. Les fermions, eux,
obéissent à la statistique de Fermi, et leurs principaux
représentants sont les quarks et les électrons, ainsi que
les protons et les neutrons.
Pour en revenir à la masse, un mécanisme
hypothétique pour l’expliquer est proposé en 1964
de manière indépendante par plusieurs physiciens :
l’Ecossais Peter Higgs; les Belges François Englert
et Robert Brout; et l'équipe des Américains Gerald
Guralnik et Carl Hagen et du Britannique Thomas
Kibble.
Ce mécanisme ne peut être décrit rigoureusement que
par des équations mathématiques, mais on peut en
donner une idée générale par une image : supposons
que les particules n’aient pas de masse au départ,
mais qu’on les fasse traverser un milieu visqueux, une
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sorte de mélasse qui les ralentisse ; leur mouvement
sera alors freiné ; or, freiner le mouvement, c’est
exactement ce que fait la masse.
Simulation de la détection d'un boson de Higgs au LHC © Lucas Taylor/Cern
Cette dernière serait donc le résultat du passage
des particules dans la mélasse. En termes plus
scientifiques, la mélasse en question résulte du champ
produit par les bosons de Higgs. Ou, pour le dire
autrement, les particules acquièrent une masse en
interagissant avec les bosons de Higgs (on trouvera
une description plus détaillée de la métaphore de la
mélasse ici).
Mais ce mécanisme n’était qu’une hypothèse
théorique jusqu’à l’annonce de Melbourne. La traque
expérimentale du boson de Higgs a commencé en
1989, au Cern, dans un anneau de collision appelé
LEP (Large electron positron collider). Parallèlement,
un autre laboratoire, américain celui-là, le Fermilab
installé près de Chicago, était aussi sur la piste du
fameux boson.
Mais ni le Fermilab ni le LEP n’ont pu mettre en
évidence cette insaisissable particule. En 2000, le LEP
a été fermé pour laisser la place à un dispositif plus
puissant, le LHC (Large hadron collider), inauguré le
21 octobre 2008.
Depuis, la chasse au boson de Higgs a été l’une
des tâches principales des équipes du Cern. Lors
du séminaire du 4 juillet 2012, deux équipes,
associées aux expériences Atlas et CMS, ont présenté
la somme de leurs résultats obtenus en 2011 et
2012. Chacune des deux expériences fait appel à
la collaboration de plus de 3000 chercheurs d'une
quarantaine de pays! Pour les physiciens, les résultats
accumulés constituent une confirmation indiscutable
du mécanisme de Higgs.
Il n’est donc guère étonnant qu’une « standing
ovation » ait accompagné la déclaration de Rolf Heuer,
le directeur du Cern : « Nous avons observé une
particule compatible avec le boson de Higgs. » Mais
on ne connaît encore presque rien de cette particule. Il
reste à l’étudier en détail. La physique entre dans une
nouvelle ère.
Lire sous l'onglet "Prolonger" nos explications:
Forces et particules : le grand Meccano cosmique
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