Revue belge de numismatique et de sigillographie

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REVUE BELGE
DE
NUMISMATIQUE,
MM.
LE V'^ B. DE
JONCHE,
le C'< Th. de
LIMBURG-STIRUM
et A. de
CINQUANTE-TROISIÈME ANNÉE.
BRUXELLES,
J.
GOEMAERE, IMPRIMEUR DU ROI,
^ue de la Limite, 21.
1897
WITÏE.
3io
PIERRE LORTHIOR
GRAVEUR DES MÉDAILLES DU
ROI
NÉ A LILLE EN 1733
Ilyavin^tans, M. A. Chabouillet, conservateur
des médailles à la Bibliothèque nationale, ayant
Musée confié à ses soins et dans
Monnaie de Paris, plusieurs œuvres de
remarqué, dans
celui de la
le
mérite signées Lorthior, jugea convenable d'attirer l'attention des
amateurs sur cet
artiste trop
négligé, selon lui, par les historiographes.
Il
proposa à son collègue du quai Conti, M. Cai-
gnard, d'entreprendre ensemble une notice bio-
graphique
dont
il
et la description
y avait
des œuvres du graveur
lieu de tirer le
nom
d'un oubli
regrettable.
On
savait Lorthior originaire de
indication
Musée de
spéciale
la
décida
Monnaie à
le
Lille.
Une
conservateur
s'adresser à
du
M. Desrous-
seaux, conseiller général et notaire à Lille, connu
comme
possesseur de clichés de Lorthior, en
demandant
les
qu'il pourrait
Mais
M
.
donner avec
biographiques
certitude.
Desrousseaux
louangeuse pour
avec
renseignements
lui
l'artiste,
la famille et déclara
,
dans
une réponse
expliqua ses relations
que
Lorthiior, décédée à Paris, où
la
il
dame Eugénie
l'avait
connue
3ii
étant jeune, lui avait légué les clichés dont elle
avait hérité de son frère.
Or, les recherches à l'état-civil de Lille n'ont
fait
retrouver aucun frère d'Eugénie Lorthioir.
donc chercher une autre
Il
piste ou surseoir
M. Caignard.
A la même époque, M. Desrousseaux, qui lui
avait offert communication sur place de ses clifallait
c'est ce
que
me
chés,
;
fit
laissa prendre copie des légendes des
sujets exposés
dans son cabinet.
Mais parmi ces clichés disposés dans un cadre,
plusieurs portaient la signature de divers graveurs
ou se rapportaient à des souvenirs historiques
d'une époque antérieure à l'existence possible de
l'artiste
en question.
Plus tard, M. Guifîrey, un des rédacteurs de la
Revue
de l'Art français
publier un
(i),
eut l'occasion
de
mémoire de Lorthior à l'Assemblée
nationale au sujet de la fabrication des assignats.
Une
sujet
un peu sévère de l'écrivain au
du graveur donna lieu, à un défenseur de son
talent,
allusion
de livrer quelques renseignements biogra-
phiques que M. Guiffrey s'empressa courtoisement
de publier dans la Revue.
Puis l'acquisition d'un cadre des clichés, ajouté
à la découverte de quelques documents,
me
fit
reprendre, aux archives de la Ville, des recherches
qui aboutirent à la reconstitution de la généalogie
(i)
Actuellement directeur de
la
Manufacture des Gobelins
3l2
de la famille.
Il
en résultait que l'aîné des cinq
enfants de Michel Lorthioir, Pierre, né en 1733,
était
devenu
à Paris, et qu'il avait
l'artiste résidant
volontairement changé l'orthographe du nom.
Cette anomalie s'explique à la lecture de quel-
ques lignes de M""^ Geoffrin,
du
la célèbre
bourgeoise
siècle dernier, qui tenait, avec éclat,
salons les mieux fréquentés de Paris
pondance avec
le roi
(i).
un des
Sa corres-
de Pologne, Stanislas Ponia-
towski, qui, pendant son séjour en France, avait
recherché sa société et ses conseils
avènement
elle était
qu'à son
et
allée visiter à Varsovie, fait
nettement connaître son opinion sur l'ambitieux
artiste
:
»
Ce Lorthior est jeune, dit-elle (2); il a de l'esprit, une très mauvaise tête, un peu libertin,
»
habile de son art, petit-maître, courant sans cesse
»
les rues
»
tous les avantages et honneurs dont
»
comblé à Varsovie. »
Notons que le cabaretier
«
thioir,
en cabriolet.
Il
s'est échauffé la tête sur
lillois
il
Michel Lor-
préoccupé de l'avenir de ses enfants,
efforcé de leur procurer
serait
s'était
une situation sérieuse
et
honorable. Pressentant les heureuses dispositions
envoyé à Paris pour y étudier
la gravure sur pierres fines et sur acier; le second
exerça à Lille la profession de marchand brodeur
de l'aîné,
(j^
Madame
il
l'avait
Geofl'rin recevait les artistes à ses dîners
gens de lettres à ceux du mercredi.
(2)
11
avait alors trente-trois ans.
du lundi
et les
3i3
et le troisième, placé
dans l'administration
bord commis-greffier de
la
grand monde,
fut d'a-
Gouvernance de
L'éducation indépendante du
hautes relations qu'il
,
s'était
graveur
Lille.
et
les
ménagées dans
le
en dix ans de pratique de son art,
donnent une certaine créance à l'appréciation de
M'"'*
Geoffrin.
En
le
fait,
graveur
était l'oncle et
dame Eugénie.
Né en iy33, il avait
non
le frère
de la
23 ans quand
jeton pour l'intendant de Flandre,
Caumartin
il
;
il
grava un
Le Fèvre de
une médaille du mariage du
fit
dauphin, à l'âge de 3y ans, celle de Louis XVI, Roi
Très-Chrétien, à 43 ans, et reçut à 44 ans
graveur du
nale
le
roi.
Son mémoire à l'Assemblée
montre à
bas-relief,
Malgré
prénom,
l'âge de 5y ans et
gravé en i8o5,
le
le titre
le reporte
de
natio-
son dernier
à 72 ans.
mutisme obstinément gardé sur son
des œuvres signées et datées in-
la série
dique Videntité de
l'artiste qui,
durant plus d'un
demi-siècle, a doté son pays de souvenirs dignes
de l'époque élégante qu'il a dépeinte, par la souplesse d'un burin apprécié des connaisseurs. Cette
identité de talent
dans la variété du
travail, attestée
par des preuves probables, donnait à nos conclusions sur sa naissance et la composition de sa
un caractère d'authenticité difficilement
contestable, lorsque enfin une preuve probante
est venue dissiper le léger nuage qui pouvait
famille,
encore laisser admettre
le
doute des incrédules.
3i4
Un
récemment mis à jour a
nombreux témoignages avaient
néanmoins laissé dans la pénombre le graveur
mortuaire
acte
dévoilé ce que de
:
avait reçu le
prénom de
Pierre,
cordait avec la naissance du
fils
et
son âge s'ac-
aîné de Michel
Lorthioir, dont la généalogie se trouve complétée
par une similitude parfaite avec
de
les registres
l'état-civil.
Le talent de Lorthior s'est affirmé dans plusieurs
genres de productions. Le plus répandu est celui
dont nous avons
réclamait dans
au public
l'
était
Salle neuve
du
le
plus d'exemples et dont
Almanach des
Artistes.
conçu en ces termes
:
il
se
Son appel
Lorthior,
Palais, grave supérieurement le
cachet, c'est un des meilleurs graveurs de son
genre.
Quand
il
se prévalut de
veur des médailles du Roi,
d'ajouter
:
il
son
de main de
maître
il
dans
la
tirait ses
de gra-
ne manquait pas
graveur de cachets, genre
armoiries et d'où
titre
qu'il traitait
reproduction des
plus clairs ^jioyens
d'existence.
Les jetons, pièces analogues aux cachets,
médailles et
les
les sceaux mettent en évidence la
faveur dont l'artiste a joui dans la haute société
et
à la cour. Ces travaux, généralement pourvus
d'une date, permettent aussi de
longue
et
le
suivre dans sa
laborieuse carrière.
Le plus ancien jeton
d'un gentihomme dont
daté reproduit les armes
il
sut,
comme
Lillois de
naissance, se faire un protecteur naturel, l'Inten-
.
3i5
dant de Flandre
et d'Artois,
Le Fèvre de Cau-
martin, autorisé par sa situation à résider alter-
nativement à Lille
En
1761, le
couronne,
la
Paris (i756).
et à
héritier présomptif de
duc de Berry,
demanda un jeton à
lui
Son exemple
fut suivi
par
ses armes.
duc de Choiseul,
le
ministre de la guerre et de la marine, et par son
commandeur
collègue Phelipeaux,
XV et
des ordres de Louis
Le
roi
et chancelier
chancelier de la reine.
lui-même confia à Lorthior la gravure d'un
jeton de l'Académie de la Marine, où la tête est
remarquable par
les détails
du modelé.
L'année 1770 vit paraître plusieurs œuvres la
médaille du mariage du Dauphin avec la gracieuse
:
Marie- Antoinette,
le
jeton de jeu et un sceau de
cette princesse, ainsi
de la
Conn établie
et
qu'un sceau emblématique
Maréchaussée de France.
Les grands sceaux confiés au burin de Lorthior
manifestent la faveur dont
Deux princes du sang,
le
il
jouissait à la Cour.
jeune comte d'Artois
plus tard le duc d'Orléans,
et
Philippe-Egalité, se
firent représenter sur les derniers
sceaux équestres
qui parurent en France.
Dans
fut celle
une commande importante
l'intervalle,
du sceau de
de numismatique
et
la reine, publié
dans
le Trésor
de glyptique, parmi les sceaux
des rois et reines de France.
Il
représente, assise
sur son trône, Marie-Antoinette à qui un ange,
porté sur un nuage, présente un cartouche aux
armes réunies de France
et d'Autriche.
3i6
Le rang honorable occupé par
le
Trésor de numismatique,
cette
œuvre dans
la part prise par
Lor-
mémoire
thior à la création des assignats,
adressé à l'Assemblée nationale par un artiste
et le
d'une compétence indéniable, malgré l'opposition
qu'il
fit
Commission aux idées émises par
joints au jugement de M""^ Geoffrin,
dans
Lavoisier,
la
comme
reconnu
sévère par
le
célèbre anglais
Horace Walpole, justifient l'intérêt qu'il y avait,
pour nos contemporains, à reconstituer l'ensemble
de ses productions.
Parmi
ses jetons, soit à pans, soit ronds,
on peut
signaler les suivants, que cette lecture en séance
ne permet pas de décrire
:
la Caisse
d'Escompte
de Paris, la façade des Beaux-Arts,
wallonne
Louis, la Garde de
Lyon
la
Flandre
de l'Ordre de Saint-
et la réorganisation
Vétérance des ser-
et la
Maison philanthropique de Paris et celle
de Versailles, les deux archiducs d'Autriche,
frères de la Reine, venus à Paris en 1786, les
gents, la
ministres de Calonne et de Vergennes, celui-ci
représenté sur une grande médaille au burin délicat, le colonel
de Beaupréau et
James Harris, Louvenie,
le
la
prince Saint-Mauris de
femme Thaïs de
le
plénipotentiaire
duchesse d'Aumont
Montbarey avec sa
Mailly-Nesles.
L'année i8g6 vient de donner
l'evStampille à la
gloire du graveur que nous célébrons.
être offerts à la tzarine
Parmi
les
Monnaie de Paris,
Fœderowna, comme
jetons refrappés sur or à la
pour
et
3,7
une collection des plus beaux types, frappés au
siècle dernier, dans la maison que l'empereur et
l'impératrice honoraient de leur visite, figurent
trois pièces signées de
perle de
l'écrin, le
Lorthior
et
notamment
la
gracieux sujet de la duchesse
d'Aumont, qui mériterait à Lorthior le surnom de
Boucher de
la
gravure.
Viennent ensuite quelques types de monnaie,
une médaille au buste du
roi, offerte
neurs de Bordeaux, un jeton pour
vois, quelques cachets,
un
le
ex-libris.
par les
raffi-
théâtre
Lou-
Enfin, quatre
bas-reliefs, intitulés Séduction, Repentir,
Récom-
pense-Punition ti Prudence- Succl'S, dernières œuvres
exécutées par
l'artiste
après la Révolution, accu-
sent une tendance finale vers l'école de David
d'Angers. L'ensemble de l'œuvre de Lorthior a
fait ressortir la richesse
d'une imagination toujours
en travail et la souplesse d'un talent qui sut se
aux transformations successives de
plier
l'art
au
xviii^ siècle.
Les graveurs Du vivier, Dupré, Gatteaux
tres
et d'au-
ont eu des panégyristes; Lorthior ne doit
plus rester en oubli.
Paris voit se dissiper l'obscurité qui enveloppait le
nom
le talent
ajoutera la
a
donné
d'un artiste longtemps méconnu, dont
s'est
le
exercé dans son sein, et Lille peut
liste
hommes illustres auxquels
nom de Pierre Lorthior.
des
jour, le
Ed. Van Hende.
il
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