Travaux de science politique
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éprouvaient parfois plus de peine à obtenir des permis de travail pour engager des
travailleurs étrangers qualifiés, dans la mesure où le nombre global de permis était
contingenté :
« Alors qu’on a toutes les peines du monde à obtenir un permis pour faire venir un
analyste financier de New York, par exemple, de nombreux saisonniers voient leur
statut être stabilisé automatiquement dès lors qu’ils ont « tiré leur temps », si on ose
dire. Est-ce rationnel et est-ce dans l’intérêt du pays tout entier ? » (Lambelet 1993:
157).
Cette configuration particulière de la politique migratoire peut selon nous être reliée
au fort dualisme de l’économie suisse et au compromis entre représentants des différents
intérêts qui en découlait. Jusqu'aux années 90, le « modèle politico-économique » suisse
se caractérisait ainsi par un compromis entre les représentants des deux pans de
l’économie : secteurs domestiques protégés d’une part, secteurs exportateurs compétitifs
d’autre part. Le modèle « corporatiste libéral » d’après-guerre était fondé sur une
combinaison d’ouverture économique, nécessaire à l’expansion des industries
d’exportations, et sur la mise en place de mesures de compensation favorables aux
secteurs domestiques de l’économie : subventions, protections de natures diverses,
tolérance envers les pratiques concertées cloisonnant le marché suisse (Bonoli et Mach
2000). La politique d'immigration peut être interprétée comme relevant de ce type
d’arrangements, et profitait largement aux secteurs protégés (construction, tourisme,
agriculture), leur assurant un mode de subvention indirecte sur les salaires via une main
d'œuvre abondante et bon marché.
Alors que la Suisse n’avait été jusque-là touchée que de manière marginale par les
turbulences économiques internationales (le chômage est resté un phénomène peu
important au cours des années 1970, en raison notamment du départ de nombreux
étrangers), la dynamique de globalisation l’affectera de manière beaucoup plus marquée
au cours des années 1990. On observera ainsi l’accroissement des pressions qui
s’exerceront sur la politique et l’économie suisse en vue de leur « adaptation » à un
environnement externe de plus en plus soumis à la concurrence entre entreprises et entre
places économiques nationales.
Avec les accords du GATT (Uruguay Round) et le rapprochement commercial avec
l'UE, la position des secteurs internationalisés se voit renforcée et les tensions entre
secteurs se font plus vives. Le processus de libéralisation des échanges, s'il ouvre de
nouvelles perspectives pour l'expansion des secteurs internationalisés de l'économie,
constitue également une menace pour les secteurs protégés. D’autre part, la crise
économique, l’augmentation du chômage et la détérioration des finances publiques
rendent moins supportables les charges occasionnées par les mesures de compensation.
Une frange importante et influente du patronat, ainsi que des économistes, plaident
de manière très affirmée pour une remise en cause des avantages octroyés aux secteurs
protégés. Ces avantages ne profiteraient qu'à une catégorie restreinte d'acteurs, et
prétériteraient les secteurs tournés vers l'exportation, portant atteinte à leur compétitivité