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tracée par les mauvais. L’Histoire est ainsi exemplaire et est source de savoir, et le
lecteur doit, grâce à son entendement, comprendre le récit du passé et le garder
en mémoire ; ainsi, par sa volonté, il saura agir droitement
11
. La figure royale, premier
destinataire de l’Historia de rebus Hispaniae, devra donc prendre exemple sur les
bons rois qui ont construit l’Hispanie wisigothique.
Par ailleurs, le Tolédan assimile son ouvrage à la Bible. En effet, de même que
sans les Évangiles, la vie et les miracles salutaires du Christ seraient restés dans l’oubli,
de même l’origine des habitants de l’Hispanie demeurerait inconnue sans l’œuvre
de l’archevêque. Puisque les Arabes ont détruit et la « patrie » wisigothique et les
écrits du passé, il incombe d’une part aux rois chrétiens de restaurer ce royaume et
d’autre part au Tolédan de se faire le restaurateur du passé à travers son discours
historiographique
12
– la patrie et l’écriture sont mises sur le même plan, sujet du
même verbe « perire ». L’Historia de rebus Hispaniae en elle-même est donc une
mise en abîme du projet idéologique de Rodrigue de Tolède.
Celui-ci se propose de rapporter, je le répète, l’histoire de l’Hispanie depuis ses
origines bibliques jusqu’à l’époque du « très glorieux roi Ferdinand III »
13
. Le Tolédan
11
DRH, prologue, p. 5-6, l. 28-40 : « Verum quia humana studia multipharie uariantur, pari
prouidencia et eodem studio sollicitudo diligens eorumdem descripsit acta sapiencium et
stultorum, fidelium et ethnicorum, uirtutes catholicas et politicas, iura canonica et ciuilia, ut
per hec mundi cursus in suo ordine dirigatur ; gesta etiam principum, quorum aliquos ignauia
fecit uiles, alios sapiencia, strenuitas, largitas et iusticia futuris seculis comendauit, ut quanta sit
differencia utrorumque exitu comprobetur, et discant posteri bonorum exemplis inniti et a
malorum semitis declinare, quia etsi ad tempus bonorum uideatur Dominus obliuisci, in fine
misericordiam non abscidet, et si ad tempus etiam impii prosperentur, tolluntur in altum, ut
lapsu corruant grauiori », « Mais comme les goûts des hommes varient de bien des façons,
leur souci attentif rapporta avec la même prévoyance et la même ardeur les actes des
sages et des idiots, ceux des fidèles et des païens, les vertus catholiques et politiques, les lois
canoniques et civiles, afin que, grâce à cela, le cours du monde se poursuive selon son
ordre ; et il en va de même pour les hauts faits des princes : parmi ces princes, quelques-uns
devinrent vils à cause de leur paresse, quant à certains autres, la sagesse, la force, la
générosité et la justice les a consacrés pour les siècles à venir, afin que soit prouvée la
grande différence de la fin de chacun d’eux et afin que leurs descendants apprennent à
s’appuyer sur les bons exemples et à éviter les sentiers des mauvais. En effet, s’il apparaît que
le Seigneur oublie momentanément les bons, au final, Il ne leur ôte pas Sa miséricorde. Et de
même, si les impies obtiennent momentanément un succès, ils sont élevés dans les hauteurs
afin qu’ils courent vers une chute plus violente ».
12
Cf. DRH, prologue, p. 6, l. 63-65 : « Tempore enim uastationis Arabum scripta et libri cum
pereunte patria perierunt, nisi quod pauca deligencium custodia euaserunt », « En effet, à
l’époque des dévastations des Arabes, les écrits et les livres périrent lorsque périt la patrie,
excepté quelques ouvrages qui furent sauvés grâce au soin de quelques hommes attentifs ».
13
DRH, prologue, p. 7, l. 72-75 : « […] a tempore Iaphet Noe filii usque ad tempus vestrum,
gloriosissime rex Fernande, ad historiam Hispanie contexendam, quam sollicite postulastis,