HISTOIRE DE JULES CÉSAR » DE NAPOLÉON III d`aprè

UNE PAGE IMPORTANTE
DE L'ARCHÉOLOGIE FRANÇAISE :
LA PRÉPARATION
DE L' « HISTOIRE DE JULES CÉSAR »
DE NAPOLÉON III
d'après des documents découverts récemment
par M. Joël Li-: GALL
L' « Histoire, de Jules César » de l'Empereur Napoléon III a
paru en 1865 et en 1866 en deux éditions, l'une in-folio avec cartes
en couleurs réalisée par l'Imprimerie Impériale, l'antre in-quarto
avec atlas in-folio en noir publiée par la maison Pion ; elle est
restée inachevée car l'auteur avait prévu un troisième tome consacré
aux Guerres Civiles qui ont opposé César à ses adversaires romains
après la conquête des Très
Galliae,
mais il a renoncé à le rédiger :
le Colonel Stolïel y suppléa en publiant en 1885 une « Histoire de
Jules César, Guerres Civiles
»
qui a des caractères assez différents.
La préparation de l'ouvrage a entraîné autour d'Alésia des fouilles
exécutées de 1861 à 1865 ; depuis 1949
*
beaucoup de plans, de
coupes et de rapports élaborés pour elles 2 ont été retrouvés, mais
nous ignorions, jusqu'à présent, à. peu près tout des autres travaux
préparatoires et des conditions dans lesquelles l'ouvrage avait
été rédigé 8, si bien qu'on croyait que toutes les autres archives
de l'œuvre avaient péri dans l'incendie du château de Saint-Cloud
pendant le siège de Paris (28 janvier 1871) ou dans celui du palais
des Tuileries durant la Commune (mai 1871), mais de nouvelles
1. Abbé T..
JOVIONOT
: Documents inédits sur les fouilles de 1861-1865 à
Alise, XX" Congrès A.U.S.S., 23-26 juin 1049, Seniur-en-Auxois, p. 80 ; Abbé
J.
JOI.Y
: un plan inédit des recherches laites par Stolïel devant Alésia sous
le Second Empire,
C.Ii.A.l.,
1956, p. 144-147.
2.
La Direction des fouilles d'Alésia prépare la publication de ces documents
mais le relevé Soury (v. infra) indique t[ue plusieurs autres se trouvaient
encore aux Tuileries le 4 septembre 1870.
;i.
Le seul témoignage était celui de Froehner, érudlt badois devenu lecteur
d'allemand de Napoléon III' (Fr.
CUMONT, «
Un collaborateur de Napoléon III :
W. Froehner », liev. des Deux Mondes, 1" avril 1931, p. 569-596) ; il faut lui
ajouter quelques indications éparses dans l'Histoire de Jules César elle-même
et dans les publications ultérieures de Stotïel.
144
,)OEL LE 0A1.L
découvertes viennent d'apporter
une
vive lumière
sur ce
chapitre
trop obscur
de
l'historiographie française
au
xixe siècle.
Les planches
de
l'Histoire
de
Jules César portent
la
signature
des graveurs
4,
mais
ces
artistes avaient travaillé
à
partir
de ma-
quettes dont
ils
n'étaient
pas les
auteurs.
Nul
n'avait jamais
entendu parler
de
Raymond Chabaud, dessinateur
au
Dépôt
de
la Guerre dont
les
archives personnelles
ont été
mises
à ma
dispo-
sition
par son
arrière-petit-fils
:
c'est Raymond Chabaud5
qui
avait exécuté
ces
maquettes 8,
ses
archives comportent
des
cartes
qu'il avait conservées parce qu'on
lui
avait demandé ensuite
des
rectifications, quelques calques
et
quelques documents écrits.
Eugène Stoffel, capitaine d'artillerie, s'étant fait connaître
par
une remarquable étude
sur le
siège d'Alésia antérieure
aux
fouilles
7,
Napoléon
III
l'avait pris comme oflicier d'ordonnance
et
Stoll'el
était devenu
son
principal collaborateur archéologique.
On
sait
qu'il
a
dirigé
les
fouilles d'Alésia
de
septembre
1862
à
leur terme
à
la fin de
1865
et
qu'en
1866
l'Empereur l'envoya comme attaché
militaire
à
Berlin.
Il
était issu d'une famille d'ofliciers suisses
d'Arbon,
en
Thurgovie
qui
avaient servi d'abord
en
Espagne
puis
en
France sous Napoléon
Ier et
finalement l'oncle
et le
père
d'Eugène Stoflel avaient été les organisateurs de
la
Légion Étrangère
au début
du
règne
de
Louis-Philippe.
Un
érudit d'Arbon, étudiant
les carrières
de ces
Stofîel,
M.
Schâdler
8,
a été
ainsi conduit
à
découvrir
un
rapport publié
ati
Journal Officiel
de la
République
Française
du 11
novembre
1870 qui
avait échappé
à
tous
les
archéologues
: il
s'agit
du
rapport, très élogieux, établi
par un
jeune
archiviste, Jules Soury,
qui
avait
été
chargé
de
faire
le
relevé
des
documents préparatoires
à 1' «
Histoire
de
Jules César
»
trouvés
aux Tuileries après
le
4 septembre
;
Soury avait conclu
en
proposant
de les transporter
au
Département des Manuscrits
de la
Bibliothèque
Nationale
auquel
il
était attaché
: ils ne s'y
trouvent
pas
mais
ce
Département conserve
le
relevé établi
par
Soury
sur
deux
minces cahiers
; ce
relevé comporte
494
numéros, correspondant
à
un
nombre bien plus considérable
de
documents
car un
numéro
en regroupe assez souvent plusieurs. Soury
n'a pas pu
identifier
tous
les
auteurs, pourtant
il l'a
fait pour
246,
parce qu'ils avaient
4.
Erharil Schieblé, sauf trois exceptions.
5.
Ray moud Chabaud est mort en 1864.
6. Lus maquettes paraissent avoir été dessinées en utilisant des cartes
déjà éditées par le Dépôt de la Guerre.
7.
Capitaine E,
STOFFEL,
Étude sur l'emplacement d'Atésia, Paris, Imprimerie
rinpérlalo,
1862.
8.
Le
travail
de M.
Schadler
est
encore inédit.
HISTOIRE DE JULES CESAR 145
signé on perce qu'il a reconnu leur écriture. Vingt-huit de ces
auteurs étaient des étrangers, allemands surtout ; parmi les Français
les plus connus, on relève l'archiviste A'fred Maury, bibliothécaire
de l'Empereur, l'épigraphiste Léon Renier, Léon Hexizey, Georges
Perrot et Paul Foucart membres de l'École d'Athènes, des généraux
Creuly, Frossard des ofliciers d'armes et de grades divers
dont quelques-uns étaient olliciers d'ordonnance de l'Empereur
te!s Stolïel, Verchère de Refîye, de Locqueyssie et un très
grajid nombre de chercheurs locaux. Sans avoir participé aux
recherches, mais ayant eu à intervenir à des titres divers, on trouve
aussi quelques personnages de l'entourage impérial, comme le.
Maréchal Vail'ajvt on Mérimée ; certaines notes étaient de la main
de Napoléon lui-même ; il s'était efforcé de se renseigner de façon
approfondie sur l'histoire et les institutions de Rome à cet
égard, le rôle de Maury avait été prépondérant et les recherches
qu'il avait fait faire sur le terrain reconnaissances et parfois
fouilles avaient concerné toutes les contrées du bassin médi-
terranéen : Rome et l'Italie", la Macédoine et la Grèce, l'Asie
Mineure 10, Alexandrie, la Tunisie u, l'A.lgérie 12, l'Espagne et le
Portugal ; celles concernant la Guerre des Gaules avaient été
naturellement les plus importantes.
Pour montrer ce qu'apportent les archives Chabaud et le relevé
Soury, je prends le cas de la première campagne de César en Gaule
en 58 av. J.-C, d'abord contre les Helvètes qui avaient voulu
quitter leurs pays pour aller s'installer près de l'Atlantique chez
les Santons, ensuite contre le roi germain Arioviste qui s'apprêtait
à conquérir le pays des Séquanes. Le relevé de Soury indique
qu'une trentaine d'études concernaient cette campagne, de même
qu'un grand nombre des papiers Chabaud. Le De Bello Gallico
ne fournissait que trois points de repère :
Gencwa,
alors ville de
la Narbonnaise dont César avait fait rompre le pont pour empêcher
les Helvètes de passer par cette province, Bibracte, principal
i).
A Honii1, Napoléon Ifr avait acheté les jardins Farlièse sur le Palatin,
probablement en vue île les faire fouiller. Il faut signaler aussi les fouilles
exécutées à Blindes par le Commandant de Locqueyssie pour retrouver les
travaux d'investissement que César avait fait exécuter autour de la ville dans
l'espoir d'y prendre Pompée au piège.
10.
Napoléon a eu ainsi connaissance de la fameuse inscription d'Aneyre
(= Ankara), c'est-à-dire du « testament d'Auguste » grâce à la copie et à la
traduction faites par G. Perrot.
11.
Napoléon a fait publier le travail de recherche effectué par l'Ingénieur
Daux, qui a commis d'énormes bévues, mais dont le travail conserve une
certaine valeur comme témoignage de l'étal des ruines.
12.
C'est Napoléon qui a fait les premières recherches au Tombeau de la
Chrétienne.
146 JOËL LE GALL
oppidum des Eduens à quelque distance duquel César les avait
écrasés,
Vesontio,
principal oppidum des Séquanes. L'identification
de
Genova
avec Genève, celle de Vesontio avec Besançon étaient
assurées, mais il paraissait certain jusqu'alors que Bibracte était
Autun et il restait à trouver l'itinéraire de l'armée romaine. Envoyé
sur place, Stolïel détermina quels avaient pu être les endroits
où les Helvètes avaient tenté de passer le Rhône de vive force
en aval de Genève malgré les travaux sommaires que César avait
fait effectuer : le résultat de ses observations est consigné dans
une planche, de l'Histoire de .Jules César 13 dont les archives Chabaud
contiennent les brouillons tant pour la carte que pour les coupes.
Que les Helvètes aient franchi ensuite la Saône au Nord de Trévoux
paraissait assuré par la découverte sur la rive gauche de tumulus
sur le plateau de Riottier, car on croyait au temps de Napoléon III
qiie la présence de nombreux tumulus en un point indiquait qu'une
grande bataille avait été livrée au voisinage ; ignorant encore
tout de la protohistoire, on cherchait à reconnaître dans cette
bataille une de celles de la Guerre des Gaules, or César avait attaqué
sur la rive gauche de la Saône ceux des Helvètes qui n'avaient
pas encore franchi le fleuve lors de son arrivée sur les lieux ; un
procès-verbal des objets antiques trouvés aux alentours de Trévoux
a été adressé au Ministère des Travaux publics le 11 décembre
1862,
sa découverte permettrait, sans doute, de les connaître et
d'en fixer l'époque approximative, probablement bien antérieure
à 58 av. J.-C.
Cependant le gros des Helvètes avait franchi la Saône et s'était
dirigé vers l'ouest, suivi par l'armée romaine. La bataille décisive
eut lieu à environ 18 milles (27 km) romanis de Bibracte. Napoléon
iit rechercher par Stoflel un terrain qui correspondît à peu près
à ce qu'on pouvait déduire du texte du
De Bello Gallico
la méthode
du
«
portrait-robot », mais les policiers du Second Empire n'avaient
pas inventé ce terme
1
. La planche 4 14 montre qu'il a cru l'avoir
trouvé à mi-chemin entre Luzy au sud et Chiddes au Nord, mais
il y a dans les archives Chabaud trois brouillons, nécessairement
antérieurs, qui situent la batail.e à l'est de l'Arroux, au sud de
Charbonnat ; si cette hypothèse n'a pas été retenue, c'est que les
reconnaissances de Stolïel avaient condiiit à une découverte d'une
importance capitale : il avait demandé qu'on reprît l'étude d'une
vieille théorie, alors oubliée, selon laquelle Bibracte n'avait pas
été à l'emplacement d'Autun mais sur le Beuvray, Napoléon III
13.
PI. 2 (pi. 3 de l'édition l'Ion).
14.
PI. 5 de l'édition Pion.
HISTOIRE
DE
JULES
CÉSAR
147
avilit envoyé
sur les
lieux Verchère
de
Reffye
qui
avait fait
com-
mencer
des
fouilles
par un
érudit autunois, Bulliot
; les
résultats
avaient
été
tout
de
suite convaincants
;
c'est pourquoi l'Empereur
avait renoncé
à
l'hypothèse
«
Charbonnat » pour accepter l'hypo-
thèse
«
Luzy-Chiddes
»
;
parmi
les
papiers trouvés
aux
Tuileries,
plusieurs documents concernaient cette question
de
Bibracte
:
une
«
lettre
des
habitants
de la
ville d'Autun
sur la
situation
de
Bibrsctc
», des «
Notes
sur les
localités situées
sur
l'emplacement
présumé
de la
déroute
des
Helvètes
à
environ
25 km
d'Autun
par
Ch.
Aubertin
», des
« Notes pour servir
à
l'histoire
de la
ville
d'Autun, signé Hoidot-Deleage, (avec une) Carte des voies romaines
du pays éduen
», un
«
compte rendu
des
fouilles
du
Mont Beuvray
adressé
à
l'Empereur
par M.
Bulliot
».
Cependant Stoflel n'était
pas satisfait
du
choix
de
Napoléon
III : en 1886, il fit
faire
des
fouilles,
à
ses frais
en un
site
qui lui
paraissait convenir davantage,
près
de
Montmort
; ces
fouilles
lui
donnèrent satisfaction,
en les
publiant
il
indiqua
que le
choix
de
Napoléon avait
été
influencé
par
une
discussion
sur le
sens
de «
lalus aperlum
»
dans laquelle
l'avis
des
latinistes l'avait emporté 15. Parmi
les
arguments inter-
venus,
il y
avait
eu
aussi
la
question
des
distances
: une
dépêche
télégraphique adressée
de
Compiègne,
le 2
décembre
1862, par
Storïel
à
Chabaud, lui demandait d'indiquer
«
de
suite
»
les distances
exactes
de
Trévoux
à
Toulon-sur-Arroux.
L'identification
de
Bibracte conduisit aussi Napoléon
à
modifier
l'itinéraire qu'il avait d'abord envisagé pour
la
marche
de
l'armée
romaine
de
Bibracle
à
Vesontio
: sa
planche
3 w le
fait partir
du
Beuvray
par
Tonnerre, Étrochey, Arc-en-Barrois
et
Langres,
tandis qu'un brouillon
des
archives Chabaud
le
faisait partir
d'Autun
et
passer
par
Chagny, Dijon, Thil-Châtel
et
Gray. Quant
à
la
marche
de
Vesonlio
à
l'Alsace,
ce
brouillon l'indique
par
Vcsoul, Lure, Belfort
et
Dannemarie, tandis
que la
planche
3
donne
un
itinéraire
par
Villcrsexel, Arcey
et
Belfort. Dans
les
deux
cas,
la
bataille avec Arioviste
est
située entre Mulhouse
et
Cernay
en raison
de
sépultures fouillées
par
l'archéologtie alsacien
de
Ring.
Plus tard,
le
colonel Stoflel proposa
de
situer
la
bataille
au
pied
des Vosges
au
nord
de
Colmar
en
appliquant
la
méthode
du
«
por-
trait-robot
»17.
15.
Colonel
E.
STOKI'EL,
Histoire
de
Jules
César,
Guerre,
Civile,
p. 441 (cf.
pi. 2,'J).
16.
PI. I (le
l'édition Pion.
17.
Colonel
E.
STOPFEL,
Guerre
de
César
et
d'Arioinste
et
premières opérations
de César en l'an 702, Imprimerie Nationale, 1890, p. 55 et suiv.
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