d’une « islamophobie savante et cléricale » qui véhicule à la fois des préjugés et une méconnaissance de cette
religion. Quellien dans sa thèse de droit, soutenue et publiée en 1910, définit l’islamophobie comme un
« préjugé contre l’islam », préjugé qu’il trouve quant à lui un peu exagéré. Et dans le même ordre d’idées de
critique, d’ignorance et d’excès à l’égard de l’islam sont également disponibles les écrits d’Etienne Dinet,
artiste peintre, converti à l’islam en 1913, représentant militant de la peinture orientaliste algérienne. E. Dinet
souhaite l’égalité entre colons et colonisés dans l’Empire français, considère que l’islamophobie renvoie à
l’orientalisme et n’est pas compatible avec une démarche scientifique. Il précise enfin que ce mot traduit « une
singulière ignorance des mœurs arabes » et en donne comme définition « une hostilité plus ou moins déguisée
de l’Europe contre l’islam ».
Donc clairement des racines françaises qui s’inscrivent dans l’histoire coloniale et dans celle de l’orientalisme
sont à l’origine du néologisme « islamophobie ». Puis la notion disparaît plus ou moins, malgré quelques
occurrences ponctuelles trouvées au cours du XXe siècle jusqu’à 1997 moment où l’on peut précisément dater
sa diffusion contemporaine à la suite de la publication d’un rapport produit par un think tank (Runnymede
Trust) engagé dans les questions d’égalité raciale. Ce think tank fonctionne comme tous les autres laboratoires
d’idées, formé d’experts, généralement indépendant des États, il élabore des propositions, produits des études et
des rapports. Et justement le rapport qui nous intéresse paraît en 1997 et est intitulé « Islamophobie, un défi
pour nous tous ». Il connaît tout de suite un large écho et dès lors l’islamophobie est à la fois reconnu dans
l’espace public et politique et en même temps analysé comme concept sociologique en GB d’abord, puis dans
l’ensemble du monde anglo-saxon. Les attentats du 11 septembre font le reste en lui conférant une diffusion
planétaire.
Le deuxième sujet de débats, de critiques et d’enjeux autour d’islamophobie porte sur l’étymologie même de la
notion. Littéralement avec le suffixe « phobos/phobie » il s’agirait d’une peur panique et irraisonnée et non
d’une critique rationnelle du sujet évoqué, ici de l’islam. Sur le plan sémantique le suffixe « phobie » est
souvent critiqué comme trop réducteur. Tout comme dans « homophobie », « xénophobie » et de nombreux
autres mots avec ce même suffixe il s’agit chaque fois d’un rejet de l’Autre avec un grand A mais qui ne relève
pas, loin s’en faut, de la seule peur irrationnelle. Malgré tout, et quelles que soient les critiques formulées à son
encontre, il apparaît d’évidence que le concept d’islamophobie s’impose à ce moment-là. L’enjeu se reporte
maintenant sur les contours précis de la définition à donner à ce nouveau phénomène.
Avant même d’en passer par une tentative de définition l’historicisation du phénomène semble incontournable.
Les différentes études, surtout anglo-saxonnes mais aussi françaises, s’attardent longuement sur des racines
historiques de l’islamophobie, à la fois diverses et anciennes telles que les croisades, la Reconquista espagnole,
la conquête de l’Amérique, la période coloniale, la guerre d’Algérie, l’histoire de l’immigration et enfin les
attentats du 11 septembre 2001. La diversité de ces racines historiques, dans le temps comme dans l’espace,
amène la question de l’échelle d’analyse du phénomène. Le rejet de l’Autre aux États-Unis est à mettre en lien
avec l’impérialisme que pratique ce pays depuis le XIXe siècle alors que si l’on considère un pays comme la
France, toujours dans cette approche nationale, l’héritage colonial est le principal facteur historique à
convoquer. L’islamophobie est donc un phénomène à appréhender selon différentes échelles, le global c'est-à-
dire l’échelle de la mondialisation, le national, nous nous limiterons ici surtout à l’exemple de la France et
l’échelle locale tout en gardant présent à l’esprit que les différentes échelles s’imbriquent entre elles.
La définition donnée par le rapport de 1997 du think tank Runnymede Trust évoque « la crainte ou la haine de
l’islam et par extension la peur et l’hostilité à l’égard de tous les musulmans ». Ainsi l’islamophobie devient un
phénomène, proche du racisme, qui construit et qui perpétue des représentations négatives de l’islam et des
musulmans et qui ainsi donne lieu, de la part des individus et des États à des pratiques violentes, à des actes
discriminatoires et d’exclusion.
Ce que de nombreuses études, historiques comme sociologiques, observent c’est un glissement des marqueurs
de rejet. En effet le rejet de certaines populations qui étaient caractérisées par quelques marqueurs, toujours les
mêmes : un marqueur ethnique « arabe », un marqueur racial « noir », ou encore un marqueur selon l’origine
« immigrés, maghrébins »… tous ces marqueurs là opèrent un glissement vers un marqueur unique, le
marqueur religieux « musulman ». Penser à la vidéo de Nicolas Sarkozy au lendemain des attentats perpétrés
par Mohamed Merah en mars 2012 vidéo dans laquelle le président de la République parle sur les ondes de
Radio France de « musulman d’apparence…enfin l’un des deux était catholique mais musulman d’apparence