sermon clxxxviii - La Porte Latine

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SERMON CLXXXVIII. LE BUT DE L'INCARNATION.
ANALYSE. — Pourquoi un Dieu, si grand que nous ne pouvons parler convenablement
de lui, s'est-il abaissé jusqu'à se faire petit enfant? C'était pour notre bien, pour
appliquer à nos maux les remèdes les plus capables de nous guérir. il montre dans la
magnificence de ses desseins en accordant à Marie le double privilège de la virginité et
de la maternité réunies.
1. Entreprendrons-nous de louer le Fils de Dieu tel qu'il est dans le sein de son
Père, égal et coéternel à son Père, lui en qui tout a été formé au ciel et sur la terre, les
choses visibles et les choses invisibles, lui le Verbe de Dieu et Dieu en même temps, lui
la vie et la lumière des hommes? Aucune pensée, aucune parole humaine n'en seraient
capables. Pourquoi s'en étonner ? Notre langue pourrait-elle en effet célébrer dignement
Celui que notre coeur ne saurait voir encore, quoique le Verbe y ait ouvert un oeil qui
pourra le contempler lorsque nous serons purifiés de nos iniquités, guéris de nos
infirmités et parvenus à la béatitude que goûteront les coeurs purs en voyant Dieu (1)?
Oui, pourquoi s'étonner que nous ne trouvions pas de paroles pour exprimer cette Parole
unique qui nous a appelés à l'existence et invités à dire d'Elle quelque chose? Cool notre
esprit qui forme les paroles que nous méditons et que nous produisons au dehors; mais
notre esprit est formé à son tour par cette Parole suprême. Quand l'homme forme en soi
des paroles, il n'agit pas comme a agi le Verbe en le formant lui-même; parce que le Père
n'agit pas non plus en engendrant son Verbe comme en créant tout par lui. C'est un Dieu
qu'engendre alors un Dieu; et le Fils
1. Matt. V, 8.
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engendré n'est qu'un même Dieu avec son Père. Quant au monde, Dieu l'a créé; et le
monde passe, tandis que Dieu demeure; et comme rien de ce qui est fait n'a pu se faire,
ainsi Celui qui a pu tout faire n'a été fait par personne. Il n'est donc pas surprenant
qu'ayant été fait comme tout le reste, l'homme ne trouve point de paroles pour expliquer
la Parole qui a fait tout.
2. En écoutant toutefois et en réfléchissant un peu, peut-être pourrons-nous parler
avec quelque convenance et quelque dignité, non « pas du Verbe en tant qu'il était au
commencement, qu'il était en Dieu et qu'il était « Dieu», mais du Verbe en tant qu'il «
s'est fait chair » ; peut-être pourrons-nous parler du motif pour lequel il « a habité parmi
nous (1) ». Ne permettrait-il point de parler de lui là où il s'est rendu visible? et n'est-ce
point parce qu'il a voulu se montrer à nos yeux que nous solennisons ce jour où il a
daigné naître d'une Vierge? N'a-t-il pas voulu aussi que des hommes rapportassent à leur
manière cette génération humaine ; au lieu que dans cette haute éternité où il est né égal à
Dieu son Père, « qui rapportera sa génération (2)? » Il n'y a point là de jour particulier à
célébrer avec plus de solennité; le jour n'y passe point pour revenir chaque année, car il y
est sans fin comme il y a été sans commencement; et ce jour éternel n'est autre que le
Verbe unique de Dieu, lui qui est la vie et la lumière des hommes ; au lieu que le jour
actuel où après s'être incarné il s'est montré comme l'époux qui sort du lit nuptial,
s'appelle maintenant aujourd'hui comme demain s'appellera hier; et si ce jour actuel tend
à glorifier le Fils éternel de la Vierge, c'est que lui-même l'a consacré en naissant d'elle
aujourd'hui.
Comment donc louer cet amour d'un Dieu? comment lui rendre grâces? Quelle
affection en effet ne nous témoigne-t-il pas? C'est lui qui a fait les temps, et pour nous il
est né dans le temps; son éternité le rend bien plus ancien que le monde, et pour nous il
s'est fait dans le monde plus jeune que beaucoup de ses serviteurs; il a fait l'homme et il
s'est fait homme ; il est né d'une Mère après l'avoir créée, il est prié sur les bras que luimême a formés, attaché au sein qu'il remplit, faisant entendre dans une étable les
vagissements inarticulés
1. Jean, I, 1, 14. — 2. Isaïe, LIII, 8.
de l'enfance muette, quand il est le Verbe sans lequel est réduite au silence toute
éloquence humaine.
3. Contemple, ô mortel, ce que Dieu s'est fait pour toi; et de ce docteur qui ne
parle pas encore apprends combien sont profonds ses abaissements. Telle était ta faconde
au paradis terrestre qu'elle te permit de donner des noms à tout être vivant (1) : et ton
Créateur, pour l'amour de toi, est couché sans parole, sans appeler même sa Mère par son
nom. Dans ce parc immense couvert d'arbres chargés de fruits, tu t'es perdu en négligeant
d'obéir; et lui est descendu par obéissance et comme un mortel dans cette étroite demeure
pour y chercher les morts en se dévouant à mourir. Tu n'étais qu'un homme et, pour ta
perte, tu as voulu être Dieu (2) ; lui était Dieu, et, pour retrouver ce qui était perdu, il a
voulu se faire homme. Enfin tu t'es laissé tellement accabler par l'orgueil humain, que tu
n'as pu être relevé que par une humilité divine.
4. Avec joie donc célébrons ce jour où on a vu Marie enfanter son Sauveur; une
femme l'Instituteur de l'union conjugale, une Vierge le Roi des vierges, une épouse
devenir mère sans époux, une Vierge rester toujours Vierge, pendant comme avant le
mariage, en portant dans son sein et en allaitant son Fils. Ce Fils tout-puissant aurait-il,
après sa naissance, dépouillé sa sainte Mère de cette virginité qui avait attiré sors choix
avant sa naissance? La fécondité du mariage est louable sans doute; mais l'intégrité
virginale est préférable encore. Aussi le Christ fait homme, le Christ qui est en même
temps Dieu et homme, ayant comme Dieu le pouvoir d'octroyer à sa Mère ce double
privilège, ne lui accorderait pas le moindre, celui que convoitent les époux, pour la
dépouiller du plus précieux, de celui qu'ambitionnent les vierges en dédaignant de
devenir mères.
De là vient que l'Eglise, qui est vierge aussi, célèbre aujourd'hui le miraculeux
enfantement de cette Vierge. N'est-ce pas à l'Eglise que l'Apôtre a dit : « Je travaille à
vous présenter, comme une vierge chaste, au Christ votre unique Epoux (3)? » Composée
de ces peuples nombreux formés des deux sexes, de tant de jeunes hommes et de tant de
jeunes filles, de pères et de mères unis par les liens du mariage, comment l'Eglise est-elle
appelée une vierge
1. Gen. I, 19, 20. — 2. Ib. III. — 3. II Cor. XI, 12.
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chaste, sinon à cause de l'intégrité de sa foi, de son espérance et de sa charité ? Le Christ
voulait donc se former une Eglise qui fût vierge de coeur ; c'est pourquoi il a conservé à
Marie la virginité du corps même. Dans les unions humaines une femme est livrée à son
mari pour n'être plus vierge; et l'Église ne pourrait demeurer vierge, si elle n'avait pour
Époux de son coeur le Fils même d'une Vierge.
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