Jean-Pierre GESLIN, professeur de Biologie-Géologie à l'Ecole Normale - IUFM du Bourget. Les Végétaux carnivores Dessin du site Internet de Pierre Gélinaud Fleur d'une utriculaire : Photographie : Serge Lavayssière (instituteur) Larve de moustique capturée par une utriculaire. Photographie : Claude Nuridsany et Marie Pérennou. Informations pour les enseignants Plan : I- Qui sont les plantes carnivores et où les trouver ? II- Que Mangent les plantes carnivores ? III- Comment capturentelles leurs proies ? IV- Comment digèrent-elles ? V- Intérêt pour la plante de telles pratiques. VI- Les champignons carnivores. Introduction : Il existe environ 550 espèces de Différentes variétés horticoles de dionées. plantes carnivores auxquelles ils Photographies : Romuald Anfraix faut ajouter environ 150 espèces de champignons carnivores. Les plantes carnivores sont toutes des plantes VERTES, c'est-à-dire des plantes possédant des pigments verts : les chlorophylles. Celles-ci leur permettent d'effectuer leurs synthèses de "matières carbonées" (= "matières organiques") selon la réaction globale suivante : 6 CO2 + Gaz carbonique = Dioxyde de carbone 6 H2O eau Lumière C6H12O6 + 6 O2 Glucose Oxygène (matière organique) (qui est ici un déchet) Chlorophylles On dit que les végétaux verts (qu'ils soient carnivores ou non) sont "autotrophes" pour le carbone (de auto = soi-même et trophê = nourriture) car ils fabriquent leurs matières carbonées à partir de gaz carbonique prélevé au niveau des feuilles et d'eau absorbée au niveau de leurs racines. Les champignons carnivores sont, comme tous les champignons, des végétaux (on ne dit pas "plantes" car les champignons n'ayant pas de vraies racines ne sont pas, de ce fait, "plantés") dépourvus de chlorophylle et donc incapables d'effectuer la synthèse de leurs matières organiques. On les dit "hétérotrophes" (de hetero = autre et trophê = nourriture) pour le carbone. Jean-Pierre Geslin, professeur. 2 Fiche pédagogique : les plantes carnivores I- Les objectifs : Objectifs conceptuels : Fonctions de nutrition et concept adaptation 1. Analyser l'originalité de la nutrition des végétaux verts en général et des plantes carnivores en particulier. 2. Mettre en évidence les relations alimentaires dans un milieu donné (chaînes et réseaux). Ici les plantes carnivores sont à la fois productrices et consommatrices de matières organiques. 3. Distinguer les diverses manifestations de la prise alimentaire (prélèvement de nourriture, digestion, transport des aliments par la sève. 4. Constater l'existence de liens entre fonction (ici alimentaire) et organes correspondants : notion d'adaptation à des milieux de vie particuliers. Un drosera (Drosera capensis), plante des tourbières, capturant un insecte. Objectifs méthodologiques : Photographie Pierre Gélinaud 1. Apprendre à observer, à expérimenter. 2. Vérifier systématiquement les résultats obtenus à l'aide de documents. II- Le matériel : * Des dionées attrape-mouches. * Des photographies d'autres plantes carnivores (on en trouve en quantité sur Internet : taper "plantes carnivores" dans un moteur de recherche). * Des textes décrivant la vie de ces plantes… lire notre petit livre : "Si tu veux (presque) tout savoir sur les plantes carnivores" et la revue "Dionée" avec en particulier de nombreux articles de Pierre Sibille. III- La démarche : 1. Connaître les représentations préalables des enfants… "A votre avis, qu'est-ce qu'une plante carnivore? Quelle taille a t-elle ? Dessinez-la…. Comparaison des productions des élèves et de leurs commentaires… Qui a raison ? 2. Introduction de plantes carnivores, ici des dionées dans la classe. Faire noter aux enfants leurs observations et remarques, leurs questions et leurs hypothèses en construisant progressivement 3 colonnes au tableau. Relire, corriger et classer dans chaque colonne. 3. Mise en situation de recherche des réponses par équipes : * en utilisant le matériel végétal dans un 1er temps (observations ou expérimentations). * que la réponse ait été trouvée ou non par observation(s) ou expérimentation(s), recherche dans des photographies ou des documents écrits. 4. Bilan des recherches : chaque équipe présente le résultat de ses recherches. Les productions des enfants sont confrontées à leurs représentations préalables… Les concepts sont dégagés (cf. objectifs) et un résumé, prenant en compte la notion de chaîne alimentaire, est construit en commun. Jean-Pierre Geslin, professeur. 3 5. En quoi le comportement alimentaire des végétaux carnivores diffère t-il de celui des autres végétaux ? (recherche documentaire). A noter que ce "thème" (= ici à "ensemble de formes vivantes étudiées dans leur milieu") peut constituer une motivation à une étude portant sur la nutrition des plantes vertes ou bien faire suite à une telle étude. Ass. Fr. d'Amateurs de Plantes Carnivores : 6. Avec des élèves plus âgés Dionée http://www.multimania.com/dionaea/ (collège), on pourrait arriver aux notions de décomposeurs (champignons, bactéries, nécrophores, bousiers…) qui permettent la décomposition des cadavres animaux et végétaux) et de transformateurs (microbes qui prennent la suite des décomposeurs et font repasser les déchets organiques à l'état de substances minérales permettant ainsi une nouvelle utilisation par les végétaux verts). Une visite de la "Grande serre tropicale", section des plantes carnivores, est possible au jardin des plantes : 57 rue Cuvier. 75005 Paris. Renseignements : 01 40 79 30 00. Ouvert tous les jours sauf mardi et 1er mai de 13 h à 17 heures d'octobre à fin mars et de 13 h à 18 h samedis et dimanches d'avril à fin septembre. 7. L'évaluation peut être menée en réinvestissant les acquis dans le cadre de l'étude de l'alimentation d'un organisme animal. Plante carnivore du genre sarracénie (Sarracenia leucophylla) Plante carnivore du genre "népenthès" (Nepenthes alata). Photo : Jean-Daniel DEGREEF Photographie Pierre Gélinaud Jean-Pierre Geslin, professeur. 4 I- Les principaux groupes de plantes carnivores : FAMILLE ET GENRE CARACTERISTIQUES DISTRIBUTION SARRACENIACEES Sarracénies (9 espèces). Plantes vivaces (= plantes vivant sur plusieurs années), herbacées, de 10 cm à 1 mètre, munies d'une rosette de feuilles se repliant Marécages du Nord-Est des Etats-Unis. pour former des tubes en forme de trompettes. Sarracenia purpurea s'est naturalisée dans Au sommet de ces tubes ou ascidies, une partie quelques tourbières dans l'Ouest de la Suisse et en France. élargie peut former un opercule immobile. On distingue 9 espèces mais il existe de nombreux hybrides. Photo S. Lavayssière Cephalotus follicularis (1 espèce). Photo. J.M. Degreef Le céphalotus se présente sous la forme d'une rosette de feuilles lancéolées dressées, entourées d'une couronne d'ascidies (sorte d'urnes Le Cephalotus est une plante des marais profondes) dont chacune repose obliquement qui exige un sol humide et même sur le sol. La tige est horizontale et enfouie : mouillé. On le rencontre uniquement c'est un rhizome cassant, en zigzag, de 3 à 10 dans des tourbières du S.O. de cm de long et d'un diamètre de 3 à 7 mm. Les l'Australie. racines ne partent pas de la tige mais sont produites par les aisselles des feuilles. Darlingtonia califor- En l'honneur du docteur Darlington, un botaniste américain. nica (1 espèce). Plante vivace, herbacée de 40 cm à plus d'1 mètre de haut. Une tige souterraine ou Partie ouest des États-Unis : Californie et rhizome. Les feuilles, qui peuvent dépasser Oregon, à partir du niveau de la mer un mètre de hauteur, miment un serpent jusqu'à 2000 mètres d'altitude. dressé d'où son autre nom de "plante cobra". Photo S. Lavayssière Héliamphoras (6 espèces) Photo Manu Echevrier Les héliamphoras sont originaires des Elles se présentent en massifs pour les plus hauts plateaux gréseux à parois abruptes. petites (5-10cm) et en "lianes" pour les plus localisés aux confins de la Guyane grandes (1m 50 à 4m).Ce sont des plantes britannique (Guyana), du Venezuela et vivaces, herbacées et terrestres. Elles de la Colombie. Ces plateaux appelés possèdent des tiges souterraines (= tepuys à l'est et cerros à l'ouest ont une "rhizomes") d'où partent des feuilles en forme altitude variant pour les plus importants d'urne ayant encore tous les caractères d'une d'entre eux de 1200 m à 3045 m. Ils sont feuille enroulée et soudée. L'urne est parcourues par des vents violents et sont légèrement étranglée aux 2/3 de sa hauteur situés en zone très pluvieuses avec une avant de s'évaser dans le 1/3 supérieur. humidité du sol et de l’air considérables. NEPENTHACEES Les Népenthacées sont des plantes vivaces, Népenthès (75 terrestres ou épiphytes se présentant sous la Plantes épiphytes* et grimpantes (grâce au pétiole des feuilles volubiles) des espèces + de forme d'arbrisseaux ou de lianes de taille très nombreux hybrides). variable : quelques dizaines de cm à 20 m de forêts de l'Indonésie (Bornéo, Sumatra), de Ceylan et de Madagascar. longueur. Les feuilles, vertes et coriaces, sont * Une plante épiphyte est une plante modifiées en ascidies. Un opercule obture enracinée dans l'humus qui s'accumule dans l'urne jeune. Il se soulève par la suite ne les creux ou déclivités des arbres. jouant aucun rôle dans la capture des proies. Jean-Pierre Geslin, professeur. 5 I- Les principaux groupes de plantes carnivores (suite) : FAMILLE ET GENRE CARACTERISTIQUES DISTRIBUTION DROSERACEES Dionea muscipula (1 espèce). Pétiole triangulaire. Limbe orbiculaire divisé Marais des 2 Carolines (Norden 2 lobes chacun pourvu sur son bord de 12 à Caroline et Sud-Caroline) à l'état 20 longues dents. Les 2 lobes sont mobiles par sauvage. Abondamment cultivée, rapport à la nervure médiane. Fleurs blanches on la trouve chez de nombreux et graines noires. fleuristes. Photo Nuridsany-Pérennou Aldrovanda vesiculosa (1 espèce)… du nom du naturaliste italien du XVIème siècle : Ulysse Aldrovendi. Photo J.M. Degreef Plante aquatique de 10 à 50 cm de long, dépourvue de racines. Comme l'Aldrovandie Espèce flottante ou encore croît d'un côté et meurt de l'autre les immergée des fossés, mares et ramifications finissent par se détacher et deviennent des plantes indépendantes. Cette étangs. reproduction végétative est très importante Europe (elle a existé en France en alors que la floraison et à la germination sont Gironde et dans les Bouches du capricieuses. Feuilles vertes verticillées par 6 Rhône), Inde, Japon, vallée du à 9. Pièges de 7 à 8 mm constitués de 2 lames Nil, Afrique du Sud (qui semble foliaires articulées portant des poils sensibles être son aire originelle), Australie (Queensland). sur la face supérieure. Fermeture très rapide : 1/50 s. Fleurs minuscules (8 mm de diamètre) blanc verdâtre, assez rares dans la nature. Drosophyllum lusitanum (1 espèce). Plante presque arbustive à fleurs jaunes et à feuilles linéaires couvertes de poils glanduleux à tête rouge. Racines bien développées (ce qui constitue une exception parmi les plantes carnivores). Se rencontre dans les endroits secs (plaines côtières sablonneuses) du Portugal, d'Espagne et du Maroc. Les brouillards marins lui fournissent une partie de l'eau dont elle a besoin. Photo J.J. Labat Droséras (mot masculin du grec droseros = humide de rosée) Le limbe est pourvu de poils glanduleux à ou "rosée du soleil" ou"rossolis" extrémité rouge et qui réfléchissent la lumière (100 espèces). comme des gouttes d'eau. "Drosera rotundifolia" est 1 petite plante grêle de 6 à 20 cm. Feuilles munies d'un long pétiole et d'un limbe arrondi appliqué contre le sol. "Drosera intermedia" porte des feuilles ovales. "Drosera longifolia" = "D. anglica" a des feuilles linéaires et dressées se continuant insensiblement en pétiole. Milieux humides ou marécageux surtout en Amérique du Nord et dans l'hémisphère Sud (56 espèces en Australie). 3 espèces (à fleurs blanches et graines noires) vivent en Europe soit dans les marais tourbeux acides au milieu de mousses : les sphaignes (D. rotundifolia et D. intermedia) soit dans des tourbières basiques (D. longifolia). Photo S. Lavayssière Jean-Pierre Geslin, professeur. 6 I- Les principaux groupes de plantes carnivores (fin) : FAMILLE ET GENRE CARACTERISTIQUES DISTRIBUTION BYBLIDACEES Byblis (5 espèces). B. liniflora est une plante herbacée, terrestre, plus ou moins vivace, de 20 à 30 cm de haut. B. gigantea est une plante semi-ligneuse de 50 à 70 cm de haut. Les deux espèces portent des feuilles vert jaunâtre fines, plus courtes chez B. liniflora. Les pièges sont constitués par les feuilles et les tiges florales couvertes de glandes pédiculées qui sécrètent un mucilage collant. Byblis liniflora provient de l'Australie et de Nouvelle-Guinée. Elle vit sur les berges des rivières sablonneuses, sur les bords des mares temporaires et des marais, à des températures variant entre 16 et 40° (climat tropical). Byblis gigantea est limitée à l'Australie. Elle se développe sur sol sableux voire caillouteux, sous un climat de type méditerranéen, hiver pluvieux et été sec. Photographie Pierre Gélinaud LENTIBULARIACEES : fleurs munies d'un éperon. Pinguiculas = grassettes (de pinguis = gras : allusion à la viscosité des feuilles) (80 espèces) Utriculaires (elles portent des "utricules" ou ascidies). 280 espèces. Genliseas (16 espèces) du nom de madame de Genlis, une comtesse botaniste. Photo Labat Pinguicula vulgaris : la grassette Feuilles disposées en rosette. La face vulgaire se rencontre dans les supérieure est visqueuse et les bords sont tourbières du Centre et de l'Ouest de la involutés (c'est-à-dire enroulés en France (5 à 10 cm, fleurs violettes). 4 autres espèces vivent en France. dessus). Asie, Europe et Amérique Il n'existe pas de racines. Les feuilles des utriculaires immergées ont des limbes divisés en lanières filiformes. Certains segments de ces lanières se transforment en "vessies" ou "ascidies" de 2 à 5 mm qui constituent des pièges. Plantes épiphytes, terrestres ou aquatiques. Dans presque toutes les parties du monde (régions tropicales et tempérées). On rencontre en France, dans les mares : U. vulgaris, U. intermedia et U. minor, toutes les 3 à fleurs jaunes. Plantes vivaces ou annuelles, semiaquatique, herbacées. Rosettes de feuilles de 2 à 6 cm de diamètre. Les feuilles sont de 2 types : * linéaires ou oblongues et de couleur verte * souvent souterraines et formant des pièges diaphanes en forme de fourche de 2 à 15 cm de long. Les branches et le manche sont creux et possèdent une petite cavité dans laquelle viendront mourir les proies (protozoaires et petits crustacés) ensuite digérées par des enzymes. Marécages, rives détrempées des ruisseaux en Afrique, dans l'île de Madagascar, les îles des Caraïbes, en Amérique centrale et du Sud. Jean-Pierre Geslin, professeur. 7 II- Que mangent les plantes carnivores ? NOM DE LA PLANTE SES ALIMENTS Sarracénies Insectes, parfois des mille-pattes, très rarement de minuscules grenouilles. Insectes, en particulier des fourmis. Surtout insectes (coléoptères, diptères). Céphalotus Darlingtonia californica = plante cobra Héliamphora Népenthès Dionée " gobemouches" = Vénus fly-trap Aldrovanda Drosophyllum Droseras Byblis Grassettes Utriculaires Genliseas Les Arachnides, diptères ou coléoptères. Insectes (fourmis surtout, petits coléoptères, diptères) mais aussi araignées, scorpions, myriapodes = mille-pattes, escargots … et même épisodiquement de petites grenouilles, oiseaux et rats venus chercher la fraîcheur ou se désaltérer. Insectes sauteurs ou rampants et parfois volants (comme des libellules), parfois de petites araignées… Petits animaux aquatiques : daphnies 2, cyclopes 2, larves de moustiques. Insectes. Insectes volants surtout (mouches, papillons, pucerons ailés) mais aussi fourmis. Les proies sont des insectes : diptères (mouches et moucherons) et lépidoptères (= papillons)... Insectes de petite taille (moucherons, moustiques, parfois papillons). Les fourmis, souvent prises, s'échappent assez fréquemment. Les pollens de plantes tombés sur les feuilles sont également digérés. De minuscules animaux aquatiques en particulier des larves de "ver de vase" = "chironome", des rotifères 1, des petits crustacés aquatiques 2 comme des "daphnies" 2 et des "cyclopes" 2, … mais aussi parfois de petits poissons et des têtards. De petits crustacés ou des protozoaires (= animaux unicellulaires). 1. Rotifères : Ce sont de minuscules animaux (moins de 2 mm) qui possèdent dans leur partie antérieure une double couronne de cils vibratiles évoquant une double roue qui tourne (d'où leur nom). Cet "appareil rotateur" sert à la fois à la récolte de la nourriture et aux déplacements. 2. Crustacés (du latin crusta = croûte) : Il s'agit essentiellement de copépodes (cyclopes) et de cladocères (daphnies). Jean-Pierre Geslin, professeur. 8 III- La capture : Les botanistes distinguent 2 types de plantes carnivores : les piégeurs passifs chez qui la capture des proies n'implique pas de mouvements de l'organe végétal et les piégeurs actifs. IIIA) Les piégeurs passifs (Népenthès, sarracénies, héliamphoras) : IIIA1) Les népenthès : Les feuilles s'insèrent sur la tige par le biais d'une partie verte aplatie qui se poursuit par un pédicelle filiforme capable de s'enrouler autour de supports voisins et ainsi de participer à l'amarrage de la plante. Le "pédicelle" se prolonge par une sorte d'urne : "l'ascidie", de couleur verte tachée de rouge, dont la taille varie de 2 à 30 cm selon les espèces et qui est surmontée d'une petite lame disposée comme un couvercle : "l'opercule". Cet opercule obture l'urne lorsqu'elle est jeune puis se soulève définitivement au cours de la croissance, mettant ainsi la cavité de l'urne en contact avec l'extérieur. Cette urne va vivre 1 à 20 mois selon l'espèce. L'opercule ne joue aucun rôle direct Dessin de Nepenthes laevis. dans la capture des proies mais empêche Extrait de l'Encyclopaedia Universalis qu'une trop grande quantité d'eau de pluie (d'après Velenovsky). pénètre à l'intérieur de l'urne et ne dilue son contenu. L'ascidie présente du nectar au niveau de son bord supérieur ou "péristome". Ce nectar appâte les insectes qui s'enfoncent ensuite à l'intérieur (sans doute attirés par l'odeur de l'eau croupie située dans le 1/3 inférieur). Les animaux aventureux ne pourront plus remonter car un revêtement cireux en écailles, très glissant, les précipitera au fond du piège où ils se noieront. Dans l'urne encore fermée, on peut trouver un liquide basique dont l'action digestive est faible mais non nulle. Peu à peu, le liquide va être colonisé par des organismes symbiotiques et son pH (= degré d'acidité), de basique va devenir progressivement acide. Les mouvements des victimes dans l’urne stimulent l’activité des glandes digestives (on peut provoquer le phénomène en activant la zone glandulaire à l'aide d'un pinceau). Les cellules sécrétrices de l'urne sont Ascidie de Nepenthes mirabilis totalement immergées dans le liquide d'après l'Encyclopaedia Universalis (modifié). constitué de sucs digestifs qu'elles ont produits et d'eau de pluie (1 litre et plus). Jean-Pierre Geslin, professeur. 9 Au bout de quelques mois, l'ascidie peut être presque remplie de proies en décomposition. On peut trouver, dans les urnes de népenthès, un ver de l'embranchement des vers ronds (= némathelminthes) et de la classe des nématodes : Anguilulla nepenthicola. Il ne vit que dans ce milieu (jusqu'à 200 individus par ascidies) et ne souffre pas des sécrétions de la plante. D'autres animaux possèdent les mêmes particularités que ce nématode, en particulier certaines espèces d'insectes et d'araignées. IIIA2) Les sarracénies : Les feuilles se replient pour produire un tube dont la partie supérieure s'élargit en formant un opercule immobile. Dans la partie haute de l'ascidie, des glandes nectarifères sécrètent une piste de nectar qui attire les insectes sur une pente glissante. Les proies absorberaient aussi en butinant un Urne de Nepenthes rafflesiana narcotique : la coniine. Des appendices dirigés Photo S. Lavayssière vers le bas empêchent l'arthropode de remonter. Dans la partie inférieure existent : * une zone de nasse constituée de poils qui retiennent les insectes * des glandes sécrétant des enzymes se mélangeant à l'eau de pluie. * des bactéries vivent dans ce liquide sans être incommodées. Conclusion : les mécanismes de capture sont identiques chez les népenthès et les sarracénies si on excepte 2 différences : * seule une partie de la feuille participe à la capture chez les népenthès alors que c'est toute la feuille qui forme l'ascidie chez les sarracénies. Sarracenia psittacina * chez les népenthès, les glandes nectarifères sont Photo prélevée sur le site (sans nom d'auteur) disposées au bord de l'urne ; chez les sarrahttp://www.evc.net/pages/gbour/photos.htm cénies, elles forment une piste "guide-fourmis" partant de la surface externe et s'enfonçant dans l'ascidie. Dessin modifié "Pour la Science" d'avril 1978 : Yolande Heslop-Harrison. Jean-Pierre Geslin, professeur. 10 IIIA3) Les héliamphoras : Dessin d'une urne d'Héliamphora Le cuilleron producteur de nectar est recourbé, jaune sur sa face supérieure et rouge à l'intérieur. Ce cuilleron permet de mettre à l'abri des pluies le liquide sucré qui assure l'attraction des proies (en sus de la couleur rouge). La partie intérieure, en haut de l'ascidie, comporte de minuscules poils blanchâtres dirigés vers le bas. Cette partie reflète les rayons U.V. auxquels sont sensibles les insectes. Sauf pour H. tateï, les Héliamphoras (comme Darlingtonia) ne possèdent pas d'enzymes digestives. Elles utilisent les enzymes, libérées par les bactéries présentes dans le liquide de l'urne, pour récupérer les produits de dégradation des proies noyées. (Manu Echevrier) IIIB) Les cas intermédiaires (droseras, drosophyllum, grassettes) : "Des glandes situées à la surface de la feuille de ces plantes sécrètent des gouttelettes d'une substance adhésive. La proie, en général un insecte volant attiré par l'odeur ou la couleur de ces gouttelettes ou peut-être par la lumière qu'elles réfléchissent, est engluée dès qu'elle se pose. L'insecte adhère d'autant plus à la feuille, qu'il touche de plus nombreuses glandes en essayant de s'échapper". Texte de Yolande Heslop-Harrison "Pour la Science" d'avril 1978. IIIB1) Droseras et drosophyllum : Une partie de la feuille de D. rotundifolia (celle représentée en détail et de face) a été excitée à l'aide d'un objet : on constate un repli des "tentacules" (d'après Darwin… 1877). Le mouvement résulte de la perte de turgescence 1 dans des groupes de cellules situés sur le côté du pédoncule le plus proche du stimulus" (Y. Harrison 1978). Jean-Pierre Geslin, professeur. 11 Après digestion (2 jours), les poils glanduleux reprennent leur position initiale. Drosera rotundifolia Photo S. Lavayssière Drosera capturant un insecte (Photo Nuridsany-Pérennou) 1. Turgescence : on dit qu'une cellule est "turgescente" quand elle est gorgée d'eau. Lorsqu'il y a départ d'eau de la cellule, on utilise le terme de "plasmolyse". C'est la turgescence qui donne aux végétaux herbacés une certaine fermeté. Un élément végétal qui entre en plasmolyse se fane. IIIB2) Grassettes : Ce sont les feuilles, disposées en rosette, qui constituent le piège : elles sont recouvertes de poils sécrétant un liquide visqueux qui englue l'insecte. Le bord de la feuille s'enroule et enveloppe l'arthropode formant ce que Darwin appelait un estomac temporaire. L'enroulement correspondrait encore ici à une perte de turgescence de cellules, contenant des enzymes protéolytiques. Après digestion par des enzymes (dont la pepsine) puis assimilation des substances utilisables, la feuille reprend sa position primitive (2 ou 3 jours). Planche extraite de la "Flore d'Europe I : plantes herbacées et sousarbrisseaux". Diffusion : société française du livre. Fleur bleue à violette de Pinguicula grandiflora. Chez la grassette des Alpes, Pinguicula alpine, elles sont blanches. Photo S. Laveyssière Pinguicula vulgaris = Grassette vulgaire = langue d'oie Hampes florales de 5 à 15 cm de haut Jean-Pierre Geslin, professeur. 12 III- La capture (suite) : IIIC) Les piégeurs actifs (utriculaires, dionée et aldrovanda) : IIIC1) Les utriculaires : "Chaque utricule de 3 à 5 mm de longueur est une sorte de petite sac fermé par un clapet ou valve portant une touffe de poils sensibles et ne pouvant s'ouvrir que vers l'intérieur de l'utricule". " Cet intérieur est tapissé de poils cruciformes (= en forme de croix) qui absorbent l'eau et créent ainsi une dépression dans l'utricule" (l'eau suit en fait le rejet actif de sels minéraux au travers de la paroi vers l'extérieur). "Lorsqu'un petit animal heurte les poils sensibles de la valve, celle-ci s'ouvre brusquement et la proie est aspirée à l'intérieur de l'utricule". Texte et dessins ci-dessus et ci-dessous : H. Camefort "Morphologie des végétaux vasculaires". Editions Doin - 1972. Les outres sont donc des pièges à succion immergés s'ouvrant vers l'intérieur. Les poils sensibles excités déclenchent l'ouverture, l'outre en dépression se dilate instantanément et aspire simultanément de l'eau et la proie. Le clapet reprend sa position initiale tandis que les poils retiennent prisonnier l'animal aquatique. Dessins modifiés d'une utriculaire américaine "Pour la Science" n° 6 d'avril 1978 : Yolande Heslop. Jean-Pierre Geslin, professeur. 13 Le mouvement du clapet est une "séismonastie". Une NASTIE est un mouvement d'organe végétal déclenché par un stimulus extérieur et non orienté par lui (si le mouvement est orienté par le stimulus extérieur, on parle de tropisme). Ici, on parle de séismonastie car la nastie est déclenchée par un mouvement (du grec seïmos = ébranlement). IIIC2) La dionée attrape-mouches ou dionée gobe-mouches : Quand un insecte effleure les soies portées par la face ventrale des lobes, de part et d'autre de la nervure (3 soies de chaque côté), les 2 côtés de la feuille se rapprochent brusquement avec engrenage des soies latérales molles. Ce mouvement est lié à une variation du volume des cellules par déplacement d'eau. La feuille ne se réouvrira que 9 à 35 jours plus tard, la digestion terminée. Cette réouverture, très lente, ne correspond qu'à un simple phénomène de croissance. Si le mouvement a été provoqué par un stimulant inerte (baguette par exemple), la feuille reste fermée beaucoup moins longtemps (1 à 2 jours). IIIC3) L'aldovandra : * La rapidité de la conduction : transport de l'excitation d'un poil sensible à la charnière (20 mm par seconde)… * et l'existence d'un potentiel d'action (variation de la différence de potentiel électrique entre les 2 faces de la feuille elle même due à une variation temporaire de la perméabilité de la membrane plasmique aux ions) … suggèrent une propagation de nature électrique : "le courant d'action" comparable à l'influx nerveux. "Chez aldovendra, les pièges sont formés par une lame foliaire articulée en 2 lobes portant des poils sensibles et des poils sécréteurs sur leur face supérieure. Lorsqu'une proie excite les poils sensibles, les 2 lobes se replient emprisonnant la capture". H. Camefort "Morphologie des végétaux vasculaires". Editions Doin- 1972. Le limbe de l'aldovendra fonctionne comme celui de la dionée. H. Camefort "Morphologie des végétaux vasculaires". Editions Doin- 1972. Jean-Pierre Geslin, professeur. 14 IV- La digestion : IV A) Le déclenchement de la sécrétion des sucs digestifs : Il varie selon les genres de plantes carnivores : IV A1) Moment du déclenchement de la sécrétion : Avant la capture Après la capture Avant et après la capture Népenthès : Dionée gobemouches : Droseras : Les glandes digestives localisées au niveau du 1/3 Les feuilles restent sèches inférieur des ascidies jusqu'à la capture. adultes sont totalement immergées (avant même Si on active les lobes avec un objet, ceci n'entraîne qu'une proie n'ait été capturée)… jusqu'à 1 litre pas une production de sucs digestifs… Une action de liquide parfois plus. mécanique ne suffit donc Le liquide digestif non pas. Drosera rotundifolia dilué est visqueux, Les glandes ne rentrent en Photographie Serge Lavayssière comparable à de la activité que lorsque un glycérine. Les glandes pédonculées ont une animal est pris. L'action double fonction : elles secrètent à la est ici chimique. On a pu obtenir la fois la substance adhésive et les digestion de fibrine enzymes digestives. ------------------(protéine filamenteuse qui Les sécrétions débutent avant la Utriculaires : emprisonne les globules capture mais celle-ci déclenche une du sang lors de la Bien que les glandes soient nouvelle production par stimulation coagulation) dans le immergées, elles ne chimique. liquide stérile extrait semblent fonctionner aseptiquement de jeunes qu'après la capture d'une urnes non encore proie. ouvertes. ----------------------Sarracénies : -------------------Grassettes et drosophyllum : La quantité de sucs digestifs secrétés est plus Les glandes pédonculées, faible, les glandes peuvent portent des gouttelettes de ne pas être immergées. sécrétion et ne servent qu'à capturer les proies. Les glandes sessiles produisent les enzymes digestives mais uniquement en cas de capture (stimulation chimique). Insecte capturé par Drosera binata Cliché Photosynthèse -------------------------------------- Jean-Pierre Geslin, professeur. 15 Rappelons que les héliamphoras (à l'exception de H. tateï) et la darlingtonia ne produisent pas d'enzymes digestives et que ce sont des bactéries symbiotiques, vivant dans le liquide de l'urne, qui assurent cette fonction. Chez les autres espèces à urnes : népenthès, sarracénies, céphalotus et utriculaires, la digestion est facilitée par des micro-organismes (non sensibles aux sécrétions de la plante) présents dans l'ascidie. IV A2) Mécanismes du déclenchement de la sécrétion : Charles Darwin a mené des expériences sur les droseras (il expérimenta même sur elles les effets du vin de xérès) et les grassettes, expériences publiées en 1875 dans les "Plantes insectivores". Substances chimiques Activant les sécrétions enzymatiques : Sans effet sur les sécrétions : Composés azotés De nombreux composés azotés (= composés renfermant des atomes d'azote) comme l'acide urique (très efficace), l'ammoniaque (moins efficace) ou la glutamine (peu efficace) sont libérés par les insectes. Sucres Carbonate de sodium IV B) Les glandes digestives : Observation au microscope à balayage de la surface d'une feuille de Pinguicula grandiflora. Les glandes proéminentes, portées par un pédoncule, assurent la capture des insectes. D'autres glandes, beaucoup plus petites, sans pédoncule, et à demi enfouies dans la feuille, assurent la production d'enzymes digestives : il se forme ainsi une flaque dans la feuille partiellement enroulée, "dans laquelle baigne l'insecte". "Ces mêmes glandes vont résorber les produits de la digestion". "Pour la Science" d'avril 1978 : Yolande Heslop-Harrison. Jean-Pierre Geslin, professeur. 16 Bien que n'appartenant pas à la même famille que les grassettes, le drosophyllum possède les 2 mêmes types de glandes : * Les glandes pédonculées assurent la capture grâce à un mucilage adhésif. * Les glandes sessiles à demi enfouies interviennent dans la digestion et l'absorption des produits de cette digestion. Les 2 sortes de glandes sont directement reliées au système vasculaire de la feuille (voir ci contre). IV C) Les enzymes : Produites par la plante ou par les microorganismes symbiotiques il s'agit : * de protéases (enzymes s'attaquant aux protéines) toujours présentes quelle que soit l'espèce. * parfois d'amylases (enzyme scindant un sucre complexe : l'amidon) comme chez les grassettes. * éventuellement de lipases (enzyme dégradant les lipides ou graisses) comme les népenthès. * de ribonucléases (enzyme dégradant l'ARN) comme chez les népenthès et les grassettes. * de péroxydases (comme chez les droseras et le drosophyllum) et d'estérases + phosphatases (népenthès, droseras et le drosophyllum, dionée, aldrovanda, grassettes, genliseas et utriculaires)… Origine des sécrétions : * Le mucilage (polysaccharides acides) est produit par l'appareil de Golgi puis véhiculé par les vésicules de Golgi qui viennent fusionner avec la membrane cytoplasmique. * Toutes les enzymes digestives sont synthétisées au niveau du réticulum endoplasmique qui est en continuité avec la membrane cytoplasmique par le biais du "labyrinthe". * Chez les dionées et népenthès : il y a sortie active et massive d'ions H+ (grâce à une protéine de la membrane) qui donnent son acidité au suc digestif. Glandes de drosophyllum. D'après une étude originale d'A.C. Fenner. Cellule de glande digestive de plante carnivore. Dessin modifié d'après "La Recherche" n°171 de nov. 1985 : "Les plantes carnivores par Ulrich Lüttge. La paroi végétale présente des pores autorisant la sortie des sécrétions. "Le labyrinthe"accroît considérablement la surface membranaire des cellules glandulaires et donc les possibilités de sécrétions et de réabsorption. Jean-Pierre Geslin, professeur. 17 IV D) L'absorption des aliments digérés : Les cellules productrices d'enzymes ont une autre fonction : elles absorbent les petites molécules - en particulier les acides aminés, les phosphates et les sulfates résultats de la digestion - qui serviront de nutriments (= aliments digérés) à la plante. On sait que cette absorption est couplée à une ré-entrée dans la cellules d'ions H+ (ou protons) : on parle de co-transport. V- Intérêt de telles pratiques : V A) Le nombre de proies capturées : "Le nombre de proies capturées est parfois assez important. Chez les népenthès, les ascidies vivent en général plusieurs mois et peuvent être presque remplies des restes en décomposition de leurs prises. Chez les plantes à pièges plus éphémères, comme les grassettes où une feuille ne vit que cinq jours, le butin total d'une saison est plus difficile à estimer. Chez la grassette Pinguicula grandiflora, il pousse une feuille nouvelle environ tous les cinq jours, de sorte qu'en une seule saison la surface piégeante peut atteindre au total 400 centimètres carrés, alors que le diamètre d'une rosette de feuilles ne dépasse jamais huit centimètres. Il arrive aussi que des plantes carnivores constituent des peuplements denses. Il y a une trentaine d'années, Francis W. Oliver, de l'Université de Londres, a décrit un tapis de droséras qui s'étendait sur près d'un hectare vers Barton Broad (non loin de la côte du Norfolk à l'est de l'Angleterre) et qui avait capturé un grand nombre de papillons, pour la plupart des piérides du chou, qui s'y étaient posés au cours de leur migration à partir du continent. Oliver observa qu'à chaque plante étaient fixés de quatre à sept papillons et évalua le nombre total d'insectes capturés à environ six millions". "Pour la Science" d'avril 1978 : Yolande Heslop-Harrison. Sarracenia purpurea cliché Photosynthèse. V B) La plante sera t-elle plus vigoureuse ? "Quelle est, alors, l'utilité des mœurs carnivores chez les plantes? Charles Darwin, l'un des pionniers de l'étude de la physiologie des plantes carnivores, s'est posé la question il y a un peu plus d'un siècle. Avec son fils Francis, il démontra de manière irréfutable que des droséras cultivés que l'on avait nourris artificiellement en posant des insectes sur leurs feuilles étaient plus vigoureux, donnaient plus de fleurs et de graines que ceux qui n'étaient pas alimentés de cette façon. Plus récemment, Richard Harder, de l'Université de Göttingen, et d'autres ont démontré que grassettes, droséras et utriculaires cultivés dans des environnements surveillés, où leur alimentation est soigneusement réglée, se portent mieux quand on leur donne des proies à manger, confirmant ainsi les résultats de Darwin"… "Pour la Science" d'avril 1978 : Yolande Heslop-Harrison. Jean-Pierre Geslin, professeur. 18 V C) Un supplément d'azote pour les plantes carnivores : "Les éléments nutritifs provenant des proies capturées pénètrent dans les feuilles avec une surprenante rapidité. Il y a quelques années, Bruce Knox et moi-même avons utilisé une protéine d'algue marquée avec l'isotope radioactif carbone 14 afin de suivre les progressions des produits de la digestion dans la plante. Des feuilles de grassette reçurent de minuscules quantités de la protéine ainsi marquée et nous avons suivi les produits de la décomposition par autoradiographie. Nous avons découvert que les acides aminés et les peptides, résultant de la digestion de la protéine, circulaient deux ou trois heures dans la feuille puis passaient dans la tige et de là aux racines et points de croissance en moins de douze heures. La voie principale pour traverser la feuille était le xylème, un tissu conducteur de l'eau. Récemment, John S. Pate et Kingsley Dixon, de l'Université d'Australie occidentale, ont marqué des mouches drosophiles en les nourrissant de levure contenant l'isotope azote 15 puis ils ont alimenté des Droseras avec ces mouches marquées. Chez les droséras, la croissance a lieu à partir de rhizomes; ces rhizomes sont des tiges souterraines charnues qui se développent au cours de la saison précédente et dont une grande partie de la réserve d'azote est sous forme d'un acide aminé, l'arginine. John S. Pate et Kingsley Dixon constatèrent, à la fin de leur expérience, que 40 % de l'arginine des rhizomes des plantes traitées contenaient de l'azote 15, ce qui démontre l'importance du surplus d'éléments nutritifs tiré des proies pour la survie de l'espèce à l'état sauvage". "Pour la Science" d'avril 1978 : Yolande Heslop-Harrison. V D) La proie fournit-elle à la plante d'autres éléments que l'azote ? "Il semble évident que le supplément nutritif dont disposent les plantes carnivores offre des avantages particuliers, surtout dans les milieux manquant de certaines substances. On suppose généralement que le principal bénéfice de la capture et de la digestion de proies animales par une plante, est un supplément d'azote. Mais d'autres recherches ont montré qu'un surplus de phosphore est aussi important, davantage même, dans certains cas. Dionée digérant une mouche La présence dans les sécrétions des Photo P.H. Ward ("Les prédateurs et leurs proies, éditions glandes digestives, d'enzymes Delachaux et Niestlé - 1983). comme la nucléase et la phosphatage pourrait correspondre à ce besoin. Dans les habitats où la croissance de la plante est limitée par le manque de substances nutritives majeures, comme le phosphore - ou d'un ou plusieurs autres éléments nécessaires seulement sous forme de traces - les bénéfices retirés des proies animales s'avèrent considérables". "Pour la Science" d'avril 1978 : Yolande Heslop-Harrison. Jean-Pierre Geslin, professeur. 19 V E) BILAN : "Tels sont donc les avantages des mœurs carnivores. Sont-ils contrebalancés par des inconvénients? La plupart des plantes vivent en état de compétition. L'énergie que la plante carnivore déploie dans la synthèse des enzymes digestives et d'autres produits de sécrétion, pour ne pas parler de celle nécessaire à ses adaptations structurales raffinées, est-elle rentable? L'embarrassante conclusion de ce genre de réflexion est qu'aucun bilan d'énergie n'est vraiment concluant. Presque toujours, les plantes carnivores poussent dans des endroits où une lumière solaire abondante, des sources appropriées de carbone et un approvisionnement en eau illimité au cours de la période de croissance, excluent toute entrave à la photosynthèse, ressource énergétique primordiale de la plante. Ainsi la dépense d'énergie nécessaire pour capturer un atome d'azote ou de phosphore, ou de tout autre élément nécessaire à la croissance n'est-elle pas significative. Si la capture de telles substances nutritives vitales permet à la plante de survivre dans des endroits où ne peut intervenir aucun concurrent non-carnivore, alors il est évidemment prouvé que, quelle que soit la dépense d'énergie associée, l'investissement est justifié". Araignée-crabe solitaire vivant sur le rebord d'une urne de Népenthès. L'araignée ne tolère aucun congénère et se nourrit des insectes attirés par les nectaires de la sarracéniacée. A noter son mimétisme de couleur avec la plante. Elle est insensible aux sucs digestifs du fond de l'urne. Photo Pat Morris ("Les prédateurs et leurs proies, éditions Delachaux et Niestlé - 1983). "Pour la Science" d'avril 1978 : Yolande Heslop-Harrison. Jean-Pierre Geslin, professeur. 20 Conclusion : Les plantes carnivores constituent un groupe hétérogène du point de vue systématique mais étonnant par la particularité qu'ils possèdent : * de capturer de petits animaux * puis de les digérer par des enzymes ou diastases déversées à l'extérieur * et enfin d'absorber les petites molécules organiques issues de cette digestion. Cette capacité s'observe chez des plantes épiphytes, des plantes de tourbières et de marécages, des plantes aquatiques d'eaux peu minéralisées … en d'autres termes dans des milieux pauvres en azote minéral (ammoniaque, nitrites et nitrates) directement assimilable par les plantes "normales". Des droséras cultivés sur sol dépourvu d'azote minéral présentent des symptômes de carence azotée si elles ne peuvent capturer de proies animales. Si par contre on les alimente régulièrement avec des animalcules (qui renferment de l'azote organique), les symptômes de carence disparaissent et la plante se développe normalement. Toutes les plantes carnivores peuvent très bien, comme les autres plantes, se passer d'azote organique si on les cultive sur un sol riche en azote minéral (par exemple un sol enrichi en nitrates). Pour les étudiants en biologie : Les plantes carnivores se rencontrent donc dans des lieux ou la décomposition des végétaux morts en humus (humification) et des animaux morts en acides aminés et dérivés (putréfaction), normalement effectuées par des microbes, se déroule mal. Humus et acides aminés ne sont pas directement assimilables par les plantes "normales" mais sont "transformés"(… quand ils existent) en substances minérales assimilables (par les racines des plantes) grâce aux 2 opérations successives d'ammonification et de nitrification. La transformation de l'humus et des acides aminés en ammoniaque NH4+ (ou ammonification) est normalement assurée par des bactéries ou des champignons. La nitrification (passage de l'ammoniaque aux nitrates) s'effectue en 2 étapes : d'abord la transformation de l'ammoniaque en nitrites NO2(nitrosation normalement assurée par des bactéries) puis la transformation des nitrites en nitrates NO3- (nitratation également normalement assurée par des bactéries). Ainsi, les plantes carnivores sont, comme tous les autres végétaux verts, autotrophes pour le carbone puisqu'elles possèdent des chlorophylles… MAIS … elles peuvent être : * autotrophes pour l'azote (= elles prélèvent de l'azote minéral) sur un sol riche en azote minéral. Elles se comportent alors comme les autres plantes vertes. * hétérotrophes pour l'azote (= elles prennent de l'azote organique) sur un sol pauvre en azote minéral. Elles se comportent alors en "plantes carnivores". Jean-Pierre Geslin, professeur. 21 VI- Les champignons carnivores : On distingue environ 150 espèces de champignons carnivores. Tous les champignons (carnivores ou non) sont des végétaux dépourvus de chlorophylles. Ils ne peuvent de ce fait pas fixer puis assimiler le gaz carbonique (= le dioxyde de carbone) et sont donc hétérotrophes pour le carbone (c'est-à-dire qu'ils doivent absorber des matières carbonées organiques). En ce qui concerne l'azote, certains champignons sont autotrophes (ils peuvent assimiler les nitrates NO3-), d'autres sont semi-autotrophes (ils peuvent assimiler l'azote ammoniacal NH4+ mais pas NO3-) et d'autres hétérotrophes (il leur faut absolument des composés azotés organiques tels des acides aminés ou des protéines… les champignons carnivores appartiennent à cette dernière catégorie). VIA) Qui sont-ils et où les trouver ? Les champignons carnivores ne sont bien souvent pas classés avec précision car on ignore fréquemment les mécanismes précis de leur reproduction… élément clé quand il s'agit de les situer dans tel ou tel groupe. On peut les rencontrer dans l'eau douce (Arnaudovia et Blastocladiella) ou dans le sol où ils se présentent sous la forme de filaments. VI B) Que mangent-ils ? Les filaments mycéliens ramifiés des champignons carnivores peuvent très bien, comme ceux des autres champignons, absorber toutes sortes de matières organiques… mais ils se sont de plus spécialisés dans la capture de d' animalcules. * De minuscules vers (0,1 à 1 mm) appartenant à l'embranchement des nématodes (vers ronds non annelés et pourvus d'une cuticule épaisse) et à la classe des nématodes (némathelminthes possédant un tube digestif complet). On rencontre jusqu'à 7 milliards de nématodes à l'hectare dans les 8 premiers centimètres des sols meubles. Ils peuvent aussi vivre dans l'eau. Filaments mycéliens du * Des rotifères (organismes animaux généralement champignon du sol Dactylella d'eaux douces, de moins d'un 1/2 mm et pourvus à capturant une anguillule la partie antérieure d'un organe cilié appelé Michael Chinery "Les prédateurs et leurs appareil rotateur). proies, éditions Delachaux et Niestlé - 1983. * Des animaux unicellulaires (= protozoaires) comme les amibes. * Des algues unicellulaires d'eaux douces comme les euglènes (jusqu'à 50 capturées simultanément pour Polyphagus euglanae). * Des grains de pollen. VI C) Comment capturent-ils leurs proies ? Les champignons carnivores utilisent 2 types de pièges : des pièges adhésifs et des pièges strangulants. Jean-Pierre Geslin, professeur. 22 VI C1) Les pièges adhésifs ou pièges à glu (sécrétion d'un mucus collant). Il peut s'agir : * De toute ou partie de la surface du mycélium, rendue collante (c'est la cas de Stylopaga hadra et de Zoopaga phanera qui piègent ainsi des animaux unicellulaires du groupe des rhizopodes). Certaines espèces forment des anneaux gluants (ex : Arthrobothris oligospora). * De boules adhésives sessiles ou pédonculées (c'est le cas de divers Dactylellas). Dactylella ellipspora développe à la fois des anneaux adhésifs et permettant de capturer des nématodes. Les rhizopodes sont des animaux unicellulaires se déplaçant à l'aide de pseudopodes (comme les amibes, les foraminifères ou les radiolaires). des boutons adhésifs lui Extrait de "Les plantes carnivores" par Pierre Jolivet. Editions "Le Rocher". VI C2) Les pièges strangulants : Ces pièges ne se développent que s'il existe des nématodes dans le milieu. Si les filaments sont lavés avec de l'eau ayant contenu des nématodes, cela suffit à déclencher la formation des nœuds coulants : le stimulus est donc probablement chimique. Des acides aminés ou même l'éthanol peuvent avoir le même effet. De tels pièges sont connus chez une trentaine d'espèces, les mieux étudiés étant Arthrobothrys dactyloïdes. Un piège strangulant est constitué par un filament de champignon comportant 3 cellules et formant un anneau de 25/1000 de mm. Lorsque le ver rampe dans la cavité centrale de l'anneau, après un temps de latence de quelques secondes, la Le champignon Dactylaria bronchophaga turgescence cellulaire augmente 1 : garrot ouvert (25/1000 de mm). brusquement (en moins d'une 1/2 2 : garrot ayant capturé un nématode. seconde) et le volume des 3 cellules 3. 48 heures après la capture : des filaments triple. mycéliens émis par les cellules du garrot, Le ver se retrouve alors enserré envahissent le ver et le digèrent. comme dans un garrot, sa fixation D'après Comanod et de Fonbrune. étant renforcée par l'émission d'un liquide adhésif par le champignon. Jean-Pierre Geslin, professeur. 23 A noter que la turgescence n'apparaît que lorsque c'est la face interne des cellules de l'anneau qui se trouve excitée. Le nématode meurt en quelques minutes. VI D) Digestion du ver : Le champignon émet des filaments qui perforent en une 1/2 heure la cuticule du ver, pénètrent à l'intérieur du corps et sucent le contenu. La digestion dure de 24 à 48 heures. VI E) Intérêt économique : Les nématodes sont souvent des parasites de végétaux qui peuvent causer de gros dégâts. Des chercheurs de l'Institut National de Recherches Agronomiques (I.N.R.A.) ont sélectionné 2 espèces de champignons carnivores : - L'une s'en prend à un nématode nommé Ditylenchus myceliophagus qui lui-même s'attaque au champi-gnon de couche. - L'autre capture un nématode nommé Méloïdogyne qui affecte les cultures florales et maraîchères. La production industrielle de ces 2 champignons a été mise au point sur un support à base de graines de seigle cuites. Les applications du procédé donnent pleine satisfaction aux utilisateurs. Conclusion : Il semble, ici encore, que la particularité "carnivore" rende possible la colonisation de milieux inhospitaliers en compensant le manque d'éléments nutritifs. Jean-Pierre Geslin, professeur. 24 Complément : qu'est ce qu'une tourbière ? Une tourbière est un marécage où se forme une sorte de charbon très friable : la tourbe qui résulte de la décomposition lente et très partielle de végétaux. On ne peut parler de tourbière que s'il existe au moins 40 cm de tourbe. Quand on sait que la vitesse de formation de la tourbe se situe entre 0,5 mm et 1 mm par an, on voit que les tourbières les plus récentes ont commencé à se former il y a plus de 500 ans. Certaines comportent plus de 10 mètres de tourbe et remontent à 11 000 ans. Une tourbière ne peut se former que si l'alimentation en eau est suffisante pour qu'il n'y ait pas de dessèchement en été. Le point de départ est dans tous les cas un étang qui, envahi par la végétation, va peu à peu se combler : c'est l'atterrissement. Le mode d'atterrissement permet de distinguer 2 types de tourbières : Les tourbières bombées ou acides : on y rencontre 2 espèces de plantes carnivores : le droséra à feuilles rondes et le droséra à feuilles intermédiaires. Les tourbières plates ou basiques : elles comportent également 2 espèces de plantes carnivores : la grassette et le droséra à feuilles longues qui possède la particularité d'avoir ses feuilles immergées. Comment se forme une "tourbière bombée" = "tourbière acide" ? Le point de départ est un étang sans écoulement, uniquement alimenté par de l'eau de pluie. Peu à peu, se développent à la surface de l'eau des mousses appelées sphaignes qui forment un tapis flottant que l'on nomme tremblant. Les sphaignes croissent sans cesse par leur partie supérieure verte et meurent par leur base. Dans ce milieu privé d'air, les bases mortes ne pourrissent pas mais se "carbonisent" formant une masse brunâtre appelée "tourbe" d'où le nom de tourbière. Peu à peu, le tapis s'épaissit et croît vers la périphérie, l'aboutissement final étant le comblement de l'étang. Entre les touffes de sphaignes, on peut trouver des plantes carnivores : les droseras à feuilles rondes. Les droseras capturent de petits animaux, compensant ainsi la pauvreté de ce milieu en azote minéral. Jean-Pierre Geslin, professeur. 25 Comment se forme une "tourbière plate" = "tourbière basique" ? Le point de départ est un étang alimenté par des ruisseaux ou par des sources qui apportent de grandes quantités de sels minéraux, en particulier du calcium. Sur les bords de l'étang s'installent des carex, des joncs, des roseaux… dont les rhizomes et les racines enchevêtrés forment des sortes de radeaux ou tremblants qui progressent vers le centre du plan d'eau. L'épaississement de ces radeaux entraîne leur enfoncement, tandis que de nouvelles plantes s'installent sur la partie supérieure. Les espaces restés libres et le fond de l'étang sont colonisés par des mousses du genre hypnum. Document extrait de : "Sciences naturelles" 1ère D. Collection Pierre Vincent. Editions Vuibert. On aboutit finalement à une végétation croissant sur un sol imbibé d'eau, lui même supporté par un socle de matières végétales. Ces matières végétales ne sont pas décomposées mais "carbonisées" car elles sont isolées de l'air par l'eau. Elles se transforment en une tourbe noirâtre. La tourbière formée est dite plate parce que le sol reste au niveau initial de l'eau. Elle est dite basique car elle contient du calcium. Jean-Pierre Geslin, professeur. 26 Comparaison simplifiée d'une tourbière basique et d'une tourbière acide : Tourbière bombée = acide = ombrogène. Tourbière plate = basique = topogène. L'étang est uniquement alimenté par de l'eau de pluie. L'étang est à la fois alimentée par de l'eau de pluie et par des ruisseaux. L'eau de l'étang issue des précipitations est L'eau de l'étang - du fait de l'apport des une eau sans calcium (eau décalcifiée) et très cours d'eau - est très riche en sels de calcium pauvre en azote minéral. et relativement chargée en azote (l'azote est en particulier présent sous forme de nitrates). Le comblement de l'étang s'effectue à la fois de la périphérie vers le centre et du centre vers la périphérie. Le comblement de l'étang débute par la périphérie et d'étend vers le centre. Les mousses caractéristiques sont des sphaignes. Les mousses caractéristiques sont des hypnes. Le comblement terminé, le sol apparaît bombé du fait de la croissance verticale des sphaignes. Le comblement terminé, le sol apparaît plat et correspond au niveau initial de l'eau. Tourbe de couleur blonde provenant des sphaignes. Tourbe de couleur noire provenant des "végétaux supérieurs" = "plantes à fleurs". Attention, la tourbière alcaline peut se transformer en tourbière acide si l'apport en eau tellurique (eau issue des ruisseaux et des sources) diminue puis cesse. Jean-Pierre Geslin, professeur. 27