Les noms ont une forme ‘déterminée’ (D) marquée par l’adjonction d’une terminaison nasale et d’un élément tonal bas, mais la forme déterminée peut avoir une interprétation définie ou indéfinie, selon les contextes. Les déterminants défini, indéfini et partitif du français nécessiteront donc un apprentissage appuyé. En soninké, le complément du nom précede le nom (à l'inverse du français) : (6) dèbén ŋàlìmàamín tàaxàllènmâ village.D imam.D voisin.D ‘un voisin de l’imam du village’ Le soninké n’a pas de formes spéciales correspondant aux possessifs du français : dans cette fonction on emploie simplement les pronoms personnels. Par exemple, dans o tàaxàllènmâ ‘notre voisin’, on a le même pronom de premiere personne du pluriel o que dans Ó dà àlìmáamìn kúuñí ‘Nous avons salué l’imam’. L'adjectif épithete suit toujours le nom en soninké et forme avec lui une sorte de nom composé, où le nom apparaît à une forme spéciale dite 'non autonome', par ex. : (7) a. dèbé 'village' b. dèbì-xòorê village-grand 'ville' Dans ce genre de combinaison le pluriel se marque uniquement sur le deuxieme terme (l'adjectif) : (8) a. hàrì-júgúmúntè âne-boiteux.SG '(un) âne boiteux' b. hàrì-júgúmúntò âne-boiteux.PL '(des) ânes boiteux' La grammaire de l'adjectif épithete, qui précede ou suit le nom en français (une jolie maison, une maison bleue) mériteront donc une attention particuliere de la part des locuteurs du soninké. Les autres types de modifieurs du nom occupent tous une position fixe en soninké, qui est souvent différente de celle de leur équivalent en français. Par exemple, yògo ‘un certain’ suit le nom (kòotá yògo ‘un jour’), de même que tàná ‘autre’ (hàré tàná ‘un autre âne), ou encore sú ‘tout, tous’ (hí sú ‘toute chose’). En particulier, les numéraux se répartissent en plusieurs sous-ensembles qui ne se combinent pas avec les noms de la même façon. Par exemple, avec ‘deux’, le numéral suit le nom, et le nom est à la forme du pluriel (hàrú hìllì ‘deux ânes), alors qu’avec ‘vingt’, le numéral précede le nom, et le nom est à la forme du singulier (tánpíllé hàré ‘vingt ânes’). LANGUES ET GRAMMAIRES EN ILE DE FRANCE Denis Creissels Université Lumière, LGIDF Ismael Diawara, consultant, LGIDF QUELQUES CONTRASTES PERTINENTS POUR L'ACQUISITION DU FRANCAIS PAR LES LOCUTEURS DU SONINKÉ (sòonìnkànqánne) ELEMENTS CULTURELS En soninké, on répond en principe aux questions totales par yàbo ‘oui’ ou àyi ‘non’. Il faut pourtant savoir qu'un enfant qui a reçu l’éducation africaine traditionnelle hésite beaucoup à répondre ‘non’ à une question posée par un adulte, des lors qu’il estime que l’adulte qui a posé la question espere une réponse positive et risque de se sentir contredit par une réponse négative. ELEMENTS BIBLIOGRAPHIQUES Girier, Christian. 1996. Parlons soninké. Paris : L'Harmattan. GLOSSAIRE D = déterminé ; INF = marque d’infinitif (précede le verbe, comme to en anglais) ; P = postposition ; PL = pluriel ; SG = singulier LGIDF http://lgidf.cnrs.fr/ Le projet Langues et Grammaires en (Île-de) France a pour centre un site internet en cours d’élaboration conçu par des linguistes, des didacticiens et des professionnels de l’Éducation nationale avec : des informations linguistiques sur diverses langues parlées en (Ile-de) France, de l’arabe au chinois en passant par le soninké, le créole haïtien, le tamoul, le rromani, le portugais, le roumain, et plus précisément : des descriptions scientifiques des propriétés scripturales, sonores et grammaticales, avec des exemples écrits et audio une liste de mots traduits et enregistrés et une histoire traduite et lue dans toutes les langues étudiées des informations sur les systemes de numération des ressources bibliographiques pour chaque langue des liens conduisant à d’autres sites linguistiques PRESENTATION GÉNÉRALE La langue soninké compte environ deux millions de locuteurs. Le territoire traditionnel des Soninké (Sòonìnko ̂) recoupe les pays suivants : Mali, Mauritanie, Sénégal et Gambie. On peut donc prévoir chez les locuteurs du soninké un certain degré de bilinguisme, variable selon leur pays d'origine : bambara (Mali), arabe mauritanien, wolof (Sénégal), mandinka (Gambie). Selon les pays, les langues de scolarisation peuvent être le français, l’anglais ou l’arabe, mais le taux de scolarisation dans les zones où vivent les Soninké est plutôt faible. Il n’existe pas de forme standard du soninké, mais l’écart entre les différentes variétés dialectales est relativement faible et n’entrave pas l’intercompréhension. L'exposition à l’enseignement coranique traditionnel est assez générale (mais n’implique aucune compétence réelle en arabe).La présentation qui suit se base sur le soninké du Kingui (Mali). Le soninké distingue 5 voyelles breves ([i], [e], [a], [o], [u] et les 5 voyelles longues correspondantes ([ii], [ee], etc. — une opposition non distinctive en français. Plusieurs voyelles du français n'existent pas en soninké : les voyelles antérieures arrondies [y] (pu), [ø] (peu), [œ] (peur) ; les voyelles nasales [ɛ ̃] (bain), [ã] (banc), [õ] (bon). La consonne [f] n'existe que dans certains parlers soninké et peut donc requérir un apprentissage explicite, ainsi que la série des fricatives voisées du français, qui n'existent pas en soninké : [v] (vie, avion, rêve), [z] (zoo, poser, rose), [ʒ] (jambe, loger, rouge), et la semi-consonne [ɥ] (nuit) (correspondant à la voyelle [y]). Le [r] soninké est dental ("roulé" à l'avant de la bouche), contrairement au [r] fricatif postérieur du français commun. Le soninké est une langue à tons, dans laquelle chaque syllabe est caractérisée par une hauteur musicale, haute (´) ou basse (`), par exemple qáwá ‘être humide’ / qáwà ‘se ressembler’, kárá ‘casser’ / kàrá ‘mourir’. Les groupes de consonnes ne sont possibles que de façon tres limitée en soninké : on ne les trouve qu'à l'intérieur des mots, et les seuls groupes possibles sont, des consonnes doubles (par ex. sokkè ‘herbe’), ou [n] + consonne (par exemple tùnkâ ‘roi’). En fin de mot, la seule consonne possible est une nasale. Les syllabes contenant des groupes de consonnes en français méritent donc une attention particuliere (gris, pli, écrit, gorge, montre, etc.) de la part des locuteurs du soninké, ainsi que la gamme des consonnes finales possibles en français (patte, mode, gare, pile, homme, etc.). ELEMENTS DE GRAMMAIRE Les particularités les plus remarquables de la construction de la phrase simple soninké sont (a) une rigidité absolue de l’ordre des constituants, et (b) une distinction particulierement tranchée entre construction transitive et construction intransitive. La phrase verbale intransitive du soninké a la forme : S V X. Le sujet (S) précede le verbe, et sauf à l’impératif il est obligatoirement exprimé (comme en français). Tous les autres termes (les 'obliques' : X) suivent le verbe. Une phrase qui ne contient aucun marqueur grammatical de temps-mode-polarité (affirmation/négation) s’interprete comme de l'‘accompli affirmatif (1a). Pour toute autre interprétation, un mot grammatical (sorte d’auxiliaire) inséré entre le sujet et le verbe exprime à la fois le temps et la polarité. Selon le marqueur de temps-mode-polarité, le verbe porte ou non un suffixe ou un ton particulier : (1) a. Hàrên Ø qáarù. ‘L’âne a crié.’ Hàrên Hàrên Hàrên má ŋá ntá polarité marqueur affirmative ø négative má inaccompli affirmative wá négative ntá La négation du français, généralement exprimée par deux marqueurs l'un et l'autre indépendants du temps (ne...pas, ne...jamais, etc.) peut donc être une difficulté à surmonter pour les locuteurs du soninké. La construction verbale transitive a pour scheme S O V X, l'objet (O) se plaçant à gauche du verbe (V) et les obliques (X) à sa droite. A l’accompli affirmatif apparaît un marqueur qui est absent dans la phrase intransitive — un marqueur de transitivité (TR) : (2) ELÉMENTS DE PHONOLOGIE b. c. d. temps accompli qàarù. qáarù-nú. qàarù-nù. ‘L’âne n’a pas crié.’ ‘L’âne crie.’ ‘L’âne ne crie pas.’ Une particularité remarquable du soninké est que la négation n’a pas d’expression indépendante de l’expression du temps: à chaque marque affirmative de temps correspond une marque négative du même tems, completement différente, ainsi : a. b. Hàrên Ø qáarù. âne.D crier Yúgòn dà àlìmáamìn kúuñí. homme.D TR imam.D saluer ‘L’âne a crié.’ Hàrên qúsà nàn qáarù. âne.D se.mettre INF crier Táaxállénmàn qúsà nà voisin.D se.mettre INF ‘Le voisin s’est mis à frapper l’âne.’ ‘L’âne s’est mis à braire.’ ‘L’homme a salué l’imam.’ A l'infinitif, on a aussi un marqueur différent dans la construction transitive (nà) et dans la construction intransitive (nàn) : (3) a. b. hàrên âne.D kátú. frapper Les locuteurs du soninké ont donc une sensibilité à la distinction entre phrase transitive et phrase intransitive, qui pourrait être exploitée par exemple pour expliquer en français le passif, ou la distinction entre verbes à auxiliaire être (toujours intransitifs : il est parti) et verbes à auxiliaire avoir (intransitifs : il a travaillé ou transitifs : il a bu de l'eau). Il n’y a, en soninké, aucune différence de position entre pronoms et noms, ni aucune différence de forme entre pronoms sujets, objets, ou obliques. (4) a. Alìmáamìn dà táaxállénmàn bísímíllà imam TR voisin accueillir ‘L’imam a accueilli le voisin’ b. A dà à bísímíllà lui TR lui accueillir ‘Il l’a accueilli’ L'acquisition du systeme des pronoms du français, qui présentent plusieurs formes à chaque personne (je, me, moi, etc.) et n'occupent pas toujours la même position que les noms correspondants (il a vu l'âne/il l'a vu), requerra donc sûrement une attention particuliere pour les locuteurs du soninké. Le soninké a quelques prépositions, mais utilise surtout des postpositions pour marquer la fonction des termes nominaux autres que le sujet et l’objet, par exemple :. (5) a. b. An pàrên toi(ton) âne ‘Prête-moi ton âne Alìmáamìn imam.D ‘L’imam est parti à loxo prêter !’ dàgá partir la ville.’ ín moi ŋà P (à) dèbìxòorén ville.D ! dì. P (dans) Le soninké n’a rien qui ressemble de pres ou de loin à un systeme de genre, et en particulier les deux pronoms de troisieme personne à (singulier) et ì (pluriel) n’impliquent absolument rien quant à la nature de leur référent. Le pluriel est marqué par un changement de la terminaison des noms (hàrê ‘âne’, hàrû 'ânes', kâ ‘maison’, kàanû 'maisons', etc.), et il y a des mécanismes d’accord en nombre, par exemple entre nom et démonstratif (ké háré ‘cet âne’, kú hárú 'ces ânes'). L'accord en nombre dans le groupe nominal. français n'est donc pas completement 'exotique' pour un locuteur du soninké.