Le Vison d’Europe (Mustela lutreola), une vision d’avenir ? Pascal Arlot1 1 Espace Naturels d’Aquitaine, Domaine de Sers, route de Bordeaux, 64 000 Pau M ustela lutreola (Linnaeus,1758) est l'une des espèces de mammifères les plus menacées de disparition en Europe avec le lynx pardelle (Lynx pardinus), endémique de la péninsule ibérique et le phoque moine de méditerranée (Monachus monachus). Ordre : carnivores (13 espèces en Aquitaines) Famille : Mustélidés (9 espèces en Aquitaines) Genre : Mustela (5 espèces en Aquitaines) Espèce : Mustela lutreola Etymologie Vison vient du latin Vissio (puanteur), en référence à la forte odeur musquée qu'il dégage de ses glandes anales, qui lui permettent non seulement de marquer son territoire mais qui s'avère aussi un efficace moyen de défense en cas d'agression. Lutreola signifie petite loutre, nom faisant allusion au milieu dans lequel il vit qui lui était attribué dans certaines campagnes d'antan (Cabard & Chauvet, 1998). Noms vernaculaires : En Euskara (Basque), Mustela lutreola se dit ur-ipurtatsa qui signifie littéralement putois d'eau. Chez nos voisins Castillans, visón europeo ; pour les Cataláns visó europeu, enfin, les anglophones le nomment European mink. Description De taille intermédiaire entre l'hermine (Mustela erminea) et la fouine (Martes foina), le vison pèse de 400 à 600 grammes pour une femelle, 800 grammes à 1 kg pour un mâle. Ressemblant au putois (Mustela putorius), il se différencie par son pelage brun foncé et sa tête plus effilée, mais les meilleurs critères sont les tâches blanches sur les lèvres supérieures et inférieures. Le putois a un masque facial blanchâtre, sauf chez les sujets mélaniques dont la distinction est plus délicate ; le vison d'Amérique (Mustela vison) n'a de tâche blanche que sur le menton, il est aussi plus gros que l'européen. 2 Habitat Mammifères semi-aquatique, il vit dans les habitats hygrophiles des lits majeurs des rivières : marais ouverts et aulnaies-saulaies de préférence mais aussi les petits cours d'eau forestiers, les berges boisées des marais, des lacs et étangs, des fleuves et des rivières (GREGE, 2000a). Le degré d'inondation est aussi un facteur important. Le suivi par radiopistage mené dans les Landes de Gascogne a montré que 70% des gîtes étaient installés dans les milieux fortement inondés. Il s'agit principalement de gîte au sol dans la végétation, voire des cavités racinaires des aulnes ou des terriers creusés dans les berges par des rongeurs (GREGE, 2000a). Répartition Autrefois répandu dans toutes les zones humides d'Europe jusqu'en Russie (à l'exception de l'Europe méditerranéenne, des îles britanniques et de la péninsule scandinave), il ne reste aujourd'hui que deux noyaux de population ; l'un en Europe de l'Est, l'autre en Europe occidentale où il ne se maintient plus que dans 7 départements français (les 5 aquitains et les deux Charentes) (GREGE, 2000b, 2001 et 2002) ainsi que les provinces de Navarre, d'Euskadi, de La Rioja, côté espagnol (Palazón, 1999 et 2001). Mœurs Plutôt crépusculaire et nocturne, il est solitaire et sédentaire. Selon la richesse du milieu en proies, son territoire s'étend en moyenne entre 2 et 15 km le long d'un cours d'eau (GREGE, 2000a ; Palazón et al., 1993; Garin et al., 2000). En hiver et durant la période de rut, un mâle peut effectuer des déplacements jusqu'à 50 kms (GREGE, 2000a). Indices de présences : contrairement à la loutre (Lutra lutra) qui laisse des indices caractéristiques comme les le courbageot 21-22 Le vison d’Europe, une vision d’avenir? épreintes, les empreintes de pattes, la voie, les fèces, les reliefs de repas (carnages de batraciens) et le gîte du vison d'Europe sont impossibles à distinguer de ceux du putois et du vison d'Amérique. L'observation directe est exceptionnelle. A moins de trouver un individu mort (écrasé sur une route ou tué par un chien), le seul moyen pour vérifier la présence de l'espèce sur un cours d'eau est la capture en boite de type chatière (piège de catégorie 1). Ces opérations restent réservées aux personnes ayant reçu une formation et ayant obtenu une autorisation ministérielle, puisqu'il s'agit d'une espèce protégée particulièrement vulnérable entrant dans le cadre d'un plan national de restauration. Régime Généraliste, son régime très diversifié comprend tous types de proies pouvant se rencontrer dans son biotope. Opportuniste, il consomme de préférence les animaux les plus abondants et les plus accessibles. Une étude trophique (à partir des fèces) a compté sur une même rivière que le vison d'Europe avait consommé 44 espèces tandis que la loutre 23 (Rosoux, 2001). Durant l'été et l'automne, les oiseaux et les mammifères (surmulot, campagnol amphibie) constituent l'essentiel de son ordinaire. L'hiver, il chasse de préférence les amphibiens (grenouilles principalement) et les poissons faciles à capturer (fraies, étang de faible profondeur, retrait des eaux consécutif aux crues isolant des poissons dans de petits trous), car contrairement à la loutre, sa nage est lente et ne lui permet pas de poursuivre un poisson en eau vive. Au printemps, les poussins et les œufs des oiseaux d'eau sont une aubaine en période de nidification. Reproduction L'accouplement a lieu entre janvier et avril, la gestation dure de 35 à 42 jours ou plus. Les seules données connues sur sa reproduction viennent des populations russes : 2 à 7 jeunes naissent entre avril et mai, ils sont allaités pendant une dizaine de semaines. Les premières dents apparaissent à deux mois. Ils se séparent de leur mère à la fin de l'été (Ognev, 1931). L'impression des spécialistes français pour les populations occidentales est de 2 à 3 jeunes par femelle gestante, mais cette hypothèse mériterait d'être vérifiée (Comm. Pers. Pascal Fournier). pp2-5 La disparition de son habitat : 1/3 des zones humides françaises ont disparu depuis l'après-guerre ! Recalibrage des rivières, enrochement des rives, coupes de la ripisylve, drainage et assèchement des zones humides, conversion des prairies pâturées en champ de maïs, construction en terrain inondable, traitement chimique et pollution, etc... Le piégeage d'abord pour la fourrure, puis pour les espèces considérées " nuisible " ont très probablement eu un impact important sur les populations de visons. Les pièges mortels (type piège en X) ne sont pas sélectifs. La confusion dans l'identification avec le vison d'Amérique ou le putois, classés nuisibles dans nombre de départements ou encore les nasses à rat musqué ou à écrevisse mises dans l'eau dans lesquelles il se noie causent aussi des pertes. La régulation des rongeurs déprédateurs comme le rat musqué (Ondatra zibethicus) et le ragondin (Myocastor coypus) par la lutte chimique (bromadiolone par exemple) a également une répercussion chez le vison qui aura consommé un cadavre. La mortalité routière est la première cause de mortalité des individus trouvés morts (Fournier, 2002). Les attaques par un autre carnivore (chien notamment) sont assez fréquentes. Telle cette femelle trouvée morte le 09 mai 1997 dans les barthes de Villefranque : l'autopsie concluait qu'elle avait été tuée par un chien. Elle était en lactation, les petits sont morts faute d'allaitement ! Il en va de même pour cette femelle trouvée morte le 24 mai 2001 dans une Réserve Naturelle Volontaire située à Arcangues. C'est la seconde cause de mortalités des visons trouvés morts après la collision routière (GREGE, 2002). En effet, les visons sont des animaux qui ne fuient pas facilement et quand ils le font, ils ne sont pas assez rapides face à un chien. Le vison d'Amérique (Mustela vison) est élevé en Europe pour sa fourrure (le fameux "manteau de vison"). On comptait en 1959 environ 600 visonnières (fermes d'élevage) en France ! Suite à plusieurs lâchers, volontaires ou accidentels, il s'est développé dans tout l'Ouest du pays. 12 000 visons américains se seraient échappés en une nuit d'une visonnière du Morbihan ! Menaces La célèbre fourrure du vison le protège des températures froides de l'hémisphère Nord, où il a élu domicile depuis 30 millions d'années. Cette magnifique robe brun foncé lui permet de sécher plus vite son pelage, souvent humide à cause du biotope dans lequel il évolue. Vison d’Europe (Mustela lutreola) Photo : G. Martin le courbageot 21-22 3 Or les deux espèces occupent la même niche écologique et sont donc en concurrence dans la défense du territoire. Il faut savoir que l'homologue l'américain a une supériorité pondérale… là où le vison américain gagne, le vison d'Europe disparaît (Ceña et al., 2001). Les populations férales de visons américains constituent un facteur aggravant pour notre vison indigène mais cela ne suffit à expliquer la disparition du vison indigène puisque celle-ci est signalée depuis le début du siècle dernier et l'arrivée en Europe de l'espèce allochtone date de 1926. Enfin, il est aujourd'hui démontré que le vison d'Amérique pourrait transmettre des maladies (maladie aléoutienne entres autres) au vison d'Europe. Cette pathologie a été détectée sur des putois et sur les deux espèces de visons capturés lors des campagnes (GREGE, 2002). Protection officielle En France, la loi sur la protection de la nature du 10 juillet 1976 protège l'espèce de toute destruction. En Espagne, le décret du 30 décembre 1980 en fait autant. Elle est considérée comme " en danger " dans les Listes Rouges espagnoles et françaises. La Liste Rouge mondiale de l'UICN la signale comme " menacée d'extinction ". L'espèce est inscrite à l'annexe II de la Directive Habitat, directive européenne qui prévoit la protection de l'espèce et de son biotope. Dans les pays de l'Est, notamment en Russie, l'espèce est toujours chassée pour sa fourrure. Conservation Des programmes de sauvegarde pour la population occidentale ont vu le jour. En France, un plan national de restauration 1999-2003 initié par le Ministère de l'Environnement - actuel Ministère de l'Ecologie - animé par la Mission vison d'Europe, antenne de la Société Française d'Etude et de Protection des Mammifères (SFEPM) qui a pour objectifs de préciser la bioécologie de l'espèce, d'analyser les causes du déclin, d'étudier l'évolution de la répartition, de mesurer le degré de variabilité génétique, d'assurer la protection et la restauration des habitats, la lutte contre le vison américain, d'adapter la réglementation relative aux espèces considérées " nuisibles ", la protection contre les voies de com- munication, d'informer auprès du public et de former les gestionnaires et usagers - édition de conseils techniques sur l'aménagement et gestion des habitats (Fournier, 2002), de mettre en place un élevage en captivité, basé sur l'expérience très réussite aux USA pour le furet à pattes noires (Mustela nigripes), et ce en vue éventuellement de renforcement des populations afin de maintenir l'espèce dans nos contrées (Ministère de l'environnement, 1999). En Espagne des planos de recuperación et quatre projets Life-nature ont été mis en place dans les provinces autonomes de la Rioja, de Castilla y Léon, d'Alava et de Catalogne, en collaboration avec les chercheurs des universités et la Sociedad Española para el Estudio y la Conservación de los Mamíferos (SECEM). L'étude de la répartition consiste en des campagnes de capture dans l'aire de répartition actuelle au moyen de pièges de catégorie 1. Dix pièges sont répartis sur près d'une dizaine de kilomètres de rivière et sont relevés quotidiennement. Ces campagnes sont effectuées du 1er octobre au 30 avril de manière à limiter les risques de captures de femelles présentant un état avancé de gestation ou en cours d'élevage des jeunes (protocole Fournier, 1999). Ne sachant pas si le noyau occidental distinct de plusieurs milliers de kilomètres des noyaux orientaux est viable, espérons que l'application rapide de ce plan de restauration sera efficace car l'espèce pourrait bien disparaître d'ici 10 à 15 ans, selon certains spécialistes! Je tiens à remercier tout particulièrement Pascal Fournier du Groupe de Recherche et d'Etude pour la Gestion de l'Environnement (GREGE) pour la relecture de l'article. Contacts En cas d'une capture accidentelle, d'un individu photographié ou trouvé mort de vison d'Europe, d'Amérique ou de putois, veilliez à avertir immédiatement Pascal Fournier au 06 08 31 15 42. Bibliographie Blanco, J.C., 1998. Mamíferos de España I. Colección: Guías de Campo, 496 p. 1 2 1. Aulnaie du Graoux (33) 2. Etang de la Ferrière (33) 3. Vison d’Europe (Mustela lutreola) Fond iconographique du GREGE 4 le courbageot 21-22 Le vison d’Europe, une vision d’avenir? Cabard, P. & Chauvet, B., 1998. Etymologie des noms de mammifères. 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