Résumé de la thèse de Melle Anica LEKIC TITRE : Etude de la conversion de spin nucléaire du méthane en matrice d’Argon et de Krypton Ce travail de thèse s’inscrit dans le cadre général de l’étude de la conversion de spin nucléaire de molécules hydrogénées, dont les résultats présentent des implications pour certains milieux astrophysiques. Les molécules possédant des atomes identiques en positions interchangeables existent sous différentes formes appelées « configurations de spin nucléaire » identifiées par la symétrie de la fonction d’onde rovibrationnelle et la valeur de leur spin nucléaire total. En première approximation, le passage d’une configuration à l’autre est peu probable en l’absence de champ magnétique non uniforme et dépend de l’environnement de la molécule. Dans le cas des molécules hydrogénées présentes dans les atmosphères cométaires et le milieu interstellaire comme H2O, NH3, CH3OH et CH4, la mesure de l’évolution des rapports entre populations de configuration de spin différentes montre que ces dernières ne sont pas à l’équilibre thermodynamique attendu dans les conditions de température du milieu étudié. Le débat reste ouvert dans la communauté astrophysique quant à l’origine de ce déséquilibre et notamment sur la dynamique d’équilibration ou de rééquilibration de ces états de spin nucléaire dans la phase solide et à l’interface avec la phase gazeuse à basse température. Ce travail de thèse expérimental est dédié à l’étude de la conversion de spin nucléaire du CH4 dans des environnements cristallins modèles : les matrices d’argon et de krypton. La molécule de méthane présente trois configurations de spin nucléaire appelées para, ortho et meta qui possèdent respectivement le spin nucléaire total 0, 1 et 2 et sont associés aux représentations A1, F2 et E du groupe ponctuel de symétrie Td. Il est connu que dans ces milieux, la rotation-vibration des molécules est seulement gênée par les interactions avec la cage. Comme les matrices de gaz rare sont relativement transparentes dans l’infrarouge moyen, il est possible d’accéder au comportement des populations des états de spin nucléaire par spectroscopie d’absorption à transformée de Fourier dans les régions spectrales des modes vibrationnels 3 (élongation antisymétrique) et 4 (pliage symétrique) du méthane. Le méthane, piégé dans une des deux matrices, peut se cristalliser dans deux sites simples de substitution, cubique à face centrée et hexagonal compact. Dans ces deux sites de symétries différentes, la molécule ne ressent pas les mêmes potentiels cristallins. De fait, la spectroscopie du méthane en matrice n’est pas la même selon que la molécule se retrouve piégée dans un site CFC ou HCP. Une modélisation simple de la position des niveaux d’énergie du méthane en matrice, piégée dans un site CFC, a été faite en tenant compte des interactions de Coriolis entre les modes de vibration actifs dans l’IR et d’autres modes de vibration. Les rapports de force de raies mesurés pour les transitions observées ont été comparés avec les données théoriques. De même, une proposition d’attribution des raies du méthane dans un site HCP a été réalisée au cours de cette étude, en comparant les données expérimentales à celles obtenues dans la littérature. Un abaissement brutal de la température de 20 K à 4,2 K, produit un échantillon enrichi en espèce ortho. Lors du retour à l’équilibre du système, on peut mesurer la dynamique de conversion des espèces ortho en espèces meta. Nous avons étudié ce comportement pour plusieurs concentrations du méthane en matrice d’argon. Nous avons pu mettre en évidence une influence importante de la concentration en méthane dans l’échantillon, qui en même temps que l’accélération de la conversion, produit une cinétique non exponentielle. Cette étude a permis de mettre en évidence le régime de dilution où les interactions magnétiques intermoléculaires prennent de l’importance. Pour les échantillons fortement dilués, il est possible de mesurer un taux de conversion de spin nucléaire non nul dont l’origine est attribuée à des interactions magnétiques d’origine intramoléculaire couplés à des interactions électrostatiques avec les atomes de la cage. Afin de déterminer les mécanismes qui permettent d’induire une conversion de l’état de spin nucléaire tout en relaxant l’énergie rotationnelle de la molécule vers l’environnement cristallin, nous avons réalisé une étude systématique en fonction de la température (entre 4,2 K et 10 K typiquement) des taux de conversion du méthane en matrice d’argon et de krypton. L’évolution du taux de conversion en fonction de la température est gouvernée par trois processus : le processus direct à un phonon, et les processus à deux phonons (Raman ou Orbach mettant en jeu un niveau intermédiaire résonant). Le processus direct à 1 phonon qui existe dès les basses températures est dominé par les processus à deux phonons pour les températures supérieures à 4,2 K. On montre que le processus Raman seul ne peut reproduire correctement la dépendance en température du taux de conversion de spin nucléaire. Pour les deux matrices, la structure énergétique du méthane influe également sur le niveau intermédiaire possible et sur le mécanisme à deux phonons prépondérant (Orbach simple ou Orbach combiné au Raman). En effet, pour le méthane en matrice d’argon (site CFC), le mécanisme retenu est un mécanisme hybride : processus Orbach faisant intervenir la résonance entre les sous-états F2 et A1 associés au niveau J = 3 combiné à un processus Raman. Concernant le site HCP, la conversion de spin nucléaire est beaucoup plus rapide que dans le site CFC. La dépendance en température montre que le processus d’Orbach fait intervenir un écart énergétique plus faible dans le site HCP que dans le site CFC, tout à fait compatible avec la spectroscopie du méthane dans ces deux sites. Pour le méthane en matrice de krypton en revanche, le niveau J = 2 est considéré comme le candidat le plus probable pour le niveau intermédiaire du processus Orbach, combiné à un processus Raman. La présence d’isotopes magnétiques du Krypton peut sans doute expliquer les différences observées avec l’Argon. Nous avons également abordé l’étude du méthane solide entre 4,2 K et 10,5 K (phase ) à l’aide des mêmes méthodes. Les temps de conversion mesurés en phase solide sont plus courts qu’en matrice de gaz rare. En conclusion, nous avons clairement identifié les mécanismes de conversion du méthane en matrice d’argon et de krypton pour les sites HCP et CFC. Notre étude démontre que plusieurs mécanismes sont à prendre en compte pour pouvoir expliquer la dynamique observée et sa dépendance en température. L’étude exploratoire du méthane solide à basse température met en évidence une conversion encore plus rapide qu’en matrice. Ces travaux suggèrent que pour des glaces de nature astrophysique, l’équilibre des populations relatives entre les configurations de spin devrait être obtenu en phase solide, ce qui remet en cause l’hypothèse de la conservation des rapports otho/para dans les glaces cométaires et interstellaires.