Les soins ambulatoires sous contrainte au Danemark : code civil ou

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L’Information psychiatrique 2006 ; 82 : 71-6
LETTRE DE L’ÉTRANGER
Rubrique dirigée par P. Noël
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Les soins ambulatoires sous contrainte
au Danemark : code civil ou pénal
ou code pénal et civil ?
Dans L’Information psychiatrique, vol. 81, n° 7 (septembre 2005), Jean-Louis Senon plaidait avec conviction pour que
les soins ambulatoires sous contrainte deviennent possibles. Afin d’alimenter le débat, nous nous sommes tournés vers
nos correspondants européens et nord-américains pour connaître leur point de vue et leur éventuelle pratique. Après les
contributions de Tilo Held pour l’Allemagne (n° 7), d’Arnaldo Ballerini pour l’Italie (n° 8), de J. Parratte pour le
Québec (n° 9) et de J. A. Inchauspe pour l’Espagne (n° 10), voici celle de A. Urfer Parnas.
Annick Urfer Parnas*
Le Danemark n’est pas épargné par ce phénomène
actuel, ce sentiment d’insécurité, observé dans les sociétés
occidentales. Certaines franges de la population sont
davantage visées comme responsables de ce phénomène.
Parmi elles, les patients souffrant de graves troubles psychiques, dont on a observé une croissance régulière du
nombre d’actes criminels, mais aussi une tendance à être
marginalisés. Il est intéressant d’étudier ces problèmes
dans ce petit pays de 5,5 millions d’habitants, riche, avec
une bonne croissance économique, doté d’un service de
santé public, dont l’accès est gratuit pour toutes les personnes munies d’une autorisation de séjour. La pratique privée
de la psychiatrie est encore restreinte même si, ces dernières années, on note une augmentation du nombre de cabinets privés de psychiatres. Il faut souligner que la psychiatrie danoise est réglementée depuis des années par la Loi
psychiatrique (Code civil) mais aussi par le Code pénal,
pour les personnes commettant des actes criminels et
jugées inaptes à une peine de prison en raison de troubles
mentaux, surtout psychotiques.
Il est difficile pour les services publics danois de psychiatrie de faire face aux besoins de ces patients sévèrement malades, et les services carcéraux et sociaux sont
débordés. Ces problèmes sont jugés si importants et aigus
que le Parlement danois doit se prononcer en 2006 sur une
révision de la Loi psychiatrique, déjà revue en 1999.
L’enjeu de cette révision est l’introduction d’une possibilité de traitement ambulatoire sous contrainte pour toute
*
Psychiatre, assistante de recherche, Hvidovre Hospital, Brøndyøstervej
160, 2605 Brøndby, Danemark
personne, chroniquement et gravement malade, qui refuse
d’être traitée.
Dans cette communication, les différentes lois dictées
par les codes civil et pénal, leurs applications et limites sont
décrites, ainsi que brièvement celles en vigueur en Norvège
et en Suède.
Une attention spéciale est apportée à la nouvelle révision
de la loi psychiatrique qui sera débattue par le Parlement
danois l’an prochain. Quels sont les différents enjeux et
points de vue et que penser de cette « évolution disciplinaire » de la psychiatrie ?
Les lois civiles psychiatriques
La première loi psychiatrique date de 1683 et a été
établie sous le règne de Christian V. Elle visait à protéger la
société contre les personnes psychiquement malades et
dangereuses. Elle a été révisée en 1938, 1989 et 1999. Son
contenu évolue depuis sa première parution au XVIIe siècle
de mesures de protection de la société vers une protection
de l’individu contre les abus potentiels de la société à son
égard [3].
Cette loi contient la législation des hospitalisations sous
contrainte, la réglementation des traitements d’office,
médicamenteux, ECT, et des contentions physiques, administration de calmants, obligation pour un patient à regagner sa chambre, attachement d’un patient dans son lit,
fréquence des contrôles, obligation d’une garde personnelle 24 heures sur 24.
Les deux possibilités d’admission sous contrainte sont
justifiées soit par des critères d’urgence et de dangerosité,
L’INFORMATION PSYCHIATRIQUE VOL. 82, N° 1 - JANVIER 2006
71
A. Urfer Parnas
Traitement
volontaire
Validation
par le directeur
de la police
ou son substitut
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Papiers
rédigeables
par n’importe
quel médecin
non affilié
au service
d’admission
ou proche du
malade
Continuation
en volontaire
Traitement non
volontaire
Hospitalisation
sous contrainte
Traitement
volontaire
Validation
par le médecin-chef
du service d’admission
ou son substitut
Continuation
sous contrainte
Traitement non
volontaire
Réévaluation
à des intervalles
de temps précis
Figure 1. Procédure d’hospitalisation sous contrainte au Danemark.
soit par des besoins de soins, à condition qu’elles permettent une amélioration de l’état du patient. Avant tout traitement d’office ou privation de liberté, il est stipulé par la loi
que tout doit avoir été mis en œuvre pour essayer de
convaincre la personne de se laisser soigner volontairement. La loi n’est applicable que si le patient est « insensé »
(sindssyg), sous-entendu psychotique ou équivalent à un
état psychotique. Les symptômes doivent être décrits précisément sur les papiers d’admission pour être validés par
l’autorité aussi bien médicale que policière. Une hospitalisation sous contrainte d’un homme âgé dément, qui se
mettait en danger dans sa maison, a été désavouée par le
Conseil légal de psychiatrie parce que cette personne
n’était pas psychotique et qu’il n’existait aucun traitement
susceptible d’améliorer son état.
Il y a une dissociation entre soins et traitement : les
traitements sous contrainte ne sont administrables qu’en
milieu hospitalier. L’administration aiguë de tranquillisants n’est possible qu’en présence d’un danger potentiel
envers le patient ou son entourage. Il doit être documenté
dans le dossier médical que l’on a essayé de convaincre le
patient de prendre un médicament par voie buccale avant
une injection forcée. La procédure des traitements sous
contrainte non aigus est soumise à une législation très
précise. Une période de 10 jours est prévue pour essayer de
convaincre le patient de prendre le médicament qu’on lui
propose deux fois par jour. Si le patient persiste dans son
refus, le psychiatre responsable de son traitement rédige un
rapport au conseil des patients et demande la permission
d’effectuer ce traitement. La réponse sera donnée après la
72
réunion à l’hôpital du conseil des patients (un juriste, un
médecin extérieur à l’hôpital, un greffier et un représentant
d’une association de patients) avec le malade, son référent,
le médecin demandeur du traitement.
Chaque acte effectué sous contrainte doit être répertorié
dans un protocole ainsi que dans le dossier médical et
infirmier. Seul le médecin est en droit d’ordonner un acte
sous contrainte, comme l’administration aiguë d’un médicament ou d’une contention physique, sauf dans des situations exceptionnelles. Le patient, dans les 24 heures qui
suivent cet acte, est en droit de voir son conseiller (patientrådgiver), qui lui expliquera ses droits et les moyens de se
plaindre.
Si le conseil de patients (Sundhedsvæsenets Patientklagenævn) ne reconnaît pas la nécessité de la poursuite d’une
hospitalisation sous contrainte, dès que la réponse parvient
au médecin et au malade, celui-ci peut sortir, sauf contreindication du médecin qui peut faire recours (figure 1).
Chaque année, le ministère de la Santé publie sur internet le nombre de gestes pratiqués sous contrainte par catégorie et par hôpital pour tout le pays, ce qui provoque un
débat public dans les médias, qui inquiète les médecinschefs des services les plus mal côtés, surtout en ce qui
concerne les fixations dans le lit.
En 2003, on a enregistré pour tout le Danemark un total
de 24 448 hospitalisations (volontaires et involontaires) et
5 061 personnes ont été touchées par une forme ou une
autre de contrainte. Cette même année, on a pratiqué
4 673 privations de liberté (admission à l’hôpital ou prolongation de séjour), 456 traitements d’office médicamenteux
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Soins ambulatoires sous contrainte au Danemark
non aigus, 1 787 fixations au lit (durée non répertoriée),
1 487 administrations de tranquillisants [9].
En Norvège, la psychiatrie est également très réglementée, avec toutefois quelques distinctions majeures. Il est
possible de traiter en ambulatoire sous contrainte certains
patients sévèrement malades, et dont on a l’expérience
qu’ils répondent au médicament proposé. En revanche, il
n’est pas possible de changer une admission volontaire en
prolongation de séjour involontaire. Le patient doit être
réadmis à l’hôpital après un examen pratiqué à l’extérieur
et avec la reconnaissance de l’autorité de police. Il n’y a
aucune statistique norvégienne sur l’effet des traitements
ambulatoires sous contrainte.
La loi suédoise ne reconnaît pas les traitements ambulatoires sous contrainte, mais un médecin-chef hospitalier
peut donner « une permission » hors de l’hôpital, parfois de
plusieurs semaines, à un patient hospitalisé d’office et qui
reçoit un traitement sous contrainte, à condition qu’il le
suive pendant son congé.
Les plans de coordination entre
l’hospitalier et l’ambulatoire
Lors de la révision de la loi psychiatrique en 1999, deux
nouvelles procédures ont été inscrites, « le rendez-vous de
sortie » et « le plan de coordination ». Elles concernent les
personnes sévèrement malades, typiquement des patients
schizophrènes sans observance et souvent avec un problème de dépendance. Ces deux nouvelles lois permettent
au médecin-chef hospitalier d’établir, avec ou sans l’accord
du patient, un contrat avec le secteur ambulatoire, une
policlinique psychiatrique, les autorités sociales, les médecins généralistes. Ce contrat permet d’échanger des informations entre les différents intervenants. Sans lui, ces
informations, de l’ordre du secret médical, ne peuvent pas
être transmises par l’hôpital à ces services, sans l’accord
écrit du patient. Ces contrats ne permettent pas un traitement sous contrainte, mais sont un moyen d’essayer de
garder le contact avec la personne, de se rendre à son
domicile, de la joindre par téléphone, de parler avec son
assistant social de la commune.
Mille contrats annuels étaient attendus après la mise en
vigueur de cette nouvelle loi. Depuis 1999, environ cent par
année ont été enregistrés. Leur réalisation est chaotique,
peu de personnes se soucient de leur suivi en milieu aussi
bien hospitalier qu’extrahospitalier, personne ne se sent
vraiment responsable.
Les lois pénales psychiatriques
La psychiatrie légale au Danemark n’est pas une spécialité, mais appartient à la psychiatrie générale. À partir du
XIXe siècle, les délinquants présentant des troubles psychi-
ques peuvent ne pas être condamnés à une peine de prison.
Philosophes, juristes, psychiatres, politiciens ont débattu
sur l’expression « straffefri », littéralement traduisible par
« libre de peine » lié au terme « insensé », sous-entendu
psychotique ou équivalent à un état psychotique comme un
état confusionnel dû à une maladie somatique [7].
Dans la loi de 1930, les psychiatres, influencés par un
optimisme thérapeutique, jouissaient d’un grand pouvoir
décisionnel quant aux mesures psychiatriques et à la durée
de leur application. Lors de la révision du Code pénal en
1973, cette fois sous l’influence de la pensée de la Neoclassic School of Penology, les délinquants psychiquement
malades mais non psychotiques doivent subir une peine
ordinaire ; seules les personnes psychotiques ne peuvent
pas être condamnées ou emprisonnées, suivant ainsi les
conventions internationales européennes. Les années 1990
ont été davantage marquées par des discussions concernant
la durée des traitements psychiatriques imposés pénalement, qui sont sans limite temporelle pour les patients jugés
dangereux.
La personne délinquante, à la demande de son avocat, du
tribunal ou du procureur, doit subir une expertise psychiatrique, pas obligatoirement demandée même en cas d’antécédents psychiatriques. Cet examen se passe soit dans un
service spécialisé (quatre cliniques de psychiatrie légale
pour tout le Danemark), soit dans un service public de
psychiatrie. Le psychiatre se prononce sur l’état mental au
moment des faits, mais aussi sur un diagnostic plus général.
Il propose, s’il l’estime nécessaire, des mesures de remplacement de peine, afin de prévenir une potentielle récidive,
et il peut aussi s’exprimer sur la dangerosité de la personne.
La décision finale appartient au tribunal, qui accorde « une
liberté de punition » si la personne était considérée comme
psychotique au moment du crime et remplace la peine par
des mesures psychiatriques, décrites ci-dessous :
1) Placement en en quartier de haute sécurité : concerne les
personnes dangereuses, sans limite temporelle.
2) Placement en milieu psychiatrique, en division de psychiatrie légale, s’il y a de la place autrement en division de
psychiatrie générale, sans limite temporelle.
3) Traitement psychiatrique à l’hôpital avec le contrôle de
l’autorité sociale judiciaire.
4) Traitement psychiatrique ambulatoire avec ou sans
contrôle de l’autorité sociale judiciaire.
5) Traitement psychiatrique ambulatoire avec une close
permettant au médecin-chef psychiatre d’hospitaliser la
personne d’office sans passer par la Loi psychiatrique
(Code civil).
Le placement en milieu psychiatrique implique que le
patient séjourne en milieu psychiatrique ouvert ou fermé,
décision prise par le médecin-chef du service, mais ses
permissions sont décidées par la justice et la sortie définitive de l’hôpital par le tribunal. Les traitements psychiatriques ont une durée déterminée, ils peuvent être prolongés si
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A. Urfer Parnas
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nécessaire et les permissions de sortie du week-end sont
décidées par le médecin psychiatre responsable.
Il existe un conseil médicolégal indépendant, une commission d’experts psychiatres mandatés par les autorités
publiques. Ce conseil se prononce dans toutes situations de
litige concernant les gestes et hospitalisations sous
contrainte. Les experts sont consultés dans des cas de
graves délits, crimes ou délits sexuels, mais aussi dans des
cas de placement, de changement entre un placement obligatoire vers une forme de traitement plus ouverte. Ces
psychiatres traitent les situations sur dossier et chaque cas
est jugé par trois experts.
ment que possible, ce qui représente des situations difficiles
pour les autres patients de la division.
Le personnel hospitalier a un sentiment d’impuissance
face à certains patients réhospitalisés fréquemment, sans
amélioration de leur état. Il ne se sent pas soutenu par
l’institution, souvent le corps médical tarde à envisager des
prises en charge globales à plus long terme, à la place
d’actions ponctuelles non coordonnées. Parfois porter
plainte contre un patient violent peut mener à un jugement
avec traitement obligatoire. Le danger évident de cette
pratique, si elle devenait une forme de routine, est la perte
du milieu hospitalier comme lieu de soins et d’encadrement
thérapeutique au profit d’une attitude disciplinaire avec une
punition comme outil.
Quand le pénal rencontre le civil
Si une personne, condamnée par la justice à un traitement ambulatoire, vient à arrêter son traitement médicamenteux, la loi pénale n’autorise pas l’administration forcée du médicament en ambulatoire. Elle doit être
hospitalisée selon la loi civile, comme tout autre patient, si
son jugement ne contient pas de close permettant une
hospitalisation ou selon la loi pénale si son jugement mentionne une possibilité d’hospitalisation, c’est-à-dire sans
les procédures liées à une hospitalisation sous contrainte.
Une fois en milieu hospitalier, la loi civile régit les traitements et les gestes sous contrainte pour tous les patients,
légaux ou pas. Les patients légaux, soumis à un traitement
obligatoire, bénéficient des mêmes moyens de recours que
les autres ; ils reçoivent la visite d’un conseiller de patient
et passent aussi devant le conseil des patients (loi civile).
En revanche, si son jugement comprend une close permettant une hospitalisation d’office (loi pénale), la personne ne
peut faire recours contre une privation de liberté, la situation est identique pour un prisonnier transféré de la prison
en milieu psychiatrique hospitalier, mais elle peut se plaindre à son avocat.
Quand le civil rencontre le pénal
En milieu hospitalier, le personnel (infirmier et médical)
a de plus en plus tendance à porter plainte à la police à
l’encontre de patients qui se comportent violemment ou
profèrent des menaces. Les causes en sont multiples. Un
des facteurs essentiels est un haut niveau d’agressivité
verbale et physique dans les divisions fermées où le personnel qui, soit manque parfois d’expérience, soit est temporaire en raison d’un haut taux d’absentéisme, se sent particulièrement exposé et vulnérable, et a un sentiment
constant de surcharge de travail. Il faut aussi noter
l’absence de personnel masculin. Certaines nuits, médecin
et personnel infirmier ne sont que des femmes et il est
parfois nécessaire de faire appel à la police locale, qui
intervient au sein de l’hôpital rapidement, aussi discrète-
74
La psychiatrie confrontée aux
problèmes de violence
et de paupérisation touchant certains
patients
Les psychiatres légaux sont exposés à une augmentation
considérable de demandes d’examen comme en témoigne
la croissance du nombre d’expertises pratiquées dans tout
le pays : 300 en 1980 à 1 500 en 2004, soit une augmentation annuelle de 6,5 %.
Durant cette même période, le nombre total de lits psychiatriques a diminué de 10 000 à 4 000 dans tout le pays et
continue à décroître actuellement. Le nombre de patients
légaux en traitement psychiatrique est passé de 297 en 1980
à 1 134 en 1999, l’incidence augmentant de 6,18 % annuellement [5]. Selon les auteurs de cet article, l’origine de
cette augmentation ne s’explique ni par un changement de
la législation psychiatrique ou pénale, ni par une augmentation de la criminalité dans la population, ni par un changement des modalités des traitements psychiatriques
légaux. La cause en serait un nombre croissant de patients
psychotiques commettant des actes délictueux et qui, avec
les patients schizophrènes, représentent la majorité des
patients légaux (tableau 1).
Selon Peter Kramp [6], médecin-chef responsable de la
clinique de psychiatrie légale de Copenhague, une des
causes principales de ce phénomène serait la désinstitutionalisation de la psychiatrie, entre autres une diminution
drastique des lits hospitaliers et des durées de séjour de plus
en plus courtes. Par ailleurs, le temps d’attente pour une
hospitalisation dans un service de psychiatrie peut être si
long que certains patients légaux préfèrent rester en prison
plutôt que de se trouver dans un service de psychiatrie
bondé.
Dans la revue hebdomadaire médicale danoise [2], un
médecin-chef psychiatre se demande si l’augmentation du
taux de criminalité parmi les malades psychiatriques est
liée au remplacement, en 1989, du tribunal judiciaire qui
jugeait les actes de privation de liberté et de traitement sous
L’INFORMATION PSYCHIATRIQUE VOL. 82, N° 1 - JANVIER 2006
Soins ambulatoires sous contrainte au Danemark
Tableau 1. Distribution diagnostique (%) en fonction des expertises psychiatriques entre 1996 et 2001 (Retspykiatrisk Klinik, Copenhague)
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Diagnostic
Schizophrénie
Schizotypie
Autres appartenant au spectre de la schizophrénie
Maladies mentales autres
Retards mentaux
Non psychotiques
1996
17
5
11
2
4
60
contrainte, par le conseil des patients, qui se passe à l’intérieur de l’hôpital sans le cérémonial lié à une réunion dans
un tribunal, qui pourrait avoir un impact à plus long terme.
Munkner et al. [8], étudiant une cohorte de patients
schizophrènes à partir des registres danois de psychiatrie et
de criminalité, ont observé que 50 % de tous les jeunes
schizophrènes sont enregistrés dans le registre criminel. Le
temps médian entre le premier contact avec le milieu psychiatrique hospitalier et le premier délit s’échelonne entre
7,1 et 6,7 années et, pour les personnes diagnostiquées
schizophrènes, ce temps diminue entre 5,4 et 4,9. Une
grande partie des délinquants a eu un contact avec la psychiatrie avant de commettre leur premier délit. Un abus de
substance augmente le risque de criminalité, quel que soit
le diagnostic [1].
Kramp et Gabrielsen, en 2004 [6] montrent, dans une
étude transversale effectuée dans les services de psychiatrie
du district de Copenhague, que 10 % des patients schizophrènes entre 20 et 44 ans sont des patients légaux et qu’ils
sont jugés plus souvent pour des actes violents ou de
pyromanie que les autres patients légaux.
Une autre question intéressante soulevée par Kramp est
celle de l’aspect économique : qui paie pour ces patients
légaux ? Par la justice, ils dépendent de l’État, mais par
leurs problèmes de santé, ils dépendant du canton.
Traitement ambulatoire sous contrainte
Les ministères danois de l’Intérieur et de la Santé, à
propos d’une proposition de révision de la Loi psychiatrique en 2006, ont commandé un rapport à une entreprise
privée, Rambøll Management, pour étudier les traitements
psychiatriques ambulatoires sous contrainte (qui pourront
se faire hors de l’hôpital psychiatrique) avec, comme but
principal, d’éviter des hospitalisations d’office. Cette
mesure touchera particulièrement les malades psychiatriques les plus graves et non obligatoirement condamnés
pénalement.
Un rapport effectué par une commission de psychiatres
(5 membres), mandatée par l’Association danoise de psychiatrie, qui s’est rapidement prononcée contre cette forme
de mesure, estime à environ 150 le nombre de personnes
qui pourraient subir cette forme de contrainte.
L’entreprise Rambøll Management arrive à la conclusion que les patients schizophrènes gravement malades
1997
31
3
10
3
3
50
1998
32
8
13
4
1
41
1999
23
4
9
3
2
59
2000
24
6
6
4
4
58
2001
21
3
8
6
6
58
n’auront plus besoin d’hospitalisation. Il suffit de les traiter
à la maison et si nécessaire sous contrainte.
Cette conclusion rendue publique a soulevé un vif débat
dans la population danoise et le monde psychiatrique. Plusieurs associations de défense des droits des patients
s’opposent vivement à cette possibilité, soulignant son
aspect non éthique et le fait que cette mesure cache en
réalité une défaillance du fonctionnement actuel de la psychiatrie, un manque de suivi entre l’hospitalier et l’ambulatoire, une diminution des ressources financières, l’oubli
du temps et de la difficulté d’établir une relation, le manque
de places en milieu hospitalier ou la brièveté des séjours
[10]. Ces associations soulignent également l’échec des
plans de traitement mis en place lors de la révision de la Loi
psychiatrique en 1999, qui auraient dû permettre une
meilleure coordination, mais qui n’ont pas été appliqués.
D’autres questions se posent sur le fondement éthique
d’une telle proposition, mais aussi en fonction du type de
médicaments, qui ne sont pas curatifs et qui ont un nombre
considérable d’effets secondaires. Plusieurs personnes
évoquent le meurtre de la ministre suédoise en 2004 par un
malade psychique qui avait consulté un service de psychiatrie quelques jours avant de commettre ce crime, mais avait
été renvoyé à la maison.
Parmi les membres de la commission mandatée par
l’Association danoise de psychiatrie, deux psychiatres prétendent que cette forme de traitement permettra à certaines
personnes d’éviter une déroute sociale et qu’il est non
éthique de laisser ces patients sans traitement et risquer
qu’ils finissent dans la rue ou criminels, « il ne faut pas les
laisser tomber ». Les trois autres, en revanche, soulignent la
liberté individuelle, le droit au domicile privé, l’aspect
discriminatif, l’intervention possible de la police au domicile du patient, la peur pour les personnes de chercher de
l’aide avec, à la clé, le risque de subir un traitement chez soi
sous contrainte... Une étude Cochrane datant de 2005 [4]
montre que les traitements sous contrainte n’ont pas de
meilleurs effets sur la qualité de vie, le niveau social et le
coût des soins qu’un traitement ordinaire.
Les modalités de ce mode de traitement sous contrainte
ne sont pas encore précisées. Sera-t-il possible de forcer le
domicile d’un patient pour l’obliger à prendre son médicament ? La police pourra-t-elle intervenir ? Combien de
temps le traitement durera-t-il ? Quels seront les critères
pour arrêter un traitement ?
L’INFORMATION PSYCHIATRIQUE VOL. 82, N° 1 - JANVIER 2006
75
A. Urfer Parnas
Les critères d’administration seront probablement très
restreints et la question se pose aussi de savoir si les personnes qui rempliront les conditions pour cette forme de
traitement ne rempliront pas celles d’une hospitalisation
d’office.
Trois psychiatres de la Commission se sont prononcés
contre cette mesure et proposent de réévaluer le nombre de
lits hospitaliers, les temps de séjour, la coordination intra et
extrahospitalière et la formation du personnel travaillant en
psychiatrie. Le Parlement votera l’an prochain sur cette
proposition.
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Conclusion
Il est inquiétant de voir la psychiatrie, qui a une position
particulière au carrefour des domaines humaniste et scientifique, perdre peu à peu son essence et évoluer vers un
modèle de plus en plus réducteur et mécanique. Elle se
concentre sur des critères comportementaux, oublie la vie
intérieure du sujet, sa souffrance et la fragilité de sa relation
avec le monde extérieur.
Dans son évolution actuelle, elle ne s’interroge plus sur
ses propres défaillances mais se rigidifie dans une forme de
pouvoir et prend des mesures disciplinaires. Elle se positionne sur le plan de la société et de moins en moins sur
celui de l’individu, dont elle s’éloigne par une biologisation
de sa pratique mais aussi par une pratique légale qui, à
l’extrême, donne la possibilité au psychiatre de se cacher
derrière la loi et d’éviter tout contact plus rapproché avec
son patient.
Concernant les traitements ambulatoires sous
contrainte, si la psychiatrie accepte cette forme de pouvoir,
elle se permet et permet aux autorités politiques d’éviter de
parler des vrais problèmes et s’éloigne encore un peu plus
du sujet souffrant.
76
Il ne s’agit plus de protéger l’individu contre les abus de
la société mais, dans une espèce de retour vers le
XVIIe siècle, de protéger la société contre des individus
malades, dangereux et qui coûtent cher.
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