L’Information psychiatrique 2006 ; 82 : 71-6 LETTRE DE L’ÉTRANGER Rubrique dirigée par P. Noël Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 04/06/2017. Les soins ambulatoires sous contrainte au Danemark : code civil ou pénal ou code pénal et civil ? Dans L’Information psychiatrique, vol. 81, n° 7 (septembre 2005), Jean-Louis Senon plaidait avec conviction pour que les soins ambulatoires sous contrainte deviennent possibles. Afin d’alimenter le débat, nous nous sommes tournés vers nos correspondants européens et nord-américains pour connaître leur point de vue et leur éventuelle pratique. Après les contributions de Tilo Held pour l’Allemagne (n° 7), d’Arnaldo Ballerini pour l’Italie (n° 8), de J. Parratte pour le Québec (n° 9) et de J. A. Inchauspe pour l’Espagne (n° 10), voici celle de A. Urfer Parnas. Annick Urfer Parnas* Le Danemark n’est pas épargné par ce phénomène actuel, ce sentiment d’insécurité, observé dans les sociétés occidentales. Certaines franges de la population sont davantage visées comme responsables de ce phénomène. Parmi elles, les patients souffrant de graves troubles psychiques, dont on a observé une croissance régulière du nombre d’actes criminels, mais aussi une tendance à être marginalisés. Il est intéressant d’étudier ces problèmes dans ce petit pays de 5,5 millions d’habitants, riche, avec une bonne croissance économique, doté d’un service de santé public, dont l’accès est gratuit pour toutes les personnes munies d’une autorisation de séjour. La pratique privée de la psychiatrie est encore restreinte même si, ces dernières années, on note une augmentation du nombre de cabinets privés de psychiatres. Il faut souligner que la psychiatrie danoise est réglementée depuis des années par la Loi psychiatrique (Code civil) mais aussi par le Code pénal, pour les personnes commettant des actes criminels et jugées inaptes à une peine de prison en raison de troubles mentaux, surtout psychotiques. Il est difficile pour les services publics danois de psychiatrie de faire face aux besoins de ces patients sévèrement malades, et les services carcéraux et sociaux sont débordés. Ces problèmes sont jugés si importants et aigus que le Parlement danois doit se prononcer en 2006 sur une révision de la Loi psychiatrique, déjà revue en 1999. L’enjeu de cette révision est l’introduction d’une possibilité de traitement ambulatoire sous contrainte pour toute * Psychiatre, assistante de recherche, Hvidovre Hospital, Brøndyøstervej 160, 2605 Brøndby, Danemark personne, chroniquement et gravement malade, qui refuse d’être traitée. Dans cette communication, les différentes lois dictées par les codes civil et pénal, leurs applications et limites sont décrites, ainsi que brièvement celles en vigueur en Norvège et en Suède. Une attention spéciale est apportée à la nouvelle révision de la loi psychiatrique qui sera débattue par le Parlement danois l’an prochain. Quels sont les différents enjeux et points de vue et que penser de cette « évolution disciplinaire » de la psychiatrie ? Les lois civiles psychiatriques La première loi psychiatrique date de 1683 et a été établie sous le règne de Christian V. Elle visait à protéger la société contre les personnes psychiquement malades et dangereuses. Elle a été révisée en 1938, 1989 et 1999. Son contenu évolue depuis sa première parution au XVIIe siècle de mesures de protection de la société vers une protection de l’individu contre les abus potentiels de la société à son égard [3]. Cette loi contient la législation des hospitalisations sous contrainte, la réglementation des traitements d’office, médicamenteux, ECT, et des contentions physiques, administration de calmants, obligation pour un patient à regagner sa chambre, attachement d’un patient dans son lit, fréquence des contrôles, obligation d’une garde personnelle 24 heures sur 24. Les deux possibilités d’admission sous contrainte sont justifiées soit par des critères d’urgence et de dangerosité, L’INFORMATION PSYCHIATRIQUE VOL. 82, N° 1 - JANVIER 2006 71 A. Urfer Parnas Traitement volontaire Validation par le directeur de la police ou son substitut Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 04/06/2017. Papiers rédigeables par n’importe quel médecin non affilié au service d’admission ou proche du malade Continuation en volontaire Traitement non volontaire Hospitalisation sous contrainte Traitement volontaire Validation par le médecin-chef du service d’admission ou son substitut Continuation sous contrainte Traitement non volontaire Réévaluation à des intervalles de temps précis Figure 1. Procédure d’hospitalisation sous contrainte au Danemark. soit par des besoins de soins, à condition qu’elles permettent une amélioration de l’état du patient. Avant tout traitement d’office ou privation de liberté, il est stipulé par la loi que tout doit avoir été mis en œuvre pour essayer de convaincre la personne de se laisser soigner volontairement. La loi n’est applicable que si le patient est « insensé » (sindssyg), sous-entendu psychotique ou équivalent à un état psychotique. Les symptômes doivent être décrits précisément sur les papiers d’admission pour être validés par l’autorité aussi bien médicale que policière. Une hospitalisation sous contrainte d’un homme âgé dément, qui se mettait en danger dans sa maison, a été désavouée par le Conseil légal de psychiatrie parce que cette personne n’était pas psychotique et qu’il n’existait aucun traitement susceptible d’améliorer son état. Il y a une dissociation entre soins et traitement : les traitements sous contrainte ne sont administrables qu’en milieu hospitalier. L’administration aiguë de tranquillisants n’est possible qu’en présence d’un danger potentiel envers le patient ou son entourage. Il doit être documenté dans le dossier médical que l’on a essayé de convaincre le patient de prendre un médicament par voie buccale avant une injection forcée. La procédure des traitements sous contrainte non aigus est soumise à une législation très précise. Une période de 10 jours est prévue pour essayer de convaincre le patient de prendre le médicament qu’on lui propose deux fois par jour. Si le patient persiste dans son refus, le psychiatre responsable de son traitement rédige un rapport au conseil des patients et demande la permission d’effectuer ce traitement. La réponse sera donnée après la 72 réunion à l’hôpital du conseil des patients (un juriste, un médecin extérieur à l’hôpital, un greffier et un représentant d’une association de patients) avec le malade, son référent, le médecin demandeur du traitement. Chaque acte effectué sous contrainte doit être répertorié dans un protocole ainsi que dans le dossier médical et infirmier. Seul le médecin est en droit d’ordonner un acte sous contrainte, comme l’administration aiguë d’un médicament ou d’une contention physique, sauf dans des situations exceptionnelles. Le patient, dans les 24 heures qui suivent cet acte, est en droit de voir son conseiller (patientrådgiver), qui lui expliquera ses droits et les moyens de se plaindre. Si le conseil de patients (Sundhedsvæsenets Patientklagenævn) ne reconnaît pas la nécessité de la poursuite d’une hospitalisation sous contrainte, dès que la réponse parvient au médecin et au malade, celui-ci peut sortir, sauf contreindication du médecin qui peut faire recours (figure 1). Chaque année, le ministère de la Santé publie sur internet le nombre de gestes pratiqués sous contrainte par catégorie et par hôpital pour tout le pays, ce qui provoque un débat public dans les médias, qui inquiète les médecinschefs des services les plus mal côtés, surtout en ce qui concerne les fixations dans le lit. En 2003, on a enregistré pour tout le Danemark un total de 24 448 hospitalisations (volontaires et involontaires) et 5 061 personnes ont été touchées par une forme ou une autre de contrainte. Cette même année, on a pratiqué 4 673 privations de liberté (admission à l’hôpital ou prolongation de séjour), 456 traitements d’office médicamenteux L’INFORMATION PSYCHIATRIQUE VOL. 82, N° 1 - JANVIER 2006 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 04/06/2017. Soins ambulatoires sous contrainte au Danemark non aigus, 1 787 fixations au lit (durée non répertoriée), 1 487 administrations de tranquillisants [9]. En Norvège, la psychiatrie est également très réglementée, avec toutefois quelques distinctions majeures. Il est possible de traiter en ambulatoire sous contrainte certains patients sévèrement malades, et dont on a l’expérience qu’ils répondent au médicament proposé. En revanche, il n’est pas possible de changer une admission volontaire en prolongation de séjour involontaire. Le patient doit être réadmis à l’hôpital après un examen pratiqué à l’extérieur et avec la reconnaissance de l’autorité de police. Il n’y a aucune statistique norvégienne sur l’effet des traitements ambulatoires sous contrainte. La loi suédoise ne reconnaît pas les traitements ambulatoires sous contrainte, mais un médecin-chef hospitalier peut donner « une permission » hors de l’hôpital, parfois de plusieurs semaines, à un patient hospitalisé d’office et qui reçoit un traitement sous contrainte, à condition qu’il le suive pendant son congé. Les plans de coordination entre l’hospitalier et l’ambulatoire Lors de la révision de la loi psychiatrique en 1999, deux nouvelles procédures ont été inscrites, « le rendez-vous de sortie » et « le plan de coordination ». Elles concernent les personnes sévèrement malades, typiquement des patients schizophrènes sans observance et souvent avec un problème de dépendance. Ces deux nouvelles lois permettent au médecin-chef hospitalier d’établir, avec ou sans l’accord du patient, un contrat avec le secteur ambulatoire, une policlinique psychiatrique, les autorités sociales, les médecins généralistes. Ce contrat permet d’échanger des informations entre les différents intervenants. Sans lui, ces informations, de l’ordre du secret médical, ne peuvent pas être transmises par l’hôpital à ces services, sans l’accord écrit du patient. Ces contrats ne permettent pas un traitement sous contrainte, mais sont un moyen d’essayer de garder le contact avec la personne, de se rendre à son domicile, de la joindre par téléphone, de parler avec son assistant social de la commune. Mille contrats annuels étaient attendus après la mise en vigueur de cette nouvelle loi. Depuis 1999, environ cent par année ont été enregistrés. Leur réalisation est chaotique, peu de personnes se soucient de leur suivi en milieu aussi bien hospitalier qu’extrahospitalier, personne ne se sent vraiment responsable. Les lois pénales psychiatriques La psychiatrie légale au Danemark n’est pas une spécialité, mais appartient à la psychiatrie générale. À partir du XIXe siècle, les délinquants présentant des troubles psychi- ques peuvent ne pas être condamnés à une peine de prison. Philosophes, juristes, psychiatres, politiciens ont débattu sur l’expression « straffefri », littéralement traduisible par « libre de peine » lié au terme « insensé », sous-entendu psychotique ou équivalent à un état psychotique comme un état confusionnel dû à une maladie somatique [7]. Dans la loi de 1930, les psychiatres, influencés par un optimisme thérapeutique, jouissaient d’un grand pouvoir décisionnel quant aux mesures psychiatriques et à la durée de leur application. Lors de la révision du Code pénal en 1973, cette fois sous l’influence de la pensée de la Neoclassic School of Penology, les délinquants psychiquement malades mais non psychotiques doivent subir une peine ordinaire ; seules les personnes psychotiques ne peuvent pas être condamnées ou emprisonnées, suivant ainsi les conventions internationales européennes. Les années 1990 ont été davantage marquées par des discussions concernant la durée des traitements psychiatriques imposés pénalement, qui sont sans limite temporelle pour les patients jugés dangereux. La personne délinquante, à la demande de son avocat, du tribunal ou du procureur, doit subir une expertise psychiatrique, pas obligatoirement demandée même en cas d’antécédents psychiatriques. Cet examen se passe soit dans un service spécialisé (quatre cliniques de psychiatrie légale pour tout le Danemark), soit dans un service public de psychiatrie. Le psychiatre se prononce sur l’état mental au moment des faits, mais aussi sur un diagnostic plus général. Il propose, s’il l’estime nécessaire, des mesures de remplacement de peine, afin de prévenir une potentielle récidive, et il peut aussi s’exprimer sur la dangerosité de la personne. La décision finale appartient au tribunal, qui accorde « une liberté de punition » si la personne était considérée comme psychotique au moment du crime et remplace la peine par des mesures psychiatriques, décrites ci-dessous : 1) Placement en en quartier de haute sécurité : concerne les personnes dangereuses, sans limite temporelle. 2) Placement en milieu psychiatrique, en division de psychiatrie légale, s’il y a de la place autrement en division de psychiatrie générale, sans limite temporelle. 3) Traitement psychiatrique à l’hôpital avec le contrôle de l’autorité sociale judiciaire. 4) Traitement psychiatrique ambulatoire avec ou sans contrôle de l’autorité sociale judiciaire. 5) Traitement psychiatrique ambulatoire avec une close permettant au médecin-chef psychiatre d’hospitaliser la personne d’office sans passer par la Loi psychiatrique (Code civil). Le placement en milieu psychiatrique implique que le patient séjourne en milieu psychiatrique ouvert ou fermé, décision prise par le médecin-chef du service, mais ses permissions sont décidées par la justice et la sortie définitive de l’hôpital par le tribunal. Les traitements psychiatriques ont une durée déterminée, ils peuvent être prolongés si L’INFORMATION PSYCHIATRIQUE VOL. 82, N° 1 - JANVIER 2006 73 A. Urfer Parnas Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 04/06/2017. nécessaire et les permissions de sortie du week-end sont décidées par le médecin psychiatre responsable. Il existe un conseil médicolégal indépendant, une commission d’experts psychiatres mandatés par les autorités publiques. Ce conseil se prononce dans toutes situations de litige concernant les gestes et hospitalisations sous contrainte. Les experts sont consultés dans des cas de graves délits, crimes ou délits sexuels, mais aussi dans des cas de placement, de changement entre un placement obligatoire vers une forme de traitement plus ouverte. Ces psychiatres traitent les situations sur dossier et chaque cas est jugé par trois experts. ment que possible, ce qui représente des situations difficiles pour les autres patients de la division. Le personnel hospitalier a un sentiment d’impuissance face à certains patients réhospitalisés fréquemment, sans amélioration de leur état. Il ne se sent pas soutenu par l’institution, souvent le corps médical tarde à envisager des prises en charge globales à plus long terme, à la place d’actions ponctuelles non coordonnées. Parfois porter plainte contre un patient violent peut mener à un jugement avec traitement obligatoire. Le danger évident de cette pratique, si elle devenait une forme de routine, est la perte du milieu hospitalier comme lieu de soins et d’encadrement thérapeutique au profit d’une attitude disciplinaire avec une punition comme outil. Quand le pénal rencontre le civil Si une personne, condamnée par la justice à un traitement ambulatoire, vient à arrêter son traitement médicamenteux, la loi pénale n’autorise pas l’administration forcée du médicament en ambulatoire. Elle doit être hospitalisée selon la loi civile, comme tout autre patient, si son jugement ne contient pas de close permettant une hospitalisation ou selon la loi pénale si son jugement mentionne une possibilité d’hospitalisation, c’est-à-dire sans les procédures liées à une hospitalisation sous contrainte. Une fois en milieu hospitalier, la loi civile régit les traitements et les gestes sous contrainte pour tous les patients, légaux ou pas. Les patients légaux, soumis à un traitement obligatoire, bénéficient des mêmes moyens de recours que les autres ; ils reçoivent la visite d’un conseiller de patient et passent aussi devant le conseil des patients (loi civile). En revanche, si son jugement comprend une close permettant une hospitalisation d’office (loi pénale), la personne ne peut faire recours contre une privation de liberté, la situation est identique pour un prisonnier transféré de la prison en milieu psychiatrique hospitalier, mais elle peut se plaindre à son avocat. Quand le civil rencontre le pénal En milieu hospitalier, le personnel (infirmier et médical) a de plus en plus tendance à porter plainte à la police à l’encontre de patients qui se comportent violemment ou profèrent des menaces. Les causes en sont multiples. Un des facteurs essentiels est un haut niveau d’agressivité verbale et physique dans les divisions fermées où le personnel qui, soit manque parfois d’expérience, soit est temporaire en raison d’un haut taux d’absentéisme, se sent particulièrement exposé et vulnérable, et a un sentiment constant de surcharge de travail. Il faut aussi noter l’absence de personnel masculin. Certaines nuits, médecin et personnel infirmier ne sont que des femmes et il est parfois nécessaire de faire appel à la police locale, qui intervient au sein de l’hôpital rapidement, aussi discrète- 74 La psychiatrie confrontée aux problèmes de violence et de paupérisation touchant certains patients Les psychiatres légaux sont exposés à une augmentation considérable de demandes d’examen comme en témoigne la croissance du nombre d’expertises pratiquées dans tout le pays : 300 en 1980 à 1 500 en 2004, soit une augmentation annuelle de 6,5 %. Durant cette même période, le nombre total de lits psychiatriques a diminué de 10 000 à 4 000 dans tout le pays et continue à décroître actuellement. Le nombre de patients légaux en traitement psychiatrique est passé de 297 en 1980 à 1 134 en 1999, l’incidence augmentant de 6,18 % annuellement [5]. Selon les auteurs de cet article, l’origine de cette augmentation ne s’explique ni par un changement de la législation psychiatrique ou pénale, ni par une augmentation de la criminalité dans la population, ni par un changement des modalités des traitements psychiatriques légaux. La cause en serait un nombre croissant de patients psychotiques commettant des actes délictueux et qui, avec les patients schizophrènes, représentent la majorité des patients légaux (tableau 1). Selon Peter Kramp [6], médecin-chef responsable de la clinique de psychiatrie légale de Copenhague, une des causes principales de ce phénomène serait la désinstitutionalisation de la psychiatrie, entre autres une diminution drastique des lits hospitaliers et des durées de séjour de plus en plus courtes. Par ailleurs, le temps d’attente pour une hospitalisation dans un service de psychiatrie peut être si long que certains patients légaux préfèrent rester en prison plutôt que de se trouver dans un service de psychiatrie bondé. Dans la revue hebdomadaire médicale danoise [2], un médecin-chef psychiatre se demande si l’augmentation du taux de criminalité parmi les malades psychiatriques est liée au remplacement, en 1989, du tribunal judiciaire qui jugeait les actes de privation de liberté et de traitement sous L’INFORMATION PSYCHIATRIQUE VOL. 82, N° 1 - JANVIER 2006 Soins ambulatoires sous contrainte au Danemark Tableau 1. Distribution diagnostique (%) en fonction des expertises psychiatriques entre 1996 et 2001 (Retspykiatrisk Klinik, Copenhague) Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 04/06/2017. Diagnostic Schizophrénie Schizotypie Autres appartenant au spectre de la schizophrénie Maladies mentales autres Retards mentaux Non psychotiques 1996 17 5 11 2 4 60 contrainte, par le conseil des patients, qui se passe à l’intérieur de l’hôpital sans le cérémonial lié à une réunion dans un tribunal, qui pourrait avoir un impact à plus long terme. Munkner et al. [8], étudiant une cohorte de patients schizophrènes à partir des registres danois de psychiatrie et de criminalité, ont observé que 50 % de tous les jeunes schizophrènes sont enregistrés dans le registre criminel. Le temps médian entre le premier contact avec le milieu psychiatrique hospitalier et le premier délit s’échelonne entre 7,1 et 6,7 années et, pour les personnes diagnostiquées schizophrènes, ce temps diminue entre 5,4 et 4,9. Une grande partie des délinquants a eu un contact avec la psychiatrie avant de commettre leur premier délit. Un abus de substance augmente le risque de criminalité, quel que soit le diagnostic [1]. Kramp et Gabrielsen, en 2004 [6] montrent, dans une étude transversale effectuée dans les services de psychiatrie du district de Copenhague, que 10 % des patients schizophrènes entre 20 et 44 ans sont des patients légaux et qu’ils sont jugés plus souvent pour des actes violents ou de pyromanie que les autres patients légaux. Une autre question intéressante soulevée par Kramp est celle de l’aspect économique : qui paie pour ces patients légaux ? Par la justice, ils dépendent de l’État, mais par leurs problèmes de santé, ils dépendant du canton. Traitement ambulatoire sous contrainte Les ministères danois de l’Intérieur et de la Santé, à propos d’une proposition de révision de la Loi psychiatrique en 2006, ont commandé un rapport à une entreprise privée, Rambøll Management, pour étudier les traitements psychiatriques ambulatoires sous contrainte (qui pourront se faire hors de l’hôpital psychiatrique) avec, comme but principal, d’éviter des hospitalisations d’office. Cette mesure touchera particulièrement les malades psychiatriques les plus graves et non obligatoirement condamnés pénalement. Un rapport effectué par une commission de psychiatres (5 membres), mandatée par l’Association danoise de psychiatrie, qui s’est rapidement prononcée contre cette forme de mesure, estime à environ 150 le nombre de personnes qui pourraient subir cette forme de contrainte. L’entreprise Rambøll Management arrive à la conclusion que les patients schizophrènes gravement malades 1997 31 3 10 3 3 50 1998 32 8 13 4 1 41 1999 23 4 9 3 2 59 2000 24 6 6 4 4 58 2001 21 3 8 6 6 58 n’auront plus besoin d’hospitalisation. Il suffit de les traiter à la maison et si nécessaire sous contrainte. Cette conclusion rendue publique a soulevé un vif débat dans la population danoise et le monde psychiatrique. Plusieurs associations de défense des droits des patients s’opposent vivement à cette possibilité, soulignant son aspect non éthique et le fait que cette mesure cache en réalité une défaillance du fonctionnement actuel de la psychiatrie, un manque de suivi entre l’hospitalier et l’ambulatoire, une diminution des ressources financières, l’oubli du temps et de la difficulté d’établir une relation, le manque de places en milieu hospitalier ou la brièveté des séjours [10]. Ces associations soulignent également l’échec des plans de traitement mis en place lors de la révision de la Loi psychiatrique en 1999, qui auraient dû permettre une meilleure coordination, mais qui n’ont pas été appliqués. D’autres questions se posent sur le fondement éthique d’une telle proposition, mais aussi en fonction du type de médicaments, qui ne sont pas curatifs et qui ont un nombre considérable d’effets secondaires. Plusieurs personnes évoquent le meurtre de la ministre suédoise en 2004 par un malade psychique qui avait consulté un service de psychiatrie quelques jours avant de commettre ce crime, mais avait été renvoyé à la maison. Parmi les membres de la commission mandatée par l’Association danoise de psychiatrie, deux psychiatres prétendent que cette forme de traitement permettra à certaines personnes d’éviter une déroute sociale et qu’il est non éthique de laisser ces patients sans traitement et risquer qu’ils finissent dans la rue ou criminels, « il ne faut pas les laisser tomber ». Les trois autres, en revanche, soulignent la liberté individuelle, le droit au domicile privé, l’aspect discriminatif, l’intervention possible de la police au domicile du patient, la peur pour les personnes de chercher de l’aide avec, à la clé, le risque de subir un traitement chez soi sous contrainte... Une étude Cochrane datant de 2005 [4] montre que les traitements sous contrainte n’ont pas de meilleurs effets sur la qualité de vie, le niveau social et le coût des soins qu’un traitement ordinaire. Les modalités de ce mode de traitement sous contrainte ne sont pas encore précisées. Sera-t-il possible de forcer le domicile d’un patient pour l’obliger à prendre son médicament ? La police pourra-t-elle intervenir ? Combien de temps le traitement durera-t-il ? Quels seront les critères pour arrêter un traitement ? L’INFORMATION PSYCHIATRIQUE VOL. 82, N° 1 - JANVIER 2006 75 A. Urfer Parnas Les critères d’administration seront probablement très restreints et la question se pose aussi de savoir si les personnes qui rempliront les conditions pour cette forme de traitement ne rempliront pas celles d’une hospitalisation d’office. Trois psychiatres de la Commission se sont prononcés contre cette mesure et proposent de réévaluer le nombre de lits hospitaliers, les temps de séjour, la coordination intra et extrahospitalière et la formation du personnel travaillant en psychiatrie. Le Parlement votera l’an prochain sur cette proposition. Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 04/06/2017. Conclusion Il est inquiétant de voir la psychiatrie, qui a une position particulière au carrefour des domaines humaniste et scientifique, perdre peu à peu son essence et évoluer vers un modèle de plus en plus réducteur et mécanique. Elle se concentre sur des critères comportementaux, oublie la vie intérieure du sujet, sa souffrance et la fragilité de sa relation avec le monde extérieur. Dans son évolution actuelle, elle ne s’interroge plus sur ses propres défaillances mais se rigidifie dans une forme de pouvoir et prend des mesures disciplinaires. Elle se positionne sur le plan de la société et de moins en moins sur celui de l’individu, dont elle s’éloigne par une biologisation de sa pratique mais aussi par une pratique légale qui, à l’extrême, donne la possibilité au psychiatre de se cacher derrière la loi et d’éviter tout contact plus rapproché avec son patient. Concernant les traitements ambulatoires sous contrainte, si la psychiatrie accepte cette forme de pouvoir, elle se permet et permet aux autorités politiques d’éviter de parler des vrais problèmes et s’éloigne encore un peu plus du sujet souffrant. 76 Il ne s’agit plus de protéger l’individu contre les abus de la société mais, dans une espèce de retour vers le XVIIe siècle, de protéger la société contre des individus malades, dangereux et qui coûtent cher. Références 1. BRENNAN P, MEDNICK SARNOFF A, HODGINS S. Major mental disorders and criminal violence in a danish birth cohort. Arch Gen Psychiatry 2000 ; 57 : 494-500. 2. DAHL L. Tvang i psykiatrien. Ugeskr Laeger 2005 ; 167 : 90-1. 3. HEMMINGSEN R, PARNAS J, GJERRIS A, et al. Retspsykiatri. In : Klinisk Psykiatri. Copenhagen : Munksgaard, 2000. 4. KISLEY S, CAMPBELL LA, PRESTON N. Compulsory community and involuntary outpatient treatment for people with severe mental disorders. The Cochrane Database of Systematic Reviews. 2005. 5. 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