Santé environnementale 80 K r a n k e n p f l e g e I S o i n s i n f i r m i e r s I C u r e i n f e r m i e r i s t i c h e 5/2016 Déodorants aux sels d’aluminium et cancer du sein Et si transpirer rimait avec bonne santé? Des chercheurs émettent l’hypothèse que les déodorants aux sels d’aluminium seraient en cause dans certains cancers du sein. Si aucune preuve scientifique significative n’existe encore à ce jour, un tel débat est important à soulever. Texte: Timothée Steffen, Kevin Alexandre Giazzi / Photos: Fotolia Le déodorant est devenu un produit cosmétique incontournable dans notre société contemporaine pour lutter contre la transpiration et ses effluves désagréables. Si certains produits couvrent les mauvaises odeurs, d’autres ont des effets antiperspirants diminuant nium par l’usage de déodorants antitranspirants? L’aluminium dans l’organisme L’aluminium, métal naturellement présent dans l’environnement, a des propriétés physico-chimiques très intéres- «La recherche se concentre sur les liens éventuels existant entre une application régulière de déodorants aux sels d’aluminium et le cancer du sein.» la transpiration. Leur grande efficacité est due à la présence de sels d’aluminium qui ferment les canaux sudoraux, réduisant ainsi la diaphorèse de manière significative. Néanmoins, si l’aluminium possède de nombreuses qualités, il n’est pas exempt de défauts. En effet, d’après de nombreuses études, ce matériau lourd serait toxique pour la santé humaine. Ainsi, une question se pose: quel est le risque pour notre santé lors d’une exposition quotidienne aux sels d’alumi- Les auteurs Timothée Steffen et Kevin Alexandre Giazzi, sont étudiants à la Haute école de santé La Source. Les articles de la rubrique Santé environnementale sont écrits sous la supervision de Nicole Froment. [email protected] [email protected] que d’absorption systémique d’aluminium en raison des microlésions cutanées résultant du rasage (Sonthonnax, 2014). santes pour l’industrie. Très utilisé dans le domaine de la santé, de l’agroalimentaire et des cosmétiques, il se retrouve notamment dans les vaccins et les médicaments antiacides, dans des emballages alimentaires ou encore dans de nombreux déodorants. La grande quantité de sels d’aluminium présents dans les déodorants anti-transpirants (jusqu’à 25% de leur composition) s’explique pour une raison évidente: ils sont très efficaces pour réduire la transpiration. Il existe de nombreuses voies d’exposition (voies orales, respiratoires, cutanées, intramusculaires tels les vaccins) de l’homme à l’aluminium au vu de sa quantité importante dans l’environnement naturel et dans les produits industriels. Dans le cas des déodorants, l’absorption se fait par voie cutanée et diffère en fonction du type de peau. Si la barrière cutanée semble efficace contre les sels d’aluminium, le rasage des aisselles et l’application régulière d’anti-transpirant augmenteraient le ris- Toxicité de l’aluminium Il apparaît dans plusieurs études que l’aluminium serait toxique pour la santé. Certains chercheurs avancent que cette toxicité serait relative et objectivable chez des personnes en particulier lors d’une exposition à de fortes doses d’aluminium. D’autres affirment que ce métal aurait plutôt une toxicité au long cours, déjà à de faibles doses. Si des cas d’irritations cutanées après une application d’un déodorant anti-transpirants ont effectivement été observés, les réactions allergiques aux sels d’aluminium restent exceptionnelles. Mais la recherche se concentre sur les liens éventuels existant entre une application régulière de déodorants aux sels d’aluminium et le cancer du sein. Le cancer du sein touche une femme sur neuf et 5000 nouveaux cas sont diagnostiqués chaque année en Suisse. Les hommes, quant à eux, ne sont que très rarement concernés (moins de 1% des cancers du sein) (CHUV, 2015). La majorité des cancers du sein sont observés dans le quadrant supéro-externe (38,5% des cas), quadrant à proximité des aisselles, zone d’application des déodorants. De plus, selon des études, l’aluminium serait en mesure de se lier aux récepteurs cellulaires des œstrogènes et stimuler ainsi le développement du cancer du sein. Certains avancent que depuis les années 1940, le développement des cancers du sein a augmenté parallèle- K r a n k e n p f l e g e I S o i n s i n f i r m i e r s I C u r e i n f e r m i e r i s t i c h e 5/2016 Prise de position professionnelle Adopter un regard critique ment à l’utilisation des déodorants aux sels d’aluminium. (Sonthonnax, 2014). Mais le débat fait encore rage. Une étude récente de biologie cellulaire réalisée par des chercheurs de l’Université de Genève a mis en exergue que les sels d’aluminium que l’on retrouve dans nos déodorants sont nocifs pour les cellules mammaires humaines in vitro. Cependant, selon Mandriota & Sappino (2012) «[…] cette étude ne constitue pas une preuve formelle de la responsabi- Propositions d’interventions En tant que professionnels de la santé, il est important de se renseigner sur les différents types de produits présents sur le marché. Si de nombreuses alternatives existent aux antiperspirants, il faut malgré tout rester prudent lors de l’achat de déodorants dits «naturels». La pierre d’alun, par exemple, est très en vogue. Elle contient pourtant elle aussi des sels d’aluminium mais sous une autre forme que les anti-transpirants classiques. «Il n’est peut-être pas anodin de signaler que le marché du déodorant au niveau mondial se chiffre en milliards de dollars par année.» lité des sels d’aluminium dans le développement du cancer du sein […]». Dimensions socio-économique et politique Alors que la polémique autour de l’aluminium s’intensifie, les entreprises de cosmétiques ont élargi leur palette de déodorants sans sels d’aluminium, proposant diverses gammes de produits naturels ou biologiques. Pourtant, à ce jour, l’aluminium est toujours présent dans les trois quarts des déodorants que l’on peut trouver sur le marché Quelle en est la raison? Les grands fabricants de cosmétiques semblent rester silencieux sur cette question. Il n’est peutêtre pas anodin de signaler que le marché du déodorant au niveau mondial se chiffre en milliards de dollars par année. Et que penser des études scientifiques prouvant l’innocuité des sels d’aluminium qui sont financées par les grandes firmes leaders dans le secteur des cosmétiques? Les déodorants à base d’alcool, quant à eux, contiennent souvent d’autres composants nocifs pour la santé et sont bien moins efficaces que ceux aux sels d’aluminium, car ils n’agissent pas sur le flux de transpiration. Cependant, certaines marques ont développé toute une gamme de cosmétiques naturels et bio certifiés non nocifs pour la santé. Des recettes personnalisées, notamment à base de bicarbonate de soude et d’huiles essentielles existent également. En tant que consommateur averti, il est essentiel d’apprendre à repérer l’aluminium sous toutes ses appellations sur les étiquettes des déodorants (par exemple: chlorhydrate d’aluminium, chlorure d’aluminium), et rester vigilant face à certains slogans publicitaires accrocheurs. De plus, l’Office fédéral de la sécurité alimentaire et des affaires vétérinaires (OSAV, 2014) recommande de ne pas utiliser d’anti-transpirants sur peau lésée, c’est-à-dire après le rasage des aisselles ou en cas de lésions cutanées. En tant que soignants, nous pensons que notre premier rôle est celui de promoteur de la santé. Il est important d’être au clair sur cette problématique et de pouvoir en parler librement aux patients qui s’interrogent ou s’inquiètent. Poser un regard critique sur les études scientifiques actuelles et donner des informations claires et précises, basées sur des données probantes, permet à chaque consommateur de se faire sa propre opinion et d’agir en connaissance de cause. Pour conclure, de nombreuses interrogations restent encore sans réponse. Faudrait-il systématiquement éviter les déodorants aux sels d’aluminium chez les personnes souffrant d’un cancer du sein? Et qu’en est-il de l’application d’antiperspirants chez les femmes enceintes ou qui allaitent? Si l’on sait que l’aluminium passe la barrière cutanée et se retrouve dans le sang, quel impact a-t-il sur le fœtus ou sur le nouveau-né? La recherche est en cours. D’ici là, les sels d’aluminium ont encore de beaux jours devant eux. Bibliographie Becaria A., Campbell A. & Bondy S-C. (2002). Aluminium as a toxicant. Repéré à http://www.researchgate.net/publication/ 8633742_Aluminum_as_a_toxicant Institut national du cancer. (2007). Comprendre le cancer du sein. Repéré à http://www.cancersdusein.curie.fr/sites/ default/files/cancer-sein-guide-Inca.pdf Mandriota S. & Sappino A-P. (2012). Service de communication de l’université de Genève: L’innocuité des sels d’aluminium sur les cellules mammaires contestée. Repéré à http://www.unige.ch/communication/ communiques/2012/CdP120106.html Simon M. (2009). Analyse par microfaisceau d’ions. Application à l’étude de la fonction barrière cutanée et à la nanotoxicologie in vitro. Thèse pour obtenir le titre de docteur de l’Université de Bordeaux. Université de Bordeaux, France. Repéré à http://ori-oai.u-bordeaux1.fr/pdf/2009/SIMON _MARINA_2009.pdf 81