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JE SUIS TOMBÉ ARTISTIQUEMENT AMOUREUX
DE CES JEUNES DANSEURS BURKINABÈ
ENTRETIEN AVEC HERMAN DIEPHUIS
Bernard Magnier: De quel «voyage» s’agit-il? Et quel en est l’ «objet
principal »?
Herman Diephuis : J’ai trouvé le titre en lisant un formulaire de demande de
visa. C’était une des questions: «Quel est l’objet principal du voyage? ». Je
l’ai choisi comme titre pour deux raisons. Premièrement, j’espère que chaque
spectateur en le lisant se posera la question de ce qui est pour lui «l’objet
principal d’un voyage». Deuxièmement, j’espère, évidemment, qu’en voyant
la pièce le public comprendra ce qui est (ou était au moment où j’ai créé la
pièce) « mon » objet principal du voyage, à savoir la rencontre et, dans le
cadre de cette création, la rencontre avec les quatre interprètes burkinabè
et, à travers elle, la rencontre avec leur danse, leur imaginaire et une certaine
réalité de l’Afrique contemporaine.
Pourquoi avez-vous fait le choix de travailler avec des danseurs africains ?
C’est en animant des ateliers de danse au Centre de Développement
ChorégraphiqueLa Termitière à Ouagadougou où j’étais invité en 2010 que
j’ai rencontré les danseurs de la formation «Je danse donc je suis». Cette
rencontre a été une révélation pour moi tant sur le plan artistique qu’humain.
UNE EXPLOSION D’ÉNERGIE ET D’IDÉES
Quel regard portez-vous sur la création africaine?
La création contemporaine africaine que je connais est à un moment très
intéressant comme j’ai connu en France dans les années 80. Une explosion
d’énergie et d’idées avec une identité africaine très claire, affirmée et innovante.
C’est aussi une danse qui pour moi renoue avec le mouvement et qui montre
l’évidence de la force que cette forme d’art peut avoir et sa capacité de
communiquer au-delà des frontières et ainsi de toucher des publics divers.
Quel regard portez-vous sur les événements que vient de vivre le Burkina
Faso et sur la place prise par les artistes dans ce processus?
Je suis très fier des Burkinabè qui ont pris en main leur destin, sans violence
et avec une telle détermination. Tout cela révèle la maturité de la société
burkinabè et me fait croire qu’un vrai changement peut avoir lieu. Le fait que
le mouvement de contestation ait commencé autour d’un artiste, le rappeur
Smockey, leader du Balai Citoyen, rejoint ensuite par de nombreux autres
artistes, montre l’importance que les artistes ont dans ces sociétés. En effet,
c’est dans les milieux artistiques que les jeunes apprennent à s’ouvrir au
monde et où il y a une liberté de parole et de pensée. Je pense que ce qui est
arrivé au Burkina montre à quel point il faut continuer à inventer, à réaliser et
à financer des projets culturels dans ces pays afin de contribuer à ce que la
liberté d’expression et le progrès gagnent sur les mouvements de fermeture.
propos recueillis en janvier 2016
HERMAN DIEPHUIS
Herman Diephuis est né en 1962 à Amsterdam et vit à Paris. Il travaille comme
interprète pendant plusieurs années avec de nombreux chorégraphes dont
Mathilde Monnier, Jean-François Duroure, Philippe Decouflé, Jérôme Bel…
En 2002, il chorégraphie La C et la F de la F dans le cadre du projet Les Fables
à la Fontaine. Il monte sa compagnie, ONNO, en 2004 et crée : D’après J.-C.
(2004), Dalila et Samson, par exemple (2005), Julie, entre autres (2007), Paul
est mort ? (2008), Ciao bella (2009), All of me et Let it be me (2012 et 2013), Let
it be all of me, at last (2013) et Bang (2014).
En parallèle, il développe des projets de création avec des amateurs, comme
Brainstorming (2012), La Liberté guidant Romain Rolland (2011), Hors Pair
(2008) et La Cène manquante (2006) et des propositions in situ, dont Vue sur
Parc (2014) et Impressions (2013) dans des musées. Il apporte également
son regard en tant que collaborateur artistique auprès d’artistes dont Mathilde
Monnier, Raphaëlle Delaunay, Maud Le Pladec, Romual Kabore, Teilo Troncy.
Avec l’association ONNO, il est en résidence et artiste associé dans plusieurs
structures culturelles : au Manège, scène nationale de Reims (20072010), à
Woodside, Californie (USA) – Djerassi Resident Artists Program (2011), au Théâtre
Louis Aragon, scène conventionnée danse de Tremblay-en-France (2010, 2012
et 2015), et au Forum, scène conventionnée de Blanc-Mesnil (2014).
Depuis 2014, ONNO accompagne le travail de jeunes artistes burkinabè et
devient producteur de plusieurs projets.
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