Épidémiologie descriptive et circulation des virus influenza chez les

Colloque « Grippes animales et humaines »
1er juin 2010 - Afssa Ploufragan
Résumés des interventions
Épidémiologie descriptive et circulation des virus
influenza chez les animaux
et chez l’homme
Jean-Claude Manuguerra
Cellule d’Intervention Biologique d’Urgence, Institut Pasteur F-75724 Paris
La pandémie meurtrière dite de "Grippe espagnole" qui a frappé le monde entier en 1918/1919 a
stimulé l'intérêt des microbiologistes pour cette maladie. C'est au lendemain de la première guerre mondiale et
de la première pandémie du vingtième siècle, que René Dujarric de la Rivière, qui fut un des premiers
scientifiques à s'intéresser à la grippe au laboratoire, démontra que l'agent étiologique de la grippe était un
"virus filtrable". Il a fallu attendre 1931 pour que Richard Shope, intrigué par la simultanéité de la grippe
espagnole chez l'homme et d'une maladie similaire chez le porc vers 1918/1919, isola le premier virus de grippe
chez le porc. Ce n'est que deux ans plus tard, en 1933, à la faveur d'une épidémie de grippe en Angleterre, que
trois chercheurs du National Institute for Medical Research au Nord de Londres (Wilson Smith, C.H. Andrewes et
P.P. Laidlaw) isolèrent pour la première fois un virus de grippe humaine grâce au furet. Toutes ces études ont
confirmé le caractère ultrafiltrable de l'agent étiologique de la grippe. Une contamination de laboratoire permit
en 1936 de confirmer que l'isolat de 1933 était bien l'agent de la grippe humaine.
En réalité, la souche “Hollandaise” de virus de la peste aviaire avait été isolée bien avant en Indonésie
avant 1927 ou 1928 mais il a fallu attendre les progrès des connaissances virologiques pour se rendre compte
que ce virus était de structure similaire aux virus porcins et humains et donc un virus de type grippal ou
influenza. Dès 1971, la nomenclature des virus grippaux ou influenza humains et animaux était unique et en
1980, la nomenclature allait encore plus loin dans l’unification puisque les types moléculaires d’hémagglutinine
(HA) et de neuraminidase (NA) ont été groupés : par exemple Neq2 est devenu N8 : il y a depuis lors des virus
A(H3N8) équins et aviaires.
Les Influenzavirus A, qui forment un des trois genres de virus grippaux (aussi appelés types), infectent
naturellement un spectre plus ou moins large d’espèces hôtes en fonction du sous-type, voire du génotype. Les
oiseaux constituent le groupe zoologique qui se trouve au cœur du monde grippal, certains ordres regroupant
des espèces que l’on peut qualifier d’hôtes ancestraux, très généralement porteurs asymptomatiques, comme
les Ansériformes. D’autres ordres sont constitués d’espèces très sensibles aux infections comme les Galliformes.
Tous d’origine aviaire plus ou moins anciennes, les virus influenza circulent au sein d’espèces de Mammifères
(en particulier les chevaux, les humains et les porcs), chez lesquels ils s’installent durablement et s’y inféodent
en infléchissant leur évolution comme les virus A(H1N1) ou A(H3N2) chez l’homme. Dans d’autres cas, les virus
grippaux ne s’inféodent pas comme par exemple chez les espèces de Cétacées, une des raisons pouvant
expliquer cela tenant à la structure démographique de ces populations.
Le passage de virus grippaux entre espèces peut se faire à la suite d’un ou plusieurs réassortiments chez
l’espèce hôte ou chez un intermédiaire (cas du A(H3N2) de la grippe asiatique chez l’homme). Les échanges de
fragments génétiques entiers sont intratypiques et des études encore assez récentes montrent qu’ils sont
fréquents sans que les conséquences biologiques ne soient systématiquement importantes. Les virus grippaux
une fois adaptés à leur nouvelle espèce sont affranchis de leur(s) réservoir(s) et leur dynamique de circulation se
déroule de manière indépendante dans chaque espèce ou groupes d’espèces. Chez les Mammifères, et l’homme
en particulier, cette circulation est saisonnière et centrée sur la saison froide. Chez les oiseaux domestiques, ce
type pattern saisonnier se retrouve.
La formation d’un nouveau génotype au sein d’un groupe viral proche, entre virus divers, voire
appartenant à des sous-types différents, peut générer des virus phénotypiquement inédits capables de
propriétés épidémiques particulières à l’origine de panzooties (exceptionnelles) comme celles dues aux virus
influenza aviaires hautement pathogènes A(H5N1) depuis la fin de 2003 ou à l’origine de pandémies chez
l’homme comme nous l’avons vécu en 2009/2010.
Les virus influenza aviaires
Véronique Jestin
Afssa-Ploufragan-Plouzané, Unité Virologie Immunologie Parasitologie Aviaires et Cunicoles,
Laboratoire National de Référence pour l’influenza aviaire et la maladie de Newcastle, B.P. 53, 22440 PLOUFRAGAN
Les virus influenza aviaires infectent les oiseaux sauvages (plus d’une centaine d’espèces répertoriées,
essentiellement aquatiques) et captifs (notamment toutes les espèces domestiques) et sont capables de se
transmettre efficacement dans toutes ces espèces. Ces virus appartiennent tous au type A mais se répartissent en
une très large diversité de sous-types correspondant à tout le répertoire connu à savoir 16 sous-types
d'hémagglutinine H1-H16 et 9 sous-types de neuraminidase (N1-N9) ; ces derniers peuvent se combiner aux
premiers en 144 sous-types HN théoriques dont la plupart a été identifiée chez les oiseaux sauvages. La fréquence
de tel ou tel sous type HN dépend de l’espèce, de la zone géographique, de la période de temps considérés, mais
certains sous types apparaissent inféodés à des espèces aviaires (tel H13N6 chez les Laridae).
Au plan vétérinaire, 2 sous-types d’hémagglutinine : H5 et H7 revêtent une importance majeure et sont l'objet
d'une réglementation. En leur sein, un marqueur de virulence correspondant à des motifs particuliers du site de
clivage de l'hémagglutinine sert de base réglementaire pour distinguer les virus faiblement pathogènes (FP) des
virus hautement pathogènes (HP) pour les oiseaux. De plus, comme les virus appartenant à ces sous-types
peuvent avoir un potentiel zoonotique, ils font également l'objet d'une surveillance à des fins de santé publique.
D'autres sous-types présentent un intérêt particulier soit du fait de leur importance en santé animale et/ou
publique, tel le sous-type H9N2 (voir ci-dessous).
Une très grande majorité de virus influenza aviaires possèdent une hémagglutinine se liant à des récepteurs
cellulaires présentant des acides sialiques liés au galactose en α 2.3 (présents de façon majoritaire dans le tractus
respiratoire et digestif des oiseaux aquatiques), avec d’ailleurs des différences subtiles mais notables dans
l’affinité pour différentes polymères sialoglycosylés. Néanmoins les virus influenza aviaires de sous-types H9N2
d’une lignée eurasienne se lient à des récepteurs cellulaires présentant des acides sialiques liés au galactose en α
2.6 abondants dans l'arbre respiratoire et digestif ainsi que l’oviducte de volailles terrestres mais aussi dans
l’épithélium respiratoire supérieur humain.
Comme chez tous les virus influenza, le génome segmenté des virus aviaires leur permet de se réassortir entre
eux mais aussi avec des virus de mammifères. La première situation se produit avec une très grande fréquence
compte tenu du large panel d'oiseaux tant sauvages que domestiques pouvant être infectés et des transmissions
directes ou indirectes de ces virus entre ces espèces à la faveur des rassemblements d'oiseaux sauvages ou des
contacts entre oiseaux sauvages et domestiques ou entre espèces domestiques, contacts favorisés par certains
modes d'élevage (plein air, multi-espèces …). La seconde situation est possible chez tout hôte capable d’être
infecté par des virus des deux origines, à cet égard, le porc constitue un hôte « idéal ». De plus, comme chez tous
les virus influenza, le génome des virus aviaires est constitué d'ARN et montre une grande plasticité. Ainsi il
évolue aussi par mutation ponctuelle, délétion, (et même quoiqu’extrêmement rarement par recombinaison), en
rapport notamment avec une adaptation à un nouvel hôte aviaire voire à une pression de sélection liée à une
vaccination. Un exemple de cette évolution est donné par la distinction de 10 clades de virus H5N1 certains
d’entre eux étant subdivisés en sous-clades (2.2 par exemple qui a diffusé d’Asie en Europe et Afrique en 2006,
2.3 récemment détecté en Roumanie au printemps 2010) et eux mêmes subdivisés en sous sous-clades.
Cette complexité est encore renforcée par le fait que des virus adaptés aux mammifères peuvent encore
néanmoins se transmettre in toto à certaines espèces aviaires par exemple les virus H1N1 porcins appartenant à
la lignée « avian-like » et que des virus retrouvés chez les oiseaux peuvent présenter des gènes provenant de virus
de mammifères, même si ce phénomène est très rare.
Les virus retrouvés chez les oiseaux constituent donc un immense réservoir de gènes qu'il convient de
surveiller. Différents programmes de surveillance et de recherche y concourent. Notamment les programmes de
surveillance mis en place pour traquer plus spécifiquement les virus aviaires de sous-types H5/H7 (voir exposé
spécifique) permettent aussi de récolter des échantillons et d'accumuler des données sur les autres sous-types
aviaires, comme s’y emploie le LNR à Ploufragan. Compte tenu de la grande diversité et complexité de ces virus,
les outils et méthodes de laboratoire doivent être gulièrement actualisés et enrichis pour permettre une
analyse toujours plus poussée. En effet outre le traitement des données d'épidémiologie moléculaire, il convient
de chercher à comprendre les bases moléculaires de la résistance dans l’environnement, de la virulence, d’un
accroissement du potentiel zoonotique, de la contagiosité… et tenter de repérer des signatures particulières
permettant de faire des prédictions et d’aider les gestionnaires du risque.
Les virus influenza chez le porc
Gaëlle Kuntz-Simon
Afssa-LERAPP, Unité Virologie Immunologie Porcines
Laboratoire National de Référence pour les Virus Influenza Porcins - 22440 Ploufragan
Même s’ils apparaissent plus stables que les virus influenza humains d’un point de vue antigénique, les
virus influenza porcins (ou SIV pour swine influenza virus) sont régulièrement soumis à des modifications
génomiques, notamment par le biais de réassortiments rendus possibles lors de co-infections, en raison de la
nature segmentée du génome viral. Le porc semble être le seul mammifère domestiqué susceptible à la fois aux
infections par des virus influenza humains et aux infections par des virus influenza aviaires. Il peut donc servir
d’hôte intermédiaire pour l’adaptation de virus aviaires à l’hôte mammifère et pour la génération de nouveaux
virus réassortants, pouvant à leur tour être transmis à l’Homme, à d’autres mammifères, voire même à des
oiseaux domestiques et sauvages.
Trois sous-types de SIV, H1N1, H3N2 et H1N2, circulent simultanément depuis plusieurs années chez le
porc dans toutes les régions du monde à forte densité porcine. Cependant, les origines et les caractéristiques de
ces trois sous-types viraux varient en fonction des continents et il convient de distinguer les souches circulant en
Europe de celles affectant les porcs d’Amérique du Nord ou d’Asie. Plusieurs lignées génétiques peuvent même
être différenciées au sein d’un même sous-type dans certaines régions. En Europe, les prévalences respectives
des trois sous-types viraux varient d’un pays à l’autre. En France, il n’a plus été détecté de virus H3N2 depuis la
fin des années 90, tandis que circulent à des prévalences similaires les virus européens H1N1 et H1N2. De
nouveaux virus issus de réassortiments entre SIV de ces deux lignées ont été isolés à plusieurs reprises au cours
des dix dernières années dans quelques élevages bretons, sans démonstration toutefois de leur diffusion dans la
population porcine.
En avril 2009 ont été déclarés en Amérique du Nord les premiers cas pathologiques d’infections
humaines par un nouveau virus influenza de sous-type H1N1, devenu responsable de la première pandémie du
XXIème siècle. Ce virus présente une constellation inédite de gènes provenant de SIV, bien que n’ayant jamais
été détecté chez le porc avant d’avoir été isolé chez l’Homme. Six segments génomiques proviennent d’un SIV
multi-réassortant apparu il y a quelques années aux Etats-Unis, tandis que les deux autres gènes proviennent
d’un SIV d’origine aviaire apparu en Europe en 1979, ayant diffusé en Asie en 1993, mais n’ayant jamais été isolé
chez des porcs du continent américain. Les date, lieu et espèce cible du réassortiment entre les SIV « donneurs »
restent non élucidés, mais il a été émis l’hypothèse, dès la connaissance de son émergence, de la capacité de ce
virus pH1N1/09 à transgresser facilement la barrière d’espèce entre lHomme et le porc. Des études d’infections
expérimentales ont démontré la susceptibilité de l’espèce porcine et la capacité de transmission intra-espèce.
Par ailleurs, depuis un an, des élevages ont été trouvés infectés par le virus pH1N1/09 dans plus d’une vingtaine
de pays du monde entier et il semblerait que l’infection des porcins puisse avoir lieu de manière quasi-
inapparente, voire asymptomatique. On peut donc craindre que ce virus ne s’adapte à l’espèce porcine, comme
ce fut le cas des virus responsables des pandémies de 1918 et 1968, avec le risque de futurs réassortiments avec
les SIV actuellement enzootiques, voire d’autres virus influenza d’origines humaine ou aviaire.
L’émergence du virus pH1N1/09 confirme la nécessité de surveiller et d’étudier l’évolution des virus
influenza en circulation chez le porc, tant d’un point de vue de la santé animale que de la santé publique. Les
facteurs limitant la transmission et l’adaptation des virus influenza d’une espèce à une autre, notamment vers et
depuis le porc, apparaissent multigéniques mais sont encore largement incompris.
Les virus influenza équins
Stéphan Zientara
UMR 1161 virologie Afssa/INRA/ENVA94701 Maisons-Alfort
Les virus influenza de type A qui infectent les équidés appartiennent à deux sous types : H3N8 et H7N7
dont les prototypes sont respectivement A/equine/Miami/63 et A/equine /Prague/56. Le sous type H7N7 n’a
plus été isolé depuis 1989. Cette valence a d’ailleurs été retirée de la plupart des vaccins en Europe. Ne circulent
donc actuellement que des virus H3N8 qui peuvent être regroupés en deux lignages selon les séquences
nucléotidiques de leurs segments HA : les lignages américain et européen. Ces lignages sont eux-mêmes divisés
en sous-lignages.
Les virus H3N8 circulent en France avec une évolution saisonnière (hiver, printemps), en particulier dans
les centres équestres, hippodromes et centres d’entraînement. Les chevaux de course sont, en moyenne,
régulièrement et correctement vaccinés (le code des courses impose cette vaccination). La situation est
différente chez les chevaux de propriétaires. La vaccination s’effectue à l’aide de vaccins inactivés purifiés et
adjuvés à base de complexes immunostimulants (ISCOM) ou recombinants (à vecteur canarypox).
En 1994, le Lerpaz, en collaboration avec l’association vétérinaire équine française (AVEF), a constitué un
réseau de vétérinaires sentinelles sur le modèle des GROG (groupes régionaux d’observation de la grippe) en
médecine humaine. Ce réseau a été élargi à d’autres infections (abortives, nerveuses notamment) et s’appelle le
RESPE (réseau d’épidémiosurveillance des pathologies équines). Aujourd’hui, environ, deux cents vétérinaires
sentinelles participent bénévolement à ce réseau.
Les équidés n’échappent pas aux phénomènes de transmissions virales inter-espèces. En Chine, en 1989,
un virus isolé chez des chevaux s’est révélé être d’origine aviaire. Cet événement de transmission « oiseau-
cheval » du virus influenza d’origine non équine à des chevaux a été décrit une seule fois ; cette épizootie de
grippe équine a été provoquée par une souche virale (souche A/Equine/Jilin/1/89) d’origine aviaire puisqu’elle
comportait 6 segments génomiques sur 8 d’origine aviaire.
Les virus équins H3N8 sont capables de franchir la barrière des espèces. Ainsi, en 2004, aux États-Unis,
en Floride, un virus H3N8 du lignage américain a provoqué la mort de lévriers. En Angleterre, des études
virologiques et sérologiques ont montré que des lévriers avaient été infectés par des virus d’origine équine en
2003-2004. De même, en Australie en 2007 alors qu’une épizootie majeure sévissait chez les équidés, un virus
d’origine équine fut capable d’infecter des chiens. Dans tous ces cas, la transmission directe et la contagion
directe entre chiens n’ont pas été observées. Par ailleurs, chez des porcs en Chine, furent isolés des virus
d’origine équine. Enfin, en 2009, en Egypte, un virus H5N1 fut isolé chez des ânes qui présentaient des signes
cliniques de grippe.
Ces données suggèrent fortement que l’espèce équine doit aussi être prise en compte dans le cadre de
la surveillance globale des virus influenza.
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