Contactologie Cas clinique Adaptation en lentille de contact après plaie de cornée Valérie Archaimbault L es lentilles de contact sont une alternative au traitement chirurgical par kératoplastie dans la correction d’un astigmatisme irrégulier après traumatisme cornéen perforant, quand la réhabilitation visuelle n’est pas permise par les lunettes. Comme l’illustre le cas clinique suivant, une lentille rigide perméable aux gaz (LRPG) est souvent la correction de choix pour un résultat optique optimal, avec un risque moindre de kératite microbienne et de néovascularisation qu’avec une lentille souple. La réussite de tout équipement en lentille de contact repose toujours sur la même triade : résultat optique, fonctionnement optimal de la surface oculaire, confort du patient. Atteindre ces trois objectifs sur un œil traumatisé demande de la part de l’adaptateur une connaissance et une attention particulière, de façon à aboutir à un équipement pérenne. Un traumatisme grave de l’OG chez un amblyope OD Lorsqu’il consulte, Monsieur R., âgé de 65 ans, a subi un traumatisme de l’œil gauche par tondeuse six mois auparavant avec : plaie cornéosclérale, perte de l’iris, perte du cristallin. Il a été traité par suture, parage, vitrectomie et antibiothérapie par voie intraveineuse. Dans les suites, il a présenté un décollement de rétine rhegmatogène minime, traité chirurgicalement. Il est adressé pour un équipement en lentille de l’œil gauche avant de passer, en cas d’échec, à l’étape chirurgicale avec implant de chambre postérieure suturé. A droite, il présente une amblyopie fonctionnelle remontant à l’enfance, avec antécédent de décollement de rétine. Un examen ophtalmologique complet Réfractomètrie automatique : OD : - 5,75 (- 2,75) 15°, OG : impossible. Kératométrie : OD : 8,47 à 5°/7,94 à 95°, OG : impossible. Meilleure acuité visuelle corrigée (MAVC) par verres : OD : - 4,75 (- 3,00) 10° addition + 3 → 6/10 - P3, OG : + 13,00 (- 3,00) 65° → 2/10. Bayonne n° 131 • juin/Juillet 2009 La topographie cornéenne de l’œil gauche révèle un astigmatisme irrégulier, avec une zone de cornée rendue prolate par la cicatrisation stromale essentiellement. Cependant, la mauvaise qualité de l’étalement du film lacrymal donne une image de topographie avec artéfact et les données chiffrées de la kératométrie sont difficilement interprétables malgré des indices d’alignement corrects. L’examen de l’œil gauche à la lampe à fente montre une cicatrice cornéenne située en moyenne périphérie, transversale de 3 h à 9 h (figure 1). On note une aniridie et une aphakie post-traumatiques. L’examen du fond d’œil permet d’éliminer une lésion maculaire séquellaire susceptible de grever le pronostic visuel. L’essai, la prescription de la lentille et le suivi L’utilisation de lentilles d’essai de diamètre 9,80 mm et à grande zone optique (8,00 mm) permet de déterminer le RO de la lentille de commande ; par contre, la lentille choisie a tendance à se décentrer en inférotemporal (figure 1) et l’image fluorescéinique révèle un appui périphérique en diabolo dans l’axe de la cicatrice. Une fois le R O déterminé, la lentille commandée (LRPG) est donc une lentille à excentricité de dégagement périphérique (E) modulable avec un diamètre total Les Cahiers 17 Contactologie Figure 1. Cicatrice cornéenne horizontale 3 h-9 h et aniridie œil gauche. La lentille d’essai se décentre en inféro-temporal. (9,80 mm) et un diamètre de zone optique (8,00 mm) équivalents à la lentille d’essai. Les paramètres sont les suivants : + 10,25/8,20/9,80/E = 0,6. Cette lentille permet d’obtenir une acuité de 8/10 à gauche. L’aniridie, l’amétropie partiellement corrigeable de l’œil droit, un léger astigmatisme résiduel de l’œil gauche et la presbytie justifient une correction par verres de lunette additionnels photochromiques. Avec une correction : plan (- 0,50) 30° addition + 3,00, on obtient 10/10 - P3 du côté gauche, porteur de la lentille. Le patient est informé du calendrier du suivi, un rendez-vous est donné un mois après délivrance de l’ordonnance définitive rédigée sur le formulaire de prise en charge correspondant à la cotation BLMP003 de la CCAM. Puis il sera vu tous les six mois. Ici, le gain notable d’acuité visuelle permet la conduite automobile, ce qui correspond aux besoins essentiels de ce sexagénaire actif et qui permet de surseoir à l’indication de greffe. Apport des lentilles de contact en traumatologie L’apport des lentilles de contact sur le plan optique par rapport aux lunettes est connu depuis longtemps [1, 2] dans la réhabilitation visuelle après traumatisme cornéen perforant. 18 Les Cahiers Le choix de la première lentille Le choix du type de lentille est guidé par les critères optiques : en cas d’astigmatisme irrégulier, il se porte vers une LRPG. En cas d’astigmatisme central régulier, rare, la correction par lentille souple est possible. La géométrie de la lentille rigide dépend de la localisation de la plaie : - si la plaie est paracentrale, la toricité périphérique est respectée et la stabilité d’une lentille plus prédictible ; - si la plaie est périphérique, un grand diamètre s’impose pour assurer stabilité et confort. En ce qui concerne le matériau, il convient d’opter pour un super Dk/e (entre 60 et 80) ou un hyper Dk/e (supérieur à 80), en raison du risque d’apparition de néovaisseaux, surtout si la cicatrice empiète sur le limbe. Un Dk/e inférieur à 60 reste une indication de réserve si la dynamique des paupières (déformabilité) et/ou l’état du film lacrymal l’exige (œil sec). Les critères physiologiques font que la priorité sécuritaire est donnée aux LRPG. Les lentilles souples restent un choix de seconde intention si l’amétropie reste dans le champ des paramètres disponibles, en privilégiant là aussi les hyper Dk/e (silicone-hydrogel). Les lentilles souples sont donc envisagées en cas d’inconfort avec LRPG ou d’érosion épithéliale récidivante et algique. Actuellement, plusieurs types de géométrie sont possibles, en dehors de la classique géométrie de révolution, pour assurer un meilleur alignement, donc une meilleure stabilité et une meilleure acuité visuelle. Par exemple, en cas de taie cornéenne inférieure, une lentille spéciale kératocône peut même être l’indication optimale. Pour une taie en nasal ou en temporal, il vaut mieux s’orienter vers un « edge-lift » au-dessus de la partie serrée de la moyenne périphérie, afin d’éviter le décentrement et l’acuité fluctuante [3] (figure 2). La plupart des patients peuvent ainsi être avantageusement équipés, ce qui jette un voile sur l’étude de Mc Mahon [4], qui concluait à un faible taux de réussite à long terme du port de lentilles dans une série de 122 cas de traumatisme du segment antérieur. L’examen clinique est un préalable indispensable Il détermine le choix de la première lentille d’essai et permet la compréhension d’un problème éventuel rencontré en cours d’adaptation. • Acuité visuelle : sans correction, avec correction par verre. n° 131 • juin/Juillet 2009 Contactologie a b c • Analyse de l’astigmatisme : topographie, astigmatisme régulier ou irrégulier, localisation par rapport au centre de la cornée. La topographie est souvent difficile car le film lacrymal est altéré. La réalisation d’une topographie cornéenne permet de prévoir des zones d’appui, des lacs de fluorescéine, donc de choisir la géométrie de la face postérieure de la lentille d’essai la plus apte à minimiser ces effets. L’adaptation en lentille peut se faire précocement Figure 2. a. Design tricourbe : r0, rayon central (rayon de la zone optique) ; r1, rayon intermédiaire entre r0 et r3 ; r3 rayon périphérique. Par exemple, r3 plus petit de 0,8 mm que r0. b. Design spécial kératocône : r0, rayon central ; r1, r2, r3 rayons périphériques. La différence entre r0 et le rayon périphérique r1 est beaucoup plus grande que pour (A). r3 est très plat. c. « Reverse design » ou géométrie inversée (tétracourbe) : r0, rayon central ; r1, r2, r3 rayons périphériques. r2 est significativement plus serré (reverse) que le rayon central r0. r3 (deuxième « reverse zone ») est plus plat que r2, mais plus serré que r0. Noter la kératométrie centrale ou la valeur du K plat dans la zone des 3 mm de la carte topographique. Si l’on ne dispose pas d’un topographe, la solution est de téléphoner à l’assistance technique du laboratoire choisi qui enverra une lentille d’essai en se basant sur la kératométrie de l’œil adelphe et la description de la cicatrice. • Examen statique et dynamique des paupières. • Transparence de la cornée : - étendue de la taie cornéenne, - localisation : centrale, paracentrale, périphérique, - situation par rapport à l’axe visuel et à la pupille, à la lumière et à l’obscurité. Un gain modéré d’acuité visuelle malgré une limite visible de la taie en dehors de l’axe visuel évoque une atteinte stromale infraclinique. • Limbe : intégrité, néovaisseaux, hyperémie. • Conjonctive bulbaire et palpébrale : existence d’un relief par fibrose cicatricielle. • Film lacrymal : imprégnation à la fluorescéine (dry spots), effet Dellen. • Pupille : forme, taille. • Cristallin (si phaque) : altération ou non de sa transparence. n° 131 • juin/Juillet 2009 Elle peut se faire dès la cicatrisation et quelques semai nes après l’ablation des sutures, lorsque la kératométrie est jugée stable (en dehors du cas particulier de lutte contre l’amblyopie chez l’enfant). En général, le premier essai se fait avec une lentille de diamètre situé entre 9,50 et 10,50 mm, avec un rayon de courbure le plus proche possible du K plat. Puis se fait le contrôle de l’adaptation : 1. Evaluer le centrage et la mobilité. 2. Evaluer l’alignement de la zone optique d’après l’image fluorescéinique. 3. Adapter le rayon de courbure ou le déterminer entre celui d’une lentille jugée trop serrée et celui d’une lentille jugée trop plate. 4. Faire une sur-réfraction et déterminer la puissance de la première lentille commandée. 5. Choix du matériau : à forte transmissibilité à l’oxygène. Enfin, une adaptation réussie est une adaptation pérenne. Il faudra donc rechercher par l’interrogatoire les besoins visuels et les exigences du patient afin de définir le « cadre psychologique » et les modalités du port ultérieur. Lors des visites de suivi, il convient d’évaluer la meilleure acuité corrigée par lentille, de surveiller l’apparition d’un syndrome 3 h-9 h, de discuter avec le patient de l’indication judicieuse d’une kératoplastie, dont le résultat optique optimal dépend d’une adaptation en lentilles de contact dans un tiers des cas de toute façon [5], équipement qui présente d’ailleurs des analogies avec l’adaptation sur plaie de cornée. Un protocole rigoureux pour ces cas difficiles Dans le rapport de la SFO 2009, « Les lentilles de contact », Frédéric Vayr décrit de façon très pratique le protocole d’adaptation en lentilles sur une cornée après traumatisme perforant [6]. Les Cahiers 19 Contactologie Les difficultés d’adaptation d’une lentille de contact sur une cornée fragilisée par une plaie sont à l’heure actuelle minimisées par les matériaux et les designs à notre disposition. Ces difficultés sont variables et dépendent de la morphologie de la cicatrice [7] : étendue, localisation et topographie, ainsi que des lésions associées au niveau du segment antérieur (aniridie, aphakie). Ce type d’équipement fait l’objet de recherches destinées à mettre au point des systèmes de stabilisation permettant l’adaptation de tout type de cornée cicatricielle. La technologie point par point et les tours de fabrication robotisés permettent d’obtenir des faces postérieures asymétriques avec des variations de courbure localisées sur une partie des dégagements, de façon à s’aligner sur la partie de la cornée déformée par la cicatrisation. Seuls restent à mettre au point des systèmes de stabilisation performants pour assurer un bon centrage à ces lentilles avec une géométrie inversée localisée. Contactologie Valérie Archaimbault 20 Les Cahiers Bibliographie 1. Dada VK, Agarwal LP, Martin S, Harris RL. Visual acuity improvement in eyes with corneal scars fitted with contact lenses. Am J Optom Physiol Opt 1975;52:211-5. 2. Titiyal JS, Sinha R, Sharma N, Sreenivas V, Vajpayee RB. Contact lens rehabilitation following repaired corneal perforations. BMC Ophthalmol 2006;14(6):11. 3. Martin R, de Juan V. Reverse geometry contact lens fitting in corneal scar caused by perforative corneal injuries. Contact Lens and Anterior Eye 2007;30:67-70. 4. Mc Mahon TT, Devullapally J, Rosheim KM, Putz JL, Moore M, White S. Contact lens use after corneal trauma. J Am Optom Assoc 1997;68:215-24. 5. Gruenauer-Kloevekorn C, Kloevekorn-Fischer U, Duncker GIW. Contact lenses and special back surface design after penetrating keratoplasty to improve contact lens fit and visual outcome. Br J Ophthalmol 2005;89:1601-8. 6. Vayr F. Adaptations après plaies cornéennes et traumatismes oculaires. Les lentilles de contact, Rapport de la SFO 2009. Masson Ed : 651-59. 7. Gruenauer-Kloevekorn C, HabermannA, Wilhelm F, Duncker GI, Hammer T. Contact lens fitting as a possibility for visual rehabilitation in patients after open globe injuries. Klin Monatsbl Augenheikd 2004, 221:652-7. Compte tenu de la place accordée à la contactologie dans ce numéro avec l'interview de Florence Malet, auteur du Rapport 2009, il n'y a pas d'échos de la SFO en contactologie. Valérie Archaimbault, qui anime très activement cette rubrique au sein du comité de rédaction des Cahiers d'Ophtalmologie, a accepté de rédiger ce cas clinique. Nous l'en remercions. n° 131 • juin/Juillet 2009