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PRÉFACE1
C'est bien à tort que jusqu'à ces dernières années fut négligé l'enseignement manuel à
l'Ecole primaire ; il est désirable que l'introduction d'une épreuve de travail manuel à l'examen
du C.E. P. (arrêté du 19 juillet 1917) donne à cet enseignement toute l'importance qu'il
comporte : car sa valeur éducative est incontestable et sa portée pédagogique considérable.
L'Ecole primaire ne peut être, certes, une école de préapprentissage des principaux
métiers manuels : car toute spécialisation y est impossible, et la création d'ateliers scolaires,
pourvus de tout le matériel et de tout l'outillage nécessaires, est chose difficilement réalisable
dans la plupart des cas. D'ailleurs, ainsi qu'il ressort clairement des sujets proposés aux
examens du C. E. P. en 1922, notamment, il convient d'interpréter dans leur plus large
acception les programmes de mars 1882 et janvier 1887, relatifs à cet enseignement, et,
laissant résolument de côté toute préoccupation d'ordre pratique et purement professionnel, de
borner 1'enseignement manuel aux travaux de pliage, tissage, découpage et cartonnage qui
peuvent être réalisés facilement dans n'importe quelle école et n'exigent aucun matériel
coûteux ; au surplus, cette conception du travail manuel est la seule qui soit logique et aussi la
seule qui soit réellement efficace.
Comme toute autre matière du programme, en effet, le travail manuel ne peut être et
ne doit être, à l'Ecole primaire, qu'un moyen d'éducation générale. De même que l'école
n'a la prétention de former ni des artistes, ni des littérateurs, de même elle ne peut prétendre à
former des ouvriers ou des artisans ; l'enseignement ne peut qu'y être théorique et le rôle du
maître est plus un rôle d'initiateur que de doctrinaire ou de praticien. Il serait aussi puéril de
vouloir faire de bambins de 10 à 12 ans des ébénistes ou des ajusteurs, qu'il serait puéril de
vouloir leur enseigner à cet âge l'histoire des littératures, la philosophie ou les mathématiques.
Par contre, il convient de développer de bonne heure, chez l'enfant, le goût des travaux
manuels et de cultiver, parallèlement à son esprit, sa dextérité manuelle : or point n'est besoin
pour cela de recourir à un outillage compliqué et dispendieux qui nécessiterait de la part du
maître un sérieux apprentissage préalable et., pour l'enfant, une force physique et une adresse
manuelle qu'il n'a pas encore. Ce qui importe avant tout, c'est d'habituer l'enfant à se servir
avec promptitude et dextérité de ses mains et de l'initier, dans la mesure du possible, aux
nécessités de l' " exécution matérielle " : il contractera ainsi, sans difficulté, des habitudes de
méthode, d'observation, de précision et d'ordre, sans lesquelles il n'est pas de bons ouvriers.
Pour arriver à ce but, il n'est pas nécessaire de lui mettre entre les mains le rabot de l'ébéniste
ou la lime de l'ajusteur : les difficultés techniques et matérielles qu'il rencontrerait auraient tôt
fait de le décourager, tandis que les exercices les plus simples, judicieusement choisis, le
conduiront sans effort apparent, souvent même en l'amusant, à un résultat identique.
A ce point de vue, l'exécution de figures et de solides géométriques, construits selon
des données précises, est le meilleur apprentissage que l'on puisse imaginer parce qu'il
apprend à l'enfant qu'il n'est pas de travail manuel qui ne soit précédé d'un travail intellectuel
de conception et de mise au point, pas de réalisation matérielle qui n'exige l'attention, la
précision et l'adresse de la part de l'exécutant. Lorsque l'heure de la spécialisation aura sonné,
lorsqu'il aura choisi sa profession, l'enfant, devenu jeune homme, sera mieux armé pour
affronter les difficultés du premier apprentissage parce qu'il possédera déjà des notions
générales qui sont communes à tous les métiers manuels - tracés, mesures, nécessité de la
précision, coordination entre la conception et l'exécution d'un objet à réaliser, etc. - et parce
qu'il aura été habitué, dès le jeune âge, à observer, à analyser, à travailler avec goût et avec
soin.
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