52 / Odile Moreau
Les réformes des Tanzîmât1furent mises en place pour sortir de la “tradi-
tion”, c’est-à-dire du système ancestral qui perdurait alors. Au XIXesiècle, cela signi-
fiait s’inspirer des techniques européennes pour combler un retard devenu tan-
gible. Ce dernier s’exprimait d’abord en termes militaires et s’était traduit par des
défaites successives. Selim III fut le précurseur des réformes du XIXesiècle avec
le nizâm-i cedîd 2, puis Mahmûd II en fut l’artisan avec la mise sur pied d’une
armée nouvelle.
Celle-ci mettait fin à l’organisation militaire de type classique de l’Empire
ottoman, fondée sur la “professionnalisation de l’armée”, en abolissant le corps
des Janissaires en 1826. Fondée par le sultan Mahmûd II, cette nouvelle armée
reposait sur le système de la conscription répandu dans les armées européennes
depuis la Révolution française. Des perfectionnements furent apportés à cette armée
de conscription, par strates successives, jusqu’à l’avènement de la République.
La solution préconisée pour rénover l’armée était de la doter d’armements nou-
veaux et d’instruire les soldats dans les « savoirs modernes » en créant des écoles
militaires afin de forger un nouvel état d’esprit dans l’institution militaire. Ainsi,
grâce à l’acquisition de savoirs techniques et scientifiques, ces jeunes officiers consti-
tueraient de nouvelles élites et de futurs cadres non seulement pour l’armée,
mais aussi pour la société ottomane toute entière.
Dès le début du XVIIIesiècle, l’Empire eut recours à des spécialistes étrangers
qu’il employait à titre individuel. Tels le comte de Bonneval (1675-1747) qui ser-
vit sous le règne de Mahmûd I (1730-1754) ou le baron de Tott, sous le règne
de Mustafa III (1757-1774), qui diffusèrent l’influence française et participèrent
à la réorganisation selon les modèles européens.
Les premières tentatives d’ouverture d’écoles de type européen ne durèrent pas
du fait de la résistance des janissaires. Ce fut le cas des écoles d’artilleurs de
Humbarhâne et de l’école d’ingénieurs de Mühendishâne, en 1731, sous le règne
1. Dans l’Empire ottoman, au XIXesiècle, les Tanzîmât (pluriel du substantif arabe tanzîm, mise en
ordre, réorganisation), processus de modernisation voulu par le haut, avaient pour but une réorganisa-
tion de l’État et de la société. Pour sauver l’Empire, un processus de centralisation administrative, de moder-
nisation de l’appareil étatique et d’occidentalisation de la société fut mis en œuvre. Ce mouvement de réforme
connut trois temps forts, à savoir, la promulgation de la charte de Gülhâne en 1839, puis celle du rescrit
impérial, Hatt-î Hümayûn, en 1856, enfin sa clef de voûte fut la promulgation d’une Constitution otto-
mane en 1876. La charte de Gülhâne a de multiples caractères : judiciaire, financier, administratif et mili-
taire. Tous les sujets de l’Empire sont déclarés égaux sans distinction de religion ou de nationalité ;
chaque individu est jugé devant la justice conformément à la loi ; chacun verse directement des impôts
à l’État en fonction de ses revenus ; l’affermage est aboli ; chaque localité fournit un contingent militaire.
Le rescrit impérial de 1856 est animé par le même esprit que la charte de Gülhâne en précisant les droits
et les devoirs des sujets ottomans. Un processus de centralisation administrative, de modernisation de l’ap-
pareil étatique et d’occidentalisation de la société fut aussi mis en œuvre. La constitution ottomane pro-
mulguée en 1876 renouvelle aux sujets toutes les garanties offertes par les chartes de 1839 et de 1856.
Mais elle fut suspendue lors de la guerre russo-turque de 1877-1878.
2. Le sultan Selîm III (1789-1807) créa en 1794 un nouveau corps d’infanterie, appelé nizâm-i cedîd (la
nouvelle organisation), entraîné à l’européenne par des officiers français, anglais et allemands, doté de moyens
financiers propres et dont les membres étaient essentiellement recrutés en Anatolie. Cette entreprise réus-
sit en Anatolie, mais échoua dans les Balkans à cause de l’opposition des notables locaux.